La réunion

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La réunion débute à seize heures trente.

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J'invite chaque association participante à cette table ronde à présenter ses actions d'accompagnement et les problématiques que vous rencontrez le plus fréquemment, qu'il vous paraît important de faire émerger. Nous allons commencer avec France Terre d'Asile, dont nous accueillons Delphine Rouilleault, la directrice générale. L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relatif au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées de prêter serment et de dire toute la vérité, rien que la vérité.

Mme Delphine Rouilleault prête serment.

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Delphine Rouilleault

Merci pour votre invitation et la possibilité de nous exprimer devant cette commission d'enquête sur ce vaste et indispensable sujet. Je suis directrice générale de France Terre d'asile depuis le 1er septembre 2020. France Terre d'asile est une association qui fête ses 50 ans cette année. Elle gère des structures d'accompagnement pour les demandeurs d'asile, les bénéficiaires de la protection internationale ainsi que des mineurs isolés étrangers. Elle compte aujourd'hui environ 1 000 salariés. Je propose de parler du fonctionnement de la chaîne d'asile à partir du premier accueil, puis de ce que nous considérons comme les principaux freins aux politiques d'intégration.

Lorsque nous parlons de demande d'asile, nous avons souvent l'image frappante et inhumaine des alignements de tentes aux portes de Paris, qui sont régulièrement médiatisés. Le communiqué du Défenseur des droits publié la semaine dernière rappelle que l'absence de solution d'hébergement pour tous constitue une atteinte aux droits humains. Nous sommes en France confrontés à l'indignité des conditions d'accueil d'une partie des demandeurs d'asile. Ce sujet croise celui de nombreux migrants dépourvus du droit au séjour en France. Deux sujets très imbriqués qui appellent des réponses différentes. Je me concentrerai sur le premier, le titre de la demande d'asile, notre cœur de métier.

France Terre d'asile est notamment responsable d'une maraude cofinancée par l'État et la ville de Paris, qui poursuit une double mission d'information des publics dans la rue et de compréhension des campements, leur localisation et leur composition. Nous constatons au sein de ces campements tout type de public : des primo-arrivants, des demandeurs d'asile, des « Dublinés », ainsi que des bénéficiaires de la protection internationale avec un titre de séjour de 10 ans.

Le premier point sur lequel nous voulons insister est la question de l'accès à la procédure de demandeurs d'asile. Le droit prévoit que les personnes qui arrivent sur le territoire français disposent de trois mois pour initier une démarche de demande d'asile, puis les préfectures doivent dans un délai de trois jours proposer un rendez-vous au guichet unique de la demande d'asile. Les droits des personnes sont-ils respectés pour l'accès à la procédure ? Durant de nombreuses années, les délais d'attente ont été extrêmement longs entre le premier accueil dans les structures du premier accueil des demandeurs d'asile (SPADA) et le guichet unique des préfectures en raison du manque d'effectif.

En raison de la crise sanitaire, les flux d'arrivée de demandeurs d'asile a fortement diminué en France. Le délai de trois jours est désormais respecté partout, sauf en Ile-de-France. Il se pose une question fondamentale sur l'accès à la procédure de demande d'asile dans cette région. L'accès à la procédure en Ile-de-France ne passe plus désormais par un numéro de téléphone pour obtenir un rendez-vous. Ce mécanisme a été mis en place après des années de files d'attente très longues et de la violence. Le fonctionnement de la plate-forme conduit à ce que le nombre de personnes prises au téléphone est dimensionné à hauteur du nombre de rendez-vous que la préfecture peut donner. Cette situation ne permet pas de savoir combien de personnes souhaitent demander l'asile quotidiennement en Ile-de-France. La demande d'asile est proportionnée à la capacité de la préfecture de police à accueillir les personnes en guichet unique. Je ne peux vous dire si le droit est respecté et si le délai de traitement en trois ou dix jours est respecté.

En outre, les campements et les accueils de jour témoignent d'un délai de plusieurs semaines avant de joindre cette plate-forme téléphonique. La présence à la rue de nombreux migrants nourrit une forme de ressentiment d'une partie de la population, mais la question de l'augmentation des moyens de la Préfecture de police pour absorber la réalité de la demande d'asile nous semble indispensable et incontournable.

Lorsque nous entrons dans le dispositif national d'accueil, c'est-à-dire le mécanisme de l'hébergement, les textes européens découlant de la convention de Genève prévoient que les Etats offrent des conditions de vie dignes aux personnes durant toute la procédure. En France, l'hébergement dans un centre d'accueil dédié dans un établissement médicosocial, avec des personnes qui accompagnent les demandeurs d'emploi dans toutes leurs démarches, est devenu la norme.

La loi prévoit que si l'Etat ne peut proposer d'hébergement, une majoration de l'aide prévue pour les demandeurs d'asile d'environ 200 euros par mois est alors accordée. Cette somme est insuffisante pour compenser l'absence d'hébergement. Le système de demande d'asile n'est pas indécent, mais il est profondément inégalitaire. Les personnes prises en charge, hébergées et accompagnées, le sont plutôt bien. Nous pouvons nous féliciter de la manière dont ce secteur associatif accompagne, s'investit et prend en charge les personnes. Les moyens consacrés par l'État sont conséquents, même s'il faut accomplir de nombreux progrès.

