Intervention de Julien Boucher

Réunion du mercredi 16 juin 2021 à 16h05
Commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la france

Julien Boucher, directeur général de l'OFPRA :

Les délais d'instruction des dossiers figurent au nombre des objectifs stratégiques assignés à l'établissement. Un premier objectif de six mois concerne ce que nous pouvons appeler la « chaîne de l'asile ». Elle s'étend de l'enregistrement au guichet unique des préfectures à l'éventuelle décision de la CNDA. Ce délai implique pour l'OFPRA de ramener ses propres procédures à un délai moyen de deux mois, afin de laisser aux autres acteurs le temps d'intervenir et de statuer.

En 2018 et 2019, avant le déclenchement de la crise sanitaire, l'OFPRA avait atteint des délais compris entre 150 et 160 jours, soit de cinq mois à cinq mois et demi. En 2020, ce délai moyen a augmenté assez sensiblement, en passant à 260 jours, soit huit mois et demi.

L'allongement du délai d'instruction ne trahit pas une impéritie de l'OFPRA qui, au cours des dernières années, n'a pas manqué de revoir l'ensemble de ses procédures, en particulier les mécanismes de convocation et de réservation des plages d'interprétariat. Il reflète plutôt l'augmentation du stock des demandes en instance. De 2018 aux premiers mois de 2020, la demande d'asile a régulièrement dépassé la capacité décisionnelle de l'OFPRA. Le constat a justifié le renfort de l'effectif de l'établissement, tant en vue d'absorber le flux des demandes nouvelles que de réduire le stock de celles en instance.

La crise sanitaire a pesé sur le calendrier des recrutements aussi bien que sur la capacité décisionnelle de l'Office. Le maintien de l'activité, y compris en télétravail intégral pendant le premier confinement, n'a pas empêché une baisse de l'ordre de 25 % de notre capacité de traitement des demandes d'asile. La conséquence en fut un stock relativement important en fin d'année 2020.

La tendance s'est depuis inversée. À l'automne 2020, nous sommes parvenus à pourvoir l'ensemble des emplois supplémentaires qui nous étaient alloués. Compte tenu du temps nécessaire à la formation des nouveaux agents, l'augmentation des effectifs a commencé à produire ses effets à compter du début de 2021.

Actuellement, la capacité de décision de l'OFPRA dépasse notablement la demande d'asile. Aussi, le stock des demandes en instance se réduit-il rapidement. En comparaison du mois de novembre 2020, sa baisse avoisine 30 %. Sous réserve d'une possible reprise de la demande, nous pensons ramener le stock des dossiers en attente à son niveau incompressible à l'échéance de la fin de 2021. L'établissement pourra ensuite atteindre ses objectifs de délais.

Dans le domaine de l'asile, le contentieux ne dénote aucune pathologie de la décision administrative. Il ne survient pas occasionnellement, mais fait partie intégrante de la procédure d'examen des demandes. Il se traduit par un taux de recours devant la CNDA contre les décisions négatives de l'OFPRA traditionnellement compris entre 80 et 85 %. Depuis 2020, nous constatons néanmoins une baisse marquée, peut-être conjoncturelle, avec un taux de recours qui s'établit désormais à environ 70 %.

Depuis plusieurs années, les rapports entre l'OFPRA et la CNDA révèlent une situation plus équilibrée qu'elle ne l'était auparavant quand la seconde accordait la majorité des protections. En 2020, le taux global de protection de l'OFPRA s'établissait à environ 24 %. La CNDA y a ajouté quelque 12 points d'accords supplémentaires. Les décalages qui occasionnellement subsistent entre les pratiques respectives de protection de l'OFPRA et de la CNDA se résolvent à l'occasion des procédures contentieuses, soit que le premier emporte la conviction de la seconde, soit qu'il s'aligne sur sa jurisprudence, jurisprudence le cas échéant confirmée en cassation par le Conseil d'État.

Étroites, les relations de l'OFPRA avec la CNDA revêtent d'abord un aspect technique. Elles consistent en la transmission dématérialisée des dossiers à la CNDA. Elles visent à assurer un traitement efficace des recours devant la Cour. Les deux institutions organisent également des missions communes de recueil d'informations objectives sur les pays d'origine des demandeurs d'asile. Leur fréquence est généralement de deux par an, quoiqu'en raison de la conjoncture particulière, aucune n'ait eu lieu en 2020.

Les divergences des pratiques en matière d'asile entre les États européens impliquent un travail de rapprochement de longue haleine. Ce travail se concrétise notamment dans l'enceinte du bureau européen d'appui en matière d'asile. L'OFPRA y participe à des groupes d'experts. Même dénués de force contraignante, les documents que ces derniers élaborent s'avèrent susceptibles, en alimentant une culture commune aux différentes autorités nationales de l'asile, d'harmoniser leurs pratiques. L'OFPRA et la CNDA s'y réfèrent par exemple dans leurs décisions. Dans le cas de l'Afghanistan, la tendance confirme un rapprochement progressif des taux de protection des États membres de l'Union européenne.

La fixation de la liste des pays d'origine sûrs relève de la compétence du conseil d'administration de l'OFPRA. L'inscription sur la liste n'emporte nullement le rejet systématique de toute demande émanant des personnes en provenance d'un de ces pays. Chaque demande continue de faire l'objet d'un examen individuel, avec l'application des mêmes garanties, dont l'organisation d'un entretien avec l'intéressé. En revanche, l'instruction s'en tient à des délais plus resserrés, inhérents à une procédure accélérée. Un reclassement de la demande vers la procédure dite normale demeure possible si les spécificités du dossier justifient un temps d'instruction accru.

