Je vais m'appuyer sur la présentation qui vous a été adressée par Philippe Baumel en amont de cette réunion.
D'abord, un premier constat sur la nature des flux migratoires. Ils sont polymorphes. Si je devais vous citer 3 chiffres, ce serait 281 millions de migrants internationaux, 80 millions de déplacés forcés, dont 85 % de réfugiés qui vivent dans les pays en développement ou dans les pays émergents, 510 milliards d'euros qui sont transférés chaque année, selon la Banque mondiale, dans les pays d'origine par les diasporas.
Autre constat, l'accueil des réfugiés dans le monde et les flux migratoires sont d'abord et avant tout des sujets pour les pays dans lesquels nous intervenons. En Afrique par exemple, les grands bassins migratoires sont essentiellement structurés autour de la Côte d'Ivoire, de l'Afrique du Sud et de l'Ouganda. Ce sont d'abord et avant tout les pays africains qui sont exposés aux impacts que ces flux migratoires peuvent avoir sur les économies, le pacte social et la stabilité de ces économies. Finalement, les flux migratoires de l'Afrique vers l'Europe sont beaucoup plus faibles que ceux auxquels les pays africains doivent faire face. Il en est de même au Proche et au Moyen-Orient : 6 millions de personnes ont quitté, du fait de la guerre, la Syrie et 1,5 million (30 % de la population du Liban) vivent au Liban. En Amérique du Sud, la situation géopolitique et économique au Venezuela a conduit à des flux migratoires très significatifs vers la Colombie.
Je vous donne ensuite quelques repères chronologiques pour que vous compreniez bien le cadre dans lequel l'AFD intervient aujourd'hui.
En 2016, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a transféré à l'AFD la compétence en matière de gouvernance, dont les migrations sont l'un des volets.
En 2018, le comité interministériel à la coopération internationale et au développement (CICID) a fait de la thématique migratoire un axe fort de l'intervention de ce gouvernement et a conduit à l'adoption d'un plan d'action avec la mise en place d'un comité national de suivi (CNS) qui est présidé par l'ambassadeur Teixeira et dont l'AFD est l'un des membres.
Plus récemment, au travers du projet de loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, vous-mêmes avez été amenés, à travers le cadre de partenariat global, à dessiner quelques-unes des orientations stratégiques de la France en la matière : la question des droits humains, la mobilisation des diasporas, la question de la structuration de registres d'état civil.
La stratégie d'intervention de l'AFD se résume en une phrase. Elle vise à la fois à réduire les vulnérabilités liées aux migrations (vulnérabilités des zones de départs et vulnérabilités des personnes dans les pays d'accueil) et à voir comment les migrations peuvent être transformées en facteur de développement : la mobilisation des diasporas est au cœur de ce 2e enjeu.
L'intervention de l'AFD dans ce domaine a cru de manière très significative depuis 2017, car les moyens alloués à l'AFD ont sensiblement augmenté. Concrètement, le programme 209, qui est le programme géré par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, a vu ses moyens augmenter, ce qui s'est traduit pour l'AFD par un passage de 200 millions d'euros de financement en 2017 à 800 millions d'euros en 2018 et à 1,5 milliard en 2019. Nous allons orienter ces crédits vers 18 pays prioritaires de la politique française en matière de développement, tous en Afrique.
Notre valeur ajoutée dans ce paysage est d'être un outil au service de la politique française de développement, de capitaliser sur plusieurs années de présence dans un certain nombre d'États, notamment africains, et de nous appuyer sur un réseau de 34 agences. Sur 1 000 personnes que compte le réseau de l'AFD, 650 sont en Afrique, et sur les 85 agences, 34 sont implantées sur le continent africain.
Nous menons également des actions de recherches, en partenariat avec des universités du sud, africaines notamment, qui permettent de mieux comprendre les enjeux auxquels font face les personnes en situation de migrations et les déterminants de ces migrations.
Je vous présente maintenant la répartition des financements que nous mobilisons au service de notre action. Tous les secteurs d'intervention de l'AFD ont à un moment un lien avec les situations de migrations. C'est le cas de l'agriculture par exemple. Dans les pays qui subissent des sécheresses à répétition, les habitants sont contraints de partir parce qu'ils n'ont pas d'autre moyen d'assurer leur subsistance. Je ne rentrerai pas dans le détail s'agissant des zones de conflit : chacun comprend bien pourquoi les habitants sont obligés d'en partir. Dans le domaine de l'éducation, de l'eau et de la santé, l'enjeu pour nous est de traiter les difficultés auxquelles ces migrants doivent faire face quand ils arrivent dans un pays d'accueil, pays d'accueil qui doit continuer à délivrer un service à sa population locale et, en même temps, répondre aux besoins des migrants.
Nous travaillons également beaucoup avec des organisations de la société civile dans le cadre du guichet Initiative OSC, car elles ont une expertise de terrain de très longue date et ont une capacité à intervenir auprès de publics vulnérables que nous n'avons pas. Elles sont donc un pilier indispensable : les OSC françaises qui agissent au sud et les OSC du sud qui peuvent peser auprès de leurs gouvernements locaux et qui aident les populations migrantes dans les pays dans lesquels elles interviennent.