Comment pourrions-nous faire pour que tout le monde entre dans ce système et bénéficie d'une condition d'hébergement digne ? Nous considérions avant la crise sanitaire qu'un demandeur d'asile sur deux n'était pas hébergé en France. Aujourd'hui, beaucoup trop de demandeurs d'asile ne bénéficient pas d'une prise en charge de qualité. Nous les retrouvons dans les campements et les hôtels.

L'Etat a fait de nombreux efforts. De nombreuses places ont été ouvertes au cours des dernières années en centre d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA) et dans les centres d'accueil et d'examen de la situation (CAES) qui ont été récemment créés. La loi Asile et immigration de 2018 a été appliquée au début de l'année 2021 avec l'organisation d'un schéma national des demandeurs d'asile et des réfugiés. Ce schéma vise principalement à mettre en place une répartition des demandeurs d'asile avec un hébergement à la clé sur tout le territoire. Nous portons cette proposition depuis de nombreuses années. Le déséquilibre en matière d'accueil des demandeurs d'asile entre l'Ile-de-France et le reste du pays est très dommageable, pour les demandeurs d'asile, mais aussi pour Paris dont les capacités d'accueil ne sont pas proportionnées aux besoins.

Nous sommes favorables à la mise en place d'une solidarité nationale et à l'orientation des personnes en région avec un hébergement à la clé. Nous continuons de plaider pour une augmentation du parc d'hébergement des demandeurs d'asile, notamment en Ile-de-France. L'année 2021 ne sera pas relativement calme malgré la crise sanitaire, et vous entrerez prochainement dans les débats relatifs au PLF de 2022.

Nous rencontrons un problème avec les personnes « dublinées ». France Terre d'Asile est très critique vis-à-vis du pacte européen qui ne résout pas l'impact de l'accord de Dublin sur l'errance de nombreuses personnes. Il faut intégrer les étrangers et les demandeurs d'asile dès le premier jour de leur arrivée sur le territoire, en leur proposant l'enseignement de la langue française dès le premier jour. Nous pourrions aussi parler de santé mentale et d'accès aux services des préfectures. Les enjeux du numérique sont aussi très importants pour nous.

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Nous poserons des questions à l'issue des autres présentations. Il est intéressant d'entendre que le système d'asile n'est pas indécent, mais inégalitaire. De nombreux commissaires partagent vos inquiétudes concernant une stratégie européenne de l'asile. Nous passons à l'audition des représentants d'Amnesty International France avec Sofia Dagna, chargée de plaidoyer migrations et discrimination, et Jean-Claude Samouiller d'Amnesty International.

Sofia Dagna et Jean-Claude Samouiller d'Amnesty International prêtent serment.

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Jean-Claude Samouiller, Amnesty International

Nous voulons vous remercier d'avoir bien voulu auditionner Amnesty International France dans le cadre de cette commission d'enquête sur les migrations. Nous n'avons eu de cesse de réclamer cette commission d'enquête avec d'autres associations. L'action d'Amnesty International se fonde sur le droit international et celui-ci ne cesse d'être bafoué en matière de migration et d'asile par nombre de pays, dont ceux composant l'Union européenne et dont la France.

Depuis des années, nous dénonçons les entraves qui sont faites aux personnes dans l'accès à la procédure d'asile. Depuis des années, nous dénonçons les violations du principe de non refoulement, qui interdit de renvoyer des personnes dans des pays où elles risquent leur vie ou des mauvais traitements, les accords passés avec des Etats qui ne respectent pas les droits humains, telles que la Turquie et la Lybie, et les atteintes aux droits fondamentaux des personnes présentes sur notre territoire, quel que soit leur statut administratif, c'est-à-dire le droit à la santé, le droit à l'éducation et le droit à un hébergement digne. Je laisse la parole à Sofia qui va vous exposer nos principaux points de vigilance et d'alerte.

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Sofia Dagna, Amnesty International

Amnesty International France et d'autres organisations partenaires dont la Cimade, Médecins du Monde ou le Secours catholique, constatent des violations des droits humains aux frontières intérieures et extérieures. Le rapporteur de l'ONU sur les droits des personnes migrantes a été saisi sur ce sujet. Les voies juridiques aussi ont été utilisées de nombreuses fois pour défendre les droits de ces personnes.

La situation demeure très alarmante. La mise en place de cette commission est plus que bienvenue et il est urgent de trouver des solutions et d'en finir avec cette attente. Dans le cadre de cette intervention, je vais parler du parcours migratoire des personnes migrantes. Je vous invite à imaginer ce que vivent aujourd'hui ces hommes, ces femmes et ces enfants. Je donnerai un éclairage sur la situation de violation des droits et sur les obligations de l'Europe et de la France au regard du droit européen et international. En tant que membres de la représentation nationale, vous avez des obligations dans l'application du cadre législatif.

Je me concentrerai sur la Lybie, le passage par la Méditerranée centrale ou encore les situations à la frontière entre la Grèce et la Croatie. Comme vous les savez, la Libye est une étape dans la vie migratoire des personnes migrantes. C'est un pays où elles vivent un enfer comme nous avons pu le documenter dans plusieurs rapports rédigés par Amnesty.

