La réunion

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La séance est ouverte à seize heures cinq.

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Nous abordons aujourd'hui le thème des déterminants du départ et celui des pays d'origine des migrations. Nous entendrons d'abord le directeur général de l'office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), puis des représentants de nos ambassades au Nigeria et en Albanie, et enfin la présidente de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA).

Pour la présente audition, je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Julien Boucher prête serment.)

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Cet après-midi, notre commission se concentre en effet sur les thématiques liées au départ. Il s'agira de dégager de possibles solutions destinées à améliorer la situation des migrants. Après l'audition de M. Didier Leschi, directeur général de l'office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), la présente séance soulignera la spécificité de l'OFPRA qui traite des dossiers relatifs aux réfugiés et apatrides.

Monsieur le directeur général, nous vous avons d'ores et déjà adressé plusieurs questions. Elles couvrent divers champs, des statistiques aux délais de traitement de l'Office et à l'accessibilité de ses procédures. Nous vous remercions des réponses que vous y apporterez.

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Julien Boucher, directeur général de l'OFPRA

Mon propos liminaire reviendra sur les missions de l'OFPRA. La phase actuelle de vos travaux s'intéressant à l'origine des migrants et demandeurs d'asile, j'évoquerai aussi les tendances de l'évolution de la demande d'asile, telle que nous l'observons ces dernières années.

L'OFPRA est un établissement public placé sous la tutelle du ministère de l'intérieur. Dans l'accomplissement de ses missions, il dispose d'une indépendance fonctionnelle que la loi lui garantit.

La première de ses missions consiste en l'examen des demandes d'asile, lorsque cet examen relève de la responsabilité de la France. Dans un premier temps au moins, celui de l'enregistrement de la demande dans un « guichet unique », l'OFPRA ne saurait connaître des demandes qui ressortissent à un autre État membre de l'Union européenne au sens du règlement du Parlement européen et du Conseil européen n° 604-2013 du 26 juin 2013, dit « règlement Dublin III ». Je traiterai ainsi devant vous des demandes d'asile introduites directement devant l'OFPRA. Celles enregistrées auprès des guichets uniques incluent les orientations vers la responsabilité d'un autre État membre.

Quand les conditions en sont remplies, l'OFPRA octroie l'une ou l'autre des deux protections internationales, le statut de réfugié ou la protection subsidiaire. Il a également compétence pour accorder le statut d'apatride, quoique ce cas de figure se rencontre plus rarement. Pour quelques centaines de reconnaissances du statut d'apatride par an ‒ environ 300 en 2020 ‒, nous traitons plusieurs dizaines de milliers de demandes d'asile. Elles dépassaient 130 000 en 2019 et atteignaient 96 000 en 2020.

Une deuxième mission de l'OFPRA a trait à la protection administrative et juridique des personnes qui bénéficient de l'une des formes de protection internationale. Mineurs inclus, elles sont actuellement en France au nombre d'environ 455 000.

Cette mission se traduit principalement par la délivrance de documents qui tiennent lieu d'actes authentiques d'état civil. Parce qu'elles ont rompu leur lien d'allégeance avec leur pays d'origine, les personnes protégées ne peuvent plus en obtenir de tels documents. Par raccourci, on dit parfois que l'OFPRA est la mairie des réfugiés. En 2020, nous avons ainsi délivré 36 000 premiers documents d'état civil. Ils tiennent lieu d'actes de naissance ou de mariage.

La mission s'étend aussi au suivi du statut accordé. Le statut ne revêt en effet pas de caractère irrévocable. Des sorties de statut existent. Les raisons en sont diverses. Elles se rapportent soit à la disparition des conditions ayant présidé à l'octroi du statut, lorsque l'intéressé reconstitue son lien d'allégeance avec son pays d'origine, soit à des motifs liés à la menace que représente la présence de la personne sur le territoire national. À l'exception du cas de la naturalisation, l'OFPRA reste seul compétent pour mettre un terme au statut de réfugié ou au bénéfice de la protection subsidiaire.

