La réunion

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La réunion débute à quinze heures.

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Nous commençons nos auditions consacrées à l'accès au droit des personnes migrantes avec trois représentants de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), M. Jean-Marie Burguburu, son président, Mme Geneviève Jacques et Mme Geneviève Colas.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Jean-Marie Burguburu, Mme Geneviève Jacques et Mme Geneviève Colas prêtent chacun serment.)

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Jean-Marie Burguburu, président de la CNCDH

« Une société ne peut détourner indéfiniment son regard des atteintes à la dignité humaine sans en subir directement ou insidieusement les maux » – et plus encore. « Il ne s'agit pas seulement de coût économique, social ou sécuritaire, mais également d'un prix moral, aux conséquences plus profondes. »

Monsieur le président, madame la rapporteure, vous connaissez ces mots : ils fondent l'existence de votre commission d'enquête et figurent dans la présentation de votre proposition de résolution. La CNCDH que j'ai l'honneur de présider depuis dix-huit mois y adhère. Les notions d'immigration, de réfugié, de migrant en général, d'apatride, ces notions complexes ne peuvent être séparées de cet état d'esprit dont je suis fier de penser que l'Assemblée nationale l'évoque.

La Commission nationale consultative des droits de l'homme est une institution publique de promotion et de protection des droits de l'homme. C'est un organe indépendant, créé en 1947 sous l'impulsion de René Cassin, prix Nobel de la paix, qui est le conseil indépendant du gouvernement et des pouvoirs publics en matière de droits de l'homme et de libertés fondamentales.

C'est une mission difficile, premièrement parce que ces sujets sont délicats, et vous les connaissez bien, et ensuite parce que les gouvernements successifs, malgré leurs bonnes paroles, n'écoutent que peu nos propos, nos avis, nos déclarations, qui sont publiés au Journal officiel. Si on avait encore le droit de parler latin dans une enceinte républicaine, je dirais que nous sommes parfois vox clamantis in deserto.

Mais ce désert se peuple d'oreilles attentives lorsque nous venons vous parler, à votre demande. Nous y sommes sensibles et vous en remercions.

Je ne serai pas long, en tout cas pas autant qu'il le faudrait sur ces sujets, pour laisser la parole à Mme Jacques et Mme Colas, qui sont plus anciennes que moi dans la Commission et vous parleront plus précisément de ses problématiques.

Ce que je veux dire ici, pour colorer nos propos et leur donner une direction, c'est que dans ses multiples tâches, la CNCDH est essentiellement vigilante sur deux points. Le premier est le respect par les lois françaises des conventions internationales ; nous en sommes le garant pour ce qui est des droits de l'homme. Or, je le dis à regret, et sans vouloir porter atteinte à l' imperium de l'Assemblée nationale, les lois françaises ne respectent pas toujours les conventions internationales. Elles poursuivent un but positif bien sûr, mais en oubliant parfois les obligations d'un droit international qui fait partie du droit français et qui s'impose au législateur comme il s'impose aux citoyens. C'est regrettable, et je pense que votre commission aura à cœur de corriger cette situation.

Le deuxième point concerne la pratique gouvernementale et administrative, sur le terrain. Dans cette pratique française, nombreux sont les obstacles à l'accès au droit des personnes migrantes, quelle que soit leur qualité, demandeurs du droit d'asile – et c'est un droit sacré que la République, poursuivant l'état d'esprit monarchique, car la France est une et indivisible, continue à pratiquer –, réfugiés économiques ou migrants de toute sorte. Cet accès au droit est au mieux dégradé, au pire nié ; et pourtant dans les lois que vous votez, il est affirmé ! Il y a un décalage grave, terrible, entre les textes que vous votez et la pratique.

Mais rassurez-vous, vous n'êtes pas les seuls : l'Europe, dont les textes aussi nous obligent, a inventé des systèmes qui sont devenus critiquables malgré la bonne volonté qui a présidé à leur adoption. Je veux parler de la procédure de Dublin, qui fait que c'est le territoire d'accueil initial qui doit régir définitivement le statut et l'accès au droit des personnes migrantes, ce qui crée une impossibilité pratique et juridique à la fois. On voit bien que les migrants « dublinés » – quel néologisme ! – qui sont sur notre sol ne vont pas repartir vers leur port d'accueil pour obtenir la régularisation de leurs droits, et encore moins lorsqu'ils souhaitent, par exemple, gagner le territoire britannique.

