Intervention de Mario Stasi

Réunion du jeudi 2 mai 2019 à 14h00
Commission d'enquête sur la lutte contre les groupuscules d'extrême droite en france

Mario Stasi, président de la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA) :

Je vous remercie pour vos questions qui me permettent d'évoquer l'essence même de notre mission et de notre combat.

Je ne saurais vous dire exactement depuis quand notre association mène des actions auprès de jeunes en concertation et en coopération avec le ministère de l'éducation nationale. Elles existaient, en tout cas, longtemps avant que j'adhère à la LICRA.

Nous constatons qu'il importe, désormais, de s'adresser aux plus jeunes. Nous intervenons donc dans les écoles primaires afin de combattre l'ignorance et de pallier le fait que les valeurs familiales n'ont pas été transmises, les familles ne le pouvant ou ne le voulant pas. Nous aidons les enseignants dans cette tâche en adoptant, pour parler aux jeunes, un langage qui n'est pas vertical, comme le leur, mais horizontal, et en prenant tout le temps nécessaire : deux heures par classe, une heure ne suffisant pas. Nous revenons d'ailleurs l'année d'après dans la même classe dans le but d'approfondir le travail déjà fait. Nous faisons également sortir les élèves de l'école afin de leur montrer les lieux de culte, ceux des institutions de la République et les mairies.

Notre objectif est de faire naître le doute car, sur ces questions, on peut considérer qu'un tiers du travail est fait lorsque les jeunes se mettent à douter. Il devient en effet alors possible d'entamer avec eux une discussion.

La LICRA possède un institut où les militants bénévoles reçoivent une formation qui dure une à deux journées. Cette formation est en effet très importante : ne l'ayant pas suivie, je ne pourrais pas intervenir dans les écoles sinon, éventuellement, en étant accompagné. Les bénévoles de tout âge que nous formons se rendent dans les lycées et les collèges après avoir pris contact avec les directeurs des établissements. Nos militants sont de plus en plus nombreux à vouloir aller au contact des plus jeunes, et ils partagent cette exigence de suivi.

Nous avons également commencé à mettre en place, là encore en partenariat avec le ministère de l'éducation nationale, un campus numérique qui permettra aux jeunes d'acquérir un esprit critique à l'égard des fake news – ce que Jean-Michel Blanquer appelle les « bobards ». Les historiens, les sociologues et les autres spécialistes réunis sur ce campus numérique leur apprendront à démonter les discours préconçus.

Il s'agit là d'un travail de longue haleine mais il a semblé que, dans la mesure où le mal arrive par les réseaux sociaux, c'est par les réseaux sociaux que le bien, une fois le mal endigué, devrait pouvoir se propager. Ce campus numérique, qui a été primé par Facebook France, a déjà acquis une certaine visibilité, et nous entendons en faire un outil très efficace.

Parmi les différentes missions de la LICRA, il me faut encore mentionner celle qui concerne les devoirs de vigilance et de dénonciation. Il faut malheureusement aussi toucher la corde émotive, car la réflexion naît parfois d'un choc. La commission d'enquête a d'ailleurs constaté que nombre de députés et d'élus avaient, à juste titre, été touchés par les attaques qui les visaient ou visaient leurs familles : il faut que nous continuions à nous appuyer sur cette émotion pour alerter et éduquer nos concitoyens.

C'est pourquoi la LICRA vient de lancer avec Publicis une campagne très réussie qui montre la pérennité du racisme et des thèses de l'extrême droite depuis les années 1930. Cette campagne recourt à l'intelligence artificielle pour détecter les tweets racistes ou antisémites et établit un lien entre des propos tenus sur les réseaux sociaux qui devraient être pénalement sanctionnés, et le contenu d'affiches des années 1930 et 1940.

Cette campagne est visible sur le site de la LICRA. Par exemple, un tweet – « les renois quand vous draguez on dirait des violeurs c'est chaud » – est placé à côté d'une affiche des années 1940 montrant un noir qui viole une femme. Sous l'affiche et le post, nous avons écrit : « Un poster de 1944. Un post de 2019. Le racisme continue de s'afficher. » Car on feint de s'étonner, mais de tels propos n'ont rien de neuf ! Il est d'autant plus urgent de légiférer et d'apporter une réponse pénale adéquate à ces délits.

La campagne que nous avons lancée s'adresse aux plus jeunes en leur montrant qu'ils doivent tirer les leçons du passé mais aussi, dirais-je, en leur expliquant que s'ils ont le droit de penser ce qu'ils veulent, ils n'ont pas celui d'exprimer ce qu'ils veulent. Notre pays garantit en effet l'exercice de la liberté d'expression mais, d'après la loi et les règlements, tenir certains propos revient à commettre un délit.

La liberté d'expression est parfois mise en avant pour justifier la pratique de l'anonymat sur internet, qui est présentée comme le moyen de se protéger. Mais pourquoi se cacher, sinon pour commettre un délit ? Tel est le sens de la question que nous posons aux jeunes : pourquoi vous cachez-vous pour exprimer sur les réseaux sociaux ce que vous ressentez ? Est-ce parce que vous avez conscience que vos propos constituent un délit ?

Le travail de longue haleine que nous menons est donc un travail de dénonciation et de vigilance mais surtout, je le répète, d'éducation.

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