Intervention de François Gemmene

Réunion du mercredi 9 juin 2021 à 17h40
Commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la france

François Gemmene, chercheur à l'université de Liège :

Vous avez raison de souligner la spirale infernale. Le débat politique a été kidnappé par l'extrême-droite. La situation n'évoluera pas tant que la gauche démocrate et la droite républicaine auront peur de s'aventurer sur le terrain. Il y a une forme de lâcheté politique à considérer qu'il ne faut pas trop y aller, car ce serait faire le jeu de l'extrême-droite. Les opinions se polarisent de plus en plus. Le débat est de moins en moins rationnel et de plus en plus passionnel. Il faut absolument cesser de penser en termes de crise. L'extrême-droite a intérêt à imposer un narratif, une rhétorique et un imaginaire de crise migratoire. Dès lors que les personnes ont l'impression de vivre une crise, la fermeture des frontières les rassure. C'est le cas lors d'une crise économique qui favorise le protectionnisme économique, ou lors d'une crise sanitaire, sécuritaire et migratoire. C'est une réaction humaine et légitime.

Cependant, la fermeture des frontières crée de nombreux drames aux frontières, des embarcations qui chavirent, des murs couverts de barbelés et des images de détresse. Le narratif de crise renforce la fermeture des frontières, qui accentue la crise. Il importe de tenir un discours de vérité. La gauche et la droite doivent soumettre une proposition en termes de politique d'asile et d'immigration. Les programmes des partis politiques sont extrêmement faibles en termes de politique d'asile et d'immigration. J'en suis désolé, mais le Rassemblement national est quasiment le seul parti à porter un projet cohérent en matière d'asile et d'immigration, détestable à mon sens, mais cohérent.

Les autres qui s'aventurent sur ce terrain racontent souvent n'importe quoi. Michel Barnier propose un moratoire de cinq ans sur l'immigration, ce qui est une proposition inapplicable dans les faits. Nous sommes souvent confrontés à des propositions lunaires du fait que les migrants ne votent pas et qu'ils ne sont pas représentés par un syndicat. Je suis affligé par cette situation. En tant que députés, vous connaissez les questions pièges : combien coûtent une bague de pain et un ticket de métro. La réponse erronée à ces questions peut ruiner une carrière politique, alors que vous pouvez raconter n'importe quoi sur l'immigration et nul ne vous en tiendra rigueur. Il y a un vrai problème de débat public sur ces questions.

Comment faire pour ouvrir des voies sûres et légales ? Il faut selon moi davantage utiliser les ambassades dans les pays d'origine et de transit et la politique de visa. Nous n'avons aucune politique de visa. Des visas humanitaires ou économiques permettraient à certains d'arriver en avion, et ceux qui envisageraient la traversée par bateau disposeraient de critères précis pour obtenir un visa. Une politique de visa plus précise amènerait moins de personnes à prendre le risque de mourir en Méditerranée et de dépenser des fortunes auprès de passeurs.

De nombreuses personnes qui entrent en France ne rentrent jamais dans leur pays étant donné qu'elles savent que leur chance de revenir en France serait quasiment nulle. Si nous permettions davantage de circulations migratoires, je pense que nous réglerions une bonne partie de l'immigration irrégulière. Par ailleurs, le prix d'un billet d'avion est de quelques centaines d'euros pour quelques milliers d'euros versés aux passeurs.

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