Enfin, l'OFPRA remet un avis au ministre de l'intérieur sur les demandes d'admission sur le territoire national au titre de la procédure d'asile à la frontière. Son avis lie le ministre, à moins que celui-ci n'oppose des motifs d'ordre public à l'entrée sur le territoire.

Pour l'accomplissement de ses différentes missions, l'Office dispose d'un budget annuel de 93 millions d'euros. Ce budget se consacre essentiellement aux dépenses de personnel. La force de l'OFPRA repose d'abord sur ses collaborateurs. Depuis qu'ont été pourvus, en 2020, les 200 emplois supplémentaires alloués à l'Office, le nombre de ses agents dépasse le millier. Parmi eux, environ 450 officiers de protection instructeurs se chargent de l'examen des demandes d'asile. Ils auditionnent les demandeurs d'asile au cours d'entretiens qui forment le cœur du processus d'instruction.

Je rends ici hommage au travail de l'ensemble des agents de l'établissement. En dépit de l'année particulièrement difficile que nous avons traversée, ils lui ont permis de poursuivre sa mission de service public.

J'en viens maintenant aux sujets qui vous intéressent directement, à savoir l'évolution de la demande d'asile dans la période récente, les pays d'origine et les principaux flux de la demande.

Avant toute chose, il convient de garder à l'esprit que la demande d'asile en France se caractérise de manière constante par une relative dispersion. Aucun pays n'y représente seul une part très significative. Il en va autrement dans d'autres États, par exemple en Allemagne avec la présence prépondérante de la demande syrienne.

Jusqu'en 2020, année de rupture, la demande d'asile augmentait régulièrement en France depuis 2008. Une exception temporaire, celle de l'année 2014, avait été la conséquence de la baisse de demandes kosovares et albanaises. La tendance haussière avait repris à un rythme rapide dès 2015 avec ce qu'il est convenu d'appeler la crise de l'asile en Europe. À la différence de l'Allemagne ou de la Suède qui avaient alors connu d'importants afflux de réfugiés, la crise avait plutôt engendré en France une augmentation progressive et continue de la demande d'asile.

Au commencement des années 2010, les demandes d'asile de ressortissants de la République démocratique du Congo (RDC) dominaient. À partir de 2012 et pendant trois années consécutives, la RDC s'était ainsi imposée comme le premier pays d'origine des demandeurs d'asile.

Au milieu des années 2010, les principaux pays qui alimentaient la demande d'asile étaient ceux qu'affectaient des conflits internes dans un arc allant du Moyen-Orient à la Corne de l'Afrique. Le Soudan fut ainsi en 2015 puis 2016 le premier pays d'origine des demandeurs d'asile en France. La demande syrienne était également prégnante.

Plus récemment, jusqu'en 2019, la hausse s'accentuait significativement. Le dynamisme de la demande afghane, la première en nombre depuis 2018, l'avait notamment nourrie. Les demandes de ressortissants de pays limitrophes ou proches de l'Union européenne, tels que l'Albanie et la Géorgie, s'y étaient en particulier ajoutées.

La crise sanitaire de 2020 a donc conduit à une inflexion majeure de la tendance. Avec la fermeture des frontières et le ralentissement des échanges internationaux, la demande d'asile auprès de l'OFPRA a baissé de quelque 30 %. Cette baisse correspond à la moyenne de celle que nous observons dans les pays européens.

En début d'année 2021, la demande d'asile se maintient à un niveau largement inférieur, de l'ordre d'un tiers, à celui qui prévalait avant le déclenchement de la crise sanitaire. Les caractéristiques par nationalités ne connaissent pas de changements importants. L'Afghanistan reste le premier pays d'origine des demandeurs d'asile en France. Suivent le Bangladesh, la Côte-d'Ivoire, la Guinée et le Nigeria.

Pour l'heure, il demeure difficile de prévoir l'évolution de la demande d'asile dans les mois à venir. Les observateurs s'accordent pour reconnaître que si la crise sanitaire a conjoncturellement contraint les déplacements internationaux et les mouvements migratoires, elle n'en a nullement fait disparaître les causes profondes. Au contraire, elle a pu engendrer dans certains États un effet de déstabilisation économique et sociale susceptible d'encourager de nouveaux déplacements de populations. Il y a donc lieu de s'attendre à une reprise de la demande d'asile, sans qu'il soit encore possible d'en déterminer ni l'ampleur ni le moment précis.

