La réunion débute à neuf heures trente.
Nous entamons aujourd'hui les travaux de notre commission d'enquête. La question migratoire, complexe, doit être appréhendée sous plusieurs angles à la fois : celui de la sécurité des personnes cherchant une protection internationale ou une vie meilleure, et celui des pays situés aux frontières extérieures de l'Union européenne (UE), craignant que les pressions migratoires n'excèdent leurs capacités et qui ont besoin de la solidarité des autres pays. N'oublions pas non plus de prendre en compte le point de vue de chaque État membre de l'UE et de leurs citoyens redoutant que, faute d'un respect des procédures aux frontières extérieures, leur propre système national d'asile, d'intégration et de retour ne parvienne pas à faire face à un flux migratoire important.
Notre commission souhaite auditionner les acteurs institutionnels impliqués dans la question migratoire, mais aussi prendre de la hauteur grâce aux travaux d'intellectuels et d'universitaires et, enfin, rencontrer ces femmes et ces hommes ayant choisi de migrer et qui reçoivent un accueil plus ou moins bienveillant sur le territoire français.
Monsieur le directeur général, j'espère que votre témoignage nous aidera à éclaircir et à mettre en œuvre les politiques publiques d'asile et d'intégration. Nous attendons de votre part des chiffres reflétant la réalité, trop souvent ignorée dans les débats autour de la question migratoire.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Claude d'Harcourt prête serment.)
La structure dont je suis le directeur général depuis août 2020 est, au cœur du service public, chargée de mettre en œuvre les dispositions votées par le Parlement, tout comme les orientations que nous communique le Gouvernement.
J'aimerais vous donner un aperçu des moyens et de l'engagement des agents du service public dans l'application d'une politique exigeante en matière d'intégration des étrangers en France. Cette politique honore notre tradition nationale d'accueil et nous rend fiers d'accomplir notre tâche.
La DGEF, créée voici près de dix ans, est en charge des politiques de l'asile, de la nationalité et de l'immigration. L'efficacité de son modèle vient de l'association de ces trois composantes, au cœur de la politique française à l'égard des étrangers.
La DGEF emploie environ 500 personnes, réparties de manière assez exemplaire sur notre territoire, puisqu'une moitié d'entre elles est basée à Nantes et l'autre dans le vingtième arrondissement de Paris. À notre structure centrale s'ajoute le réseau des préfectures employant près de 3 800 personnes. N'oublions pas non plus les agents de ce qui portait auparavant le nom de directions départementales de la cohésion sociale. Nous pouvons en résumé nous appuyer sur un maillage serré du territoire. Plusieurs établissements publics jouent eux aussi un rôle majeur dans la politique que nous menons :
• l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), l'instance de premier niveau, qui examine les demandes du statut de réfugié et emploie un millier de personnes ;
• l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), porte d'entrée de nos amis étrangers, qui conduit également leur parcours d'intégration et compte un millier d'agents ;
• la délégation interministérielle à l'accueil et à l'intégration des réfugiés (DIAIR), petite structure agile, mobile et innovante, qui ne dénombre en son sein qu'une trentaine d'employés ;
• et la Cour nationale des demandeurs d'asiles (CNDA), principale juridiction dans le paysage administratif. Nous ne détenons aucune autorité hiérarchique sur la CNDA, qui dépend du conseil d'État. Les 600 personnes qui y travaillent sont pour beaucoup de hauts magistrats.
En tout, plus de 6 000 personnes, au sein de l'appareil d'État, sont mobilisées à plein temps dans la politique relative aux étrangers. Il serait toutefois erroné de considérer l'État comme le seul impliqué. Si je n'ai pas mentionné les collectifs locaux et les associations, acteurs pourtant essentiels de l'intégration des étrangers, c'est simplement faute de chiffres.
Il ne me semble pas exagéré d'affirmer que la France, grâce entre autres aux crédits votés par les parlementaires, compte parmi les pays d'Europe qui consentent aux efforts les plus considérables en faveur des ressortissants étrangers. Ne le perdons pas de vue, car l'argent est parfois le nerf de la guerre.