Dans ce propos introductif qui se veut politique plutôt que technique – au sens du souci de la cité, pas de l'engagement – je voudrais souligner combien ce décalage entre les projets gouvernementaux, les textes votés ou à voter et la réalité sur le terrain est insupportable. Il est bien sûr contraire aux grands principes qui devraient gouverner la France. J'ai entendu récemment que si la France était la patrie de la Déclaration des droits de l'homme, elle n'était pas toujours celle des droits de l'homme… Cette petite phrase résume ce décalage insupportable.

La Commission nationale consultative des droits de l'homme n'est pas un organisme administratif. Ses soixante membres sont pour moitié nommés par le Premier ministre en raison de leurs qualités et connaissances techniques, juridiques le plus souvent mais pas seulement, en matière de droits de l'homme. Ses trente autres membres sont des personnes morales, associations, ONG, groupements, syndicats.

Nous avons parmi nous Amnesty International France, la CIMADE, France terre d'asile. Vous les avez déjà entendus en tant que tels, mais quand vous écoutez la CNCDH, vous écoutez aussi leur voix. Quand je parle au nom de la CNCDH, je ne parle pas au nom d'un organisme abstrait, mais avec les connaissances des citoyens et des personnes impliquées sur le terrain, qui connaissent la douleur des situations que nous évoquons.

Nous nous sommes rendus récemment encore, et pas pour la première fois, à Calais. Nous avons vu les migrants, mais nous avons aussi vu la maire et le sous-préfet de Calais, et le préfet du département, avec qui nous avons parlé pendant plus d'une heure et demie. Bref nous connaissons la situation sur le terrain.

Je termine mon propos introductif en vous adressant une demande.

Un règlement en discussion au sein des instances européennes doit établir et mettre en œuvre prochainement un pacte sur la migration et l'asile. Ce règlement prévoit en son article 7 que chaque pays devra créer une autorité indépendante qui s'implique fortement avec les associations de terrain en matière d'asile et d'immigration. Je dis ici, et je parle sous serment, que la CNCDH est candidate. L'autorité indépendante que nous sommes déjà correspond à la demande de l'Union européenne d'avoir en France un organisme capable de vérifier sur le terrain comment sera respecté le futur pacte.

Nous sommes, comme nous l'étions dans le passé et le serons dans le futur, complètement impliqués. Nous souhaitons un aboutissement favorable aux travaux de votre commission d'enquête, dont j'ai dit combien les principes nous paraissent proches, et vous remercions une fois encore de nous avoir sollicités.

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Geneviève Jacques, membre de la CNCDH

Pour en parler de façon un peu plus concrète, la CNCDH s'attache depuis longtemps au respect des droits et à la dignité des personnes migrantes, en particulier dans l'application des multiples lois – dix-huit depuis 1980 – qui s'empilent sur les questions migratoires.

La dernière en date est la loi de 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie. À cette occasion, la CNCDH, saisie par le ministère de l'intérieur, avait remis un avis important, résultat d'un grand nombre d'auditions et travaux divers. Je voudrais en reprendre les éléments en les actualisant, car ils correspondent à des préoccupations de la Commission qui n'ont rien perdu de leur importance trois ans plus tard.

Le premier grand domaine de préoccupation est la régression de l'accès effectif au droit d'asile – régression car cela va moins bien, accès effectif car les obstacles se multiplient. Ce chemin régressif se situe dans le cadre d'un changement de regard et de perspective des pouvoirs publics et malheureusement d'une partie de l'opinion sur les personnes qui arrivent en France en demande de protection, et va de la mesure de fermeture des frontières au niveau européen jusqu'aux plus récentes lois et circulaires.

