Intervention de Nathaly Rangel

Réunion du jeudi 27 mai 2021 à 11h30
Commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la france

Nathaly Rangel :

Âgée de 41 ans, je suis vénézuélienne, mère d'un garçon de 17 ans et d'une fille de 11 ans, et divorcée. Mes trois frères et ma mère vivent aujourd'hui en Europe. Musicienne, j'ai été pendant vingt ans professeur de violon pour enfants et violoniste dans différents orchestres symphoniques vénézuéliens. Depuis peu, j'exerce la profession de kinésithérapeute à domicile, soignant surtout des musiciens. J'ai commencé mes études de kinésithérapie à l'âge de 33 ans dans une université privée.

Mon engagement politique du côté de l'opposition au gouvernement en place a résulté de la situation par trop déplorable de mon pays. J'ai traversé de 2015 à 2017 des moments difficiles, qui ont rejailli sur mes enfants. Même en travaillant beaucoup, je ne parvenais pas à procurer à ma famille de nourriture ni de médicaments. En plus des coupures d'électricité, d'eau et de gaz fréquentes, nous manquions d'essence et d'espèces.

J'ai d'abord rejoint des groupes d'étudiants participant aux grandes manifestations qui se multipliaient alors dans tout le pays. J'ai pris part à une manifestation régionale à Valencia, dans la région où je résidais, puis à d'autres encore à Caracas. Le groupe politique auquel j'appartenais collaborait aux manifestations de soutien aux partis d'opposition et en particulier à Voluntad popular. Nous nous occupions du transport des manifestants, recherchions des gens prêts à témoigner et distribuions de la propagande en vue des élections. Un fort clivage divisait alors le pays entre les partisans du gouvernement et ses opposants.

En 2017, je me suis inscrite au parti Voluntad Popular. Des manifestations se sont succédé sans relâche pendant plus de cent jours et nous avons cru la chute du gouvernement imminente. Lors d'une manifestation à l'université de Carabobo, j'ai été placée en détention, puis interrogée et torturée par la police. Des colectivos, groupes de motards paramilitaires à la solde du gouvernement, ont cassé la vitre de ma voiture en guise d'avertissement, pour que je renonce à manifester. Des conflits ont commencé avec mes voisins de quartier, qui m'agressaient verbalement et menaçaient mes enfants. En 2018, mon appartement a fait l'objet d'une perquisition. J'ai ensuite dû me cacher chez des proches. Comme mon mari soutenait le gouvernement, nous nous sommes séparés. Pour me protéger de lui, j'ai déposé une plainte auprès de la police municipale de Valencia, grâce au soutien d'une organisation de protection des femmes. Notre divorce a été prononcé en 2018. Je me suis tournée vers mes frères pour qu'ils m'aident à quitter le pays au plus vite. Je ne m'y sentais plus en sécurité et craignais surtout qu'il arrive malheur à mes enfants. Il m'a fallu plus d'un an avant d'obtenir un passeport pour mes enfants, indispensable pour quitter le Venezuela.

À l'aéroport, un capitaine de la garde m'est venu en aide. Grâce à lui, j'ai réussi à passer les contrôles aux frontières dont se chargent les militaires, qu'il faut payer en dollars pour quitter le territoire. J'ignore à ce jour si je suis toujours recherchée au Venezuela.

Depuis mon arrivée en France, je loge chez mon frère. Nous vivons à sept sous le même toit. Ne voulant pas rester illégalement en France, sur le conseil d'un ami de mon frère, j'ai déposé une demande d'asile politique. La préfecture m'a délivré une attestation qui me tient lieu de pièce d'identité en France. Depuis, je reçois de l'État français l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) en guise de soutien économique, le temps que soient examinés mes documents. La somme n'est pas très élevée au regard de mes dépenses quotidiennes. Lors de ma demande d'asile, mon fils avait 15 ans. Il en a maintenant 17 et je m'inquiète du sort qui lui sera réservé à sa majorité.

Les démarches que j'ai entreprises auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) ont beaucoup tardé, plus d'un an et demi, à aboutir. Bien que je sois ici en sécurité et bien adaptée aux façons de vivre des Français, je ne me sens toujours pas tranquille. Lors de mon entretien à l'OFPRA, un interprète espagnol m'a été fourni, mais il parlait vite. Je crains que ce qu'il a dit n'ait pas été entièrement transcrit, au détriment de l'intelligibilité de mes propos. Cet interprète ignorait en outre certains termes courants au Venezuela. Bien que je les lui aie expliqués, ces mots n'ont pas été correctement transcrits en français. J'ai apporté, pour appuyer mes dires, des articles de journaux. L'agent de l'OFPRA en charge de mon dossier n'a pas voulu en tenir compte, car mon nom n'y figurait pas. Une fois ma demande d'asile rejetée, j'ai demandé à écouter l'enregistrement de mon entretien. Il m'a été répondu que, pour des raisons de sécurité, celui-ci ne pouvait m'être envoyé par e‑mail ou par courrier, mais que je pouvais l'écouter à l'OFPRA à Paris. Mes moyens économiques limités ne m'ont pas permis de m'y rendre.

À mon arrivée en France, je ne parlais pas la langue. Une bénévole m'a d'abord donné des cours de français à domicile, puis je me suis inscrite à des cours d'oral et d'écrit organisés par une fondation. Le confinement les a hélas interrompus. Depuis septembre 2020, ils n'ont plus lieu qu'en ligne.

Mes enfants se sont bien intégrés en France, malgré des débuts difficiles liés à l'apprentissage du français en parallèle à la poursuite de leur scolarité. Mon fils a suivi des cours de Français langue étrangère (FLE) en classe de troisième. Lorsqu'il était enfin prêt à assister aux leçons dans les autres matières, la pandémie a éclaté. Suivre les cours en ligne lui demande des efforts considérables. Inscrit au lycée Pierre-Paul-Riquet de Saint-Orens en seconde générale, il prépare maintenant un brevet d'initiation à l'aviation. Ses résultats ont beaucoup progressé.

Ma fille est arrivée en France à l'âge où les enfants vont en principe en CM2, mais elle a appris le français avec les petits de maternelle. Son intégration a été un peu moins difficile que celle de son frère. Elle suit des cours de violon au conservatoire régional de Toulouse et dispose d'horaires aménagés au collège Michelet pour se consacrer à la musique. Je me réjouis qu'elle se soit bien intégrée et se soit même fait des amies.

J'ai sollicité une autorisation de travail auprès de la préfecture en janvier dernier. Elle m'a été refusée trois semaines après le rejet, en mars, de ma demande d'asile. En attendant que ma situation se dénoue, ce qui, je l'espère de tout cœur, ne tardera plus, je fais du bénévolat dans une maison de retraite où je me rends une à deux fois par semaine pour aider des personnes âgées, en tant que kinésithérapeute et en parlant avec les résidents. Ma situation financière est difficile, d'autant que je ne suis pas habituée à ne pas travailler. Je suis entrée dans le monde professionnel à l'âge de 17 ans et n'ai cessé mon activité que depuis mon arrivée en France.

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