La réunion débute à quatorze heures quarante.
Nous poursuivons nos auditions avec des migrants qui vont nous raconter leur parcours. Ces auditions nous permettront de mieux comprendre leurs motivations, les difficultés auxquelles ils ont dû faire face et les points positifs qu'ils ont pu identifier. Je vous propose de commencer par entendre M. Kader Allou.
Je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Kader Allou prête serment).
Bonjour. Merci à tous. Je suis de nationalité ivoirienne, j'ai 27 ans et je suis footballeur. Je vendais des maillots de football en Côte d'Ivoire. En 2015, j'ai eu l'opportunité de jouer avec un club de football en Géorgie. J'ai passé deux saisons dans ce pays, à jouer avec deux clubs différents de niveau de ligue 2.
Ensuite, j'ai eu la possibilité de venir en France. Je suis rentré en France avec un visa touristique de trois mois. J'ai eu la possibilité de faire un essai avec un club de football en Seine-Maritime. Les dirigeants étaient satisfaits de ma prestation. Mon souhait était de continuer ma carrière dans le football dans un pays qui avait déjà remporté la coupe du monde et où les conditions pour progresser étaient les meilleures.
Mon visa expirant en avril 2017, j'en ai informé le club qui était intéressé par moi. Le club a rédigé une attestation qui prouvait son intention de m'engager pour la saison à venir. Je me suis rendu à la préfecture de Seine-Maritime avec ce document. Le guichetier m'a fait comprendre que j'avais absolument besoin d'une autorisation de travail, parce que j'étais rentré avec un visa touristique qui ne me permettait pas de travailler.
De 2017 jusqu'à aujourd'hui quasiment, j'ai couru après un titre de séjour. Le contrat de travail n'a pas eu lieu, parce que j'étais en irrégularité. Le club a aussi eu peur de prendre des risques en engageant une personne en situation irrégulière. J'ai discuté avec les responsables du club qui étaient initialement intéressés pour leur dire que je ne comptais pas nuire à leur image et à leur projet. J'ai accepté de me mettre dans l'ombre.
Je n'étais pas fier d'être dans une situation irrégulière. Je ne suis pas resté inactif. J'ai proposé mes services au club pour encadrer les plus jeunes. Je n'avais pas de diplôme pour le faire. Ils m'indemnisaient à hauteur de 150 euros. Je suis reconnaissant envers toutes les personnes qui m'ont prêté main-forte durant cette période
Le club m'a nommé dirigeant (ce qui n'était pas faisable normalement) parce que je m'investissais pleinement dans la formation des plus jeunes, de toutes les catégories, et parce qu'en tant que footballeur, pour la première fois dans l'histoire du club, j'ai amené l'équipe en tant que capitaine en 32e de coupe de France
J'ai rencontré le sénateur de Seine-Maritime, qui est un proche de l'association et qui était maire de la ville où j'habitais, qui a introduit pour moi une lettre pour la préfecture, en expliquant les conditions dans lesquelles j'étais arrivé en France et toute mon implication sur le territoire.
Il m'est arrivé de m'occuper moralement de certains jeunes que j'ai côtoyés au niveau de la ville et qui avaient pour passion le football.
J'ai pu introduire une demande en préfecture. Elle a été refusée soi-disant parce que le timbre fiscal n'était pas présent sur la demande de titre de séjour. Je ne sais pas pourquoi. J'ai donc patienté une année à attendre une réponse sans savoir que l'étude du dossier avait été refusée en raison de l'absence de timbre. J'ai montré à l'avocate qui m'avait été conseillée par le club le courrier de refus, mais elle n'a pas compris ce qui s'était passé.
Par le travail que j'accomplissais sur le terrain et au niveau éducatif, j'ai eu la possibilité de me déplacer à Cherbourg. Là, je me suis retrouvé avec un autre club (amateur), qui a pris sur lui de m'aider dans les démarches, suite aux bons échos qu'il a eus des présidents de clubs par lesquels j'étais passé (notamment, le Paris Saint-Germain, l'équipe réserve B dont je n'ai pas parlé, où je n'ai pas signé à cause de la situation administrative et parce que je n'avais pas les moyens de m'installer à Saint-Germain-en-Laye).
