Amnesty International France et d'autres organisations partenaires dont la Cimade, Médecins du Monde ou le Secours catholique, constatent des violations des droits humains aux frontières intérieures et extérieures. Le rapporteur de l'ONU sur les droits des personnes migrantes a été saisi sur ce sujet. Les voies juridiques aussi ont été utilisées de nombreuses fois pour défendre les droits de ces personnes.
La situation demeure très alarmante. La mise en place de cette commission est plus que bienvenue et il est urgent de trouver des solutions et d'en finir avec cette attente. Dans le cadre de cette intervention, je vais parler du parcours migratoire des personnes migrantes. Je vous invite à imaginer ce que vivent aujourd'hui ces hommes, ces femmes et ces enfants. Je donnerai un éclairage sur la situation de violation des droits et sur les obligations de l'Europe et de la France au regard du droit européen et international. En tant que membres de la représentation nationale, vous avez des obligations dans l'application du cadre législatif.
Je me concentrerai sur la Lybie, le passage par la Méditerranée centrale ou encore les situations à la frontière entre la Grèce et la Croatie. Comme vous les savez, la Libye est une étape dans la vie migratoire des personnes migrantes. C'est un pays où elles vivent un enfer comme nous avons pu le documenter dans plusieurs rapports rédigés par Amnesty.
Dans un rapport rédigé en 2020, nous avons documenté de graves violations des droits, dont des tortures, de mauvais traitements et d'autres violences. Nous sommes aussi en train de finaliser une recherche sur les centres de détention officiels vers lesquels ces personnes sont renvoyées après avoir été interceptées et débarquées en Libye. Cette enquête montre des pratiques d'abus systématiques même dans des centres qui sont nouvellement ouverts.
Les personnes migrantes empruntent la route migratoire la plus mortelle au monde par la Méditerranée centrale. Le HCR considère qu'entre 2017 et 2020 environ 8 000 personnes sont décédées ou portées disparues. Vous avez vraisemblablement en tête des images de femmes, d'hommes et d'enfants qui meurent en mer Méditerranée. Nous estimons que l'Europe laisse faire et détourne le regard de ces situations terribles.
Je voudrais aussi attirer un moment votre attention sur le fait qu'il y a eu une baisse des arrivées des personnes migrantes en Espagne, en Grèce et en Italie. Selon le HCR, il y a eu en 2018 50 000 arrivées, puis 123 000 en 2019, 95 000 en 2020 et au 30 mai 2021, il y avait environ 28 000 arrivées. Ce ne sont pas moins de personnes en détresse qui voient leurs droits bafoués. Derrière ces chiffres, il y a des personnes.
La coordination des opérations de recherche est uniquement portée par les garde-côtes libyens. En raison des capacités de ces garde-côtes qui sont financés par l'Union européenne par de la formation ou encore le don d'équipement, de plus en plus de personnes migrantes sont interceptées et renvoyées dans des centres de détention, exposées à des violations de droits humains.
L'Italie, ainsi que d'autres États membres, ont largement retiré leurs moyens navals en laissant ces personnes à la merci des garde-côtes libyens. Il ne faut pas oublier que les États membres ont entravé les actions des bateaux de sauvetage. Par exemple, en 2020, durant de longues périodes, aucun bateau de sauvetage ne circulait en mer. Cette situation a mis en danger beaucoup de personnes.
Amnesty considère que l'Europe collabore avec la Libye. Les personnes migrantes sont laissées à la merci de ses garde-côtes. La croissance du nombre de morts et l'augmentation du nombre de personnes détenues en Libye sont les résultats des décisions politiques européennes qui donnent la priorité au contrôle aux frontières au détriment de la vie et de la dignité humaine.
Nous dénonçons depuis de nombreuses années la non action des Etats européens et leur collaboration avec la Libye qui doit s'arrêter. La Méditerranée centrale est devenue une zone de non droit.
D'autres pays comme la Grèce et la Croatie ont des pratiques qui portent également atteinte aux droits humains. Nous avons recensé depuis 2013 des cas de refoulement et de renvois forcés illégaux, qui sont parfois très violents, de personnes qui passent par des pays comme la Grèce, l'Italie, Malte ou encore la Croatie. Amnesty considère que cette gestion des frontières extérieures présente des manquements graves en termes de protection et de responsabilités concernant l'arrivée de ces personnes en quête d'aide et de sécurité, en violant le droit international et notamment les principes de non refoulement.
Des images ont été filmées de garde-côtes grecs qui font des trous dans les canots pneumatiques pour empêcher les personnes de rejoindre les côtes grecques. Ce sont de graves violations des personnes migrantes, qui les mettent en danger de mort.
L'Union européenne abandonne ces personnes et les demandeurs d'asile. Selon Amnesty, la France doit s'engager pour la relocalisation des demandeurs d'asile. Par exemple en Grèce, l'année dernière un incendie a ravagé le camp de personnes migrantes de Moria : cet incident a laissé sans abri 13 000 personnes.