Dans ce climat de peur, de fermeture, voire de dissuasion, une approche quantitative et économique des questions d'asile est privilégiée sur l'aspect de protection qui est la nature même de l'asile. Cela se traduit, pour donner des exemples rapides, premièrement par la réduction des délais appliqués par les préfectures. Si cet objectif posé par la loi semble louable, car autrefois les délais très longs étaient dénoncés, il se traduit dans les faits par des risques et des difficultés accrus dans le dépôt de la demande d'asile. Toute personne arrivant sur le territoire doit dorénavant déposer sa demande dans les quatre-vingt-dix jours. Cela semble beaucoup, trois mois, mais pour des personnes qui ne parlent pas la langue française et qui doivent commencer par rencontrer des associations ou des compatriotes qui puissent les orienter, ce n'est pas énorme. Et toute personne qui dépasse ce délai se voit placée en procédure accélérée, c'est-à-dire avec une effectivité du recours réduite.

Autre mesure dont l'introduction a été lourde de conséquences, la double demande obligatoire : si l'on peut prétendre à un autre titre de séjour par exemple en raison de sa santé, on doit en déposer la demande en parallèle de la demande d'asile, dans un délai très court. Or il s'avère qu'un certain nombre de personnes ne comprennent pas la procédure et ne sont pas accompagnées. Le résultat est que des personnes gravement malades qui n'ont pas fait leur demande dans les temps risquent, si elles sont déboutées de leur demande d'asile, de se voir renvoyer dans un pays où elles ne seront pas suivies.

De façon générale, on constate des difficultés accrues dans l'accès même à la procédure. Vous avez certainement déjà entendu parler de tout ce millefeuille d'obstacles rajoutés : il faut d'abord passer par une plateforme d'accueil pour ensuite accéder à la préfecture, par le biais d'un guichet spécial, et tout cela avant même d'avoir accès à l'OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides). Toutes ces étapes doivent être réalisées dans des délais très courts, qui n'étaient déjà pas respectés et qui ont complètement disparu pendant la pandémie. Le résultat, c'est toutes ces personnes qui se trouvent en errance dans les rues et dans les campements, faute d'avoir pu même lancer la procédure. Le manque de personnel en nombre suffisant pour traiter tous les cas cause un véritable goulot d'étranglement.

Une autre question non résolue et qui s'aggrave est liée aux conditions matérielles d'accueil, et cela à différentes étapes. Il y a d'abord un grave défaut à l'arrivée des personnes sur le territoire, avant qu'elles ne commencent les démarches. Il n'y a aucune structure de premier accueil et ces gens peuvent rester plusieurs semaines sans droits, alors qu'ils viennent demander la protection en France et ont souvent eu, nous le savons, des parcours très difficiles. Et ensuite, lorsque les procédures sont lancées, les structures existantes sont tout à fait insuffisantes face au nombre de demandeurs d'asile, même si le nombre de places en centre d'accueil pour demandeur d'asile (CADA) ou dans les hébergements d'urgence spécialisés a été augmenté. De surcroît, de trop nombreux centres ne disposent pas d'un accompagnement suffisant pour permettre aux personnes exilées de bien comprendre leur situation et de préparer leur demande d'asile.

Enfin, la France poursuit l'application de la procédure de Dublin. Critiquée par pratiquement tous les pays, cette procédure, non seulement inefficace mais également absurde et injuste, a pour effet sur notre territoire de multiplier le nombre de gens qui restent sans droits, et cela pendant toute sa durée, qui peut atteindre dix-huit mois. Si l'on refuse d'être transféré dans le pays que l'on vient de quitter, l'on peut rester pratiquement dix-huit mois sans aucun droit. Toutes ces personnes se retrouvent dans les campements autour de Paris et des grandes villes.

Le deuxième domaine de préoccupation, qui est aussi régi par la loi, c'est le durcissement des mesures d'éloignement forcé et de privation de liberté en centre de rétention administrative. Ce qu'on appelle « maîtrise de l'immigration » dans le titre de la loi se traduit, comme nous le dénoncions depuis sa promulgation, par un recours de plus en plus systématique à l'obligation de quitter le territoire français (OQTF). La France est championne d'Europe des mesures d'éloignement forcé. Les cas où ces mesures sont accompagnées de façon automatique d'une interdiction de retour sur le territoire français (IRTF) pour un à trois ans ne font que croître depuis deux ans. Les conséquences humaines que nous constatons sur le terrain sont tout à fait graves pour de nombreuses personnes qui ont tissé l'essentiel de leur vie en France et se retrouvent dans des situations inextricables.