Dans un rapport rédigé en 2020, nous avons documenté de graves violations des droits, dont des tortures, de mauvais traitements et d'autres violences. Nous sommes aussi en train de finaliser une recherche sur les centres de détention officiels vers lesquels ces personnes sont renvoyées après avoir été interceptées et débarquées en Libye. Cette enquête montre des pratiques d'abus systématiques même dans des centres qui sont nouvellement ouverts.

Les personnes migrantes empruntent la route migratoire la plus mortelle au monde par la Méditerranée centrale. Le HCR considère qu'entre 2017 et 2020 environ 8 000 personnes sont décédées ou portées disparues. Vous avez vraisemblablement en tête des images de femmes, d'hommes et d'enfants qui meurent en mer Méditerranée. Nous estimons que l'Europe laisse faire et détourne le regard de ces situations terribles.

Je voudrais aussi attirer un moment votre attention sur le fait qu'il y a eu une baisse des arrivées des personnes migrantes en Espagne, en Grèce et en Italie. Selon le HCR, il y a eu en 2018 50 000 arrivées, puis 123 000 en 2019, 95 000 en 2020 et au 30 mai 2021, il y avait environ 28 000 arrivées. Ce ne sont pas moins de personnes en détresse qui voient leurs droits bafoués. Derrière ces chiffres, il y a des personnes.

La coordination des opérations de recherche est uniquement portée par les garde-côtes libyens. En raison des capacités de ces garde-côtes qui sont financés par l'Union européenne par de la formation ou encore le don d'équipement, de plus en plus de personnes migrantes sont interceptées et renvoyées dans des centres de détention, exposées à des violations de droits humains.

L'Italie, ainsi que d'autres États membres, ont largement retiré leurs moyens navals en laissant ces personnes à la merci des garde-côtes libyens. Il ne faut pas oublier que les États membres ont entravé les actions des bateaux de sauvetage. Par exemple, en 2020, durant de longues périodes, aucun bateau de sauvetage ne circulait en mer. Cette situation a mis en danger beaucoup de personnes.

Amnesty considère que l'Europe collabore avec la Libye. Les personnes migrantes sont laissées à la merci de ses garde-côtes. La croissance du nombre de morts et l'augmentation du nombre de personnes détenues en Libye sont les résultats des décisions politiques européennes qui donnent la priorité au contrôle aux frontières au détriment de la vie et de la dignité humaine.

Nous dénonçons depuis de nombreuses années la non action des Etats européens et leur collaboration avec la Libye qui doit s'arrêter. La Méditerranée centrale est devenue une zone de non droit.

D'autres pays comme la Grèce et la Croatie ont des pratiques qui portent également atteinte aux droits humains. Nous avons recensé depuis 2013 des cas de refoulement et de renvois forcés illégaux, qui sont parfois très violents, de personnes qui passent par des pays comme la Grèce, l'Italie, Malte ou encore la Croatie. Amnesty considère que cette gestion des frontières extérieures présente des manquements graves en termes de protection et de responsabilités concernant l'arrivée de ces personnes en quête d'aide et de sécurité, en violant le droit international et notamment les principes de non refoulement.

Des images ont été filmées de garde-côtes grecs qui font des trous dans les canots pneumatiques pour empêcher les personnes de rejoindre les côtes grecques. Ce sont de graves violations des personnes migrantes, qui les mettent en danger de mort.

L'Union européenne abandonne ces personnes et les demandeurs d'asile. Selon Amnesty, la France doit s'engager pour la relocalisation des demandeurs d'asile. Par exemple en Grèce, l'année dernière un incendie a ravagé le camp de personnes migrantes de Moria : cet incident a laissé sans abri 13 000 personnes.

C'est selon nous le symbole d'une politique européenne désastreuse et très dangereuse. De nombreuses autorités comme le HCR ou encore le Parlement européen ont exprimé leurs préoccupations quant à ces violations de droits. Nous sommes en train aussi de finaliser notre enquête, que je pourrai partager le moment venu, sur la frontière entre la Grèce et la Turquie, qui montre que les refoulements auraient lieu dans des zones Frontex opérationnelles.

Ces résultats confirment que les équipes de Frontex devraient cesser de fermer les yeux et mettre en place des règlements efficaces de contrôle pour empêcher que ces violations aient lieu. Frontex est aussi présente à la frontière entre Croatie et Bosnie, et aide à détecter les personnes en train de franchir la frontière. Amnesty a documenté la façon très violente dont les autorités croates refoulent les personnes aux frontières de manière très violente.

La France comme les autres pays de l'Union européenne est liée par l'obligation d'assurer le respect des droits humains et du droit international. La France doit exiger le respect du droit international et mettre fin à toute coopération avec des pays comme la Libye qui ne place pas les droits humains au centre de ses préoccupations.

La France comme l'Union européenne en général doivent assurer des voies légales pour ces personnes, leur permettant d'exercer leurs droits. Nous demandons aussi des enquêtes indépendantes sur les abus signalés par exemple en Croatie, ou la mise en place d'un mécanisme de contrôle efficace pour garantir que les fonds de l'Union européenne sont bien utilisés pour respecter les droits humains.

Dans le cadre de notre travail sur le pacte européen sur l'immigration et l'asile présenté en septembre 2020, nous préconisons entre autres un mécanisme de contrôle indépendant et efficace à mettre en place dans le cadre du droit communautaire.