Dans cette nouvelle procédure, je suis entré en contact avec l'association Itinérance et avec la maison Flora Tristan. Je suis guitariste amateur, j'aime communiquer et j'aime le contact avec les jeunes parce que j'apprends tout autant d'eux qu'eux de moi. Je me porte disponible pour des traductions, car je parle anglais, français et géorgien.
J'ai introduit un nouveau dossier en préfecture. Au bout d'un an, en janvier 2021, je reçois un OQTF qui m'impose de quitter le territoire français avec interdiction de retour, en précisant que je n'ai pas appris le français. J'avais mis dans mon dossier une demande d'autorisation de travail parce que le club était partenaire avec d'autres entreprises et avait trouvé un entretien pour moi pour que je puisse faire quelque chose qui m'aide dans ma procédure. C'est aussi la raison pour laquelle j'avais quitté le club de Seine-Maritime qui était d'un niveau au-dessus de mon club actuel, dans l'espoir que le cumul d'actions positives m'aide à prouver que je suis actif et que depuis le départ, je cherche à régulariser ma situation.
J'ai reçu cet OQTF. Je n'étais pas contre la décision. J'entendais que je méritais d'être là, mais je disais que le mérite partait depuis le départ. Je n'avais pas le droit, dès le moment que mon visa était expiré, de réclamer quoi que ce soit. J'étais bien conscient de cela.
Je cherchais juste à être dans les dispositions pour pouvoir vivre de mon labeur comme tous ceux qui viennent en France.
J'ai eu des possibilités de partir de France. Pourquoi ? Étant footballeur, mes pieds ont parlé sur le terrain et ont résonné dans d'autres pays, sauf que, dès le moment où j'avais été en irrégularité, je ne pouvais plus bouger.
Vous me demanderez peut-être pourquoi je ne suis pas retourné en Côte d'Ivoire. Premièrement, je voulais apporter une qualité de vie meilleure à ma mère. Elle ne me l'a pas demandé. Elle se satisfait largement de ce qu'elle a : femme de ménage, commerçante dans un restaurant à l'air libre, à vendre des sandwiches. À côté, j'avais mon activité de vendeur de maillots de football.
Deuxièmement, je crois que le talent n'a pas de frontière. Je n'avais aucune autre ambition que de vivre de ce que j'aime et d'apporter une qualité de vie meilleure à ceux que j'aime. Tout cela m'a conduit en France, un pays que j'admire. Je ne le dis pas parce que vous êtes face à moi. Depuis que la France a remporté la coupe du monde, je suis encore plus fan.
J'ai donc fait un recours, à la demande de l'avocate proposée par Itinérance. J'ai vécu beaucoup de bonnes choses et de mauvaises choses que je ne souhaite à personne de vivre.
J'ai gain de cause depuis le mois de mai. La préfecture de Saint-Lô est censée me délivrer un titre de séjour avec mention vie privée et familiale parce que j'ai dû passer devant le tribunal administratif de Caen qui m'a écouté avec cinq jurés. Ils m'ont posé des questions, ils m'ont même demandé pourquoi j'avais décidé de quitter un club meilleur avec de meilleures conditions pour un club en dessous, pourquoi on me reprochait de ne pas parler français. J'ai tâché de répondre aux questions qu'ils m'ont posées. Là, j'ai eu gain de cause. Mais j'attends toujours mon titre de séjour.
Merci pour cet exposé. Nous continuons avec le témoignage de Mamadou Diallo.
Je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Mamadou Diallo prête serment).
