Intervention de Julien Boucher

Réunion du mercredi 16 juin 2021 à 16h05
Commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la france

Julien Boucher, directeur général de l'OFPRA :

Mon propos liminaire reviendra sur les missions de l'OFPRA. La phase actuelle de vos travaux s'intéressant à l'origine des migrants et demandeurs d'asile, j'évoquerai aussi les tendances de l'évolution de la demande d'asile, telle que nous l'observons ces dernières années.

L'OFPRA est un établissement public placé sous la tutelle du ministère de l'intérieur. Dans l'accomplissement de ses missions, il dispose d'une indépendance fonctionnelle que la loi lui garantit.

La première de ses missions consiste en l'examen des demandes d'asile, lorsque cet examen relève de la responsabilité de la France. Dans un premier temps au moins, celui de l'enregistrement de la demande dans un « guichet unique », l'OFPRA ne saurait connaître des demandes qui ressortissent à un autre État membre de l'Union européenne au sens du règlement du Parlement européen et du Conseil européen n° 604-2013 du 26 juin 2013, dit « règlement Dublin III ». Je traiterai ainsi devant vous des demandes d'asile introduites directement devant l'OFPRA. Celles enregistrées auprès des guichets uniques incluent les orientations vers la responsabilité d'un autre État membre.

Quand les conditions en sont remplies, l'OFPRA octroie l'une ou l'autre des deux protections internationales, le statut de réfugié ou la protection subsidiaire. Il a également compétence pour accorder le statut d'apatride, quoique ce cas de figure se rencontre plus rarement. Pour quelques centaines de reconnaissances du statut d'apatride par an ‒ environ 300 en 2020 ‒, nous traitons plusieurs dizaines de milliers de demandes d'asile. Elles dépassaient 130 000 en 2019 et atteignaient 96 000 en 2020.

Une deuxième mission de l'OFPRA a trait à la protection administrative et juridique des personnes qui bénéficient de l'une des formes de protection internationale. Mineurs inclus, elles sont actuellement en France au nombre d'environ 455 000.

Cette mission se traduit principalement par la délivrance de documents qui tiennent lieu d'actes authentiques d'état civil. Parce qu'elles ont rompu leur lien d'allégeance avec leur pays d'origine, les personnes protégées ne peuvent plus en obtenir de tels documents. Par raccourci, on dit parfois que l'OFPRA est la mairie des réfugiés. En 2020, nous avons ainsi délivré 36 000 premiers documents d'état civil. Ils tiennent lieu d'actes de naissance ou de mariage.

La mission s'étend aussi au suivi du statut accordé. Le statut ne revêt en effet pas de caractère irrévocable. Des sorties de statut existent. Les raisons en sont diverses. Elles se rapportent soit à la disparition des conditions ayant présidé à l'octroi du statut, lorsque l'intéressé reconstitue son lien d'allégeance avec son pays d'origine, soit à des motifs liés à la menace que représente la présence de la personne sur le territoire national. À l'exception du cas de la naturalisation, l'OFPRA reste seul compétent pour mettre un terme au statut de réfugié ou au bénéfice de la protection subsidiaire.

Enfin, l'OFPRA remet un avis au ministre de l'intérieur sur les demandes d'admission sur le territoire national au titre de la procédure d'asile à la frontière. Son avis lie le ministre, à moins que celui-ci n'oppose des motifs d'ordre public à l'entrée sur le territoire.

Pour l'accomplissement de ses différentes missions, l'Office dispose d'un budget annuel de 93 millions d'euros. Ce budget se consacre essentiellement aux dépenses de personnel. La force de l'OFPRA repose d'abord sur ses collaborateurs. Depuis qu'ont été pourvus, en 2020, les 200 emplois supplémentaires alloués à l'Office, le nombre de ses agents dépasse le millier. Parmi eux, environ 450 officiers de protection instructeurs se chargent de l'examen des demandes d'asile. Ils auditionnent les demandeurs d'asile au cours d'entretiens qui forment le cœur du processus d'instruction.

Je rends ici hommage au travail de l'ensemble des agents de l'établissement. En dépit de l'année particulièrement difficile que nous avons traversée, ils lui ont permis de poursuivre sa mission de service public.

J'en viens maintenant aux sujets qui vous intéressent directement, à savoir l'évolution de la demande d'asile dans la période récente, les pays d'origine et les principaux flux de la demande.

Avant toute chose, il convient de garder à l'esprit que la demande d'asile en France se caractérise de manière constante par une relative dispersion. Aucun pays n'y représente seul une part très significative. Il en va autrement dans d'autres États, par exemple en Allemagne avec la présence prépondérante de la demande syrienne.

Jusqu'en 2020, année de rupture, la demande d'asile augmentait régulièrement en France depuis 2008. Une exception temporaire, celle de l'année 2014, avait été la conséquence de la baisse de demandes kosovares et albanaises. La tendance haussière avait repris à un rythme rapide dès 2015 avec ce qu'il est convenu d'appeler la crise de l'asile en Europe. À la différence de l'Allemagne ou de la Suède qui avaient alors connu d'importants afflux de réfugiés, la crise avait plutôt engendré en France une augmentation progressive et continue de la demande d'asile.

Au commencement des années 2010, les demandes d'asile de ressortissants de la République démocratique du Congo (RDC) dominaient. À partir de 2012 et pendant trois années consécutives, la RDC s'était ainsi imposée comme le premier pays d'origine des demandeurs d'asile.

Au milieu des années 2010, les principaux pays qui alimentaient la demande d'asile étaient ceux qu'affectaient des conflits internes dans un arc allant du Moyen-Orient à la Corne de l'Afrique. Le Soudan fut ainsi en 2015 puis 2016 le premier pays d'origine des demandeurs d'asile en France. La demande syrienne était également prégnante.

Plus récemment, jusqu'en 2019, la hausse s'accentuait significativement. Le dynamisme de la demande afghane, la première en nombre depuis 2018, l'avait notamment nourrie. Les demandes de ressortissants de pays limitrophes ou proches de l'Union européenne, tels que l'Albanie et la Géorgie, s'y étaient en particulier ajoutées.

La crise sanitaire de 2020 a donc conduit à une inflexion majeure de la tendance. Avec la fermeture des frontières et le ralentissement des échanges internationaux, la demande d'asile auprès de l'OFPRA a baissé de quelque 30 %. Cette baisse correspond à la moyenne de celle que nous observons dans les pays européens.

En début d'année 2021, la demande d'asile se maintient à un niveau largement inférieur, de l'ordre d'un tiers, à celui qui prévalait avant le déclenchement de la crise sanitaire. Les caractéristiques par nationalités ne connaissent pas de changements importants. L'Afghanistan reste le premier pays d'origine des demandeurs d'asile en France. Suivent le Bangladesh, la Côte-d'Ivoire, la Guinée et le Nigeria.

Pour l'heure, il demeure difficile de prévoir l'évolution de la demande d'asile dans les mois à venir. Les observateurs s'accordent pour reconnaître que si la crise sanitaire a conjoncturellement contraint les déplacements internationaux et les mouvements migratoires, elle n'en a nullement fait disparaître les causes profondes. Au contraire, elle a pu engendrer dans certains États un effet de déstabilisation économique et sociale susceptible d'encourager de nouveaux déplacements de populations. Il y a donc lieu de s'attendre à une reprise de la demande d'asile, sans qu'il soit encore possible d'en déterminer ni l'ampleur ni le moment précis.

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