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À ce stade, j'aimerais vous poser deux questions.

La première concerne le processus de renégociation du règlement Dublin III. Quel avis formulez-vous à ce sujet ? Quels conseils dispenseriez-vous ? Quels pièges ou erreurs à éviter identifiez-vous ?

La seconde porte sur les mineurs non accompagnés. Vous avez évoqué la situation de fin de statut. Pourriez-vous nous préciser le point de vue de l'OFPRA à l'égard de ce que je qualifierai de zone grise en France, celle du passage à la majorité sans statut protecteur.

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Je vous poserai pour ma part des questions de trois ordres. Comment tout d'abord les agents de l'OFPRA évaluent-ils l'authenticité des demandes dont ils ont à connaître ? Quel niveau de coopération avec les pays d'origine ce travail induit-il et rencontrez-vous des difficultés en la matière ? Comment hiérarchisez-vous ensuite les demandes que vous recevez ? Les distinguez-vous selon qu'elles proviennent de demandeurs originaires ou non de pays dits sûrs ? Enfin, vos services subissent-ils des pressions de la part de ministères qui leur imposeraient des quotas dans l'octroi des titres de séjour ?

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Julien Boucher, directeur général de l'OFPRA

Plus que leur authenticité, nous évaluons la crédibilité des déclarations des demandeurs d'asile. Tel est le cœur du métier de l'OFPRA.

J'insiste sur le fait que l'entretien constitue l'étape fondamentale de l'examen d'une demande d'asile. En les confrontant aux informations dont il dispose et par ses questions, l'officier de protection instructeur apprécie le bien-fondé des craintes que le demandeur exprime devant l'hypothèse d'un retour dans son pays d'origine. L'OFPRA compte en son sein une division spécialisée qui, selon une méthodologie harmonisée à l'échelle européenne, rassemble une information aussi objective, fiable et circonstanciée que possible sur les pays d'origine. Ici, la logique ne saurait être celle de la preuve matérielle. L'OFPRA se fie à l'expertise qu'il a développée au fil des années dans l'évaluation de la crédibilité des demandes d'asile.

Lors du traitement des dossiers individuels, je soulignerai que nous n'entretenons aucun contact avec les autorités des pays d'origine des demandeurs d'asile. De fait, dans nombre de cas, elles sont les auteurs des persécutions que les demandeurs ont subies ou encourent. En revanche, généralement en lien avec la CNDA, il nous arrive de conduire des missions de recueil d'informations dans certains pays d'origine, afin d'actualiser ou de préciser nos sources documentaires à leur sujet.

Par ailleurs, la loi nous donne des indications quant à la manière de traiter les demandes qui nous parviennent. Certaines demandes relèvent d'une procédure accélérée, avec un délai de traitement raccourci. Ce sont notamment celles qui émanent des ressortissants des États qui figurent sur la liste des « pays d'origine sûrs » ou celles que les préfectures classent en procédure accélérée pour des motifs qui tiennent à l'ordre public. La loi prescrit encore de traiter prioritairement les demandes pour lesquelles des facteurs particuliers de vulnérabilité existent et qui commandent un octroi plus rapide de la protection.

Indépendamment de ces indications, nous prenons en compte la réalité des flux de demandes. Leur augmentation importante nous conduit à développer notre capacité de traitement pour y répondre. Il nous faut alors former nos officiers de protection instruction et résoudre les problématiques inhérentes à l'interprétariat. J'évoquerai l'exemple, dans un passé récent, de l'augmentation de la demande afghane, albanaise ou géorgienne.

Notre objectif cardinal consiste en la réduction générale des délais d'instruction des demandes d'asile.