Je voudrais parler à présent de la France. Nous avons documenté avec d'autres organisations de nombreuses situations dans lesquelles les droits des personnes migrantes ne sont pas respectés et qui portent atteinte au droit d'asile.

Selon nous, les contrôles migratoires priment sur tout autre objectif de la part du Gouvernement. Les points de passage autorisés à la frontière franco-italienne sont bloqués par le déploiement des forces de l'ordre et de nombreux militaires pour réaliser les contrôles. Le Gouvernement a récemment annoncé l'augmentation de 2 400 à 4 800 unités aux frontières.

À la frontière franco-italienne, nous avons relevé des pratiques communes, notamment des pratiques policières qui s'affranchissent du cadre juridique national et international comme le refoulement ou le non accès aux procédures d'asile, le refoulement de mineurs isolés sans que leur statut d'enfant ne soit pris en compte, l'absence de dispositif d'accueil humanitaire adapté.

À Calais, vous avez sans doute noté les images de destruction des biens et des affaires des personnes migrantes, les forces de l'ordre utilisent des méthodes brutales.

Se pose aussi la question de la criminalisation des aidants. Le 8 juillet 2020, le Conseil d'État a confirmé ce que des associations comme la Cimade, Médecins du monde et le Secours catholique dénoncent depuis des années, à savoir que le ministère de l'intérieur bafoue le droit d'asile à la frontière avec l'Italie.

Une autre décision du Conseil d'État en juin dernier a conclu que le renvoi vers l'Italie d'une femme et de son enfant sans que leur demande d'asile ait été enregistrée, constituait une violation du droit de déposer une demande d'asile.

La France doit s'assurer que tous les demandeurs d'asile aient accès à l'information sur leurs droits à une procédure d'asile équitable et efficace, et s'abstenir de renvoyer illégalement des ressortissants étrangers, en Italie par exemple.

Pour terminer, nous avons aussi alerté sur des cas d'expulsion illégale, notamment d'un ressortissant tchétchène vers la Russie où il risquait d'être torturé et soumis à de mauvais traitements. Nous considérons que la France a violé le droit international. Cette décision a été prise en dépit de trois décisions juridictionnelles contraires et du droit international.

Nous constatons une répétition de ce type de cas. Par le passé, nous avons aussi alerté sur le renvoi de ressortissants afghans. Nous avions demandé un moratoire concernant les renvois directs.

Le Danemark, qui auparavant était pionnier dans la protection des personnes migrantes, vient d'adopter un projet de loi permettant de renvoyer les migrants et les demandeurs d'asile en dehors d'Europe. Nous avons dénoncé la révocation du statut de réfugiés de Syriens qui risquent la torture et de mauvais traitements une fois en Syrie. Selon le Danemark, la Syrie est un pays sûr, ce qui est loin d'être le cas.

Un sujet important est la question de la réinstallation, mécanisme de protection crucial pour les réfugiés les plus vulnérables. C'est la seule solution qui consiste à transférer des réfugiés d'un pays d'asile vers un autre Etat qui accepte de leur offrir une protection pérenne. La réinstallation est basée sur des critères de vulnérabilité, lorsque la protection juridique et physique ne peut pas être assurée et garantie dans le pays d'accueil. La France doit s'engager à accélérer la réinstallation dans ce sens.

Les positions prises par les pays européens sont contraires à leurs engagements internationaux et constituent une grave atteinte aux droits des personnes migrantes. La France a joué un rôle comme promoteur de la protection de ces droits, et les représentants de la Nation doivent être garants de la protection de ces droits.

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Je rebondis sur vos constats très circonstanciés et précis, qui nous sont précieux. Je rappelle que cette commission d'enquête est une réponse à des sollicitations répétées de citoyens réunis au sein d'associations, dont Amnesty, Médecins sans Frontière, Médecins du Monde, la Cimade ou le Secours catholique. De nombreuses personnes sont très sensibles à cette question de la viabilité de l'accueil.

Je me tourne vers la Cimade représentée par son président Henri Masson et Sarah Belaisch, directrice des pôles nationaux.

M. Henri Masson et Mme Sarah Belaisch prêtent serment.

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Henri Masson, Cimade

J'associe la Cimade aux remerciements formulés par les autres associations. La relation ancienne que nous entretenons avec la représentation nationale nous a toujours montré l'importance des auditions comme celle que vous pratiquez aujourd'hui.

La Cimade est née en octobre 1939 dans les camps qui accueillaient les personnes déplacées d'Alsace Lorraine et du nord de la France. Ces camps ont accueilli tous les indésirables de l'époque, c'est-à-dire des réfugiés allemands antinazis et principalement des juifs. Aujourd'hui, le contexte est différent mais la Cimade reste fidèle à son histoire en défendant la dignité et les droits des personnes étrangères. La Cimade regroupe environ 3 000 bénévoles et 120 salariés répartis entre cent groupes locaux sur le territoire métropolitain et ultramarin.

Nous recevons lors d'une année normale environ 150 000 personnes étrangères pour les accompagner et éventuellement les conseiller. Sarah Belaisch évoquera les points qui nous soucient et sur lesquels nous souhaitons attirer l'attention de votre commission. Nous pourrons les développer, par écrit si vous le souhaitez, et évoquer des solutions.

