Intervention de Didier Leschi

Réunion du mercredi 9 juin 2021 à 15h00
Commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la france

Didier Leschi, directeur général de l'OFII :

En ce qui concerne les collectivités rurales, deux catégories de personnes peuvent être accueillies dans les collectivités locales, les demandeurs d'asile et les personnes orientées vers du logement disponible. D'une manière générale, les parcours d'intégration me semblent plus faciles dans les villes moyennes et les collectivités où il existe un sentiment moindre d'anonymat, en particulier lorsqu'il s'agit de familles. Nous parlons de demandeurs d'asile et de réfugiés. Le parcours d'intégration est plus facile pour les familles de réfugiés. La présence d'enfants et la socialisation par l'école joue à la fois pour les enfants et pour les parents.

Au bout de 5 à 6 ans d'expérience, je considère que notre pays est globalement accueillant. Il n'y a quasiment pas d'incidents autour des lieux d'hébergement des demandeurs d'asile, alors qu'il y a eu des drames de foyers de migrants incendiés dans les années 70, avec notamment des « ratonnades » à Marseille. Ces événements ont disparu. Dans les zones rurales, je constate souvent une ingéniosité de ceux qui s'installent, et dont la situation administrative est stabilisée, pour répondre aux besoins en créant leur activité.

Les difficultés liées à la distance sont indéniables en milieu rural. Il faudrait revoir, et c'est à la main du Gouvernement et des parlementaires, la question de la répartition des directions territoriales de l'OFII. Nous avons été collectivement victimes d'une situation paradoxale. Lors de l'augmentation de la demande d'asile, le Gouvernement a demandé à l'OFII de fermer des bureaux dans les départements. Or, l'accompagnement des demandeurs d'asile du mieux possible est basé sur la proximité. Je plaide pour être autorisé à ouvrir de nouvelles directions territoriales de l'OFII pour être au plus près des demandeurs d'asile.

Nous devons travailler davantage avec les collectivités locales, les conseils régionaux en charge des programmes de formation, les collectivités rurales, etc. Je plaide pour que les personnes ne restent pas dans les grands centres urbains, mais aillent dans les villes moyennes où il y a des besoins indéniables de main d'œuvre. Cela est particulièrement vrai dans l'ouest de la France, en Mayenne ou en Vendée, où le chômage était très bas avant la crise sanitaire, et où les demandeurs d'asile ont été très bien intégrés.

En ce qui concerne la carte ADA, je ne suis pas favorable à la possibilité de retirer des espèces. Il y a eu de nombreuses appréhensions lors du lancement de cette carte, mais ce n'est plus le cas. J'habite dans le 18e arrondissement de Paris, dans une zone qui compte un grand nombre d'immigrés. Ma boulangère ne veut à présent être payée que par carte par peur du virus alors qu'elle refusait tout paiement par carte avant la crise sanitaire. Le passage du numérique au retrait d'espèce demanderait un développement informatique de plusieurs mois. L'État ne peut pas faire crédit. Je ne perçois pas l'utilité du retour aux espèces. Les sommes disponibles sur la carte sont globalement dépensées. Par ailleurs, des Länder allemands donnent des bons alimentaires, aucun argent liquide, et la situation se passe bien. Il y a une fixation en France sur l'argent liquide qui m'interroge en comparaison de l'expérience d'autres pays.

En ce qui concerne le « parcours d'obstacle », l'OFII est utilisé comme un couteau suisse par tout le monde : il doit être le meilleur en matière de détection de vulnérabilité, dans l'accompagnement du besoin de formation professionnelle, dans l'accompagnement vers le logement, etc. Ce sont des métiers spécifiques. Je pense que l'orientation professionnelle est une qualification. Il y a un effort à faire du côté des administrations en charge de l'accompagnement professionnel de la population pour mener des politiques plus différenciées, ce qui permettrait d'objectiver les parcours d'intégration vers l'emploi. Je n'ai pas connaissance des statistiques de Pôle Emploi, nous revoyons les personnes en fin de CIR. On constate que les demandeurs d'asile ne sont globalement pas en emploi, alors qu'ils l'étaient avant la crise sanitaire dans des secteurs précis comme la restauration et le bâtiment. La restauration reprendra mais l'accompagnement professionnel relève de l'administration en charge de l'accompagnement professionnel de l'ensemble de la population.