Sur la question de savoir si nous subissons d'éventuelles pressions en vue d'accorder ou de refuser le droit d'asile, ou encore de retirer le statut à des personnes qui en bénéficiaient, je répondrai clairement par la négative. J'ai rappelé dans mon propos introductif que l'OFPRA jouit d'une indépendance fonctionnelle. La loi la lui garantit et l'ensemble des acteurs en présence la lui reconnaissent.

S'agissant des mineurs non accompagnés, l'OFPRA en analyse la problématique d'abord sous l'angle de l'accessibilité de la procédure de demande d'asile. Les demandes que des mineurs non accompagnés lui adressent n'excèdent pas quelques centaines par an. Leur total reste très inférieur aux estimations qui se rapportent à la population de ces mineurs présents sur le territoire national. Le constat atteste que nombre d'entre eux ne recourent pas, quand ils le pourraient, à la procédure d'asile.

Certainement, la raison en tient-elle déjà à un défaut de connaissance de la procédure de la part des personnes qui assistent ces mineurs, particulièrement au titre de l'aide sociale à l'enfance. C'est pourquoi nous favorisons leur information et leur proposons des formations spécifiques. Peut-être des difficultés tiennent-elles également à l'idée selon laquelle la procédure d'asile ne revêtirait guère d'intérêt pour des mineurs qui bénéficient par ailleurs de l'aide sociale à l'enfance. Une telle approche me paraît erronée : la protection de l'asile prend tout son sens lors de l'accession à la majorité, quand le dispositif de l'aide sociale à l'enfance s'interrompt.

Cependant, si rien n'empêche en principe des mineurs de formuler une demande d'asile, des contraintes liées à leur représentation apparaissent. En l'absence de représentant légal, il revient au procureur de désigner un administrateur ad hoc. Longue, la procédure se révèle parfois dissuasive.

Sur ces questions, l'OFPRA conduit des réflexions et des travaux en lien avec la direction générale des étrangers en France (DGEF) du ministère de l'intérieur et la représentation française du haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR).

Enfin, le règlement de Dublin III met en œuvre un principe fondamental du régime européen commun d'asile, à savoir l'unicité de l'État membre responsable d'une demande d'asile. S'il importe de préserver ce principe, nous savons que le règlement a montré ses limites tant sur le plan de son efficacité que sur celui de la prise en compte de l'intérêt des demandeurs d'asile.

La proposition de 2020 de règlement du Parlement et du Conseil européens sur la gestion de l'asile et des migrations présente le mérite de chercher un nouvel équilibre. Elle renforce les règles de responsabilité des États membres en en prolongeant la durée, elle élargit les critères de détermination de la responsabilité afin de mieux intégrer la réalité des attaches que les demandeurs peuvent entretenir avec tel ou tel pays de l'Union européenne et elle reconsidère les mécanismes de solidarité qui forment la nécessaire contrepartie de la responsabilité.

Il ne m'appartient pas de me substituer au Gouvernement dans le choix du meilleur équilibre et dans la recherche d'un consensus entre les États européens. Je soulignerai simplement l'importance de travailler en parallèle à l'intensification de la coopération entre les instances en charge de l'asile, qu'il s'agisse de la qualité des échanges d'informations ou de leur célérité, ainsi que sur la convergence des pratiques d'asile, convergence de nature à limiter les mouvements migratoires secondaires. L'OFPRA s'y emploie, notamment par sa participation aux travaux du bureau européen d'appui en matière d'asile ( european asylum support office, EASO). Ce dernier contribue à l'élaboration de l'information sur les pays d'origine, de même qu'à la définition de lignes directrices propres à l'application des principes clefs de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et des directives européennes relatives au statut des réfugiés.

À côté des questions qui polarisent l'attention, telle la refonte du dispositif du règlement de Dublin, nous ne devons pas négliger ces coopérations concrètes. Elles s'avèrent essentielles au bon fonctionnement du régime d'asile européen commun.

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Quel est le délai moyen actuel d'instruction des dossiers par l'OFPRA ? La loi communément appelée « asile et immigration » du 10 septembre 2018 avait fixé des objectifs. Parmi eux, figurait le raccourcissement notable des délais d'instruction.