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Sarah Belaisch, Cimade

Je commencerai par les difficultés d'accès aux préfectures et à la dématérialisation des procédures. Cette dématérialisation devrait représenter une opportunité en termes de simplification et d'amélioration de l'accès au service public, en évitant les longues files d'attente. Mais le numérique est un mur qui sépare les usagers et prive les personnes de tout accès à un interlocuteur qui pourrait les informer et les conseiller. Les procédures de demande d'asile sont extrêmement complexes. Dans certains cas, les personnes sont victimes de la fracture numérique. Dans la plupart des situations, les difficultés des usagers sont liées à la saturation des plannings.

La Cimade a créé il y a quelques années un robot qui interroge les plages de rendez-vous disponibles dans les préfectures. Dans certaines préfectures, le robot évoque l'impossibilité de prendre rendez-vous dans près de 100 % des cas. La dématérialisation apparaît aujourd'hui comme un système de tri des personnes qui sollicitent un titre de séjour. Les personnes sans papier sont les plus touchées par cette situation, maintenues à distance de la procédure de régularisation parfois durant une année. La fermeture des guichets fabrique des sans papier : des personnes perdent le renouvellement de leur titre de séjour du fait de l'incapacité du service public à respecter ses obligations légales.

La dématérialisation ne doit pas être imposée aux usagers et aux usagères. Des modalités alternatives doivent toujours être proposées, conformément à la jurisprudence du Conseil d'État. La possibilité de saisir l'administration par voie électronique doit permettre d'accueillir les personnes qui en ont besoin dans de meilleures conditions. Elle ne doit pas justifier la fermeture des portes des préfectures.

Les mineurs sans parent dans le territoire français sont placés en situation de danger. Les mineurs isolés sont trop souvent exclus du système de la protection de l'enfance. Par exemple, ils sont trop rarement mis à l'abri en attendant l'évaluation de la situation d'isolement et de la minorité.

La phase d'évaluation est aussi l'occasion de nombreux dysfonctionnements. Les documents d'état civil sont très souvent contestés alors que la communauté scientifique s'accorde sur le manque de fiabilité des méthodes utilisées. L'accompagnement des jeunes reconnus mineurs est souvent défaillant en termes d'accompagnement vers la scolarisation ou pour demander un titre de séjour à la majorité, qui est pourtant prévu par la loi. Que ce soit au niveau des départements ou des préfectures, de nombreuses pratiques empêchent les mineurs de bénéficier de la protection que leur situation exige, ce qui les laisse trop souvent à la rue.

Je passerai ensuite à la politique d'expulsion. Le Gouvernement a poursuivi la politique d'expulsion malgré le contexte sanitaire de 2020 et 2021. La rétention ne doit avoir pour seul objectif que de préparer l'expulsion des personnes, expulsion qui a été rendue impossible pour de très nombreuses nationalités. Les placements ont néanmoins continué. 970 ressortissants algériens ont été placés en rétention en 2020, dont 6 ont été expulsés, ce qui ressemble à une forme d'acharnement. Cette situation a été dénoncée par les autorités administratives indépendantes, des parlementaires et des associations qui ont demandé la fermeture de ces centres, dont la finalité était remise en question, et aussi en raison du risque de contamination au Covid. Cette demande n'a pas été entendue. Cette course à l'expulsion engendre de nombreuses violations des droits des personnes exilées, qui sont sanctionnées par les juges. En 2020, ils ont libéré 42 % des personnes enfermées, estimant que les procédures étaient illégales.

L'enfermement des enfants dans les CRA reste un sujet de préoccupation. 122 enfants étaient enfermés dans les CRA en 2020. La France a été condamnée à six reprises par la CEDH pour des traitements inhumains et dégradants. Les Nations Unies recommandent de cesser cette pratique abandonnée par de nombreux pays.

Enfin, la politique d'expulsion se caractérise par une politique de bannissement avec des interdictions automatiques de retour en France, qui ont des conséquences dramatiques. Elles empêchent des personnes d'accéder à un titre de séjour, quand bien même leur situation aurait évolué. Une personne devenant parent d'enfant français ne pourra accéder à un titre de séjour au motif d'une ancienne interdiction de retour. Ces personnes sont condamnées à vivre à vie dans la clandestinité. La France est championne d'Europe de la prononciation de l'obligation de quitter le territoire français avec 130 000 mesures en 2019.

En ce qui concerne les difficultés d'accès au droit des personnes étrangères incarcérées, celles-ci se trouvent confrontées à des difficultés spécifiques. La première est l'obstacle du renouvellement d'un titre de séjour ou du dépôt de la demande d'asile. Les pratiques préfectorales empêchent souvent l'examen du titre d'une demande de séjour en détention, ce qui est une pratique illégale. Les personnes qui entrent en prison avec des papiers peuvent donc en ressortir sans papier. À la fin de l'incarcération, il est souvent trop tard. Il est fréquent que l'administration notifie une obligation de quitter le territoire français quelques jours ou quelques heures avant la libération, mesure impossible à contester sous 48 heures comme cela est prévu par la loi. La police accueille la personne à sa sortie de prison pour l'expulser. La prison devrait être un lieu d'amendement et de réinsertion. Les personnes étrangères continuent de subir cette double peine contraire au principe d'égalité.

