Intervention de François Héran

Réunion du jeudi 27 mai 2021 à 10h30
Commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la france

François Héran, professeur au Collège de France, Chaire « Migrations et sociétés » :

Les raisons qui poussent à l'émigration peuvent s'envisager à l'échelle mondiale comme à l'échelle individuelle. La difficulté de mon métier réside dans la combinaison de l'une et de l'autre. Certaines enquêtes, notamment de Gallup, mesurent le désir d'aller vivre dans un autre pays, très fort en Afrique subsaharienne, où il s'exprime chez 30 % de la population. Notez que 18 % des Français le manifestent aussi. Reste toutefois à disposer des moyens de réaliser de telles aspirations, ce qui explique la faiblesse des taux de départ à l'étranger des Tchadiens ou des Nigériens. Les pays d'où l'on migre le plus ne sont pas les plus pauvres, mais ceux qui se situent à mi-chemin sur l'indice de développement humain, fondé sur l'espérance de vie, l'accès à la santé et à l'éducation. Les pays du Maghreb se trouvent au niveau 5 ou 6 sur une échelle de 1 à 10, de même que la Géorgie et l'Albanie ou encore le Mexique, l'un des principaux couloirs migratoires au monde. Onze millions de Mexicains vivent aux États-Unis.

La migration est sélective : tout le monde n'est pas candidat au départ à l'étranger. À l'échelle de la planète, 15 % des plus de 15 ans déclarent souhaiter s'installer durablement dans un autre pays, pour peu qu'ils en aient l'opportunité. À la question suivante, posée par Gallup : « seriez-vous prêts à migrer dans les douze prochains mois ? », sept à huit fois moins de personnes répondent toutefois positivement. En fin de compte, seul un faible pourcentage de la population mondiale entreprend de migrer pour de bon.

Chaque année, le Congrès américain délivre 50 000 visas, soit 5 % de tous ceux qu'octroie l'administration des États-Unis, par le biais de la loterie de la carte verte, en vue de diversifier les sources d'immigration. La liste des pays d'origine des candidats donne une idée des vocations migratoires latentes dans certains États jusqu'ici fermés, telles les dictatures d'Europe centrale.

La migration imposée par la nécessité de fuir des conflits armés ou une mauvaise gouvernance s'écoule à 80 % vers les pays limitrophes. Seule une petite partie des personnes concernées parviennent en Europe afin d'y demander l'asile. Les autres ressorts des migrations sont liés à des chaînes migratoires qui s'installent, à des solidarités familiales qui se perpétuent ou encore à des regroupements familiaux.

Beaucoup d'habitants de petits pays comme des îles, où peu d'opportunités se présentent, migrent pour suivre des études supérieures. L'une des principales théories des économistes, expliquant une bonne part des mouvements migratoires, rattache la migration au capital humain. Ceux qui estiment disposer de ressources souhaitent les investir dans un marché où elles leur procureront un meilleur rendement.

Un peu plus d'un quart, voire jusqu'à un tiers, selon les années, des demandes d'asile sont satisfaites par l'OFPRA ou la CNDA, contre la moitié en Allemagne, au plus fort de la crise des réfugiés. En France, 3 % seulement des demandes venaient de Syriens, contre un tiers en Allemagne, d'où la différence.

On ignore ce que deviennent les déboutés du droit d'asile, s'ils restent sur le territoire ou s'ils se dispersent dans les pays voisins. Nous connaissons de mieux en mieux la situation des sans-papiers, en mesure de recourir à toutes sortes de filières administratives. Ils peuvent par exemple épouser un conjoint français, à moins que le séjour de leur conjoint en France ne soit régularisé, facilitant ainsi le traitement de leur propre situation.

La carte de séjour « vie privée et familiale » peut, conformément à la convention européenne des droits de l'homme, les autoriser à rester sur notre territoire. Elle est attribuée à des personnes ayant développé suffisamment d'attaches familiales exclusives avec leur pays d'accueil, et coupé tout lien avec leur pays d'origine, ce qui est en général le cas après plusieurs années. Des preuves de présence, médicales, scolaires, professionnelles ou associatives doivent étayer le dossier de demande. Le problème vient des différences de traitement d'un département à l'autre. Une fois rendu l'avis d'une commission purement consultative, le préfet détient dans ce domaine un pouvoir absolu, discrétionnaire voire arbitraire.

L'idée répandue d'une frontière nette entre étrangers, selon la légalité ou non de leur situation, relève d'une erreur. Il faut en moyenne sept ans à un Sub-Saharien pour cumuler les trois indicateurs essentiels d'intégration que sont un emploi, un logement fixe et des papiers. Ce délai se limite à cinq ans chez les femmes, encore qu'une telle durée soit déjà considérable. Les titres de séjour délivrés à ceux que la DGEF considère comme des primo-arrivants reviennent souvent à des étrangers présents sur le sol français depuis plusieurs années. Trente pour cent des étrangers en situation régulière ont auparavant été des clandestins. Les deux catégories ne sont donc pas étanches. Cette situation n'est pas propre à la France, encore que nous utilisions beaucoup les titres familiaux pour régulariser certaines situations.

Des chercheurs de l'institut Convergences Migrations que je dirige ont consacré des études au déni de francité qu'évoquait madame la rapporteure. Rappelons qu'aujourd'hui, 39 % des immigrés dans notre pays ont la nationalité française. A contrario, le suivi de mêmes personnes, d'un recensement à l'autre, grâce à un échantillon démographique permanent, a mis en évidence un phénomène statistique étonnant. Au fil du temps, jusqu'à 30 % ou 40 % des personnes nées à l'étranger mais naturalisées françaises tendent à se déclarer françaises de naissance, ce que nous percevons comme un signe d'intégration.

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