Le budget de 1,84 milliard d'euros de la DGEF, ajouté aux fonds européens alloués selon un système bureaucratique contraignant et dont le montant oscille entre 70 et 80 millions d'euros selon les années, constitue le noyau dur des crédits. N'oublions pas que la politique d'intégration implique l'appareil d'État tout entier, mais aussi les collectivités locales. Son périmètre s'étend encore lorsqu'on prend en compte les moyens déployés par le système éducatif ou encore au titre de la solidarité et de la santé, autant par l'Assurance maladie qu'à travers l'aide médicale de l'État (AME). Les sommes investies atteignent alors 10 milliards d'euros, même si le document de politique transversale que j'ai consulté n'avance que le chiffre de 6,7 milliards d'euros. Il conviendrait d'expertiser ce point plus précisément. Le chiffre de 10 milliards d'euros me paraît plus proche de la réalité, surtout si l'on tient compte des frais d'hébergement d'urgence, dispositif dont bénéficient beaucoup de ressortissants étrangers. Le ministère du logement est lui aussi un acteur de la politique d'intégration.
Notre pays peut d'après moi se sentir fier de l'effort qu'il mène. Cela n'implique pas que l'efficience du système en place ne puisse pas être améliorée. Toutefois, je ne laisserai pas qualifier d'insuffisant l'effort consenti par la France en matière d'intégration des étrangers. Les contraintes auxquelles cet effort se heurte ne sont pas toujours imputables aux moyens mis en œuvre.
Chaque année, la France délivre leur premier titre de séjour à 275 000 personnes et régularise, au titre de l'admission exceptionnelle au séjour, environ 30 000 étrangers en situation irrégulière. Nous dénombrons environ 110 000 naturalisations par an. Rappelons à ce propos que, par ce biais, le ministère de la justice joue lui aussi un rôle dans la politique d'intégration. La France délivre un titre de séjour à une trentaine de milliers de réfugiés par an, alors qu'ils sont 130 000 à en demander un, soit plus que dans la majorité des pays d'Europe.
Des missions permanentes à travers le monde s'occupent de réinstallations. À titre d'exemple, nous comptons réinstaller 10 000 personnes au Rwanda au cours des deux prochaines années. Une importante opération, qui devrait toucher à son terme dans quelques semaines, porte quant à elle sur des Afghans et mobilise à la fois les opérateurs et les services du ministère. À la relocalisation en cours d'un millier de personnes, au titre de l'accord de La Valette, s'ajoutent enfin des actions ponctuelles en faveur des mineurs, conformément à notre engagement d'en accueillir 500. Les efforts engagés dans les mesures que je viens de citer s'avèrent bien plus significatifs que ne le laisse a priori penser la faiblesse des chiffres correspondants.
Dans le même ordre d'idées, la ministre déléguée a reçu hier des Yézidis, au cours d'une cérémonie assez émouvante. Nous avons accueilli 400 familles de Yézidis. Il reste à œuvrer à l'intégration de ces personnes aux cultures éloignées de la nôtre.
Notre travail consiste, d'une part, à traiter des volumes importants de personnes, ce qui soulève la question des conditions d'accueil dans les préfectures et de la qualité de l'accompagnement. Nous menons aussi, d'autre part, des actions ponctuelles en faveur notamment des mineurs non accompagnés, traumatisés, auxquels nous consacrons beaucoup de temps. Conduire de telles actions en lien étroit avec les départements, auxquels incombe la responsabilité de ces mineurs, n'est pas toujours simple.
La crise liée au Covid a marqué un avant et un après. En tant que responsable de la DGEF, j'avais constaté une dynamique favorable, certes non exempte de fragilités, jusqu'à la pandémie. Celle-ci a conduit à une forme de désarticulation de la politique d'accueil dans les préfectures. Rétablir la fluidité des processus n'est pas aisé. La désarticulation touche aussi les dispositifs de délivrance du statut de réfugié. Les délais dans lesquels sont prononcées les décisions à cet égard ne nous satisfont pas. Nous mobilisons sur ce point toute l'énergie possible à notre échelle, la CNDA ne dépendant pas de nous. La complexité que suppose le fait de mener au plan local des actions en faveur de l'intégration par le logement et l'emploi s'est accrue depuis la crise. Nous devons redynamiser les acteurs de la politique d'intégration. Votre diagnostic sur le parcours des migrants nous servira de baromètre, même si cela nous peine forcément, en tant que fonctionnaire, de constater que la situation n'est pas telle que nous la souhaiterions.
