Intervention de Delphine Rouilleault

Réunion du mercredi 9 juin 2021 à 16h30
Commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la france

Delphine Rouilleault :

Merci pour votre invitation et la possibilité de nous exprimer devant cette commission d'enquête sur ce vaste et indispensable sujet. Je suis directrice générale de France Terre d'asile depuis le 1er septembre 2020. France Terre d'asile est une association qui fête ses 50 ans cette année. Elle gère des structures d'accompagnement pour les demandeurs d'asile, les bénéficiaires de la protection internationale ainsi que des mineurs isolés étrangers. Elle compte aujourd'hui environ 1 000 salariés. Je propose de parler du fonctionnement de la chaîne d'asile à partir du premier accueil, puis de ce que nous considérons comme les principaux freins aux politiques d'intégration.

Lorsque nous parlons de demande d'asile, nous avons souvent l'image frappante et inhumaine des alignements de tentes aux portes de Paris, qui sont régulièrement médiatisés. Le communiqué du Défenseur des droits publié la semaine dernière rappelle que l'absence de solution d'hébergement pour tous constitue une atteinte aux droits humains. Nous sommes en France confrontés à l'indignité des conditions d'accueil d'une partie des demandeurs d'asile. Ce sujet croise celui de nombreux migrants dépourvus du droit au séjour en France. Deux sujets très imbriqués qui appellent des réponses différentes. Je me concentrerai sur le premier, le titre de la demande d'asile, notre cœur de métier.

France Terre d'asile est notamment responsable d'une maraude cofinancée par l'État et la ville de Paris, qui poursuit une double mission d'information des publics dans la rue et de compréhension des campements, leur localisation et leur composition. Nous constatons au sein de ces campements tout type de public : des primo-arrivants, des demandeurs d'asile, des « Dublinés », ainsi que des bénéficiaires de la protection internationale avec un titre de séjour de 10 ans.

Le premier point sur lequel nous voulons insister est la question de l'accès à la procédure de demandeurs d'asile. Le droit prévoit que les personnes qui arrivent sur le territoire français disposent de trois mois pour initier une démarche de demande d'asile, puis les préfectures doivent dans un délai de trois jours proposer un rendez-vous au guichet unique de la demande d'asile. Les droits des personnes sont-ils respectés pour l'accès à la procédure ? Durant de nombreuses années, les délais d'attente ont été extrêmement longs entre le premier accueil dans les structures du premier accueil des demandeurs d'asile (SPADA) et le guichet unique des préfectures en raison du manque d'effectif.

En raison de la crise sanitaire, les flux d'arrivée de demandeurs d'asile a fortement diminué en France. Le délai de trois jours est désormais respecté partout, sauf en Ile-de-France. Il se pose une question fondamentale sur l'accès à la procédure de demande d'asile dans cette région. L'accès à la procédure en Ile-de-France ne passe plus désormais par un numéro de téléphone pour obtenir un rendez-vous. Ce mécanisme a été mis en place après des années de files d'attente très longues et de la violence. Le fonctionnement de la plate-forme conduit à ce que le nombre de personnes prises au téléphone est dimensionné à hauteur du nombre de rendez-vous que la préfecture peut donner. Cette situation ne permet pas de savoir combien de personnes souhaitent demander l'asile quotidiennement en Ile-de-France. La demande d'asile est proportionnée à la capacité de la préfecture de police à accueillir les personnes en guichet unique. Je ne peux vous dire si le droit est respecté et si le délai de traitement en trois ou dix jours est respecté.

En outre, les campements et les accueils de jour témoignent d'un délai de plusieurs semaines avant de joindre cette plate-forme téléphonique. La présence à la rue de nombreux migrants nourrit une forme de ressentiment d'une partie de la population, mais la question de l'augmentation des moyens de la Préfecture de police pour absorber la réalité de la demande d'asile nous semble indispensable et incontournable.

Lorsque nous entrons dans le dispositif national d'accueil, c'est-à-dire le mécanisme de l'hébergement, les textes européens découlant de la convention de Genève prévoient que les Etats offrent des conditions de vie dignes aux personnes durant toute la procédure. En France, l'hébergement dans un centre d'accueil dédié dans un établissement médicosocial, avec des personnes qui accompagnent les demandeurs d'emploi dans toutes leurs démarches, est devenu la norme.

La loi prévoit que si l'Etat ne peut proposer d'hébergement, une majoration de l'aide prévue pour les demandeurs d'asile d'environ 200 euros par mois est alors accordée. Cette somme est insuffisante pour compenser l'absence d'hébergement. Le système de demande d'asile n'est pas indécent, mais il est profondément inégalitaire. Les personnes prises en charge, hébergées et accompagnées, le sont plutôt bien. Nous pouvons nous féliciter de la manière dont ce secteur associatif accompagne, s'investit et prend en charge les personnes. Les moyens consacrés par l'État sont conséquents, même s'il faut accomplir de nombreux progrès.

Comment pourrions-nous faire pour que tout le monde entre dans ce système et bénéficie d'une condition d'hébergement digne ? Nous considérions avant la crise sanitaire qu'un demandeur d'asile sur deux n'était pas hébergé en France. Aujourd'hui, beaucoup trop de demandeurs d'asile ne bénéficient pas d'une prise en charge de qualité. Nous les retrouvons dans les campements et les hôtels.

L'Etat a fait de nombreux efforts. De nombreuses places ont été ouvertes au cours des dernières années en centre d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA) et dans les centres d'accueil et d'examen de la situation (CAES) qui ont été récemment créés. La loi Asile et immigration de 2018 a été appliquée au début de l'année 2021 avec l'organisation d'un schéma national des demandeurs d'asile et des réfugiés. Ce schéma vise principalement à mettre en place une répartition des demandeurs d'asile avec un hébergement à la clé sur tout le territoire. Nous portons cette proposition depuis de nombreuses années. Le déséquilibre en matière d'accueil des demandeurs d'asile entre l'Ile-de-France et le reste du pays est très dommageable, pour les demandeurs d'asile, mais aussi pour Paris dont les capacités d'accueil ne sont pas proportionnées aux besoins.

Nous sommes favorables à la mise en place d'une solidarité nationale et à l'orientation des personnes en région avec un hébergement à la clé. Nous continuons de plaider pour une augmentation du parc d'hébergement des demandeurs d'asile, notamment en Ile-de-France. L'année 2021 ne sera pas relativement calme malgré la crise sanitaire, et vous entrerez prochainement dans les débats relatifs au PLF de 2022.

Nous rencontrons un problème avec les personnes « dublinées ». France Terre d'Asile est très critique vis-à-vis du pacte européen qui ne résout pas l'impact de l'accord de Dublin sur l'errance de nombreuses personnes. Il faut intégrer les étrangers et les demandeurs d'asile dès le premier jour de leur arrivée sur le territoire, en leur proposant l'enseignement de la langue française dès le premier jour. Nous pourrions aussi parler de santé mentale et d'accès aux services des préfectures. Les enjeux du numérique sont aussi très importants pour nous.

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