Connaissez-vous le pourcentage des recours devant la CNDA contre les décisions de l'OFPRA ?

Quelles relations votre établissement entretient-il avec la CNDA, notamment pour le recueil d'informations sur les pays d'origine ? Une précédente audition tendait à montrer que les missions des deux institutions auprès des pays d'origine restaient distinctes les unes des autres. Organisez-vous néanmoins des missions conjointes ?

Dans cet effort de recueil de l'information sur les pays d'origine, quels liens l'OFPRA cultive-t-il par ailleurs avec les autres États européens ? Des divergences se font-elles jour dans le classement des pays sûrs, par exemple entre l'Allemagne et la France sur le sujet de l'Afghanistan ?

Enfin, un mécanisme spécifique concerne-t-il les situations de demandes d'asile adressées, non pas directement sur le territoire français, mais auprès des ambassades de France ?

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Vous l'avez dit, l'OFPRA a bénéficié en 2020 de l'octroi de 200 postes budgétaires supplémentaires. Comment déployez-vous ces nouveaux postes ? S'accompagnent-ils de la définition d'objectifs précis, particulièrement en matière de réduction des délais d'instruction ?

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Je reviens sur la détermination des pays sûrs ou non sûrs. Comment progresser sur cette question, en dehors même d'une évolution de la réglementation européenne ? L'OFPRA continue-t-il de s'interroger sur ses choix dans ce domaine ?

Sur les cas de fin du statut protecteur, pourriez-vous nous préciser la proportion des différentes situations qui se présentent ?

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Constatez-vous à l'OFPRA des différences de préparation notables entre les dossiers de demande d'asile ?

Je m'interroge à mon tour sur le nombre de recours formés devant la CNDA contre les décisions de l'OFPRA. Quelles raisons expliquent-elles des divergences dans les réponses qu'apportent respectivement l'OFPRA et la CNDA ?

En matière de protection subsidiaire, l'OFPRA intervient-il lorsque le dispositif arrive à son terme ? Qui, de l'OFPRA ou de la CNDA, renouvelle-t-il la protection ?

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Vous avez évoqué une harmonisation des pratiques au niveau européen. Comment procédez-vous ? Il semblerait que pour un demandeur d'asile, les chances d'obtenir le statut de réfugié ou de bénéficier de la protection subsidiaire varient d'un État à l'autre.

Estimez-vous disposer de suffisamment de moyens pour atteindre les objectifs fixés en matière de délais d'instruction des dossiers ?

D'autre part, menez-vous encore certaines procédures d'instruction en dehors de Paris ? Je rappelle que l'interdiction faite au navire de sauvetage Aquarius d'accoster en Italie avait suscité une forme de coopération internationale, elle-même à l'origine du déplacement des offices des différents États européens.

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Avant 2007, l'OFPRA relevait du ministère des affaires étrangères. Son rattachement au ministère de l'intérieur, qui traite par ailleurs du problème de la délinquance, encourt certaines critiques par l'assimilation qu'il provoque dans l'opinion entre ce dernier phénomène et celui des migrants. J'aimerais connaître votre avis.

L'une de mes visites à l'OFPRA avait révélé une difficulté majeure tenant à l'interprétariat. Elle me semblait expliquer nombre des retards pris dans l'instruction des dossiers. A-t-elle été en tout ou partie résolue ?

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Je m'interroge sur le rythme de rotation du personnel de l'OFPRA, avec le risque évident de perte de compétences, notamment dans la connaissance des pays de départ. Le problème perdure-t-il ? Comment y faites-vous face ?

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Julien Boucher, directeur général de l'OFPRA

Les délais d'instruction des dossiers figurent au nombre des objectifs stratégiques assignés à l'établissement. Un premier objectif de six mois concerne ce que nous pouvons appeler la « chaîne de l'asile ». Elle s'étend de l'enregistrement au guichet unique des préfectures à l'éventuelle décision de la CNDA. Ce délai implique pour l'OFPRA de ramener ses propres procédures à un délai moyen de deux mois, afin de laisser aux autres acteurs le temps d'intervenir et de statuer.

