Intervention de Oula Alhindy

Réunion du jeudi 27 mai 2021 à 11h30
Commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la france

Oula Alhindy :

Âgée de 47 ans, je viens de Syrie. Je ne m'étendrai pas sur mes raisons personnelles de quitter mon pays. Vous savez ce qu'il s'y passe depuis dix ans, si ce n'est cinquante ans. Les crimes qui s'y commettent, parce qu'on les laisse se perpétrer, sont une honte pour l'humanité. Je suis arrivée en France le 19 décembre 2014 pour fuir la guerre, le cœur serré de quitter mon pays, ma famille et mes souvenirs, souffrant à l'idée de ne plus être là pour soutenir mes parents vieillissants ni pour leur tenir la main aux portes de la mort.

J'ai d'abord été très bien accueillie à Lyon par une famille française qui ne nous connaissait pourtant pas. Puis nous avons déménagé à Albi, où nous avons déposé une demande d'asile et d'hébergement auprès de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII). Nous avons alors été logés au centre d'accueil de demandeurs d'asile (CADA) de Monclar-de-Quercy. Je ne vois qu'un élément positif à ce CADA, une ancienne ferme située à 6 kilomètres d'un petit village isolé : les formidables bénévoles qui lui prêtaient leur concours. L'absence de réseau téléphonique nous empêchait de nous connecter à internet, ce qui s'apparente à un cauchemar pour des réfugiés. Dix à treize familles de différentes nationalités y logeaient sous le même toit, en pleine nature. Nous qualifiions pour plaisanter ce CADA de Guantanamo de la France. Nous nous y sentions tous en exil sur le sol même de la France, tels des parias livrés à leur sort.

Une fois à Albi, j'ai bénéficié grâce à l'OFII d'un peu plus d'une centaine d'heures de cours de français, afin d'acquérir un niveau qui suffit peut-être à faire les courses ou à ouvrir un compte bancaire, mais pas à travailler ni à étudier ni même à simplement communiquer au quotidien. Du fait du très mauvais niveau des leçons de français langue étrangère qu'ils reçoivent, les réfugiés restent marginalisés. L'intégration dans un nouveau pays passe d'abord par la langue.

J'ai fait beaucoup d'efforts pour apprendre le français par moi-même, avec mes enfants scolarisés. J'ai suivi quarante heures de cours à l'Alliance française de Toulouse, mais maîtriser le français, quand on l'apprend seul, requiert une volonté colossale. Par chance, je viens d'une famille palestinienne qui a développé toutes les stratégies possibles pour contrer les mécanismes de sélection naturelle.

Pédiatre en Syrie, je devais, pour exercer mon métier en France, passer une épreuve de vérification de connaissances. Au préalable, il fallait que j'obtienne un niveau B2 de français et que j'acquière une bonne maîtrise du français en contexte professionnel. Seulement, il n'existait aucune formation adéquate. J'ai tenté d'effectuer des stages d'observation dans des hôpitaux, en vain, faute d'un statut officiel, puisque je ne préparais aucun diplôme. Heureusement, le professeur Bremont, pneumologue, a pris la responsabilité de m'accueillir pendant trois mois au service de pédiatrie générale du centre hospitalier universitaire de Toulouse.

Il est demandé aux médecins de se soumettre à une épreuve de vérification de connaissances sans leur donner les moyens nécessaires de la réussir, puisqu'il ne leur est pas permis d'accéder aux hôpitaux. En 2016, j'ai malgré tout passé avec succès cette épreuve, ce qui m'a permis de travailler trois ans en tant qu'assistante associée dans des hôpitaux publics agréés pour les internes. J'ai ainsi commencé mon activité à l'hôpital Henri-Mondor d'Aurillac, où j'exerce encore aujourd'hui.

En avril 2020, j'ai déposé mon dossier à la commission d'autorisation d'exercice, qui devait se réunir en juin. La séance a été reportée en octobre. Sans nouvelles de sa part, en janvier 2021, j'ai demandé par e-mail où en était mon dossier, en vain. Le 14 janvier 2021, un gestionnaire m'a informée qu'il n'avait pas été étudié et que je devais le mettre à jour en vue de la prochaine réunion de la commission, le 14 février, puisque les dossiers non envoyés au moins un mois avant la séance ne sont pas pris en compte. J'ai ajouté à mon dossier deux lettres de recommandation expédiées au plus vite et finalement obtenu l'autorisation d'exercer en mars. Il n'en a pas été de même pour mon collègue, bien qu'il ait accompli les mêmes démarches que moi. Son dossier, qu'il lui a été demandé de compléter le jour même de la date limite pour le renvoyer, n'a même pas été examiné par la commission.

Aucune volonté ne se manifeste d'améliorer le fonctionnement du système, alors même que la crise sanitaire a montré les limites du système de santé. En France s'exerce une discrimination administrative contre ceux qui ne connaissent pas les démarches à effectuer, qu'ils soient français ou étrangers, encore que ces derniers, plus fragiles, en pâtissent plus. Les administrations françaises, incompétentes, ne se montrent pas à la hauteur de leur tâche humanitaire.

Selon moi, la notion d'immigration illégale n'a pas de sens. Tous ceux qui risquent leur vie pour quitter leur pays devraient avoir le droit de trouver un pays d'accueil. Je suis sûre que des dossiers s'entassent dans les tiroirs des ambassades et des consulats français. L'immigration légale, très sélective, dépend de critères établis par la France, dont la position dans ce domaine me paraît sujette à caution.

Si je me montre aussi critique, c'est parce que je m'intéresse au sort de la France. C'est parce que j'ai le sentiment d'appartenir à ce pays et que son incapacité à traduire ses valeurs dans la réalité me peine. Je n'oublierai jamais que la France nous a sauvés. Je vis avec mon mari et mes enfants, qui s'enracinent en France. Bons élèves, ils s'épanouissent dans la société française. Mon mari continue quant à lui de tracer sa voie en dépit des obstacles.

Nous devons nous pencher sur les motifs qui poussent les migrants au départ. Le monde entier doit prendre ses responsabilités en cessant de soutenir des dictateurs en contrepartie de bénéfices plus ou moins dissimulés. Nul ne renonce à la vie qu'il s'est construite de gaieté de cœur. Il faut cesser de penser qu'existent des frontières. L'Europe devrait arrêter de nourrir un sentiment de supériorité et de donner des leçons. Nous vivons sur une petite planète et sommes tous responsables de ce qui se passe ici ou ailleurs. Si je tends aujourd'hui la main pour sauver quelqu'un, une autre main se tendra demain vers mes enfants pour les sauver à leur tour.

Je ne me mêle pas de politique. Il est peut-être possible, en dressant des murs physiques et psychologiques entre les peuples, d'empêcher certains d'arriver en Europe, mais ces murs risquent à terme de nous envahir. Nous vivons dans un monde individualiste, où chacun ne pense qu'à soi. Certains, même, manquent de générosité vis-à-vis de leurs propres enfants.

J'ai adopté la nationalité française, cinq ans après mon arrivée en France. Toute ma vie, j'ai été réfugiée. Ma mère, née en Syrie, n'a pas la nationalité syrienne. Palestinienne à la naissance, je n'ai quant à moi pris la nationalité syrienne qu'en me mariant. Pourtant, avant déjà, j'étais prête à tout donner pour la Syrie. Maintenant, je suis prête à tout donner pour la France, mais pas parce que je possède la nationalité française.

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