Je finirai par le droit dérogatoire applicable en outremer, particulièrement à Mayotte. Ce ne sont pas les mêmes droits que dans les autres territoires de la République. Cette différence de traitement a des conséquences très importantes en matière de refoulement et d'exclusion. La plupart des personnes sont expulsées avant d'avoir eu accès à un juge. En effet, ces territoires n'offrent pas de recours de plein droit suspensif contre une décision d'expulsion. En outre, la célérité avec laquelle les expulsions sont effectuées est très impactante. La durée moyenne de rétention s'élève à 17 heures à Mayotte, contre 17 jours en métropole. Durant ce délai, il est presque impossible de saisir le juge. Le président du tribunal administratif de Mayotte considère que 5 % des obligations de quitter le territoire sont soumises à son contrôle. L'impunité avec laquelle agit la préfecture est d'autant plus préoccupante que des violations manifestes des droits sont mises en lumière lorsque le juge intervient. En 2019, le juge a signé 51 ordonnances demandant le retour aux frais de l'Etat de personnes expulsées illégalement.

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Je vous remercie. Je retiens de cette dernière intervention la question très spécifique de Mayotte. La Guyane connaît des problématiques assez fortes également.

122 enfants ont été accueillis en CRA ou centres de rétention administratif. La France peut-elle fonctionner autrement au XXIe siècle ?

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Je suis ravie d'accueillir la Cimade et Amnesty International, avec lesquels je travaille beaucoup pour l'Egypte, et France Terre d'asile. Votre présence a énormément de valeur pour nous. Nous avons commencé par entendre les personnes qui doivent et peuvent orienter nos travaux. C'est vous dire l'importance que vous avez dans le système d'asile et d'intégration.

Nous souhaitons demander des précisions. Nous avons décidé d'écouter et d'entendre dans le cadre de cette commission d'enquête le parcours de différents migrants. Nous serons demain à Calais où nous en rencontrerons d'autres. Vous êtes situés en face de ces migrants. Vous leur offrez une protection et vous permettez la protection de leurs droits fondamentaux.

J'ai passé du temps à Mayotte qui est une prison à ciel ouvert. Mayotte est un territoire qui a besoin d'un plan Marshall. Ce qui s'y passe dépasse tout ce qu'on peut imaginer. Les enfants ne mangent pas à la cantine, mais à la soupe populaire et ils dorment dans des carcasses de voiture. Le racisme entre les ethnies de cette île constitue une bombe à retardement. Nous avons tous ici conscience de la situation catastrophique de l'immigration, de l'asile et de l'intégration presque absente à Mayotte. Pour l'ensemble de ces raisons, je propose de mettre de côté la question de Mayotte avant d'y revenir peut-être plus tard.

Vous avez aussi parlé de la Libye. Je remercie Sofia Dagna pour son intervention. Je veux bien couper les relations avec tous les pays qui ne respectent pas les droits de l'homme, mais, en tant que spécialiste du Moyen Orient, je vous assure que nous ne parlerons plus à personne. Je tiens ce propos en toute responsabilité. En tant que présidente du groupe d'amitié France-Egypte, je me bats, et ce n'est pas simple. J'essaie d'avancer en essayant de trouver des solutions « smarts » tout en conservant nos valeurs.

Vous avez détaillé la partie relative à l'accompagnement juridique des migrants et dressé le bilan du droit d'asile en France. J'aimerais des précisions sur les problématiques majeures auxquelles vous êtes confrontés. Que peut-on faire pour vous aider dans vos missions d'accompagnement ? Pouvez-vous les résumer ?

Vous avez parlé de Grèce, d'Italie et d'Espagne, où les migrants s'arrêtent à présent avec ce qui se passe en Amérique latine. Pouvez-vous présenter des mauvais, mais aussi de bons exemples dont nous pourrions nous inspirer en tant que députés ?

Vous avez beaucoup parlé du mur entre les migrants et l'administration française. Comment jugez-vous l'accès aux besoins essentiels, à l'alimentation, au logement, aux soins et à l'éducation, pour les migrants et les demandeurs d'asile ? Merci et bravo.

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Je vous invite à répondre à ces questions en fonction de votre domaine d'intervention.

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Delphine Rouilleault

En ce qui concerne l'accompagnement juridique, il faut continuer d'augmenter le nombre de places. Cette évolution est indispensable. Le second sujet concerne le contenu de l'accompagnement. Nous avons besoin que les centres d'accueil pour les demandeurs d'asile enseignent le français dès le premier jour et que l'accès à internet soit offert dès le premier jour dans les appartements occupés par les demandeurs d'asile. À l'heure actuelle, l'État est libre d'accepter ou de refuser l'équipement des logements en Wifi, malgré le besoin des migrants. Ces équipements importants permettent ensuite d'accélérer l'accès à un emploi, un logement, etc.

Le dernier sujet concerne l'accès aux titres de séjour qu'il faut faciliter. Les personnes qui obtiennent la protection internationale mettent parfois beaucoup de temps à obtenir leur titre de séjour. L'accès au logement suppose d'obtenir des papiers. Or certaines personnes attendent plus de six mois pour un titre de séjour, ce qui génère des situations de précarité très forte. Les efforts d'accompagnement se retrouvent réduits à néant par la barrière du titre de séjour. Cette situation absurde est contre-productive. La gestion du dispositif MNA est également un problème majeur.

