Intervention de Claude d'Harcourt

Réunion du jeudi 27 mai 2021 à 9h30
Commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la france

Claude d'Harcourt, directeur général de la direction générale des étrangers en France (DGEF) :

Je commencerai par la question politique soulevée par Mmes Dupont et de Vaucouleurs, concernant la répartition et l'importance des moyens à consacrer aux migrants. Il ne s'agit pas uniquement de déployer des moyens supplémentaires dans l'idée d'accepter la pression migratoire. L'enjeu qui se pose à notre société touche aux conditions d'une politique d'immigration durable. Il ne m'appartient pas de la définir, mais il me paraît légitime que les autorités politiques et le Parlement s'interrogent à ce sujet. L'objectif n'est pas d'accepter toutes les demandes d'asile. Certaines dissimulent des migrations économiques. La question des mineurs non accompagnés nous prend tous aux tripes. Il ne faut pourtant pas se voiler la face sur l'existence de filières extrêmement organisées, qui coordonnent l'arrivée sur notre territoire de la grande majorité de ces mineurs. La question migratoire porte, au-delà de l'augmentation des moyens, sur l'impact du flux migratoire sur l'équilibre et la solidité de notre société. Le think tank Terra Nova parlait même d'une politique migratoire qui permette d'en renforcer la cohésion.

Le ministre de l'intérieur lui-même convoque à peu près tous les mois les acteurs chargés des demandes d'asile, hormis la CNDA, pour savoir combien de temps en moyenne prend leur examen. À ce jour, il faut entre douze et dix-huit mois pour traiter une demande, contre vingt-quatre en Allemagne. Le Parlement a voté les crédits nécessaires pour atteindre notre objectif d'un délai maximum de six mois. Nous ne verrions que des avantages à ce que votre commission pousse ses investigations du côté de la CNDA.

La liste des pays d'origine sûrs est établie par l'OFPRA. Il suffit qu'un État y figure pour que s'accélèrent les procédures, comme l'a montré l'exemple de l'Albanie et de la Géorgie, dont les ressortissants pratiquaient une forme de tourisme médical en France. Les derniers chiffres les concernant s'avèrent beaucoup plus satisfaisants. L'inscription d'un pays sur cette liste n'intervient toutefois qu'à l'issue d'une procédure complexe requérant la validation du conseil d'administration de l'OFPRA. Il existe également une liste européenne des pays d'origine sûrs mais elle n'influe en rien sur notre mode de fonctionnement.

Nos chiffres n'incluent pas les outre-mer. La situation à Mayotte compte parmi nos préoccupations majeures, du fait de la réouverture des lignes aériennes avec Madagascar. Parmi les 260 000 habitants de Mayotte, un sur deux est un étranger. Nous craignons donc pour l'équilibre de l'île. Les pays de la zone des Grands lacs posent également des difficultés. Les migrations risquent d'y reprendre de manière durable.

Le règlement de Dublin marque l'échec de la politique européenne du droit d'asile. La France dénombre, parmi ses demandeurs d'asile, un tiers de demandeurs Dublin, c'est-à-dire dont la demande d'asile relevait en principe de la responsabilité d'un autre pays de l'UE, sauf que nous n'y avons pas renvoyé ces demandeurs dans un délai de six mois. Nous sommes le seul pays d'Europe à en compter une proportion aussi élevée. Il n'est pas rare que les auteurs de ces demandes, les Afghans notamment, en adressent à trois ou quatre pays successivement. Cette situation explique la fermeté de nos propositions dans le cadre du pacte migratoire.

Une fois levés les obstacles dus à la situation sanitaire actuelle, nous devrions disposer en CRA d'un nombre de places satisfaisant, à savoir 2 200 à la fin de 2022. Nous prévoyons en outre de créer 7 ou 8 locaux pour la rétention administrative, un dispositif très encadré d'une durée maximale de quarante-huit heures.

Les 275 000 permis de séjour délivrés pour une première fois chaque année incluent les 30 000 accordés au titre de la régularisation de certains étrangers.

Le traitement des MNA incombe à des fonctionnaires au niveau des départements. Ces jeunes, pour la plupart d'entre eux aux mains de passeurs, arrivent dans notre pays avec une santé, y compris mentale, très abîmée. Leur intégration par l'école apparait dès lors comme un enjeu crucial. Il arrive qu'une fois majeurs, ces jeunes auxquels nous nous sommes attachés reçoivent une OQTF. Je songe ici surtout aux Guinéens, qui produisent communément de faux documents d'état-civil. Faut-il laisser ce dispositif prendre de l'ampleur ou réagir ? Il me semble que 17 000 MNA arrivent en France chaque année, à moins que ce nombre ne corresponde qu'à ceux pris en charge par l'ASE. Nous comptons passer des accords avec des avocats qui, localement, à notre demande ou à celle des départements, s'assureront de la validité de leurs actes d'état-civil. Je suis conscient des efforts de la représentation nationale pour trouver des solutions au problème déchirant des MNA. Le statu quo n'apparaît en tout cas pas comme une option viable.