Pourriez-vous nous apporter des précisions sur la DIAIR, dont le rôle est essentiel ? Vous l'avez associée au travail des associations et des collectivités territoriales. De nombreux députés notent une certaine incompréhension entre les associations et l'État par rapport au travail fourni de part et d'autre. Comment améliorer l'action de l'administration ?
Combien d'étrangers dénombre-t-on aujourd'hui sur le sol français ?
Comment la France se situe-t-elle, comparativement aux autres pays européens, en termes de rapport entre les efforts déployés et leur efficacité ?
D'où viennent les problèmes actuels ? À vous entendre, il ne faut pas les imputer à un manque de moyens. La mauvaise coordination ou la lenteur des administrations est-elle en cause ? Entre éloigner les étrangers dans la dignité ou les laisser dans un marasme administratif infini, il convient de trouver un point d'équilibre.
Partons des chiffres. En arrivant à la DGEF, j'ai constaté une volonté affirmée de fournir au public et à la représentation nationale les chiffres nécessaires. L'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) valide ceux que nous rendons publics sur le site du ministère de l'intérieur et commentons deux fois par an. Nous essayons en outre d'en présenter une palette sans cesse élargie. On ne saurait en effet juger d'une action en l'absence de donnée chiffrée qui la caractérise.
Sur les 66,89 millions d'habitants que compte la France, on dénombre 62,13 millions de Français, de naissance ou par acquisition, dont 2,45 millions sont nés hors de France. Un peu plus de 4 millions de personnes parmi les 4,76 millions d'étrangers vivant en France sont nées hors de France. Sont considérées comme immigrés les 6,49 millions de personnes nées hors de France.
Nous sommes très attentifs et très à l'écoute de la DIAIR, dont le champ d'action dépasse celui du seul ministère de l'intérieur. Nous devons assurer un « traitement de masse », sans donner à ce terme de connotation péjorative. Les demandeurs d'asile, au nombre de 130 000, doivent être dans un premier temps accueillis. Il faut leur délivrer un récépissé, puis leur trouver un hébergement. La difficulté de notre travail vient de ce qu'au-delà du nombre de personnes dont nous devons nous occuper, chaque cas particulier mérite une attention particulière. La bureaucratie n'est pas l'apanage de l'État. Toute organisation sécrète la sienne. Or nous devons lutter contre ces dérives dans notre administration. Nous savons que le parcours d'un étranger en France est semé d'une multitude d'obstacles. La DIAIR, pilotée par Alain Régnier, collègue et ami, m'apparaît comme la structure la mieux à même, par sa réactivité et son agilité, de nous aider à identifier les blocages. Elle assume donc un rôle essentiel.
L'OFII fixe un rendez-vous aux étrangers au début de leur parcours d'intégration, auquel le Président de la République a d'ailleurs donné une formidable impulsion en nous accordant des moyens significatifs. À ce moment-là se pose la question de leur inscription à Pôle emploi. Nous l'étudions en ce moment même par le biais d'une expérimentation visant à faciliter les démarches, de manière à ce qu'elles s'effectuent à terme dans les locaux même de l'OFII. L'ouverture d'un compte en banque fournit un autre exemple de difficultés auxquelles se heurtent les étrangers. La lenteur avec laquelle nous apportons des solutions à ces problèmes concrets m'impatiente parfois moi-même. La DIAIR nous assiste heureusement. Notons que les obstacles surgissent parfois moins de l'application de politiques à l'échelle locale que de questions de principes.