Je suis étudiant à Caen, en première année de BTS électrotechnique. Je suis en France depuis 5 ans. Je suis Guinéen. Je vais vous raconter mon enfance, mon parcours et ma situation en France. En Guinée, ma tante m'a pris à l'âge de six ans pour me scolariser dans une autre région, en basse Guinée. Je suis restée avec elle jusqu'en 2013-2014. Quand elle est décédée, son mari m'a demandé de retourner chez mes parents, car je n'acceptais pas de faire les tâches ménagères qu'il me demandait de faire.
Les parents d'un voisin avec qui je m'entendais très bien à l'école ont accepté de m'héberger. Son papa m'a appris à faire des cordes et me payait quand je faisais des cordes le soir, le week-end et pendant les vacances.
En 2016, son frère qui vivait en Algérie l'appelle et lui demande de venir vivre avec lui. Nous étions en classe de 4e. Je suis parti avec lui en Algérie rejoindre son frère. Pour sortir de Guinée, nous sommes passés par Conakry et par le Mali. Au Mali, de nombreuses personnes migraient vers l'Europe. Nous avons payé un bus soi-disant direct pour l'Algérie. En réalité, le bus n'était pas direct. À chaque barrage, ils nous fouillaient, ils nous ont pris des téléphones, de l'argent, tout ce que nous avions. Nous sommes arrivés à Kidal. C'est là que je me suis séparé avec mon ami. C'était presque la frontière. Nous sommes arrivés à Talanta, à la frontière du Mali et de l'Algérie. Nous avons marché pour traverser la frontière.
Arrivé à un certain moment, j'ai vu des lumières, je me suis dit qu'il fallait que je sépare du groupe parce qu'ils nous promenaient de ghetto en ghetto. Je suis arrivé en Algérie, à Timiaouine, première ville en Algérie, où j'ai vu un Burkinabé qui m'a hébergé et qui m'a conseillé de ne pas sortir, pour éviter d'être enfermé dans un foyer par des personnes qui demandent aux parents de payer une rançon.
Je suis resté chez lui. Il travaillait dans le bâtiment. J'ai travaillé avec lui pendant deux semaines. Avec la paie qu'il m'a donnée, j'ai payé le transport pour aller à Tamanrasset. De Tamanrasset, j'ai été à Oran, où j'ai travaillé dans un chantier chinois pendant deux mois environ. À chaque fois que nous sortions, les Algériens nous traquaient avec des couteaux et volaient ce que nous avions. C'est là que j'ai entendu qu'un réseau pouvait te faire passer en Italie pour 300 euros. Nous avons payé l'argent à Depdep à la frontière entre l'Algérie et la Lybie, pour aller en Italie. À Depdep, nous avons marché un peu pour traverser la frontière puis ils nous ont embarqués dans des pickups complètement fermés. C'était le pire !
Avant, nous avons été à Zintan en Libye. Ils nous ont répartis dans différentes régions : certains à Tripoli, nous à Sabratha au bord de la mer, dans un camp militaire, pour la marine. Nous ne devions pas sortir, pour ne pas être vus par les patrouilles de police. Nous ne pouvions pas sortir. Les conditions étaient difficiles.
Nous sommes restés là-bas jusqu'à ce qu'une nuit, il y ait une révolte : nous sommes montés dans des pirogues pour rejoindre l'Italie. Au milieu de la mer, deux personnes qui sont venues dans des motos ont arraché le moteur. Un pêcheur a essayé de nous aider en nous tirant avec une corde, mais il ne pouvait pas parce que nous étions plus de 150 dans le bateau. Après, il est parti appeler Mohammed, le chef du camp où nous étions. Il est venu armé avec ses hommes, il nous a pris et il nous a ramenés dans le camp.
Nous sommes restés dans le camp pendant deux semaines. Quand tu es dans le camp, soit tu appelles tes parents pour qu'ils payent une rançon ou alors tu dois faire des boulots obligatoires. Il y a de jeunes Libyens qui viennent : tu pars travailler obligatoirement, tu reviens le soir et tu n'es pas payé.
