Intervention de Mamadou Diallo

Réunion du mercredi 2 juin 2021 à 14h40
Commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la france

Mamadou Diallo :

Je suis étudiant à Caen, en première année de BTS électrotechnique. Je suis en France depuis 5 ans. Je suis Guinéen. Je vais vous raconter mon enfance, mon parcours et ma situation en France. En Guinée, ma tante m'a pris à l'âge de six ans pour me scolariser dans une autre région, en basse Guinée. Je suis restée avec elle jusqu'en 2013-2014. Quand elle est décédée, son mari m'a demandé de retourner chez mes parents, car je n'acceptais pas de faire les tâches ménagères qu'il me demandait de faire.

Les parents d'un voisin avec qui je m'entendais très bien à l'école ont accepté de m'héberger. Son papa m'a appris à faire des cordes et me payait quand je faisais des cordes le soir, le week-end et pendant les vacances.

En 2016, son frère qui vivait en Algérie l'appelle et lui demande de venir vivre avec lui. Nous étions en classe de 4e. Je suis parti avec lui en Algérie rejoindre son frère. Pour sortir de Guinée, nous sommes passés par Conakry et par le Mali. Au Mali, de nombreuses personnes migraient vers l'Europe. Nous avons payé un bus soi-disant direct pour l'Algérie. En réalité, le bus n'était pas direct. À chaque barrage, ils nous fouillaient, ils nous ont pris des téléphones, de l'argent, tout ce que nous avions. Nous sommes arrivés à Kidal. C'est là que je me suis séparé avec mon ami. C'était presque la frontière. Nous sommes arrivés à Talanta, à la frontière du Mali et de l'Algérie. Nous avons marché pour traverser la frontière.

Arrivé à un certain moment, j'ai vu des lumières, je me suis dit qu'il fallait que je sépare du groupe parce qu'ils nous promenaient de ghetto en ghetto. Je suis arrivé en Algérie, à Timiaouine, première ville en Algérie, où j'ai vu un Burkinabé qui m'a hébergé et qui m'a conseillé de ne pas sortir, pour éviter d'être enfermé dans un foyer par des personnes qui demandent aux parents de payer une rançon.

Je suis resté chez lui. Il travaillait dans le bâtiment. J'ai travaillé avec lui pendant deux semaines. Avec la paie qu'il m'a donnée, j'ai payé le transport pour aller à Tamanrasset. De Tamanrasset, j'ai été à Oran, où j'ai travaillé dans un chantier chinois pendant deux mois environ. À chaque fois que nous sortions, les Algériens nous traquaient avec des couteaux et volaient ce que nous avions. C'est là que j'ai entendu qu'un réseau pouvait te faire passer en Italie pour 300 euros. Nous avons payé l'argent à Depdep à la frontière entre l'Algérie et la Lybie, pour aller en Italie. À Depdep, nous avons marché un peu pour traverser la frontière puis ils nous ont embarqués dans des pickups complètement fermés. C'était le pire !

Avant, nous avons été à Zintan en Libye. Ils nous ont répartis dans différentes régions : certains à Tripoli, nous à Sabratha au bord de la mer, dans un camp militaire, pour la marine. Nous ne devions pas sortir, pour ne pas être vus par les patrouilles de police. Nous ne pouvions pas sortir. Les conditions étaient difficiles.

Nous sommes restés là-bas jusqu'à ce qu'une nuit, il y ait une révolte : nous sommes montés dans des pirogues pour rejoindre l'Italie. Au milieu de la mer, deux personnes qui sont venues dans des motos ont arraché le moteur. Un pêcheur a essayé de nous aider en nous tirant avec une corde, mais il ne pouvait pas parce que nous étions plus de 150 dans le bateau. Après, il est parti appeler Mohammed, le chef du camp où nous étions. Il est venu armé avec ses hommes, il nous a pris et il nous a ramenés dans le camp.

Nous sommes restés dans le camp pendant deux semaines. Quand tu es dans le camp, soit tu appelles tes parents pour qu'ils payent une rançon ou alors tu dois faire des boulots obligatoires. Il y a de jeunes Libyens qui viennent : tu pars travailler obligatoirement, tu reviens le soir et tu n'es pas payé.