Un point me semble problématique : nous connaissons de nombreuses situations mixtes. Des enfants obtiennent le statut de réfugié, par exemple des petites filles menacées d'excision dans leur pays d'origine, alors que les parents peuvent attendre un an pour être régularisés sur le territoire. Dans cette situation, la mère ne peut demander l'hébergement en logement social, quand bien même sa fille est réfugiée.

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J'invite les représentants d'Amnesty International à se prêter au même exercice.

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Jean-Claude Samouiller, Amnesty International

Nous demandons la mise en place de moyens sûrs et légaux pour que les personnes puissent déposer la demande d'asile, qui correspond à un droit octroyé aux personnes par la ratification de la convention de Genève. Ces personnes doivent avoir la possibilité de déposer cette demande. Elles ne doivent pas risquer leur vie, la torture et de tomber dans les mains des trafiquants et passeurs. Nous demandons la réinstallation des réfugiés les plus vulnérables. Le HRC demande 1,4 million places de réinstallation pour 100 000 places fournies, dont 1 200 par la France pour un engagement de 10 000 en deux ans. Nous sommes très éloignés des demandes du HCR.

Un second moyen légal de dépôt de demande d'asile est la réunification familiale. Il faut élargir les moyens de réunification familiale et faire venir la famille des personnes qui ont le statut de réfugiés.

Le troisième moyen est la délivrance de visas humanitaires pour que les gens n'aient pas à risquer leur vie pour faire valoir leur droit à une vie sécurisée et une protection internationale.

Il ne faut pas conclure d'accord avec les pays qui ne respectent pas les droits fondamentaux. Amnesty International n'est pas contre des accords avec un certain nombre de pays du pourtour de l'Union Européenne, mais contre le fait de signer des accords avec la Turquie. Après l'accord de 2016, des Syriens qui se situaient en Turquie ont été refoulés en Syrie. La Libye est pire que tout. Il n'y a plus d'Etat central. Des chefs de guerre se partagent le territoire. L'Etat français a failli offrir 6 Zodiac pour ramener les migrants en Libye avant, heureusement, de se désister. Il ne faut pas signer des accords avec des chefs de guerre. Les migrants rapportent plus que la drogue en Turquie. Les migrants sont exploités. Nous avons vu sur CNN des images de ventes d'esclaves en Libye. Nous ne pouvons pas accepter que l'Union Européenne et la France participent à cette indignité.

Le non refoulement nous paraît très important. Une personne en droit de demander l'asile ne doit pas être refoulée. Une personne déboutée de l'asile ne doit pas être envoyée dans un pays où elle risque la torture, la mort ou les mauvais traitements. Ce principe va au-delà de la convention de Genève. Même les pays non signataires de cette convention ne peuvent pas le faire. La Chine n'a pas signé la convention de Genève, mais n'a pas le droit de refouler des personnes en Corée du Nord. Ce principe est intangible. Il y a quinze jours, la France a renvoyé un Tchétchène en Russie. Nous ne savons pas ce qu'il est devenu. Nous n'avons plus de nouvelles de cette personne depuis le 21 avril. Nous sommes très inquiets pour la vie de cette personne. Nous ne pouvons tolérer cette situation que nous ne cesserons de dénoncer.

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Henri Masson, Cimade

Un point fondamental concerne les conséquences de la dématérialisation. Nous ne pouvons continuer d'avoir des parcours de personnes se heurtant à un mur technique.

Nous sommes la seule association présente à suivre des personnes étrangères en rétention. Ce sujet est extrêmement important. Il y a eu des modifications et des trajets extrêmement rapides en sortant de prison vers le centre de rétention avant l'expulsion, ce qui constitue un non-respect des droits. Il est important de lutter contre ce phénomène.

Enfin, un point important concerne l'accélération et la simplification des processus. Nous consacrons beaucoup d'argent et de temps à traiter des dossiers dans des conditions qui ne permettent pas d'aller vite. Lorsque nous demandons à une personne étrangère de prouver qu'elle est en France depuis dix ans et qu'un fonctionnaire zélé demande à cette personne de justifier mois après mois sa présence en France, cette situation constitue une perte de temps.

Enfin, nous demandons l'abandon des nombreux contrôles exercés à l'égard de personnes étrangères et de la suspicion systématique. Il ne faut pas imaginer que les personnes présentant une demande d'asile cherchent à frauder. Des accords avec des pays permettraient de valider ces documents sans avoir à les écarter systématiquement.

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Sarah Belaisch, Cimade

Je m'arrêterai sur les besoins essentiels du logement et de l'accès au soin. Seule la moitié des demandeurs d'asile est hébergée malgré des créations de places très importantes au cours des dernières années. Les personnes sans papier et déboutées de l'asile sont exclues de fait et non en raison du droit de l'accès à l'hébergement d'urgence. Des campements se constituent ; Ils sont évacués quotidiennement ou périodiquement dans des conditions extrêmement violentes, avec la destruction des maigres effets que les migrants ont réussi à conserver.

Les dernières réformes de la protection universelle et de l'aide médicale d'État ne vont pas dans le bon sens. Elles provoquent un retard dans l'accès aux soins. Les pathologies non soignées s'aggravent, ce qui génère aussi un risque de contamination. Du point de vue financier, cette situation ne permet pas de réaliser des économies, car les soins coûtent plus cher faute de prise en charge avant que la maladie ne s'aggrave. Cette réforme de la protection universelle est un affichage politique inefficace en termes de santé individuelle, publique, et des finances de l'État.