Après deux semaines, il y avait trop de monde, ils ont pu peur qu'on se révolte. Il nous ont pris et il nous ont mis dans un bateau pour rejoindre l'Italie.
Au milieu de la mer, dans la zone internationale, nous avons vu un bateau espagnol et un avion qui nous survolait. Là, ils nous ont pris pour nous envoyer à Augusta, en Italie. Après, ils nous ont envoyés à Turin, où je suis resté deux semaines dans un camp. Un Congolais nous aidait à apprendre l'italien. Lui voulait rejoindre l'Espagne. Je lui ai dit que je voulais aller en France, car je parle le français.
Il m'a proposé de partir ensemble. Je l'ai suivi. Nous avons traversé la frontière et nous sommes arrivés à Nice. Puis, nous sommes allés à Marseille. Là, il m'a laissé et il est parti en Espagne. Je suis resté une semaine à Marseille, je vivais dans la rue. Une personne m'a conseillé de partir à Bordeaux. Après, on m'a dit qu'un service prenait des mineurs. J'avais 16 ans en 2016. J'ai fait la demande, mais ils m'ont dit qu'il n'y avait pas de place à Bordeaux et m'ont conseillé d'aller à Angoulême. Je suis allé à Angoulême. Je suis allé à l'hôtel de police. Ils m'ont interviewé pendant deux heures, puis ils m'ont conduit dans un foyer. J'y suis resté 5 jours. Ils m'ont dit que j'étais accepté et qu'ils allaient me transférer à Caen, dans le Calvados.
En décembre 2016, ils m'ont transféré dans le Calvados. Ils m'ont demandé mes projets. J'ai dit que je voulais faire un métier. Ils m'ont envoyé au lycée général. J'ai fait 3 mois dans le lycée. Ils m'ont orienté en électrotechnique. En 2017, j'ai commencé l'électrotechnique. En 2018, je faisais la 1re. Ils m'ont demandé de demander un titre de séjour à la préfecture. J'ai demandé un titre de séjour à la préfecture. J'ai eu un refus, parce qu'ils ont dit que mes papiers guinéens n'étaient pas authentiques. Du coup, la prise en charge du département devait être annulée. Je suis sorti du service du département. J'ai passé 4 mois dehors. Je venais à Médecins du Monde qui m'aidait à appeler le 115 pour dormir là-bas pendant le week-end. L'école m'a pris en charge pendant la semaine.
Après 4 mois, ils m'ont dit d'écrire une lettre au département. J'ai fait la lettre, ils m'ont accepté, je suis revenu, j'ai fait la première, j'ai lancé le deuxième recours.
Au moment où je passais mon bac l'année dernière, j'ai eu la décision de Nantes qui n'a pas été validée encore. Je devais sortir du département. C'était au moment du confinement. J'ai demandé qu'on prolonge un peu parce que je ne pouvais pas dormir au 115. Ils ont prolongé un peu. Puis, je suis sorti. Sur Parcoursup, j'avais demandé un BTS électrotechnique dans le même établissement. J'ai été validé. Du coup, j'ai demandé si je pouvais être à l'internat, ils m'ont dit que non, mais ils m'ont donné un logement de 11 m2 à l'école.
J'ai demandé des aides financières au niveau de Médecins du monde. Ils m'ont dit qu'ils ne pouvaient pas, mais qu'ils pouvaient me donner des denrées alimentaires. J'ai une copine camerounaise (nous sommes ensemble ici depuis 2017) qui a eu son asile et qui m'aide beaucoup.
Aujourd'hui, je suis en BTS électronique, j'ai des offres d'emploi, je voulais faire l'apprentissage depuis la première. J'ai eu une promesse d'embauche l'an dernier, mais je ne pouvais pas l'accepter, car j'étais en OQTF. L'entreprise m'a rappelé cette année. J'ai répondu que je n'avais pas encore de titre de séjour. Ils m'ont fait une lettre de soutien, pour mon dossier à la préfecture. Il y a toujours des entreprises qui viennent dans ma classe, qui demandent des apprentis pour les former en deuxième année afin de les embaucher.
