Intervention de Julien Boucher

Réunion du mercredi 16 juin 2021 à 16h05
Commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la france

Julien Boucher, directeur général de l'OFPRA :

Plus que leur authenticité, nous évaluons la crédibilité des déclarations des demandeurs d'asile. Tel est le cœur du métier de l'OFPRA.

J'insiste sur le fait que l'entretien constitue l'étape fondamentale de l'examen d'une demande d'asile. En les confrontant aux informations dont il dispose et par ses questions, l'officier de protection instructeur apprécie le bien-fondé des craintes que le demandeur exprime devant l'hypothèse d'un retour dans son pays d'origine. L'OFPRA compte en son sein une division spécialisée qui, selon une méthodologie harmonisée à l'échelle européenne, rassemble une information aussi objective, fiable et circonstanciée que possible sur les pays d'origine. Ici, la logique ne saurait être celle de la preuve matérielle. L'OFPRA se fie à l'expertise qu'il a développée au fil des années dans l'évaluation de la crédibilité des demandes d'asile.

Lors du traitement des dossiers individuels, je soulignerai que nous n'entretenons aucun contact avec les autorités des pays d'origine des demandeurs d'asile. De fait, dans nombre de cas, elles sont les auteurs des persécutions que les demandeurs ont subies ou encourent. En revanche, généralement en lien avec la CNDA, il nous arrive de conduire des missions de recueil d'informations dans certains pays d'origine, afin d'actualiser ou de préciser nos sources documentaires à leur sujet.

Par ailleurs, la loi nous donne des indications quant à la manière de traiter les demandes qui nous parviennent. Certaines demandes relèvent d'une procédure accélérée, avec un délai de traitement raccourci. Ce sont notamment celles qui émanent des ressortissants des États qui figurent sur la liste des « pays d'origine sûrs » ou celles que les préfectures classent en procédure accélérée pour des motifs qui tiennent à l'ordre public. La loi prescrit encore de traiter prioritairement les demandes pour lesquelles des facteurs particuliers de vulnérabilité existent et qui commandent un octroi plus rapide de la protection.

Indépendamment de ces indications, nous prenons en compte la réalité des flux de demandes. Leur augmentation importante nous conduit à développer notre capacité de traitement pour y répondre. Il nous faut alors former nos officiers de protection instruction et résoudre les problématiques inhérentes à l'interprétariat. J'évoquerai l'exemple, dans un passé récent, de l'augmentation de la demande afghane, albanaise ou géorgienne.

Notre objectif cardinal consiste en la réduction générale des délais d'instruction des demandes d'asile.

Sur la question de savoir si nous subissons d'éventuelles pressions en vue d'accorder ou de refuser le droit d'asile, ou encore de retirer le statut à des personnes qui en bénéficiaient, je répondrai clairement par la négative. J'ai rappelé dans mon propos introductif que l'OFPRA jouit d'une indépendance fonctionnelle. La loi la lui garantit et l'ensemble des acteurs en présence la lui reconnaissent.

S'agissant des mineurs non accompagnés, l'OFPRA en analyse la problématique d'abord sous l'angle de l'accessibilité de la procédure de demande d'asile. Les demandes que des mineurs non accompagnés lui adressent n'excèdent pas quelques centaines par an. Leur total reste très inférieur aux estimations qui se rapportent à la population de ces mineurs présents sur le territoire national. Le constat atteste que nombre d'entre eux ne recourent pas, quand ils le pourraient, à la procédure d'asile.

Certainement, la raison en tient-elle déjà à un défaut de connaissance de la procédure de la part des personnes qui assistent ces mineurs, particulièrement au titre de l'aide sociale à l'enfance. C'est pourquoi nous favorisons leur information et leur proposons des formations spécifiques. Peut-être des difficultés tiennent-elles également à l'idée selon laquelle la procédure d'asile ne revêtirait guère d'intérêt pour des mineurs qui bénéficient par ailleurs de l'aide sociale à l'enfance. Une telle approche me paraît erronée : la protection de l'asile prend tout son sens lors de l'accession à la majorité, quand le dispositif de l'aide sociale à l'enfance s'interrompt.

Cependant, si rien n'empêche en principe des mineurs de formuler une demande d'asile, des contraintes liées à leur représentation apparaissent. En l'absence de représentant légal, il revient au procureur de désigner un administrateur ad hoc. Longue, la procédure se révèle parfois dissuasive.

Sur ces questions, l'OFPRA conduit des réflexions et des travaux en lien avec la direction générale des étrangers en France (DGEF) du ministère de l'intérieur et la représentation française du haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR).

Enfin, le règlement de Dublin III met en œuvre un principe fondamental du régime européen commun d'asile, à savoir l'unicité de l'État membre responsable d'une demande d'asile. S'il importe de préserver ce principe, nous savons que le règlement a montré ses limites tant sur le plan de son efficacité que sur celui de la prise en compte de l'intérêt des demandeurs d'asile.

La proposition de 2020 de règlement du Parlement et du Conseil européens sur la gestion de l'asile et des migrations présente le mérite de chercher un nouvel équilibre. Elle renforce les règles de responsabilité des États membres en en prolongeant la durée, elle élargit les critères de détermination de la responsabilité afin de mieux intégrer la réalité des attaches que les demandeurs peuvent entretenir avec tel ou tel pays de l'Union européenne et elle reconsidère les mécanismes de solidarité qui forment la nécessaire contrepartie de la responsabilité.

Il ne m'appartient pas de me substituer au Gouvernement dans le choix du meilleur équilibre et dans la recherche d'un consensus entre les États européens. Je soulignerai simplement l'importance de travailler en parallèle à l'intensification de la coopération entre les instances en charge de l'asile, qu'il s'agisse de la qualité des échanges d'informations ou de leur célérité, ainsi que sur la convergence des pratiques d'asile, convergence de nature à limiter les mouvements migratoires secondaires. L'OFPRA s'y emploie, notamment par sa participation aux travaux du bureau européen d'appui en matière d'asile ( european asylum support office, EASO). Ce dernier contribue à l'élaboration de l'information sur les pays d'origine, de même qu'à la définition de lignes directrices propres à l'application des principes clefs de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et des directives européennes relatives au statut des réfugiés.

À côté des questions qui polarisent l'attention, telle la refonte du dispositif du règlement de Dublin, nous ne devons pas négliger ces coopérations concrètes. Elles s'avèrent essentielles au bon fonctionnement du régime d'asile européen commun.

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