Intervention de François Héran

Réunion du jeudi 27 mai 2021 à 10h30
Commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la france

François Héran, professeur au Collège de France, Chaire « Migrations et sociétés » :

Une grande enquête de terrain « Trajectoires et origines » sous l'égide de l'INSEE et de l'INED a été renouvelée l'an dernier. Les données collectées auprès de 26 500 personnes sont en cours d'exploitation. Son questionnaire, qui portait sur les discriminations et les perceptions, prenait en compte des milliers de variables, dont il conviendra de démêler les interactions, loin de la manière dont procèdent les instituts de sondage. L'écart de qualité entre les travaux des uns et des autres ne laisse pas de me frapper. Indépendamment de la représentativité des sondages, la qualité d'exploitation de leurs résultats demeure faible, même si la remarque ne s'applique pas aux États-Unis.

Que signifie l'idée que l'islam s'impose de plus en plus ? Est-ce le spectacle de personnes portant des signes religieux visibles qui s'impose ? Une telle imposition va-t-elle changer nos modes de vie ? De simples sondages ne sont pas en mesure de répondre à ces questions importantes.

Je ne pense pas que la population générale s'aveugle ou se méprenne sur les évolutions, comme le passage de la proportion d'Africains parmi les immigrés en France, de 20 % à la fin des années 1970 à 43 % aujourd'hui. Nos compatriotes s'en forment une image assez réaliste. La présence des natifs de l'outre-mer complique certes cette perception, de même que les amalgames entre seconde et première générations d'immigrés. Les enquêtes européennes relatives à la perception de l'immigration montrent de fait que les Français comptent parmi ceux qui surestiment le plus les chiffres.

La question se pose ensuite de l'acceptation du brassage croissant des populations. Certains pays, d'Europe centrale notamment, échappent à cette réalité mondiale. Je ne sais combien de temps ils pourront encore camper sur leurs positions, vue l'extrême faiblesse de leur taux de fécondité. Dans les Balkans, 22 % de la population vit à l'étranger. Le schéma classique des vases communicants laissait penser que les habitants des pays les plus peuplés migraient naturellement vers les moins peuplés, or il n'en est rien. Certains des pays aux taux de fécondité parmi les plus bas au monde sont aussi ceux dont les habitants émigrent le plus, au lieu d'accueillir des migrants.

Des bases de données bilatérales permettent d'établir de plus en plus précisément l'orientation des flux. Or elles démentent toutes les théories sur la compensation spontanée des équilibres entre pays riches et pauvres ou, dans leur version climatique, entre les pays les plus et les moins touchés par le dérèglement climatique. La quasi-absence de discours pédagogiques de la part des autorités me frappe. Nous ne constatons pas vraiment d'effort de la part du monde politique pour éclairer la population. Souvent, l'impression vient que la charge de l'explication, de l'objectivation et des comparaisons internationales repose sur les épaules des chercheurs. Je me réjouis d'autant plus que la représentation nationale s'intéresse aux données de la recherche.

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