Concernant la situation de la France, je pense qu'avec la population, tout va bien. Je suis là depuis 2016. J'ai beaucoup aimé la vie, mais c'est la situation administrative qui me bloque jusqu'à présent.
Merci beaucoup pour ce témoignage. Nous ne pouvons pas vous entendre sans penser à la situation politique actuelle en Guinée qui est devenue extrêmement difficile du point de vue des droits humains. Nous allons enchaîner avec le témoignage de Yasin Sherzad.
Je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Yasin Sherzad prête serment).
J'ai 25 ans. Je suis afghan. J'ai quitté mon pays en 2013 pour un grand problème de talibans et de mafias. Je viens d'un petit village. Je suis passé par le Pakistan, la Turquie, la Bulgarie, la Serbie, la Hongrie et je suis arrivé en Allemagne. J'y suis resté cinq ans, j'ai travaillé, je suis mécanicien. Je n'ai pas eu mon titre de séjour là-bas.
J'ai quitté l'Allemagne en 2019, le 19 mai. Je suis arrivé à Paris. J'ai fait une demande d'asile à Paris. J'y suis resté pendant deux ou trois mois. Il n'y avait pas de place. J'ai dormi dans la rue, dans des parkings. J'ai quitté Paris et je suis arrivé ici à Cherbourg pour passer en Angleterre. J'ai rencontré des gens ici qui m'aidaient : Itinérance. Suivant leurs conseils, j'ai fait une 2e demande d'asile à Caen. J'ai maintenant ma carte de séjour. Je cherche du travail. J'apprends le français au GRETA.
Merci beaucoup pour ce témoignage. Ce passage par tous ces pays est tout à fait impressionnant. Ces témoignages nous parlent des problématiques administratives, de la situation d'un mineur qui devient adulte et des difficultés qu'il a pu rencontrer sur son parcours extrêmement difficile pour venir en France.
Je tiens à vous remercier de votre présence à cette commission d'enquête, l'instance la plus importante de l'Assemblée nationale. Les députés autour de la table tiennent à ce que l'on vous accueille mieux, que vous puissiez accéder à vos droits et que vous puissiez connaître vos devoirs, pour que vous puissiez vous intégrer ici. Je remercie l'association Itinérance Cherbourg pour leur formidable travail auprès des migrants. Ce sont des centaines de citoyennes et de citoyens qui ne comptent pas leur temps pour améliorer le quotidien de celles et ceux qui ont besoin d'aide.
Mamadou, Kader, Yasin, vos témoignages nous ont permis d'écouter sans aucun intermédiaire le récit de vos parcours. Ils sont très différents. Mamadou, vous avez subi le travail forcé, le travail au noir, l'esclavage moderne (modern slavery). On peut faire des comparaisons entre l'Algérie et la Libye, même si l'enfer de la Libye est tout autre, mais vous avez signalé quand même des correspondances avec ce qui se passe aujourd'hui en Algérie. Vous avez témoigné de la difficulté de traverser la Méditerranée.
Kader, vous nous avez parlé des talents que nous avons en France aujourd'hui. Vous n'avez pas détaillé tout ce que vous faites auprès des enfants que vous entraînez toutes les semaines. Vous êtes leur héros, vous êtes leur footballeur chéri. J'aimerais vous apporter la reconnaissance de tous les parents d'élèves qui vous connaissent de très près.
Je finis avec le témoignage de Yasin. Yasin, vous avez traversé une dizaine de pays à pied. Je n'ose pas imaginer ce que vous avez vécu.
Je vous pose une question très simple à vous trois. Vous avez des amis migrants partout en Europe et ailleurs. Quels sont les autres pays où vos amis immigrés vous disent que cela se passe mieux qu'en France et si oui, à quel niveau ?
Je vous propose que Kader Allou essaye de répondre à cette question, sachant qu'il existe des problèmes d'accueil dans de très nombreux pays, et pas uniquement en France.