En 2020, l'OFPRA a pris 312 décisions de retrait ou de fin de statut de réfugié, dont une centaine pour des motifs d'ordre public. Les autres décisions renvoient à des situations d'allégeance au pays d'origine ou à des changements de circonstances. Il convient de rapporter ce total à la population de 455 000 personnes protégées.

Nous relevons à l'évidence des différences dans la préparation des dossiers qui parviennent à l'OFPRA. Elles tiennent à la qualité de l'accompagnement dont bénéficient au préalable les demandeurs d'asile. Certains d'entre eux s'adressent à des officines qui les incitent à l'emploi de récits stéréotypés au détriment de la réalité de leur parcours personnel. Inversement, des associations, notamment celles du dispositif national d'accueil, apportent un accompagnement de qualité, mieux adapté à la préparation de l'entretien et à l'examen du dossier par l'OFPRA.

Quant à la protection subsidiaire, l'OFPRA l'accorde sans limitation de durée. Aucun système de réexamen périodique n'intervient. Seule une évolution majeure, et positive, dans le pays d'origine peut conduire à revenir sur la décision de protection. Par le passé, l'OFPRA a eu à connaître de ce type de cas de figure, par exemple à la suite de la démocratisation de l'Espagne ou de la chute du « rideau de fer ».

Sur la question des moyens de l'OFPRA, particulièrement de ses moyens humains, leur renforcement significatif dans le budget de 2020, avec l'octroi de 200 nouveaux postes, soit une augmentation de 25 % de son effectif, permet sans conteste à l'établissement de remplir ses missions et d'atteindre ses objectifs de délais. Je mesure l'ampleur de l'effort consenti en faveur de l'Office. D'éventuelles limites ultérieures tiendront à des évolutions pour l'heure imprévisibles de la demande d'asile.

Bien qu'elles aient pâti de la crise sanitaire, les missions « hors les murs » restent une composante importante de l'action de l'OFPRA. En 2019, elles atteignaient le nombre de 75. Elles revêtent plusieurs natures. Certaines ‒ une quarantaine en 2019 ‒ se déploient à la demande des préfectures sur le sol national, en métropole ou en outre-mer ; d'autres se déroulent à l'étranger, au sein ou en dehors de l'Union européenne. Ces dernières, en particulier des missions dites de réinstallation, concrétisent les engagements internationaux de la France.

Le rattachement institutionnel de l'OFPRA au ministère de l'intérieur ne me paraît pas manquer de cohérence. La compétence de ce ministère embrasse en effet l'ensemble des problématiques d'asile et d'immigration. Il revient à la DGEF d'assurer la coordination des différents acteurs du domaine. La tutelle n'enlève rien à la spécificité du métier de l'OFPRA, ni à l'indépendance fonctionnelle que le législateur lui a accordée.

La question des interprètes demeure un sujet récurrent. Sa prégnance dépend de la rapidité des changements qui interviennent dans la composition de la demande d'asile. L'afflux de demandes d'une certaine nationalité, associée à une certaine langue, peut ponctuellement poser des difficultés. Pour autant, l'interprétariat ne limite pas fondamentalement notre activité. L'OFPRA recourt aux services de prestataires qualifiés, dans le cadre de la passation de marchés publics.

La rotation du personnel de l'OFPRA nous préoccupe. Le métier d'officier de protection instruction reste spécifique et exigeant. Il requiert une formation, ainsi qu'un temps d'apprentissage, relativement longs. L'expérience, la pratique de l'entretien, l'expertise, y occupent un rôle central. Il importe donc à l'Office de fidéliser ses collaborateurs. En ce sens, nous mettons l'accent sur les conditions de travail et la construction de parcours professionnels au sein de l'établissement. Nos officiers de protection sont souvent de très jeunes collaborateurs et majoritairement des femmes. Je tiens ici à saluer la qualité de leur engagement dans un métier qui les confronte à des récits de vie parfois douloureux.

Enfin, il faut préciser que le dépôt d'une demande d'asile à proprement parler ne peut intervenir que sur le seul territoire national. Ce que nous appelons l'asile à la frontière consiste en une demande d'admission sur le territoire en vue d'y solliciter ensuite l'asile. L'OFPRA remet alors un avis. S'il est favorable, et à moins que des motifs d'ordre public ne s'y opposent, la personne entre sur le territoire où elle présente sa demande d'asile.

Si la personne se trouve, non à la frontière, mais à l'étranger, il lui est loisible de requérir auprès des postes diplomatiques et consulaires français un visa pour asile. Il l'autorisera à pénétrer sur le territoire français, de nouveau pour y demander l'asile. À ce stade, le visa n'équivaut nullement à une décision d'octroi de l'asile. Je signalerai l'exemple récent qui a concerné le personnel afghan ayant travaillé pour la représentation française en Afghanistan. Il a bénéficié de cette procédure de visa pour asile. Contrairement à la procédure d'asile à la frontière, l'OFPRA n'y joue aucun rôle institutionnel. Tout au plus intervient-il occasionnellement dans la formation des agents des postes consulaires qui examinent les demandes de visa.

En pratique, il reste rare qu'une personne admise au titre d'un visa pour asile n'obtienne pas ensuite le statut de réfugié.

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