La comparaison avec les autres pays européens a parfois le mérite de nous mettre du baume au cœur, lorsque nos propres impuissances nous agacent, ce que résume d'ailleurs assez bien la formule : « Quand je me regarde, je m'inquiète, quand je me compare, je me rassure. » Mais nous manquons de temps. Animer le réseau des préfectures, qui suivent d'autres priorités, s'avère compliqué. Comment y remédier ? Tourner nos regards vers les pays voisins peut, outre du réconfort, nous apporter de bonnes idées.
Deux modèles s'opposent en Europe. C'est d'ailleurs cette cristallisation des cultures qui constitue la richesse de notre continent. Il est intéressant de passer, dans nos relations, des Britanniques, qui restent nos voisins bien qu'ils aient quitté l'UE, aux Allemands.
Le système allemand se singularise par son caractère extrêmement intégré pour ce qui touche à l'accueil et à la prise en charge des étrangers. En France existent de multiples structures aux compétences et aux budgets propres, qu'il nous revient d'articuler. Prenons l'exemple des demandes d'asile. Une structure du premier accueil des demandeurs d'asile (SPADA) tient lieu à ceux-ci de porte d'entrée dans notre pays. Viennent ensuite le guichet unique de demande d'asile (GUDA), regroupant les services de la préfecture et de l'OFII, puis l'OFPRA et la CNDA. En Allemagne, le BMI (ministère fédéral de l'intérieur) s'occupe des demandeurs d'asile du début à la fin des procédures, ce qui lui garantit une efficacité supérieure à notre système, indépendamment du pilotage de ce dernier. Il revient en l'occurrence, en France, à la direction de l'asile de s'assurer que tous les maillons de la chaîne prennent le relais l'un de l'autre. Nous comptons atteindre en 2022 l'objectif d'un délai de six mois pour traiter les demandes, conformément au souhait du Président de la République.
Le modèle britannique repose exclusivement sur des agences. Leur propension à rejeter leurs responsabilités les unes sur les autres serait inacceptable en France. Un tel système complique en outre certaines négociations. En matière de protection de la frontière maritime franco-britannique, pour prendre un exemple sortant de notre périmètre, les autorités françaises doivent souvent s'adresser à plusieurs interlocuteurs avant de mettre en place une action coordonnée.
À côté de la dimension certes essentielle que revêtent les organisations des différents pays, la force de l'UE réside en ce qu'elle impose des références conventionnelles et juridiques à l'ensemble des États membres, en matière de conditions matérielles d'accueil et de politique de retour.
Nous devons veiller à ne pas nous épuiser sur les questions d'organisation. Les moindres réformes dans ce champ accaparent un temps considérable, sans même parler de la complexité de leur mise en œuvre. La création de la DGEF a permis une réorganisation indispensable, mais je ne suis pas certain qu'il soit possible de progresser encore beaucoup en ce sens.
Je note que vous donnez aux responsabilités que vous confère votre fonction une dimension humaine, qu'il n'est pourtant pas facile d'appliquer à un traitement de masse. Lors du vote de la loi asile et immigration au début de notre mandat, nous avions fixé l'objectif louable d'un délai de six mois pour traiter les demandes d'asile. Or, malheureusement, ce délai reste à ce jour largement supérieur, malgré la mise en place de nouvelles organisations dotées de moyens conséquents, comme l'illustrent les 600 équivalents temps plein de l'OFPRA.
D'importantes différences, d'un pays européen à l'autre, concernant la liste des pays d'origine sûrs, m'avaient frappé en tant que commissaire aux lois, d'autant que nos États respectifs appartiennent tous au même continent et à la même organisation politique. J'aimerais à ce propos connaître votre avis sur le règlement de Dublin.
L'accueil des migrants en centre de rétention administratif (CRA) m'intéresse beaucoup, autant du point de vue du nombre de places disponibles que des conditions d'accueil, notamment des enfants accompagnés de leur famille.
Les 275 000 titres de séjour délivrés chaque année à des primo-arrivants incluent-ils les 30 000 régularisations que vous avez évoquées ?