En Géorgie, j'ai ressenti un peu de racisme. Sinon, j'ai entendu parler en bien du Canada et des États-Unis par des amis qui y sont. Ils me disent qu'il suffit qu'une entreprise ou un club de foot s'intéresse à vous pour que tout soit réglé. Sinon, je vous remercie beaucoup pour vos remerciements.
Je ne discute pas trop avec des personnes qui sont hors d'Europe. J'ai des amis en Allemagne qui me disent que cela se passe bien au niveau de la formation (ils font des formations en alternance), mais que la délivrance des titres de séjour est une procédure très longue.
Je pose la même question à Yasin Sherzad sur les modalités d'accueil dans d'autres pays en Europe ou hors d'Europe.
Je suis passé par l'Allemagne, où j'ai travaillé. C'est mieux de vivre là-bas qu'ici.
Oui. Je connais beaucoup de jeunes Afghans qui sont partis en Angleterre et qui y travaillent.
Je vous salue à mon tour et je vous souhaite tout le bonheur du monde. Je me demandais si, à travers toutes les épreuves que vous avez vécues, vous avez regretté à certains moments d'être partis et d'avoir laissé votre famille et vos amis. Est-ce le téléphone portable qui vous permet de garder le contact avec votre pays et avec votre famille ?
Sur l'apprentissage de la langue, Yasin, vous êtes en France depuis moins longtemps que vos collègues. Des associations vous aident-elles à apprendre le français ? La non-maîtrise du français est-elle un problème qui vous est renvoyé quelquefois dans vos démarches ?
Je voulais revenir sur le schisme qui existe dans notre société française entre une vision de l'administration (police, préfecture, administration gouvernementale) qui assimile migration à OQTF et à délinquance et celle des citoyens qui vous accueillent, y compris chez eux pour partager un logement, une salle de bains, etc. Votre jeunesse fait que beaucoup de citoyens se sentent concernés comme pourraient l'être des parents. Ces citoyens ne sont pas des altermondialistes ou des babas cool. Ce sont souvent des retraités qui expérimentent, en vous côtoyant, l'enrichissement mutuel. Personne n'en parle.
Les professeurs ont compris que vous étiez un élément extrêmement moteur dans leur classe, parce que vous avez vécu des choses incroyables à votre âge. Vis-à-vis des jeunes qui se plaignent ou qui ne travaillent pas aujourd'hui à l'école, vous faites office de moteur. Personne ne l'entend non plus.
Les patrons vous attendent aussi de pied ferme. Ils attendent que vous ayez terminé votre formation professionnelle parce qu'ils manquent de professionnels ou d'apprentis. La boulangerie est l'exemple qui a été médiatisé, de nombreux patrons se sont mobilisés autour de ce boulanger qui voulait protéger son apprenti qui avait une OQTF après un long parcours de formation.
Comment comprenez-vous ces codes qui sont très contradictoires dans notre pays, qui font que l'on vous aide et que, vous êtes un enrichissement jusqu'à vos 18 ans, quand vous êtes pris par l'aide sociale à l'enfance et par la formation, et puis quand l'OQTF tombe, que tout se termine ? Comment faites-vous pour vivre cette chute administrative presque désespérante et ce mélange omniprésent dans la tête du média et du politique médiocre, qui assimilent MNA à entrée illégale et à délinquance ?
Merci, messieurs, pour vos témoignages. Mamadou, vous avez l'expérience de l'accueil concernant la prise en charge des mineurs non accompagnés. J'ai trois questions à ce sujet. Comment avez-vous été informé de dispositions particulières concernant les mineurs non accompagnés ? Quel est votre sentiment sur la qualité de leur prise en charge ? Avez-vous constaté autour de vous quelques personnes qui, connaissant cette procédure un peu particulière en France qui est réservée à la prise en charge des mineurs non accompagnés, s'étaient engagées sur cette voie alors qu'ils n'en avaient plus l'âge ? Quel est votre sentiment sur cette démarche qui vise à tricher sur son âge ?