Ensuite, les cas où les délais de recours sont ramenés à quarante-huit heures se sont multipliés, ce qui correspond en pratique à une ineffectivité du droit au recours, ne serait-ce que compte tenu du temps qu'il faut pour trouver un avocat.

La durée maximale d'enfermement en centre de rétention administrative, elle, est passée de quarante-cinq à quatre-vingt-dix jours. La CNCDH dénonce assidûment l'aspect punitif et dissuasif de cette mesure, qui s'éloigne des fondements du placement en centre de rétention, envisagé comme un dernier recours et limité à la durée nécessaire. Cet aspect punitif s'est particulièrement vu pendant la période de la pandémie : alors que les frontières étaient fermées et qu'il était impossible objectivement de reconduire quelqu'un dans un pays tiers, on a continué à placer des gens en centre de rétention, tout en sachant qu'ils seraient libérés quatre-vingt-dix jours plus tard.

Enfin, nous réitérons notre dénonciation de l'enfermement des mineurs en centre de rétention administrative. La France a été condamnée huit fois pour cette raison, il serait grand temps d'y mettre fin.

Troisième grand sujet, nous constatons que des milliers de personnes étrangères sur notre territoire voient leurs droits menacés ou carrément niés. Je mentionne juste le cas des mineurs non accompagnés et des jeunes majeurs pour dire qu'il est reconnu comme étant d'une importance cruciale. Avant d'être des jeunes étrangers, ce sont des jeunes en danger, qui doivent se voir appliquer les droits qui existent en France, des jeunes qui se trouvent brutalement rejetés à leur majorité, devenus étrangers en situation irrégulière.

Ces jeunes se retrouvent ensuite dans la grande foule de ceux que l'on appelle à tort les sans-papiers, qui sont en fait des étrangers qui n'ont pas ou plus de titre de séjour en règle. Parmi les dizaines, voire centaines de milliers de personnes concernées se trouvent ceux que l'on appelle les travailleurs sans papiers. J'insiste sur le fait que, pendant la pandémie, ces travailleurs dits sans papiers ont été les premiers de corvée pour assurer l'accompagnement des personnes à domicile, les travaux d'entretien, bref toutes les activités qui n'ont pas cessé – ils sont obligés de travailler, ne bénéficiant d'aucun droit. La CNCDH, à l'instar d'un grand nombre d'associations, de syndicats et de personnalités, demande que des critères de régularisation de tous ces travailleurs qui se trouvent en France depuis des années soient enfin mis sur la table.

Pour terminer cette trop rapide énumération, la Commission a aussi pris des positions sur la situation des personnes étrangères aux frontières, surtout à Calais et à la frontière italienne, et aussi dans les outre-mer.

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Geneviève Colas, membre de la CNCDH

Accréditée auprès des Nations Unies, la CNCDH assure le relais de toutes les décisions prises par le Conseil des droits de l'homme des Nations unies et de toutes les observations et recommandations des organes de traités. Pour ce qui nous concerne aujourd'hui, la protection juridique internationale dont bénéficient les migrants est directement liée à leur motif de déplacement.

S'ils fuient leur pays pour échapper à la persécution au sens du A. de l'article 1er de la Convention relative au statut des réfugiés, dite convention de Genève, ce sont des demandeurs d'asile et des réfugiés. Ils peuvent prétendre à la protection spéciale accrue garantie par ce traité international qui a été ratifié par 145 États.

S'ils ont quitté leur pays pour une autre raison, ils sont désignés comme des migrants et jouissent d'une protection non pas spéciale mais seulement générale, en vertu du droit international et des droits de l'homme – qui leur confèrent quand même des droits, il est important de le rappeler.

Les mineurs non accompagnés, il ne faut pas l'oublier, ne sont pas des personnes en situation irrégulière. La France, État partie à la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE), s'est engagée dans son cinquième rapport périodique, soumis au Comité des droits de l'enfant de l'ONU en 2016, à aborder cette question sensible des mineurs non accompagnés avec responsabilité et en gardant à l'esprit que la protection de l'intérêt supérieur de l'enfant doit primer. Or les difficultés sont nombreuses dans la réalité, s'agissant notamment des enfants en rétention, des mineurs non accompagnés et de l'ensemble de ce qui peut se jouer dans le domaine de la protection de l'enfance.

