Intervention de François Héran

Réunion du jeudi 27 mai 2021 à 10h30
Commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la france

François Héran, professeur au Collège de France, Chaire « Migrations et sociétés » :

La variabilité d'un pays à l'autre des débats sur les migrations me frappe. En Angleterre, c'est moins la migration indienne ou pakistanaise que polonaise qui pose problème, alors que nos concitoyens s'inquiètent surtout de notre distance culturelle avec les populations que nous accueillons. La migration d'Europe centrale ou des pays baltes concerne des personnes hautement qualifiées, or notre pays ne les attire guère, peut-être pour des raisons linguistiques, l'usage de l'anglais étant plus répandu même en Allemagne.

J'aimerais revenir sur la partie du pacte relative à l'asile et présenter le bilan de la crise migratoire.

La demande d'asile en France depuis la création de l'OFPRA fluctue par à-coups. Ces brusques variations reflètent les crises survenues au sud ou à l'est de l'Europe. L'Allemagne reçoit 4 à 5 fois plus de demandes d'asile que la France, même en rapportant les chiffres à la population. Notre pays accueille mieux la migration ordinaire, familiale ou estudiantine, alors que l'Allemagne a démontré une extraordinaire capacité à réagir dans l'urgence. La baisse des chiffres relatifs aux demandes d'asile ne résulte pas seulement de la fin de certains conflits mais de mesures permettant de raccourcir les délais de traitement ou d'allonger la liste des pays d'origine sûrs.

Quand on étudie, sur la période allant de 2014 à 2020, la pression migratoire sur différents pays, c'est-à-dire le nombre de demandes d'asile par rapport à la population, on constate qu'avant même qu'éclate la crise des réfugiés dans les médias, les pays nordiques mais aussi germanophones avaient répondu aux demandes du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) en recueillant des demandeurs d'asile. Après un effort considérable, l'Europe centrale, et en particulier la Hongrie, se sont très vite retrouvées débordées par la pression physique des migrants empruntant la route des Balkans à la sortie des camps turcs.

L'Allemagne a pris le relais, mais à un niveau proportionnellement moindre que les pays nordiques. En France, pendant ce temps-là, la situation n'a pas évolué. À leur tour débordés, les pays nordiques ont par la suite cessé leur effort, sous la pression de leur population. Mme Merkel, loin d'ouvrir les vannes, par son discours d'août 2015, s'est contentée d'accompagner à mi-parcours la hausse des demandes, prévenant toutefois que son pays n'accueillerait pas plus de 800 000 réfugiés, ce qui représente tout de même 1 % de la population allemande. L'accord conclu avec la Turquie d'Erdogan en mars 2016 a produit un effet immédiat en reportant la charge sur l'Italie et, dans une plus grande mesure, les pays de Méditerranée orientale : Grèce, Chypre et Malte.

Les chiffres relatifs aux demandes d'asile ont doublé en France entre 2016 et 2018. Le discours qui s'est développé fin 2019 pour dénoncer la trop grande attractivité de notre pays sonne étrangement face à des comparaisons internationales rigoureuses. Le système Dublin, un temps suspendu, reporte la charge sur les petits pays d'Europe du Sud et de Méditerranée orientale, comme l'illustrent les 22 000 exilés qui rongent actuellement leur frein dans des conditions catastrophiques sur l'île de Lesbos.

Les demandes d'asile ont chuté en 2020 lors de l'épidémie de Covid pour revenir ensuite à leur niveau antérieur, selon la même inégalité de répartition entre pays. Un principe, que certains théoriciens qualifient de justice spatiale, suppose la juste répartition de l'effort d'accueil des exilés entre les pays de l'UE. Nous en sommes encore très loin, ce qui pose d'ailleurs problème. L'Angleterre faisait à cet égard figure de tire-au-flanc, alors même qu'elle abrite le plus grand centre de recherche sur les exilés, formant le personnel des organisations non gouvernementales (ONG) qui se donnent pour mission de leur venir en aide.

La France réagit en fonction de ses capacités d'accueil, limitées. Les centres d'accueil de demandeurs d'asile (CADA) hébergent 63 000 personnes sur les 100 000 qui les sollicitent. Des efforts considérables ont certes été réalisés. La dispersion des demandeurs d'asile ou même des déboutés dans des localités parfois rurales n'a pas suscité d'opposition, contrairement aux craintes initiales, comme s'en est d'ailleurs étonné le directeur de l'OFII. Une association telle que la Cimade a doublé le nombre de ses adhérents à la faveur de la crise des réfugiés. La France se montre globalement prête à en accueillir. Seulement, elle se heurte aux limites physiques de ses capacités en ce domaine.

Sur la période de 2015 à 2020, Malte apparaît en tête du classement des pays de l'UE ayant répondu positivement au plus grand nombre de demandes d'asile, par rapport à leur produit intérieur brut (PIB). Viennent ensuite l'Allemagne et les pays du Nord. La France se situe en quatorzième position, devant les pays d'Europe centrale peu habitués à l'immigration et n'ayant jamais eu de colonies. En somme, l'Europe apparaît très divisée sur la question.

L'idée de mettre en place une politique commune par le biais d'un pacte s'annonce problématique. Malte accueille le Bureau européen d'appui en matière d'asile (EASO), qui devrait obtenir bientôt le statut d'agence européenne, au même titre que l'agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex). De longues discussions suivront à n'en pas douter entre les pays de l'UE. Les responsables de l'EASO n'espèrent même plus que les États d'Europe centrale s'associent à la répartition de la charge des réfugiés. En conclusion, la situation européenne, de ce point de vue, paraît assez navrante.

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