Je commencerai par les difficultés d'accès aux préfectures et à la dématérialisation des procédures. Cette dématérialisation devrait représenter une opportunité en termes de simplification et d'amélioration de l'accès au service public, en évitant les longues files d'attente. Mais le numérique est un mur qui sépare les usagers et prive les personnes de tout accès à un interlocuteur qui pourrait les informer et les conseiller. Les procédures de demande d'asile sont extrêmement complexes. Dans certains cas, les personnes sont victimes de la fracture numérique. Dans la plupart des situations, les difficultés des usagers sont liées à la saturation des plannings.
La Cimade a créé il y a quelques années un robot qui interroge les plages de rendez-vous disponibles dans les préfectures. Dans certaines préfectures, le robot évoque l'impossibilité de prendre rendez-vous dans près de 100 % des cas. La dématérialisation apparaît aujourd'hui comme un système de tri des personnes qui sollicitent un titre de séjour. Les personnes sans papier sont les plus touchées par cette situation, maintenues à distance de la procédure de régularisation parfois durant une année. La fermeture des guichets fabrique des sans papier : des personnes perdent le renouvellement de leur titre de séjour du fait de l'incapacité du service public à respecter ses obligations légales.
La dématérialisation ne doit pas être imposée aux usagers et aux usagères. Des modalités alternatives doivent toujours être proposées, conformément à la jurisprudence du Conseil d'État. La possibilité de saisir l'administration par voie électronique doit permettre d'accueillir les personnes qui en ont besoin dans de meilleures conditions. Elle ne doit pas justifier la fermeture des portes des préfectures.
Les mineurs sans parent dans le territoire français sont placés en situation de danger. Les mineurs isolés sont trop souvent exclus du système de la protection de l'enfance. Par exemple, ils sont trop rarement mis à l'abri en attendant l'évaluation de la situation d'isolement et de la minorité.
La phase d'évaluation est aussi l'occasion de nombreux dysfonctionnements. Les documents d'état civil sont très souvent contestés alors que la communauté scientifique s'accorde sur le manque de fiabilité des méthodes utilisées. L'accompagnement des jeunes reconnus mineurs est souvent défaillant en termes d'accompagnement vers la scolarisation ou pour demander un titre de séjour à la majorité, qui est pourtant prévu par la loi. Que ce soit au niveau des départements ou des préfectures, de nombreuses pratiques empêchent les mineurs de bénéficier de la protection que leur situation exige, ce qui les laisse trop souvent à la rue.
Je passerai ensuite à la politique d'expulsion. Le Gouvernement a poursuivi la politique d'expulsion malgré le contexte sanitaire de 2020 et 2021. La rétention ne doit avoir pour seul objectif que de préparer l'expulsion des personnes, expulsion qui a été rendue impossible pour de très nombreuses nationalités. Les placements ont néanmoins continué. 970 ressortissants algériens ont été placés en rétention en 2020, dont 6 ont été expulsés, ce qui ressemble à une forme d'acharnement. Cette situation a été dénoncée par les autorités administratives indépendantes, des parlementaires et des associations qui ont demandé la fermeture de ces centres, dont la finalité était remise en question, et aussi en raison du risque de contamination au Covid. Cette demande n'a pas été entendue. Cette course à l'expulsion engendre de nombreuses violations des droits des personnes exilées, qui sont sanctionnées par les juges. En 2020, ils ont libéré 42 % des personnes enfermées, estimant que les procédures étaient illégales.
L'enfermement des enfants dans les CRA reste un sujet de préoccupation. 122 enfants étaient enfermés dans les CRA en 2020. La France a été condamnée à six reprises par la CEDH pour des traitements inhumains et dégradants. Les Nations Unies recommandent de cesser cette pratique abandonnée par de nombreux pays.
Enfin, la politique d'expulsion se caractérise par une politique de bannissement avec des interdictions automatiques de retour en France, qui ont des conséquences dramatiques. Elles empêchent des personnes d'accéder à un titre de séjour, quand bien même leur situation aurait évolué. Une personne devenant parent d'enfant français ne pourra accéder à un titre de séjour au motif d'une ancienne interdiction de retour. Ces personnes sont condamnées à vivre à vie dans la clandestinité. La France est championne d'Europe de la prononciation de l'obligation de quitter le territoire français avec 130 000 mesures en 2019.
En ce qui concerne les difficultés d'accès au droit des personnes étrangères incarcérées, celles-ci se trouvent confrontées à des difficultés spécifiques. La première est l'obstacle du renouvellement d'un titre de séjour ou du dépôt de la demande d'asile. Les pratiques préfectorales empêchent souvent l'examen du titre d'une demande de séjour en détention, ce qui est une pratique illégale. Les personnes qui entrent en prison avec des papiers peuvent donc en ressortir sans papier. À la fin de l'incarcération, il est souvent trop tard. Il est fréquent que l'administration notifie une obligation de quitter le territoire français quelques jours ou quelques heures avant la libération, mesure impossible à contester sous 48 heures comme cela est prévu par la loi. La police accueille la personne à sa sortie de prison pour l'expulser. La prison devrait être un lieu d'amendement et de réinsertion. Les personnes étrangères continuent de subir cette double peine contraire au principe d'égalité.
Je finirai par le droit dérogatoire applicable en outremer, particulièrement à Mayotte. Ce ne sont pas les mêmes droits que dans les autres territoires de la République. Cette différence de traitement a des conséquences très importantes en matière de refoulement et d'exclusion. La plupart des personnes sont expulsées avant d'avoir eu accès à un juge. En effet, ces territoires n'offrent pas de recours de plein droit suspensif contre une décision d'expulsion. En outre, la célérité avec laquelle les expulsions sont effectuées est très impactante. La durée moyenne de rétention s'élève à 17 heures à Mayotte, contre 17 jours en métropole. Durant ce délai, il est presque impossible de saisir le juge. Le président du tribunal administratif de Mayotte considère que 5 % des obligations de quitter le territoire sont soumises à son contrôle. L'impunité avec laquelle agit la préfecture est d'autant plus préoccupante que des violations manifestes des droits sont mises en lumière lorsque le juge intervient. En 2019, le juge a signé 51 ordonnances demandant le retour aux frais de l'Etat de personnes expulsées illégalement.