En 2018 et 2019, avant le déclenchement de la crise sanitaire, l'OFPRA avait atteint des délais compris entre 150 et 160 jours, soit de cinq mois à cinq mois et demi. En 2020, ce délai moyen a augmenté assez sensiblement, en passant à 260 jours, soit huit mois et demi.

L'allongement du délai d'instruction ne trahit pas une impéritie de l'OFPRA qui, au cours des dernières années, n'a pas manqué de revoir l'ensemble de ses procédures, en particulier les mécanismes de convocation et de réservation des plages d'interprétariat. Il reflète plutôt l'augmentation du stock des demandes en instance. De 2018 aux premiers mois de 2020, la demande d'asile a régulièrement dépassé la capacité décisionnelle de l'OFPRA. Le constat a justifié le renfort de l'effectif de l'établissement, tant en vue d'absorber le flux des demandes nouvelles que de réduire le stock de celles en instance.

La crise sanitaire a pesé sur le calendrier des recrutements aussi bien que sur la capacité décisionnelle de l'Office. Le maintien de l'activité, y compris en télétravail intégral pendant le premier confinement, n'a pas empêché une baisse de l'ordre de 25 % de notre capacité de traitement des demandes d'asile. La conséquence en fut un stock relativement important en fin d'année 2020.

La tendance s'est depuis inversée. À l'automne 2020, nous sommes parvenus à pourvoir l'ensemble des emplois supplémentaires qui nous étaient alloués. Compte tenu du temps nécessaire à la formation des nouveaux agents, l'augmentation des effectifs a commencé à produire ses effets à compter du début de 2021.

Actuellement, la capacité de décision de l'OFPRA dépasse notablement la demande d'asile. Aussi, le stock des demandes en instance se réduit-il rapidement. En comparaison du mois de novembre 2020, sa baisse avoisine 30 %. Sous réserve d'une possible reprise de la demande, nous pensons ramener le stock des dossiers en attente à son niveau incompressible à l'échéance de la fin de 2021. L'établissement pourra ensuite atteindre ses objectifs de délais.

Dans le domaine de l'asile, le contentieux ne dénote aucune pathologie de la décision administrative. Il ne survient pas occasionnellement, mais fait partie intégrante de la procédure d'examen des demandes. Il se traduit par un taux de recours devant la CNDA contre les décisions négatives de l'OFPRA traditionnellement compris entre 80 et 85 %. Depuis 2020, nous constatons néanmoins une baisse marquée, peut-être conjoncturelle, avec un taux de recours qui s'établit désormais à environ 70 %.

Depuis plusieurs années, les rapports entre l'OFPRA et la CNDA révèlent une situation plus équilibrée qu'elle ne l'était auparavant quand la seconde accordait la majorité des protections. En 2020, le taux global de protection de l'OFPRA s'établissait à environ 24 %. La CNDA y a ajouté quelque 12 points d'accords supplémentaires. Les décalages qui occasionnellement subsistent entre les pratiques respectives de protection de l'OFPRA et de la CNDA se résolvent à l'occasion des procédures contentieuses, soit que le premier emporte la conviction de la seconde, soit qu'il s'aligne sur sa jurisprudence, jurisprudence le cas échéant confirmée en cassation par le Conseil d'État.

Étroites, les relations de l'OFPRA avec la CNDA revêtent d'abord un aspect technique. Elles consistent en la transmission dématérialisée des dossiers à la CNDA. Elles visent à assurer un traitement efficace des recours devant la Cour. Les deux institutions organisent également des missions communes de recueil d'informations objectives sur les pays d'origine des demandeurs d'asile. Leur fréquence est généralement de deux par an, quoiqu'en raison de la conjoncture particulière, aucune n'ait eu lieu en 2020.