Je m'intéresse en particulier aux mineurs non accompagnés ( MNA). Je suis d'ailleurs en contact avec les collèges accueillant des unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants (UPE2A) et les associations. Certaines, comme le Lien yvelinois, m'ont alerté sur le refus, par la préfecture, de renouveler le titre de séjour de jeunes en centre de formation des apprentis (CFA) ayant pourtant décroché un stage en alternance. La « circulaire Darmanin » de septembre dernier incite fort heureusement à anticiper pour éviter les ruptures de parcours. La situation reste cependant compliquée dans mon département des Hauts-de-Seine, qui ne remplit pas correctement son rôle d'accueil des MNA. La mise en relation de la préfecture avec l'Aide sociale à l'enfance (ASE), alors qu'elle-même est débordée, ne suffit pas à assurer la fluidité des parcours.
Les opérateurs de compétence (OPCO) gèrent désormais les autorisations de travail des MNA, ce qui allonge encore les procédures. Je tenais à vous interpeller à ce propos.
Les États-Unis ont mis en place un processus d'immigration légale connu dans le monde entier et dont des millions de personnes espèrent bénéficier chaque année : la carte verte. Je n'ai que récemment appris, preuve de la trop grande confidentialité de ce dispositif, l'existence d'une carte bleue européenne, aux conditions d'obtention très strictes. Quel regard portez-vous sur cette carte bleue ? En quoi pourrait-elle être améliorée ? Combien la France en délivre-t-elle chaque année ?
Dans quels délais les systèmes allemand et britannique parviennent-ils à traiter les demandes d'asile ? À quelle structure faudrait-il, en France, à iso-organisation, allouer davantage de moyens humains pour remédier aux obstacles qui entravent aujourd'hui la prise en charge de ces demandes ? La crise liée au Covid a-t-elle produit des effets sur les flux migratoires en 2020 ?
Les chiffres que vous nous avez communiqués incluent-ils les outre-mer, et notamment Guyane et Mayotte ?
Vous présentez la France comme l'un des pays du monde qui consacrent le plus de moyens à l'accueil des migrants. Je nuancerai tout de même vos propos, dans la mesure où rapporter ces moyens à notre population ou à notre produit intérieur brut (PIB) amène à les relativiser ou, du moins, à soumettre notre action à un questionnement indispensable au maintien d'un service public de qualité. Il conviendrait en outre d'étudier plus en profondeur les disparités entre pays de l'UE, dont nous pourrons sans doute tirer des leçons.
Que mettent en œuvre vos services pour lever les obstacles qui jonchent le parcours des migrants et leur assurer une meilleure protection, mais aussi faciliter la régularisation du séjour des étrangers autorisés à rester sur notre territoire ?
Quelle somme faudrait-il mobiliser, selon vous, pour que la France se dote d'un système idéal ? Un surcroît de moyens financiers suffirait-il ou conviendrait-il de privilégier une approche qualitative ? De quel accompagnement disposent les nombreux employés des services concernés pour mieux accueillir les étrangers ?
Quel coût représente la masse des contentieux relatifs au droit d'asile ? Comment, au vu du rapport du conseil d'État de 2017, progresser vers des solutions qui évitent les contentieux ?
Tous les parlementaires ont eu vent d'obligations de quitter le territoire français (OQTF) adressées à des étrangers pourtant bien intégrés dans notre pays. Leur réussite se fracasse contre un mur administratif dressé par l'incompatibilité d'un traitement de masse avec l'attention que méritent des cas particuliers. Comment améliorer la prise en compte des trajectoires individuelles ? Certaines histoires médiatisées émeuvent et suscitent des réactions qui ternissent l'image d'un système, dont vous soulignez à juste titre les vertus, en dépit des difficultés qu'il connaît.
Comment mener à bien un travail conjoint entre ministères sur une même population ? Comment tirer parti du potentiel en jachère que représentent les enfants immigrés ? Près de 100 000 d'entre eux ne seraient pas scolarisés. Confrontés à l'administration afin de régulariser leur séjour, leurs parents croupissent jusqu'à dix ans parfois dans des habitats précaires. La fréquentation de l'école est le seul luxe à la portée de ces jeunes. Soit ils assureront la relève de la France, soit ils se convertiront en un vivier de délinquants, favorisant la stigmatisation de la population des immigrés, parce que notre pays n'aura pas réussi à s'attaquer au mal par la racine. Qu'est-ce qui freine l'accès des enfants de migrants à cette école qui constitue leur planche de salut ?