La transposition en France de la carte bleue, issue d'une directive européenne, date de 2011. Peu utilisé dans notre pays, ce titre n'a été octroyé qu'à 1 000 personnes. Seuls le Luxembourg et l'Allemagne y ont recours. Nous disposons en France d'un autre dispositif qui fonctionne très bien : le « passeport talent », dont la demande d'obtention a justement été dématérialisée hier. Il permet d'accueillir sur notre territoire des jeunes férus de technologies numériques. La plupart des ceux qui travaillent dans les start-up de la station F à Paris en sont titulaires. Il est encore trop tôt pour tirer un bilan de la carte bleue. Nous ne voulons pas, en tout cas, qu'elle se banalise en s'étendant à des professions hors de la cible initiale.

Je crois qu'aucun pays de l'UE n'arrive à traiter les demandes d'asile dans un délai de six mois.

La crise liée au Covid a entraîné une diminution de 40 à 50 % de tous les chiffres. Seuls souffrent une exception celui des demandes d'asile, qui n'ont que peu reculé, ainsi que le nombre de régularisations au titre de l'admission exceptionnelle au séjour, stable autour de 30 000 par an. Nous pouvons d'ailleurs nous interroger sur l'opportunité de maintenir ce flux de régularisation, qui concernera 300 000 personnes d'ici dix ans, et sur la pertinence des critères, peut-être trop souples, qu'on leur applique.

Les OQTF sont prévues par la loi. Il est normal de prononcer des sanctions à l'encontre de ceux qui y contreviennent. Nous demandons à nos concitoyens de respecter des règles. Il ne me paraît pas insensé d'en exiger autant d'étrangers en situation illégale. Les OQTF sont appliquées avec humanité, conformément aux valeurs de notre pays. Le dialogue reste possible avec les préfectures. Il existe des voies de recours. Nous prêtons attention aux situations sur lesquelles les parlementaires attirent notre attention. Nous examinons les demandes, au cas par cas. Les admissions exceptionnelles au séjour (AES) en fournissent bien la preuve.

Je considère le recours au contentieux comme un échec. Entre 40 % et 50 % du contentieux administratif en France vient des étrangers. Il en coûte à notre pays 17 millions d'euros chaque année. La judiciarisation systématique m'apparaît comme une voie sans issue. La multiplication des référés de suspension met sens dessus dessous le fonctionnement de nos juridictions administratives. C'est ce que j'explique à nos interlocuteurs de la Cimade. Une sorte de culture du contentieux s'est malheureusement implantée, alors que je préférerais largement discuter en face à face avec la Cimade et les cinq associations qui nous ont traîné devant les tribunaux à propos de délais de prise de rendez-vous en région parisienne. Nous devons rétablir une relation exigeante et forte, quoique difficile pour nous, avec les associations.

Le principal enjeu en matière de financement relève moins d'un accroissement des sommes allouées que de leur meilleur usage possible. Si les autorités européennes à Bruxelles pouvaient éviter de nous harceler à propos de notre emploi des crédits européens, ce serait déjà une bonne chose.

Nous mettons en œuvre un dispositif d'accompagnement global et personnalisé des personnes détentrices d'un titre de réfugié. Baptisé AGIR (accompagnement global pour l'insertion des réfugiés), il reprend le programme local Accelair qui a donné d'excellents résultats dans la région de Lyon. L'accueil et l'intégration des réfugiés doivent, pour se dérouler au mieux, s'articuler autour de deux axes essentiels : l'emploi et le logement. Pour y parvenir, un accompagnateur étudie, au cas par cas, les difficultés qui se présentent. Vous m'objecterez qu'il serait préférable de réviser notre système pour éviter de devoir recourir à cette assistance, car il vaut mieux prévenir que guérir. Je ne vous donnerai pas tort. Malgré tout, l'un n'exclut pas l'autre, puisque chaque cas reste unique. Une expérimentation en cours nous renseignera bientôt sur la possibilité d'une inscription à Pôle emploi, directement à l'OFII, lors de la signature du contrat d'intégration républicaine.

Une mission inter-inspection se penche en ce moment même sur les MNA. Leur situation problématique contraint à des choix fondamentaux compliqués à trancher. Le ministère de l'intérieur n'est pas compétent en la matière, puisqu'il se contente de leur délivrer un titre et qu'il revient aux départements de les prendre en charge.

Revenons un instant sur Mayotte. Ce n'est pas parce que cette île est loin de nos yeux qu'elle est loin de notre cœur. Nous sommes engagés dans un travail de fond, indépendamment des perspectives ouvertes par le Président de la République et par M. Lecornu. Nous appliquons strictement les décisions du conseil d'État, qui a l'intelligence de nous autoriser à les adapter à la situation locale. Nous allons mettre en œuvre un contrat d'intégration républicaine à Mayotte. Nous y appliquerons les dispositions relatives aux conditions matérielles d'accueil en tenant compte de la réalité mahoraise. Nous sommes en tout cas soucieux de l'équilibre de cette société. Nous ne faiblirons pas sur les moyens engagés dans la lutte contre l'immigration clandestine. Nous renvoyons aux Comores 20 000 personnes, soit quatre sur cinq de celles qui rejoignent l'île à bord de kwassa kwassas. La pression migratoire qui s'exerce sur Mayotte, dont nous craignons l'augmentation incessante, correspond au maximum de ce qu'une société peut absorber sans se désintégrer.

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