C'est selon nous le symbole d'une politique européenne désastreuse et très dangereuse. De nombreuses autorités comme le HCR ou encore le Parlement européen ont exprimé leurs préoccupations quant à ces violations de droits. Nous sommes en train aussi de finaliser notre enquête, que je pourrai partager le moment venu, sur la frontière entre la Grèce et la Turquie, qui montre que les refoulements auraient lieu dans des zones Frontex opérationnelles.
Ces résultats confirment que les équipes de Frontex devraient cesser de fermer les yeux et mettre en place des règlements efficaces de contrôle pour empêcher que ces violations aient lieu. Frontex est aussi présente à la frontière entre Croatie et Bosnie, et aide à détecter les personnes en train de franchir la frontière. Amnesty a documenté la façon très violente dont les autorités croates refoulent les personnes aux frontières de manière très violente.
La France comme les autres pays de l'Union européenne est liée par l'obligation d'assurer le respect des droits humains et du droit international. La France doit exiger le respect du droit international et mettre fin à toute coopération avec des pays comme la Libye qui ne place pas les droits humains au centre de ses préoccupations.
La France comme l'Union européenne en général doivent assurer des voies légales pour ces personnes, leur permettant d'exercer leurs droits. Nous demandons aussi des enquêtes indépendantes sur les abus signalés par exemple en Croatie, ou la mise en place d'un mécanisme de contrôle efficace pour garantir que les fonds de l'Union européenne sont bien utilisés pour respecter les droits humains.
Dans le cadre de notre travail sur le pacte européen sur l'immigration et l'asile présenté en septembre 2020, nous préconisons entre autres un mécanisme de contrôle indépendant et efficace à mettre en place dans le cadre du droit communautaire.
Je voudrais parler à présent de la France. Nous avons documenté avec d'autres organisations de nombreuses situations dans lesquelles les droits des personnes migrantes ne sont pas respectés et qui portent atteinte au droit d'asile.
Selon nous, les contrôles migratoires priment sur tout autre objectif de la part du Gouvernement. Les points de passage autorisés à la frontière franco-italienne sont bloqués par le déploiement des forces de l'ordre et de nombreux militaires pour réaliser les contrôles. Le Gouvernement a récemment annoncé l'augmentation de 2 400 à 4 800 unités aux frontières.
À la frontière franco-italienne, nous avons relevé des pratiques communes, notamment des pratiques policières qui s'affranchissent du cadre juridique national et international comme le refoulement ou le non accès aux procédures d'asile, le refoulement de mineurs isolés sans que leur statut d'enfant ne soit pris en compte, l'absence de dispositif d'accueil humanitaire adapté.
À Calais, vous avez sans doute noté les images de destruction des biens et des affaires des personnes migrantes, les forces de l'ordre utilisent des méthodes brutales.
Se pose aussi la question de la criminalisation des aidants. Le 8 juillet 2020, le Conseil d'État a confirmé ce que des associations comme la Cimade, Médecins du monde et le Secours catholique dénoncent depuis des années, à savoir que le ministère de l'intérieur bafoue le droit d'asile à la frontière avec l'Italie.
Une autre décision du Conseil d'État en juin dernier a conclu que le renvoi vers l'Italie d'une femme et de son enfant sans que leur demande d'asile ait été enregistrée, constituait une violation du droit de déposer une demande d'asile.
La France doit s'assurer que tous les demandeurs d'asile aient accès à l'information sur leurs droits à une procédure d'asile équitable et efficace, et s'abstenir de renvoyer illégalement des ressortissants étrangers, en Italie par exemple.
Pour terminer, nous avons aussi alerté sur des cas d'expulsion illégale, notamment d'un ressortissant tchétchène vers la Russie où il risquait d'être torturé et soumis à de mauvais traitements. Nous considérons que la France a violé le droit international. Cette décision a été prise en dépit de trois décisions juridictionnelles contraires et du droit international.
Nous constatons une répétition de ce type de cas. Par le passé, nous avons aussi alerté sur le renvoi de ressortissants afghans. Nous avions demandé un moratoire concernant les renvois directs.
Le Danemark, qui auparavant était pionnier dans la protection des personnes migrantes, vient d'adopter un projet de loi permettant de renvoyer les migrants et les demandeurs d'asile en dehors d'Europe. Nous avons dénoncé la révocation du statut de réfugiés de Syriens qui risquent la torture et de mauvais traitements une fois en Syrie. Selon le Danemark, la Syrie est un pays sûr, ce qui est loin d'être le cas.
Un sujet important est la question de la réinstallation, mécanisme de protection crucial pour les réfugiés les plus vulnérables. C'est la seule solution qui consiste à transférer des réfugiés d'un pays d'asile vers un autre Etat qui accepte de leur offrir une protection pérenne. La réinstallation est basée sur des critères de vulnérabilité, lorsque la protection juridique et physique ne peut pas être assurée et garantie dans le pays d'accueil. La France doit s'engager à accélérer la réinstallation dans ce sens.
Les positions prises par les pays européens sont contraires à leurs engagements internationaux et constituent une grave atteinte aux droits des personnes migrantes. La France a joué un rôle comme promoteur de la protection de ces droits, et les représentants de la Nation doivent être garants de la protection de ces droits.