Merci à tous les trois pour vos témoignages. Ma question s'adresse un peu plus à Mamadou. Dans ce parcours si difficile, en Italie, avez-vous eu connaissance des taux d'octroi de la protection internationale qui varient beaucoup d'un pays à l'autre, y compris dans l'espace européen, avec des rapports de 1 à 3 en fonction des nationalisés ? Nous savons que la Guinée n'est pas considérée comme un pays sûr par l'OFPRA. En général, les demandes en France sont donc accueillies avec un bon taux de succès. Plus largement, dans ce parcours, vous avez vu de nombreux interlocuteurs. Avez-vous eu de bonnes et de mauvaises surprises ?
Je me tourne vers Mamadou puisque plusieurs questions lui sont adressées. Comment en tant que mineur la France vous a-t-elle accueilli ? Quand vous étiez en Italie, avez-vous été informé que vous auriez un accueil plus favorable en France qu'ailleurs ?
En Italie, je ne pensais pas qu'il y avait des aides en Europe pour les mineurs. J'ai choisi la France parce que je parlais français. En France, dans la rue, j'ai demandé des aides aux noirs que j'ai rencontrés. Ils m'ont dit que je devais être protégé par ce que j'étais mineur et ils m'ont orienté vers des associations.
Concernant l'accueil, pour moi, cela n'a pas été trop difficile parce qu'après ma première demande, ils m'ont directement accepté et transféré à Caen.
Je ne conserve aucun lien. À Caen, je suis stabilisé. Je n'ai jamais grandi avec ma famille.
Je me tourne vers Kader Allou, sur le rapport ambivalent à la France, avec des citoyens français qui sont solidaires et, d'un autre côté, des OQTF.
J'ai pu remarquer que l'on n'a pas le droit de mélanger les bons et les mauvais grains. Il y a du bon même quand il y a du mauvais. Je considère que ce que je suis en train de faire, c'est bien.
Je pense qu'il faut se rendre compte que, parmi les personnes qui se déplacent, il y a des personnes qui peuvent apporter des choses, mais qui n'ont pas la possibilité de le faire parce qu'elles ont besoin d'être en règle et donc d'être acceptées. Quand on est inexistant dans la société, on se prive de prendre des initiatives. Quand on a des idées, on les garde dans sa poche. C'est la raison pour laquelle le maire m'a dit, un jour où je lui proposais une idée : il faut trouver une solution pour que tu aies des papiers.
Elle m'a demandé de revenir. Elle ne m'a pas demandé de faire ce que je voulais pour elle : lui donner une qualité de vie meilleure. Je n'ai pas de regret. J'ai gagné en maturité. Je suis déçu ne pas avoir eu les bonnes informations au bon moment. Nous avons eu la sensation que cela était fait exprès, pour décourager les migrants.
Au point de vue psychologique, nous sommes impactés. C'est comme une fracture du mental. Je me suis retrouvé à devoir jouer des matchs importants pour mon équipe sans avoir mangé au préalable. Il faut prendre sur soi et patienter.
Je suis arrivé en 2019. Je n'ai pas été aidé à Paris, car il y avait trop de migrants. En revanche, à Cherbourg, j'ai été aidé par Itinérance et j'apprends le français avec le GRETA.
Nous dressons le constat d'un difficile accès aux droits. J'ai compté 228 captures d'écran pour prendre un rendez-vous. Je pense que notre commission est très attendue sur ce point.
Vos témoignages et les questions de mes collègues étaient très intéressants. Vous avez souligné le travail de l'association Itinérance et de Médecins du Monde. Bienvenue dans notre pays, dans votre pays.
Merci à tous. La semaine prochaine, nous auditionnerons François Gemenne, chercheur sur la question migratoire, l'OFII, et plusieurs associations qui aident les migrants. La commission se déplacera également à Calais.
La réunion s'achève à seize heures cinquante.