Rappelons que les engagements internationaux pris par la France au niveau mondial ou européen s'appliquent aux personnes étrangères en situation régulière ou irrégulière sur le territoire national. S'agissant des droits fondamentaux applicables aux personnes migrantes en situation irrégulière, il est précisé dans l'article 2 de la Déclaration universelle des droits de l'homme que chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés qu'elle proclame. Ainsi les migrants jouissent-ils, comme toutes les autres personnes, des droits garantis par exemple par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, par la Convention internationale des droits de l'enfant ou par la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Pour ce qui est des enfants, le Comité des droits de l'enfant a confirmé que l'enseignement s'étendait à toutes les personnes d'âge scolaire résidant sur le territoire des États parties. Plus spécifiquement, la CIDE, qui dispose d'un champ d'application étendu, stipule à son article 2 que ses dispositions s'appliquent à tous les enfants relevant de la juridiction des États signataires, sans distinction aucune.

Je voudrais maintenant insister sur quelques-uns des manquements de la France à ses obligations internationales et sur ses condamnations quant au traitement des personnes migrantes.

En 2016, le Comité des droits de l'enfant de l'ONU recommandait à la France d'allouer suffisamment de moyens sur l'ensemble de son territoire, outremer compris, à l'appui spécialisé aux enfants – protection, représentation juridique, assistance sociale… – et d'adopter les mesures juridiques nécessaires pour éviter leur placement. Nous avons analysé ses recommandations, et vous en retrouverez un certain nombre dans nos avis. Je rappelle que le Comité évalue régulièrement la France et que cette année, ce dispositif d'évaluation se remet en route.

Concernant plus particulièrement les mineurs non accompagnés, l'État français, en ratifiant la Convention internationale des droits de l'enfant, en a approuvé les principes et a l'obligation légale de l'appliquer. Il doit donc garantir à tout enfant l'ensemble des droits énoncés par le texte, et les actions et l'inaction de ses organes exécutif, législatif et judiciaire engagent sa responsabilité. Mais les violations des droits des enfants migrants non accompagnés sur notre territoire perdurent. Elles continuent d'être dénoncées et l'État français continue d'ignorer les signalements réguliers et les recommandations du Comité des droits de l'enfant.

Pour donner quelques exemples, il peut s'agir de la violation du droit à l'identité de l'enfant, qui prive l'enfant de la protection de l'État et de l'accès aux droits qui sont reconnus par la Convention, de la violation du principe de protection inconditionnelle de l'enfance, de la violation du principe de primauté de l'intérêt supérieur de l'enfant ou du principe de non-discrimination, lorsque son traitement est différencié par rapport aux mineurs nationaux, de la violation du droit à la vie privée ou du droit du mineur d'exprimer librement son opinion, ou encore de la violation de son droit aux soins et à l'éducation ou de sa liberté de circulation.

Je rappelle que les mineurs non accompagnés sont particulièrement vulnérables face à certaines formes d'exploitation et de traite. La CNCDH formule des recommandations à ce sujet dans ses avis, en insistant en particulier sur la nécessité de leur donner un représentant légal dès leur arrivée en France, un hébergement digne et un accompagnement adapté.

J'insiste sur la première de ces préconisations, qui soulève la question des administrateurs ad hoc et tuteurs. Ne pas trouver d'administrateur ad hoc, dont l'intervention est nécessaire, est parfois ce qui empêche un mineur de demander l'asile à la frontière. Surtout, le tuteur ou l'administrateur ad hoc est indispensable car c'est lui qui aidera le jeune à faire valoir ses droits.

L'ONU n'est pas seule à dénoncer ces violations, comme en attestent deux arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme. L'arrêt Khan contre France du 28 février 2019 a condamné la France pour défaut de prise en charge d'un mineur non accompagné après le démantèlement d'un camp de fortune établi à Calais et la démolition de sa cabane. L'arrêt Moustahi contre France du 25 juin 2020 concernait l'expulsion de mineurs non accompagnés à Mayotte, sur le fondement du rattachement fictif du mineur à des adultes qui ne sont pas ses parents, alors que le père était présent sur le terrain. La CNCDH transmet régulièrement des informations aux services de la Cour européenne des droits de l'homme chargés du suivi de l'exécution de ses arrêts.

