Un courant de pensée encore très fort aujourd'hui et qui possède des représentants illustres, notamment parmi les grands avocats, considère qu'il faut distinguer les mots des actes, que la liberté d'expression est sacrée et qu'un pays qui bride la parole est un pays qui entre dans le totalitarisme. Même si les représentants de ce courant de pensée affirment haut et fort que le racisme n'est pas une opinion mais un délit, ils permettent à ceux qui ne le pensent pas de le penser de façon légitime.
À considérer les drames qui, partout dans le monde, sont revendiqués ou annoncés sur les réseaux sociaux, il me semble que le combat visant à préserver les mots, quelques maux qu'ils puissent amener, sera bientôt dépassé. Les mots précèdent en effet très souvent les actes, et le rôle que la radio et les appels au meurtre ont joué dans le génocide au Rwanda nous rappelle qu'il n'est pas possible de séparer l'atrocité des mots de l'atrocité de l'acte.
Je suis farouchement attaché à la liberté d'expression. Chacun doit avoir le droit de penser les pires atrocités en les gardant pour lui mais, dans l'espace public où doit se construire l'harmonie sociale, il ne saurait être question d'avoir le droit de tout dire. Dès lors, il faut responsabiliser ceux qui rendent possible la prolifération des propos racistes : c'est ce que prévoit la future loi Avia et ce que permettrait, de façon encore plus efficace, notre proposition visant à sortir les délits racistes de la loi de 1881 sur la liberté de la presse.
Il faut également que les auteurs de ces propos soient responsabilisés. Si elle est adoptée, la loi Avia facilitera la levée de l'anonymat sur internet. Cependant, je le répète, il faudrait avant tout pouvoir juger un délinquant raciste comme un délinquant ordinaire, sans se heurter aux multiples chausse-trappes procédurales – croyez-en l'avocat spécialisé en droit de la presse que je suis – que comporte la loi de 1881. Nombre de magistrats, d'ailleurs, connaissent mal cette loi, ou ont été insuffisamment formés à la prévention des délits racistes.
Aujourd'hui, la justice échoue à punir les propos racistes. Songez qu'Alain Soral a, à deux reprises, été condamné à une peine de prison ! Et je me souviens d'avoir plaidé pour la LICRA dans une affaire où Jean-Marie Le Pen comparaissait pour après avoir déclaré, dans un meeting à la Baule, que les Roms, « comme les oiseaux », volent « naturellement ». Bien qu'il eût comparu à de multiples reprises en justice – c'était peut-être sa quatorzième comparution –, c'était la première fois qu'était requise contre lui une peine de prison avec sursis !
Le système est donc plus qu'imparfait. On pourrait pousser le cynisme jusqu'à dire qu'il satisfait peut-être ceux à qui il donne l'occasion de prononcer de belles plaidoiries et qui, lorsqu'ils se retrouvent dans le confort de l'entre-soi, se félicitent les uns les autres d'avoir fait œuvre de justice ! Pour ma part, lorsque je vois que l'on offre une scène médiatique et politique à des racistes – des gens comme Alain Soral, mais aussi des racistes ordinaires – en leur donnant l'occasion de faire citer des témoins qui accaparent le temps et l'argent de la justice et d'avoir comme public leurs admirateurs et les pires racistes, je ne peux que me poser la question de l'adéquation de l'outil législatif existant aux délits racistes.
La réponse appropriée n'est certainement pas l'ordonnance pénale reçue à domicile, ainsi que je l'ai expliqué. Il faut, pour ces délinquants, une audience ordinaire et, en cas de flagrant délit, l'application de la procédure de comparution immédiate, comme pour n'importe quel délit. Si une instruction s'avérait nécessaire, elle aurait bien sûr lieu, et des compléments d'information pourraient également être demandés, comme pour tout autre délit. Aucune raison ne saurait justifier cette exception, si ce n'est ce courant de pensée et cet entre-soi.