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Je remercie les trois associations pour les éléments très précis qu'ils nous ont délivrés. Madame Delphine Rouilleault, vous rappelez qu'un demandeur d'asile sur deux n'a pas accès à l'hébergement d'urgence. Le directeur général de l'OFII rappelait que le nombre de places d'hébergement a évolué de 43 000 à 105 000 places en cinq ans. Le nombre de demandeurs d'asile n'a pas fondamentalement évolué au cours de ces années. La situation se détend-elle ? Le directeur général de l'OFII milite pour une levée de l'anonymat pour appréhender la situation sociale des personnes hébergées et les orienter vers un hébergement plus pérenne, avec la collaboration des collectivités territoriales. Je souhaite votre point de vue sur cette question de l'anonymat.

En ce qui concerne la Cimade, pouvez-vous revenir sur le sujet de la dématérialisation ? Votre préconisation est-elle de mettre en place une dématérialisation optionnelle ? Quelles sont vos propositions pour éviter les files d'attente interminables et la situation actuelle que vous critiquez ? Quelle est la bonne combinaison à trouver entre les deux systèmes ?

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Delphine Rouilleault

Je ne pense pas que nous connaissons la même tension sur le dispositif national d'accueil qu'il y a quelques années, mais les procédures ont été allongées par la crise sanitaire. La demande d'asile a très largement augmenté au cours des dernières années. Les 100 000 places du DNA sont conséquentes, mais il y avait 140 000 demandeurs d'asile avant la crise sanitaire. La durée de leur hébergement est très longue en fonction des délais d'instruction et du temps d'obtenir le statut. Je ne sais si le taux d'un demandeur d'asile hébergé sur deux est conforme à la réalité, mais l'augmentation des places a simplement permis d'absorber l'augmentation rapide de la demande d'asile, notamment en 2018 et 2019.

La question de l'anonymat ne concerne pas les associations comme France Terre d'Asile. Vous faites référence au débat entre le secteur associatif et l'État, qui a voulu demander aux associations gérant les centres d'hébergement d'urgence la liste des personnes hébergées dans les centres. Je vous invite à interroger les associations sur ce sujet. Cette dimension percutait la notion d'hébergement inconditionnel et le besoin de sécurité des personnes hébergées de ne pas être sollicitées par les services de l'État au titre de leur statut administratif. Les travailleurs sociaux des centres d'hébergement d'urgence accompagnent les personnes présentes dans ces établissements. Je ne suis pas certaine que la levée de l'anonymat soit une garantie de l'amélioration de leur prise en charge.

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Sarah Belaisch, Cimade

Il y a de plus en plus de contrôles dans les dispositifs d'hébergement afin de vérifier la situation administrative des personnes et de les orienter vers les lieux susceptibles de les accueillir, l'hébergement pérenne ou le centre de rétention. Cette tendance est très dissuasive. Certains préfèrent se passer d'un hébergement plutôt que d'y être contrôlés. Ces contrôles sont contraires aux missions des travailleurs sociaux qui sont incités à donner des informations sur les personnes qu'ils accompagnent. Il faut une confiance pour se livrer dans le cadre d'un accompagnement de qualité.

Nous proposons des solutions alternatives à la dématérialisation. La solution alternative n'est pas de ne pas dématérialiser, mais nous critiquons que dans de nombreuses préfectures, cela soit seul moyen d'accéder à l'administration. Les procédures sont extrêmement complexes. Il est important d'avoir un interlocuteur pour faire le point sur les situations administratives. Nous n'avons plus accès à un interlocuteur en préfecture. En outre, les moyens étant insuffisants, les plages de rendez-vous sont complètes, parfois durant une année. Les personnes ne parviennent pas à obtenir les rendez-vous qui constituent pourtant le sésame pour entrer dans la procédure.

Il se pose peut-être un problème de moyens, mais surtout un problème quant à la manière dont les moyens sont occupés par les agents des préfectures qui mettent en place des procédures d'une complexité immense, avec des vérifications sans fin et des délais d'instruction extrêmement importants. Nous demandons une simplification des procédures. Le nombre de catégories de titres de séjour en France est totalement extravagant. Les agents des préfectures éprouvent des difficultés à s'y retrouver, d'autant plus que le droit est extrêmement mouvant pour les demandeurs d'asile. Par ailleurs, l'obtention d'un titre de séjour n'est pas une formalité, mais une obligation.

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Je vous remercie pour ces échanges qui s'inscrivent pleinement dans nos travaux. Nous nous rendrons demain à Calais. Il était important selon moi d'échanger préalablement avec vous. Je vous remercie d'avoir participé aux travaux de notre commission d'enquête.

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Jean-Claude Samouiller, Amnesty International

Nous vous remercions de nous avoir écoutés.

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Sonia Krimi rapporteure

Nous nous battons tous avec nos moyens. C'est une bonne façon de terminer notre journée après avoir entendu tout ce que vous faites pour les migrants. Je vous remercie de rappeler votre humanité.

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Merci pour vos interpellations qui doivent aboutir à des propositions permettant d'améliorer les dispositifs d'accueil et les systèmes d'accès au droit des migrants.

L'audition s'achève à dix-sept heures quarante.