Je continuerai en vous donnant quelques exemples de projets sur lesquels nous travaillons.
Aujourd'hui, comme je vous l'indiquais, nos deux axes stratégiques sont de lutter contre les vulnérabilités issues des migrations et de faire des migrations un levier au service du développement des territoires de départ des migrants.
Pour illustrer mon propos, je voudrais vous parler d'un projet qui se déploie au Maroc et qui a pour thématique la régionalisation des politiques migratoires mises en place par le Maroc. Nous mobilisons aujourd'hui 9 millions d'euros de subventions sur ce projet. Nous travaillons en partenariat avec Expertise France, qui sera bientôt une filiale du groupe AFD, et avec l'opérateur belge Enabel. Le principal enjeu de ce projet est d'accompagner le Maroc dans le déploiement d'une politique régionale de traitement et de résolution des problèmes des personnes qui sont en situation de migration. Concrètement, nous appuyons des bureaux communaux dans la mise en place d'appuis sociaux, d'appuis administratifs et dans la mise en place de projets pour permettre de financer des projets de développement auxquels pourront être intégrés ces migrants qui se retrouvent sur le territoire marocain.
Le deuxième exemple dont je voulais vous parler est un exemple où nous allons mobiliser des diasporas avec un appui aux initiatives de solidarité pour le développement que nous menons au Sénégal. Nous mobilisons 14 millions d'euros pour accompagner des projets portés par les diasporas. C'est également le cas d'un autre projet, Meetafrica, qui a été lancé à l'occasion du déplacement du Premier ministre au Sénégal en décembre 2019. La proposition de valeur de Meetafrica est de faire appel aux entrepreneurs femmes et hommes des diasporas en France et en Europe. Nous le faisons dans le cadre d'un partenariat avec la GIZ qui est l'équivalent d'Expertise France en Allemagne et avec l'Union européenne. Ce projet a pour ambition d'inciter les acteurs des diasporas à investir dans une logique de développement de leur territoire, via l'aide à la création d'entreprises locales et, par conséquent, la création d'emplois.
On peut ainsi prendre l'exemple de quatre entrepreneurs (Tunisie, Mali, Cameroun, Sénégal) qui ont été accompagnés dans la 1re phase de Meetafrica, projet qui a pris fin en 2019. Devant le succès de cette initiative, nous avons lancé un 2e projet qui mobilise 12 millions d'euros. Expertise France est l'opérateur qui le porte aujourd'hui. Son ambition est d'arriver, dans les deux ans qui viennent, à faire émerger 170 projets entrepreneuriaux dans tout le continent africain.
Nous pouvons présenter une deuxième initiative, Diasdev, qui vise à mobiliser l'épargne et l'investissement des diasporas. Nous montons ce projet en partenariat avec plusieurs banques publiques africaines qui sont des interlocuteurs de confiance de l'AFD. Nous avons obtenu une subvention de 12 millions d'euros de la part de l'Union européenne pour le lancement d'un projet en 2021, qui vise à faciliter la mobilisation des outils au service du transfert d'épargne et d'investissement des diasporas dans les pays africains. Notre objectif est d'améliorer les services financiers qui sont proposés et de faire émerger de nouveaux instruments de mobilisation d'épargne, si possible pour aller vers de l'investissement et passer d'une logique de consommation à une logique d'investissement et de développement d'un territoire localement.
Enfin, concernant la répartition des financements entre acteurs, le transfert de cette compétence à l'AFD a permis d'augmenter assez significativement les montants investis sur cette problématique pour une raison simple. En tant qu'acteur bancaire, nous sommes en capacité de prêter à des États pour, par exemple, financer la mise en place de registres d'état civil et de registres d'identité numérique.
Enfin, je tenais à vous présenter un site internet qui a été financé par l'AFD et le ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Cette base de données consolide l'ensemble des projets qui traitent des migrations au sens large. Elle est en ligne depuis deux mois. Nous avions à cœur de pouvoir rendre cette donnée disponible, car il s'agit d'un enjeu de redevabilité et de transparence sur les financements et les projets.
J'en ai terminé pour ma présentation. Je conclurai en disant que c'est un sujet qui est structurant dans notre activité au regard de l'impact que nous observons sur le terrain sur les populations qui vivent des migrations contraintes ou forcées.
Ces phénomènes de migrations, par leur ampleur en Afrique, peuvent avoir un impact très significatif sur la stabilité politique et économique des États. Au cœur des projets que nous portons, nous menons ce dialogue avec l'État pour l'accompagner dans la mise en place d'une politique migratoire et pour l'aider à faire face aux besoins de sa propre population et à ceux des migrants.
Dernier enjeu, le renforcement de notre action pour mobiliser les diasporas au service de projets et d'investissements qui ont un impact en termes de création d'emplois dans les pays d'origine.