Intervention de Jean-Marie Burguburu

Réunion du mercredi 23 juin 2021 à 15h00
Commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la france

Jean-Marie Burguburu, président de la CNCDH :

« Une société ne peut détourner indéfiniment son regard des atteintes à la dignité humaine sans en subir directement ou insidieusement les maux » – et plus encore. « Il ne s'agit pas seulement de coût économique, social ou sécuritaire, mais également d'un prix moral, aux conséquences plus profondes. »

Monsieur le président, madame la rapporteure, vous connaissez ces mots : ils fondent l'existence de votre commission d'enquête et figurent dans la présentation de votre proposition de résolution. La CNCDH que j'ai l'honneur de présider depuis dix-huit mois y adhère. Les notions d'immigration, de réfugié, de migrant en général, d'apatride, ces notions complexes ne peuvent être séparées de cet état d'esprit dont je suis fier de penser que l'Assemblée nationale l'évoque.

La Commission nationale consultative des droits de l'homme est une institution publique de promotion et de protection des droits de l'homme. C'est un organe indépendant, créé en 1947 sous l'impulsion de René Cassin, prix Nobel de la paix, qui est le conseil indépendant du gouvernement et des pouvoirs publics en matière de droits de l'homme et de libertés fondamentales.

C'est une mission difficile, premièrement parce que ces sujets sont délicats, et vous les connaissez bien, et ensuite parce que les gouvernements successifs, malgré leurs bonnes paroles, n'écoutent que peu nos propos, nos avis, nos déclarations, qui sont publiés au Journal officiel. Si on avait encore le droit de parler latin dans une enceinte républicaine, je dirais que nous sommes parfois vox clamantis in deserto.

Mais ce désert se peuple d'oreilles attentives lorsque nous venons vous parler, à votre demande. Nous y sommes sensibles et vous en remercions.

Je ne serai pas long, en tout cas pas autant qu'il le faudrait sur ces sujets, pour laisser la parole à Mme Jacques et Mme Colas, qui sont plus anciennes que moi dans la Commission et vous parleront plus précisément de ses problématiques.

Ce que je veux dire ici, pour colorer nos propos et leur donner une direction, c'est que dans ses multiples tâches, la CNCDH est essentiellement vigilante sur deux points. Le premier est le respect par les lois françaises des conventions internationales ; nous en sommes le garant pour ce qui est des droits de l'homme. Or, je le dis à regret, et sans vouloir porter atteinte à l' imperium de l'Assemblée nationale, les lois françaises ne respectent pas toujours les conventions internationales. Elles poursuivent un but positif bien sûr, mais en oubliant parfois les obligations d'un droit international qui fait partie du droit français et qui s'impose au législateur comme il s'impose aux citoyens. C'est regrettable, et je pense que votre commission aura à cœur de corriger cette situation.

Le deuxième point concerne la pratique gouvernementale et administrative, sur le terrain. Dans cette pratique française, nombreux sont les obstacles à l'accès au droit des personnes migrantes, quelle que soit leur qualité, demandeurs du droit d'asile – et c'est un droit sacré que la République, poursuivant l'état d'esprit monarchique, car la France est une et indivisible, continue à pratiquer –, réfugiés économiques ou migrants de toute sorte. Cet accès au droit est au mieux dégradé, au pire nié ; et pourtant dans les lois que vous votez, il est affirmé ! Il y a un décalage grave, terrible, entre les textes que vous votez et la pratique.

Mais rassurez-vous, vous n'êtes pas les seuls : l'Europe, dont les textes aussi nous obligent, a inventé des systèmes qui sont devenus critiquables malgré la bonne volonté qui a présidé à leur adoption. Je veux parler de la procédure de Dublin, qui fait que c'est le territoire d'accueil initial qui doit régir définitivement le statut et l'accès au droit des personnes migrantes, ce qui crée une impossibilité pratique et juridique à la fois. On voit bien que les migrants « dublinés » – quel néologisme ! – qui sont sur notre sol ne vont pas repartir vers leur port d'accueil pour obtenir la régularisation de leurs droits, et encore moins lorsqu'ils souhaitent, par exemple, gagner le territoire britannique.

Dans ce propos introductif qui se veut politique plutôt que technique – au sens du souci de la cité, pas de l'engagement – je voudrais souligner combien ce décalage entre les projets gouvernementaux, les textes votés ou à voter et la réalité sur le terrain est insupportable. Il est bien sûr contraire aux grands principes qui devraient gouverner la France. J'ai entendu récemment que si la France était la patrie de la Déclaration des droits de l'homme, elle n'était pas toujours celle des droits de l'homme… Cette petite phrase résume ce décalage insupportable.

La Commission nationale consultative des droits de l'homme n'est pas un organisme administratif. Ses soixante membres sont pour moitié nommés par le Premier ministre en raison de leurs qualités et connaissances techniques, juridiques le plus souvent mais pas seulement, en matière de droits de l'homme. Ses trente autres membres sont des personnes morales, associations, ONG, groupements, syndicats.

Nous avons parmi nous Amnesty International France, la CIMADE, France terre d'asile. Vous les avez déjà entendus en tant que tels, mais quand vous écoutez la CNCDH, vous écoutez aussi leur voix. Quand je parle au nom de la CNCDH, je ne parle pas au nom d'un organisme abstrait, mais avec les connaissances des citoyens et des personnes impliquées sur le terrain, qui connaissent la douleur des situations que nous évoquons.

Nous nous sommes rendus récemment encore, et pas pour la première fois, à Calais. Nous avons vu les migrants, mais nous avons aussi vu la maire et le sous-préfet de Calais, et le préfet du département, avec qui nous avons parlé pendant plus d'une heure et demie. Bref nous connaissons la situation sur le terrain.

Je termine mon propos introductif en vous adressant une demande.

Un règlement en discussion au sein des instances européennes doit établir et mettre en œuvre prochainement un pacte sur la migration et l'asile. Ce règlement prévoit en son article 7 que chaque pays devra créer une autorité indépendante qui s'implique fortement avec les associations de terrain en matière d'asile et d'immigration. Je dis ici, et je parle sous serment, que la CNCDH est candidate. L'autorité indépendante que nous sommes déjà correspond à la demande de l'Union européenne d'avoir en France un organisme capable de vérifier sur le terrain comment sera respecté le futur pacte.

Nous sommes, comme nous l'étions dans le passé et le serons dans le futur, complètement impliqués. Nous souhaitons un aboutissement favorable aux travaux de votre commission d'enquête, dont j'ai dit combien les principes nous paraissent proches, et vous remercions une fois encore de nous avoir sollicités.

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