Je commencerai par la question politique soulevée par Mmes Dupont et de Vaucouleurs, concernant la répartition et l'importance des moyens à consacrer aux migrants. Il ne s'agit pas uniquement de déployer des moyens supplémentaires dans l'idée d'accepter la pression migratoire. L'enjeu qui se pose à notre société touche aux conditions d'une politique d'immigration durable. Il ne m'appartient pas de la définir, mais il me paraît légitime que les autorités politiques et le Parlement s'interrogent à ce sujet. L'objectif n'est pas d'accepter toutes les demandes d'asile. Certaines dissimulent des migrations économiques. La question des mineurs non accompagnés nous prend tous aux tripes. Il ne faut pourtant pas se voiler la face sur l'existence de filières extrêmement organisées, qui coordonnent l'arrivée sur notre territoire de la grande majorité de ces mineurs. La question migratoire porte, au-delà de l'augmentation des moyens, sur l'impact du flux migratoire sur l'équilibre et la solidité de notre société. Le think tank Terra Nova parlait même d'une politique migratoire qui permette d'en renforcer la cohésion.
Le ministre de l'intérieur lui-même convoque à peu près tous les mois les acteurs chargés des demandes d'asile, hormis la CNDA, pour savoir combien de temps en moyenne prend leur examen. À ce jour, il faut entre douze et dix-huit mois pour traiter une demande, contre vingt-quatre en Allemagne. Le Parlement a voté les crédits nécessaires pour atteindre notre objectif d'un délai maximum de six mois. Nous ne verrions que des avantages à ce que votre commission pousse ses investigations du côté de la CNDA.
La liste des pays d'origine sûrs est établie par l'OFPRA. Il suffit qu'un État y figure pour que s'accélèrent les procédures, comme l'a montré l'exemple de l'Albanie et de la Géorgie, dont les ressortissants pratiquaient une forme de tourisme médical en France. Les derniers chiffres les concernant s'avèrent beaucoup plus satisfaisants. L'inscription d'un pays sur cette liste n'intervient toutefois qu'à l'issue d'une procédure complexe requérant la validation du conseil d'administration de l'OFPRA. Il existe également une liste européenne des pays d'origine sûrs mais elle n'influe en rien sur notre mode de fonctionnement.
Nos chiffres n'incluent pas les outre-mer. La situation à Mayotte compte parmi nos préoccupations majeures, du fait de la réouverture des lignes aériennes avec Madagascar. Parmi les 260 000 habitants de Mayotte, un sur deux est un étranger. Nous craignons donc pour l'équilibre de l'île. Les pays de la zone des Grands lacs posent également des difficultés. Les migrations risquent d'y reprendre de manière durable.
Le règlement de Dublin marque l'échec de la politique européenne du droit d'asile. La France dénombre, parmi ses demandeurs d'asile, un tiers de demandeurs Dublin, c'est-à-dire dont la demande d'asile relevait en principe de la responsabilité d'un autre pays de l'UE, sauf que nous n'y avons pas renvoyé ces demandeurs dans un délai de six mois. Nous sommes le seul pays d'Europe à en compter une proportion aussi élevée. Il n'est pas rare que les auteurs de ces demandes, les Afghans notamment, en adressent à trois ou quatre pays successivement. Cette situation explique la fermeté de nos propositions dans le cadre du pacte migratoire.
Une fois levés les obstacles dus à la situation sanitaire actuelle, nous devrions disposer en CRA d'un nombre de places satisfaisant, à savoir 2 200 à la fin de 2022. Nous prévoyons en outre de créer 7 ou 8 locaux pour la rétention administrative, un dispositif très encadré d'une durée maximale de quarante-huit heures.
Les 275 000 permis de séjour délivrés pour une première fois chaque année incluent les 30 000 accordés au titre de la régularisation de certains étrangers.