Les divergences des pratiques en matière d'asile entre les États européens impliquent un travail de rapprochement de longue haleine. Ce travail se concrétise notamment dans l'enceinte du bureau européen d'appui en matière d'asile. L'OFPRA y participe à des groupes d'experts. Même dénués de force contraignante, les documents que ces derniers élaborent s'avèrent susceptibles, en alimentant une culture commune aux différentes autorités nationales de l'asile, d'harmoniser leurs pratiques. L'OFPRA et la CNDA s'y réfèrent par exemple dans leurs décisions. Dans le cas de l'Afghanistan, la tendance confirme un rapprochement progressif des taux de protection des États membres de l'Union européenne.

La fixation de la liste des pays d'origine sûrs relève de la compétence du conseil d'administration de l'OFPRA. L'inscription sur la liste n'emporte nullement le rejet systématique de toute demande émanant des personnes en provenance d'un de ces pays. Chaque demande continue de faire l'objet d'un examen individuel, avec l'application des mêmes garanties, dont l'organisation d'un entretien avec l'intéressé. En revanche, l'instruction s'en tient à des délais plus resserrés, inhérents à une procédure accélérée. Un reclassement de la demande vers la procédure dite normale demeure possible si les spécificités du dossier justifient un temps d'instruction accru.

En 2020, l'OFPRA a pris 312 décisions de retrait ou de fin de statut de réfugié, dont une centaine pour des motifs d'ordre public. Les autres décisions renvoient à des situations d'allégeance au pays d'origine ou à des changements de circonstances. Il convient de rapporter ce total à la population de 455 000 personnes protégées.

Nous relevons à l'évidence des différences dans la préparation des dossiers qui parviennent à l'OFPRA. Elles tiennent à la qualité de l'accompagnement dont bénéficient au préalable les demandeurs d'asile. Certains d'entre eux s'adressent à des officines qui les incitent à l'emploi de récits stéréotypés au détriment de la réalité de leur parcours personnel. Inversement, des associations, notamment celles du dispositif national d'accueil, apportent un accompagnement de qualité, mieux adapté à la préparation de l'entretien et à l'examen du dossier par l'OFPRA.

Quant à la protection subsidiaire, l'OFPRA l'accorde sans limitation de durée. Aucun système de réexamen périodique n'intervient. Seule une évolution majeure, et positive, dans le pays d'origine peut conduire à revenir sur la décision de protection. Par le passé, l'OFPRA a eu à connaître de ce type de cas de figure, par exemple à la suite de la démocratisation de l'Espagne ou de la chute du « rideau de fer ».

Sur la question des moyens de l'OFPRA, particulièrement de ses moyens humains, leur renforcement significatif dans le budget de 2020, avec l'octroi de 200 nouveaux postes, soit une augmentation de 25 % de son effectif, permet sans conteste à l'établissement de remplir ses missions et d'atteindre ses objectifs de délais. Je mesure l'ampleur de l'effort consenti en faveur de l'Office. D'éventuelles limites ultérieures tiendront à des évolutions pour l'heure imprévisibles de la demande d'asile.

Bien qu'elles aient pâti de la crise sanitaire, les missions « hors les murs » restent une composante importante de l'action de l'OFPRA. En 2019, elles atteignaient le nombre de 75. Elles revêtent plusieurs natures. Certaines ‒ une quarantaine en 2019 ‒ se déploient à la demande des préfectures sur le sol national, en métropole ou en outre-mer ; d'autres se déroulent à l'étranger, au sein ou en dehors de l'Union européenne. Ces dernières, en particulier des missions dites de réinstallation, concrétisent les engagements internationaux de la France.

Le rattachement institutionnel de l'OFPRA au ministère de l'intérieur ne me paraît pas manquer de cohérence. La compétence de ce ministère embrasse en effet l'ensemble des problématiques d'asile et d'immigration. Il revient à la DGEF d'assurer la coordination des différents acteurs du domaine. La tutelle n'enlève rien à la spécificité du métier de l'OFPRA, ni à l'indépendance fonctionnelle que le législateur lui a accordée.

La question des interprètes demeure un sujet récurrent. Sa prégnance dépend de la rapidité des changements qui interviennent dans la composition de la demande d'asile. L'afflux de demandes d'une certaine nationalité, associée à une certaine langue, peut ponctuellement poser des difficultés. Pour autant, l'interprétariat ne limite pas fondamentalement notre activité. L'OFPRA recourt aux services de prestataires qualifiés, dans le cadre de la passation de marchés publics.

