Intervention de Dominique Kimmerlin

Réunion du mercredi 16 juin 2021 à 18h30
Commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la france

Dominique Kimmerlin, présidente de la Cour nationale du droit d'asile :

S'il peut de prime abord surprendre que l'OFPRA et la CNDA aient chacun développé leur propre centre de documentation, la situation apparaît en définitive préférable à celle qui ferait prévaloir l'existence d'un outil commun. Sans doute gage d'une meilleure qualité, elle préserve également mieux l'indépendance des deux institutions et l'équilibre général du système. La remarque vaut particulièrement pour la CNDA, autorité de contrôle juridictionnelle de l'Office.

Nous n'en travaillons pas moins sur les mêmes sources documentaires. Si la CNDA annule environ 25 % des décisions de rejet qui lui sont déférées, nos démarches et notre approche ne diffèrent pas sensiblement de celles de l'OFPRA. Il arrive que l'Office n'ait temporairement pas encore intégré une nouvelle interprétation jurisprudentielle de la Cour. En matière d'asile comme dans d'autres domaines, la régulation juridictionnelle doit alors suivre son cours.

De plus, des échanges interviennent entre l'OFPRA et la CNDA dans le champ de la recherche documentaire. Tous les ans, nous organisons de concert des missions dans les pays d'origine des migrations. Réunissant des rapporteurs de la Cour et des officiers de protection instructeurs de l'office, elles permettent de mettre à jour nos informations et analyses.

Notre convergence de vues se vérifie par le très faible taux de pourvois en cassation que l'OFPRA ou les demandeurs d'asile engagent devant le Conseil d'État contre les décisions de la CNDA. Dans le second cas de figure, exceptionnel dans notre système juridictionnel, il n'excède pas 4 %. Quant aux infirmations en cassation des décisions de la Cour, elles restent résiduelles, de l'ordre d'une soixantaine par an.

D'importants renforts des effectifs de la Cour ont accompagné la fixation d'un objectif institutionnel de délai moyen de jugement. Ils se sont notamment traduits par le recrutement de rapporteurs et de secrétaires d'audience. Nous avons ouvert dix salles d'audience supplémentaires, pour atteindre un total de 32 salles en service et assurer de 6 000 à 6 500 audiences par an.

Nous employons tous les moyens dont nous disposons afin de remplir un objectif qui mobilise l'ensemble du personnel de la Cour. La réduction par deux du délai moyen de jugement depuis 2011 atteste de la réalité et des résultats de l'effort entrepris. Compte tenu des événements de la crise sanitaire, de leurs conséquences sur l'organisation du travail et la continuité du service, sans nous faudra-t-il patienter jusqu'en 2022. Cependant, sous réserve d'autres aléas, de l'ampleur des flux d'entrées sur le territoire français et du rythme de l'activité de l'OFPRA, je pense que nous devrions être en mesure d'atteindre notre objectif.

Deux récents mouvements de grève des avocats ont fortement affecté l'activité de la juridiction. Le premier est intervenu en 2019 : il s'opposait aux visio-audiences. Le second, au début de 2020, concernait le projet de réforme des retraites ; il a quotidiennement, et pendant plusieurs mois, provoqué l'annulation d'audiences, jusqu'à plus de 50 % d'entre elles. Depuis lors, nous avons rattrapé le retard. Notre stock actuel avoisine 28 000 affaires, ce qui représente à peine six mois d'activité.

Il faut rappeler que le droit d'asile se révèle un droit essentiellement jurisprudentiel. Le précédent y occupe une place centrale. Aussi longtemps que le juge de cassation ne le remet pas en cause, il s'impose en principe aux formations de jugement. Pour les affaires les plus significatives ou délicates, par exemple en ce qu'elles posent de nouveaux problèmes de droit, la CNDA jouit de la faculté de statuer en formation solennelle, dite « grande formation ». Celle-ci réunit un nombre de juges supérieur à celui des formations classiques.

La possibilité de tenir des visio-audiences résulte des dispositions de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018. Avec l'organisation de structures de premier accueil pour demandeurs d'asile (SPADA) réparties sur l'ensemble du territoire national, la loi entend que les intéressés puissent obtenir une audience à l'endroit même où ils résident, bénéficient de l'aide d'un travailleur social et de l'assistance d'un avocat. De ce point de vue, la visio-audience participe d'un meilleur accompagnement des demandeurs d'asile.

La CNDA a engagé un processus de médiation en juillet 2019 avec la profession des avocats qui exprimait des réserves à l'endroit des visio-audiences. Il s'est conclu par un accord qui nous permet d'expérimenter les visio-audiences à compter de l'automne 2021 dans les ressorts des cours d'appel de Nancy et de Lyon.

Les analyses respectives de l'OFPRA et de la CNDA sur les pays d'origine, en particulier sur l'Afghanistan, ne dénotent pas de divergences notables. L'OFPRA offre une protection à 66 % des demandeurs afghans. À partir des recours qu'elle examine, la CNDA n'apporte que résiduellement un supplément de protection. Des événements dramatiques ont récemment agité le débat public. Ils ont pu biaiser la discussion sur la protection des ressortissants afghans.

Restons mesurés. L'Afghanistan connaît des situations fort contrastées selon les régions et des problématiques de violence différentes entre les villes et les campagnes. À cet égard, notre appréciation a notamment évolué sous l'influence du dialogue que nous entretenons avec les juges européens qui traitent des mêmes questions. Par sa décision rendue en grande formation le 19 novembre 2020, la Cour a proposé un cadre d'analyse à l'usage de ses formations de jugement pour un traitement informé et approprié de la variété des recours que forment les demandeurs afghans. Dans ce type de contentieux, chaque dossier reste un cas d'espèce qui requiert un examen attentif et ne s'accommode guère des généralisations.

La décision a fait l'objet d'un pourvoi en cassation devant le Conseil d'État. Nous en attendons le résultat.

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