Le traitement des MNA incombe à des fonctionnaires au niveau des départements. Ces jeunes, pour la plupart d'entre eux aux mains de passeurs, arrivent dans notre pays avec une santé, y compris mentale, très abîmée. Leur intégration par l'école apparait dès lors comme un enjeu crucial. Il arrive qu'une fois majeurs, ces jeunes auxquels nous nous sommes attachés reçoivent une OQTF. Je songe ici surtout aux Guinéens, qui produisent communément de faux documents d'état-civil. Faut-il laisser ce dispositif prendre de l'ampleur ou réagir ? Il me semble que 17 000 MNA arrivent en France chaque année, à moins que ce nombre ne corresponde qu'à ceux pris en charge par l'ASE. Nous comptons passer des accords avec des avocats qui, localement, à notre demande ou à celle des départements, s'assureront de la validité de leurs actes d'état-civil. Je suis conscient des efforts de la représentation nationale pour trouver des solutions au problème déchirant des MNA. Le statu quo n'apparaît en tout cas pas comme une option viable.
La transposition en France de la carte bleue, issue d'une directive européenne, date de 2011. Peu utilisé dans notre pays, ce titre n'a été octroyé qu'à 1 000 personnes. Seuls le Luxembourg et l'Allemagne y ont recours. Nous disposons en France d'un autre dispositif qui fonctionne très bien : le « passeport talent », dont la demande d'obtention a justement été dématérialisée hier. Il permet d'accueillir sur notre territoire des jeunes férus de technologies numériques. La plupart des ceux qui travaillent dans les start-up de la station F à Paris en sont titulaires. Il est encore trop tôt pour tirer un bilan de la carte bleue. Nous ne voulons pas, en tout cas, qu'elle se banalise en s'étendant à des professions hors de la cible initiale.
Je crois qu'aucun pays de l'UE n'arrive à traiter les demandes d'asile dans un délai de six mois.
La crise liée au Covid a entraîné une diminution de 40 à 50 % de tous les chiffres. Seuls souffrent une exception celui des demandes d'asile, qui n'ont que peu reculé, ainsi que le nombre de régularisations au titre de l'admission exceptionnelle au séjour, stable autour de 30 000 par an. Nous pouvons d'ailleurs nous interroger sur l'opportunité de maintenir ce flux de régularisation, qui concernera 300 000 personnes d'ici dix ans, et sur la pertinence des critères, peut-être trop souples, qu'on leur applique.
Les OQTF sont prévues par la loi. Il est normal de prononcer des sanctions à l'encontre de ceux qui y contreviennent. Nous demandons à nos concitoyens de respecter des règles. Il ne me paraît pas insensé d'en exiger autant d'étrangers en situation illégale. Les OQTF sont appliquées avec humanité, conformément aux valeurs de notre pays. Le dialogue reste possible avec les préfectures. Il existe des voies de recours. Nous prêtons attention aux situations sur lesquelles les parlementaires attirent notre attention. Nous examinons les demandes, au cas par cas. Les admissions exceptionnelles au séjour (AES) en fournissent bien la preuve.
Je considère le recours au contentieux comme un échec. Entre 40 % et 50 % du contentieux administratif en France vient des étrangers. Il en coûte à notre pays 17 millions d'euros chaque année. La judiciarisation systématique m'apparaît comme une voie sans issue. La multiplication des référés de suspension met sens dessus dessous le fonctionnement de nos juridictions administratives. C'est ce que j'explique à nos interlocuteurs de la Cimade. Une sorte de culture du contentieux s'est malheureusement implantée, alors que je préférerais largement discuter en face à face avec la Cimade et les cinq associations qui nous ont traîné devant les tribunaux à propos de délais de prise de rendez-vous en région parisienne. Nous devons rétablir une relation exigeante et forte, quoique difficile pour nous, avec les associations.
Le principal enjeu en matière de financement relève moins d'un accroissement des sommes allouées que de leur meilleur usage possible. Si les autorités européennes à Bruxelles pouvaient éviter de nous harceler à propos de notre emploi des crédits européens, ce serait déjà une bonne chose.