Le parcours d'obstacles des demandeurs d'asile est connu. Il concerne essentiellement l'accès aux droits sociaux, qui passe par les CAF. Du fait du retard dans l'établissement de l'état civil des personnes, les parlementaires ont demandé à l'OFII d'établir un certificat pour que les demandeurs d'asile puissent s'inscrire dans les CAF. La CAF n'est pas une administration de l'État et le fonctionnement de toutes les CAF n'est pas unifié. Il faut travailler afin qu'il y ait une prise en compte de ce public spécifique des personnes protégées. L'accès à l'emploi des demandeurs d'asile au bout de six mois est principalement freiné par la langue, surtout dans un pays où les emplois peu qualifiés ont quasiment disparu. Les usines automobiles sont généralement dans les pays d'où viennent de nombreux immigrés.

Notre attention doit se focaliser davantage sur ceux auxquels nous avons accordé la protection. Si nous ne parvenons pas à montrer que les personnes qui ont obtenu une protection peuvent s'insérer dans le marché du travail, accéder au logement et s'intégrer, la situation ne s'améliorera pas. Je rappelle que les trois quarts des demandeurs d'asile n'obtiennent pas une protection. Les Géorgiens et les Albanais sont en situation de travail, mais certains n'obtiennent pas le titre de demandeur d'asile. Pourquoi un titre de séjour peut-il être refusé à ces personnes si tant est qu'il y ait du travail ? Dans un certain nombre de quartiers et de villes, le chômage est élevé au sein de la population française. Des jeunes mériteraient d'être mieux formés pour répondre aux besoins du marché de l'emploi. Ils peuvent se retrouver dans des emplois non qualifiés en concurrence avec des personnes acceptant des conditions de rémunération inférieures à ce que ces personnes nées en France sont capables d'accepter.

D'une manière générale, je considère que nous portons peu d'attention au fait que dans certaines régions, la langue vernaculaire restera la langue française. C'est peut-être mes origines, multiples, qui me font tenir ce propos.

8 781 retours volontaires ont eu lieu en 2019. Nous sommes victimes de l'arrêt des transports du fait de la crise sanitaire. 4 519 retours volontaires ont eu lieu en 2020, et jusqu'à 10 000 retours volontaires en 2018. Nous poursuivons nos efforts. Le développement des coopérations européennes est fondamental pour utiliser les compétences de l'OFII, par des accords avec l'Allemagne, le Danemark, la Finlande et le Luxembourg pour la mise à disposition de notre savoir-faire avec le Cameroun, le Maroc, le Sénégal, etc. La France peut faire valoir une compétence particulière dans l'aide au retour et à la réinsertion dans le cadre de la directive retour.

Nous avons mis en place une unité retour « sud sud » à partir de la Tunisie, mais ce dispositif a été freiné par la crise. Nous devrions promouvoir davantage le retour « sud sud » auprès des instances européennes. Dès lors que notre compétence est reconnue par les principaux pays d'accueil de la demande d'asile dans le cadre de conventions bilatérales, nous devrions proposer un système d'aide aux pays qui éprouvent des difficultés. Je discuterai prochainement avec les Italiens qui éprouvent des difficultés à organiser le retour volontaire. Cette compétence reconnue n'est pas suffisamment valorisée au niveau européen alors qu'elle constituerait un atout, notamment pour l'Italie qui ne sait pas faire de retour volontaire avec de la réinsertion.

En ce qui concerne l'anonymat, nous sommes l'un des rares pays à proposer de l'hébergement inconditionnel et anonyme quelle que soit la situation des personnes. Dans de nombreux pays, sans titre de séjour, vous n'êtes pas hébergé de cette manière, sans limite. Je ne remets pas en cause le droit à l'hébergement, mais la levée de l'anonymat permettrait d'objectiver la situation sociale réelle des personnes.

Il existe trois catégories de personnes. Certaines ne parviennent pas à accéder au logement. Elles peuvent être orientées vers le logement pour tous.

D'autres personnes sont en France depuis longtemps. Je plaide pour l'évolution administrative de la situation d'une dame qui a eu un enfant en France, et se trouve dans un hôtel depuis plus de dix ans. La seule solution consiste à régulariser sa situation.

Enfin, il faut assumer que des personnes relèvent de la reconduite dans le pays d'origine. Un dialogue de sourd est engagé pour ces personnes. Il faut se demander s'il est légitime ou non de reconduire des personnes auxquelles le titre de séjour a été refusé en France. L'hébergement d'urgence inconditionnel anonyme correspond à l'idée que celui qui est ici n'a pas à en partir, ce qui constitue le cœur d'une forme de non-dit. Je pense qu'il faut dire les choses très clairement. Il existe trois catégories de demandeurs d'asile, et une catégorie relèvera de la reconduite forcée.

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