Après deux semaines, il y avait trop de monde, ils ont pu peur qu'on se révolte. Il nous ont pris et il nous ont mis dans un bateau pour rejoindre l'Italie.

Au milieu de la mer, dans la zone internationale, nous avons vu un bateau espagnol et un avion qui nous survolait. Là, ils nous ont pris pour nous envoyer à Augusta, en Italie. Après, ils nous ont envoyés à Turin, où je suis resté deux semaines dans un camp. Un Congolais nous aidait à apprendre l'italien. Lui voulait rejoindre l'Espagne. Je lui ai dit que je voulais aller en France, car je parle le français.

Il m'a proposé de partir ensemble. Je l'ai suivi. Nous avons traversé la frontière et nous sommes arrivés à Nice. Puis, nous sommes allés à Marseille. Là, il m'a laissé et il est parti en Espagne. Je suis resté une semaine à Marseille, je vivais dans la rue. Une personne m'a conseillé de partir à Bordeaux. Après, on m'a dit qu'un service prenait des mineurs. J'avais 16 ans en 2016. J'ai fait la demande, mais ils m'ont dit qu'il n'y avait pas de place à Bordeaux et m'ont conseillé d'aller à Angoulême. Je suis allé à Angoulême. Je suis allé à l'hôtel de police. Ils m'ont interviewé pendant deux heures, puis ils m'ont conduit dans un foyer. J'y suis resté 5 jours. Ils m'ont dit que j'étais accepté et qu'ils allaient me transférer à Caen, dans le Calvados.

En décembre 2016, ils m'ont transféré dans le Calvados. Ils m'ont demandé mes projets. J'ai dit que je voulais faire un métier. Ils m'ont envoyé au lycée général. J'ai fait 3 mois dans le lycée. Ils m'ont orienté en électrotechnique. En 2017, j'ai commencé l'électrotechnique. En 2018, je faisais la 1re. Ils m'ont demandé de demander un titre de séjour à la préfecture. J'ai demandé un titre de séjour à la préfecture. J'ai eu un refus, parce qu'ils ont dit que mes papiers guinéens n'étaient pas authentiques. Du coup, la prise en charge du département devait être annulée. Je suis sorti du service du département. J'ai passé 4 mois dehors. Je venais à Médecins du Monde qui m'aidait à appeler le 115 pour dormir là-bas pendant le week-end. L'école m'a pris en charge pendant la semaine.

Après 4 mois, ils m'ont dit d'écrire une lettre au département. J'ai fait la lettre, ils m'ont accepté, je suis revenu, j'ai fait la première, j'ai lancé le deuxième recours.

Au moment où je passais mon bac l'année dernière, j'ai eu la décision de Nantes qui n'a pas été validée encore. Je devais sortir du département. C'était au moment du confinement. J'ai demandé qu'on prolonge un peu parce que je ne pouvais pas dormir au 115. Ils ont prolongé un peu. Puis, je suis sorti. Sur Parcoursup, j'avais demandé un BTS électrotechnique dans le même établissement. J'ai été validé. Du coup, j'ai demandé si je pouvais être à l'internat, ils m'ont dit que non, mais ils m'ont donné un logement de 11 m2 à l'école.

J'ai demandé des aides financières au niveau de Médecins du monde. Ils m'ont dit qu'ils ne pouvaient pas, mais qu'ils pouvaient me donner des denrées alimentaires. J'ai une copine camerounaise (nous sommes ensemble ici depuis 2017) qui a eu son asile et qui m'aide beaucoup.

Aujourd'hui, je suis en BTS électronique, j'ai des offres d'emploi, je voulais faire l'apprentissage depuis la première. J'ai eu une promesse d'embauche l'an dernier, mais je ne pouvais pas l'accepter, car j'étais en OQTF. L'entreprise m'a rappelé cette année. J'ai répondu que je n'avais pas encore de titre de séjour. Ils m'ont fait une lettre de soutien, pour mon dossier à la préfecture. Il y a toujours des entreprises qui viennent dans ma classe, qui demandent des apprentis pour les former en deuxième année afin de les embaucher.

Concernant la situation de la France, je pense qu'avec la population, tout va bien. Je suis là depuis 2016. J'ai beaucoup aimé la vie, mais c'est la situation administrative qui me bloque jusqu'à présent.

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