Nous mettons en œuvre un dispositif d'accompagnement global et personnalisé des personnes détentrices d'un titre de réfugié. Baptisé AGIR (accompagnement global pour l'insertion des réfugiés), il reprend le programme local Accelair qui a donné d'excellents résultats dans la région de Lyon. L'accueil et l'intégration des réfugiés doivent, pour se dérouler au mieux, s'articuler autour de deux axes essentiels : l'emploi et le logement. Pour y parvenir, un accompagnateur étudie, au cas par cas, les difficultés qui se présentent. Vous m'objecterez qu'il serait préférable de réviser notre système pour éviter de devoir recourir à cette assistance, car il vaut mieux prévenir que guérir. Je ne vous donnerai pas tort. Malgré tout, l'un n'exclut pas l'autre, puisque chaque cas reste unique. Une expérimentation en cours nous renseignera bientôt sur la possibilité d'une inscription à Pôle emploi, directement à l'OFII, lors de la signature du contrat d'intégration républicaine.
Une mission inter-inspection se penche en ce moment même sur les MNA. Leur situation problématique contraint à des choix fondamentaux compliqués à trancher. Le ministère de l'intérieur n'est pas compétent en la matière, puisqu'il se contente de leur délivrer un titre et qu'il revient aux départements de les prendre en charge.
Revenons un instant sur Mayotte. Ce n'est pas parce que cette île est loin de nos yeux qu'elle est loin de notre cœur. Nous sommes engagés dans un travail de fond, indépendamment des perspectives ouvertes par le Président de la République et par M. Lecornu. Nous appliquons strictement les décisions du conseil d'État, qui a l'intelligence de nous autoriser à les adapter à la situation locale. Nous allons mettre en œuvre un contrat d'intégration républicaine à Mayotte. Nous y appliquerons les dispositions relatives aux conditions matérielles d'accueil en tenant compte de la réalité mahoraise. Nous sommes en tout cas soucieux de l'équilibre de cette société. Nous ne faiblirons pas sur les moyens engagés dans la lutte contre l'immigration clandestine. Nous renvoyons aux Comores 20 000 personnes, soit quatre sur cinq de celles qui rejoignent l'île à bord de kwassa kwassas. La pression migratoire qui s'exerce sur Mayotte, dont nous craignons l'augmentation incessante, correspond au maximum de ce qu'une société peut absorber sans se désintégrer.
Nous devons en effet étudier de possibles solutions aux problèmes qui se posent à Mayotte, tout en demeurant attentifs à la situation en Guyane, encore que celle-ci s'inscrive dans une logique différente.
Des problèmes d'authenticité des actes d'état-civil se posent également en Asie et notamment en Inde. Nous avons bien saisi la nature éminemment complexe de votre travail, monsieur le directeur général. Notre choix de vous auditionner en premier atteste l'importance que revêt à nos yeux la DGEF dans les politiques migratoires. Nous nous réservons le droit de vous convoquer de nouveau à la fin de nos travaux.
Nos interrogations quant aux moyens de réserver un meilleur accueil aux étrangers ne signifient pas que nous souhaitons accueillir tout le monde. À ce jour, les prises de rendez-vous des migrants avec les autorités compétentes s'avèrent d'une complexité insensée. Soumettre ceux-ci à une visite médicale dès le début comme en Allemagne éviterait à certains de se découvrir malades, une fois rejetées leurs demandes de séjour pour des motifs autres que médicaux. Nous attachons beaucoup d'importance à vos suggestions d'amélioration du système actuellement en place.
La Cimade joue son rôle. Nous souhaitons quant à nous trouver une solution qui évite les contentieux afin d'assurer la paix, la dignité et la sérénité aux étrangers comme à nos concitoyens.
Notre commission s'attachera bien évidemment au problème des contentieux. Je ne crois pas que les associations d'aide aux migrants les préfèrent à leur mission d'assistance directe à ces personnes. Vous attribuez la responsabilité des MNA pour l'essentiel aux départements. Il nous reviendra d'identifier les prérogatives et les tâches des différents acteurs et de voir comment elles s'articulent.
L'audition se termine à dix heures cinquante-cinq.