La rotation du personnel de l'OFPRA nous préoccupe. Le métier d'officier de protection instruction reste spécifique et exigeant. Il requiert une formation, ainsi qu'un temps d'apprentissage, relativement longs. L'expérience, la pratique de l'entretien, l'expertise, y occupent un rôle central. Il importe donc à l'Office de fidéliser ses collaborateurs. En ce sens, nous mettons l'accent sur les conditions de travail et la construction de parcours professionnels au sein de l'établissement. Nos officiers de protection sont souvent de très jeunes collaborateurs et majoritairement des femmes. Je tiens ici à saluer la qualité de leur engagement dans un métier qui les confronte à des récits de vie parfois douloureux.

Enfin, il faut préciser que le dépôt d'une demande d'asile à proprement parler ne peut intervenir que sur le seul territoire national. Ce que nous appelons l'asile à la frontière consiste en une demande d'admission sur le territoire en vue d'y solliciter ensuite l'asile. L'OFPRA remet alors un avis. S'il est favorable, et à moins que des motifs d'ordre public ne s'y opposent, la personne entre sur le territoire où elle présente sa demande d'asile.

Si la personne se trouve, non à la frontière, mais à l'étranger, il lui est loisible de requérir auprès des postes diplomatiques et consulaires français un visa pour asile. Il l'autorisera à pénétrer sur le territoire français, de nouveau pour y demander l'asile. À ce stade, le visa n'équivaut nullement à une décision d'octroi de l'asile. Je signalerai l'exemple récent qui a concerné le personnel afghan ayant travaillé pour la représentation française en Afghanistan. Il a bénéficié de cette procédure de visa pour asile. Contrairement à la procédure d'asile à la frontière, l'OFPRA n'y joue aucun rôle institutionnel. Tout au plus intervient-il occasionnellement dans la formation des agents des postes consulaires qui examinent les demandes de visa.

En pratique, il reste rare qu'une personne admise au titre d'un visa pour asile n'obtienne pas ensuite le statut de réfugié.

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Comment le travail de l'OFPRA avec le ministère de l'intérieur s'organise-t-il ? Nous cernons mal la nature des relations que l'OFPRA entretient avec son ministère de tutelle. Lors de son audition du 27 mai 2021, le directeur général de la DGEF nous indiquait que ses services tenaient régulièrement des réunions avec les entités qui travaillent sur les questions migratoires.

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Julien Boucher, directeur général de l'OFPRA

Nos relations avec la DGEF et, en son sein, plus spécifiquement avec la direction de l'asile, sont nombreuses et quotidiennes. Elles me concernent ainsi que l'ensemble des services de l'OFPRA.

Pour ma part, je participe à des réunions régulières où interviennent les différents acteurs de l'asile. Nous y suivons l'évolution des délais et le respect par l'OFPRA de ses objectifs. La DGEF, les ministres et leurs cabinets, nous associent par ailleurs à des réunions où nous partageons des points d'actualité. Des relations de travail s'organisent sur des aspects spécifiques, tels que des situations de tension de la demande d'asile dans des départements d'Outre-mer. Je pense par exemple à celles qui prévalent en Guyane ou à Mayotte.

Dans le respect des compétences et des spécificités des missions de chacun, la DGEF assure pleinement son rôle de coordination des différents acteurs de l'asile en France : les associations du dispositif national d'accueil, les préfectures et leurs guichets uniques, l'OFII, l'OFPRA et la CNDA.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur le directeur général, je tiens à souligner la qualité de l'accueil que l'OFPRA offre aux demandeurs d'asile et la forme de réconfort qu'il leur apporte. Je saluerai l'action de votre prédécesseur, M. Pascal Brice, qui a contribué, voici quelques années, à mettre en place une cellule d'accompagnement des personnes ayant subi des violences ou des discriminations de nature sexuelle.

La réunion se termine à dix-sept heures trente.