Concernant le socle humanitaire, la rapporteure spéciale des Nations unies sur le logement convenable en tant qu'élément du droit à un niveau de vie suffisant ainsi que sur le droit à la non-discrimination à cet égard a déclaré, suite à une visite à Calais, que les pratiques signalées par les habitants de campements constituent une violation flagrante du droit à un logement convenable, à l'eau, à l'assainissement et à la santé.

S'agissant des violences policières à l'égard des personnes migrantes, les observations finales du Comité contre la torture des Nations unies sur le septième rapport périodique de la France, en 2016, faisaient état de sa préoccupation à l'égard des allégations de violences contre les demandeurs d'asile et les migrants, ainsi que par leur situation à Calais et dans la région.

Dans ses observations finales en 2016, le Comité des droits de l'homme des Nations unies s'inquiétait des allégations de mauvais traitements, d'usage excessif de la force et d'utilisation disproportionnée des armes et demandait à la France de prendre des mesures correctives efficaces.

Les traitements dégradants à l'égard des demandeurs d'asile font aussi l'objet d'un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 2 juillet 2020, N.H. contre France. La Cour estime que les autorités françaises « doivent être tenues pour responsables des conditions dans lesquelles ils se sont trouvés pendant des mois, vivant dans la rue, sans ressources, sans accès à des sanitaires, ne disposant d'aucun moyen de subvenir à leurs besoins essentiels ».

Concernant les personnes migrantes victimes d'exploitation et de traite, le durcissement continu des politiques d'immigration a eu pour effet de renchérir les voies de migration. La difficulté de recourir à la migration légale a pour conséquence le développement de la traite des êtres humains sous toutes ces formes. La CNCDH est rapporteur national indépendant auprès des institutions européennes sur le thème de la traite des êtres humains. Nous avons publié différents avis à ce sujet dont vous pourrez prendre connaissance.

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Merci pour ces éléments sur les missions multiples de la CNCDH. Nous avons entendu votre candidature pour le suivi du pacte « asile et migration » de l'Union européenne, de nombreuses oreilles nous écoutent et le message est passé.

Nous sommes également allés à Calais, avec une dizaine de parlementaires. Nous sommes allés à la rencontre des migrants, nous avons vu où ils étaient, et nous avons pu constater que le respect des droits les plus élémentaires n'était pas garanti. D'ailleurs, au moment où nous visitions le centre de rétention administrative de Coquelles, une expulsion s'est déroulée à quelques kilomètres. L'instruction du Gouvernement visant à donner une nouvelle impulsion à la résorption des camps illicites et des bidonvilles précise qu'un bilan diagnostic sanitaire et social est réalisé et qu'un suivi est prévu après une expulsion. Nous avons constaté des manquements absolus des services de l'État sur cet aspect, nous ne manquerons pas d'y revenir.

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« Il n'y a pas de sécurité sans développement, il n'y a pas de développement sans sécurité, et il ne peut y avoir ni sécurité, ni développement si les droits de l'homme ne sont pas respectés. » Cette déclaration de Kofi Annan se retrouve dans vos propos, et nous voulons assurer la sécurité de toutes les personnes habitant sur notre sol, migrants ou non. Nous souhaitons aussi aborder la question du développement soutenable et durable, qui ne peut pas exister à long terme sans le bien-être et les droits de l'homme.

Vous avez connu la situation avant le transfert de la responsabilité de l'immigration au ministère de l'intérieur, en 2007.Je voudrais connaître votre expérience sur ce point. Les personnes que nous avons auditionnées font souvent état de difficultés à trouver les bons interlocuteurs, et lorsque les interlocuteurs sont trouvés, ils n'ont pas l'impression de parler le même langage. Un médecin de l'association Médecins sans frontières nous a déclaré avoir besoin d'échanger avec des personnes de l'agence régionale de santé. Nous respectons le ministère de l'intérieur, ses agents et les policiers, et nous ne sommes pas là pour dire qu'il y a des gentils d'un côté et des méchants de l'autre, mais face aux situations humaines terribles, nous devons trouver des solutions.

Je suis convaincue que l'interdisciplinarité que requiert la gestion des migrants est à la racine du problème. Les autorités chargées de l'immigration ne se concertent pas avec le ministère du travail ni avec le ministère des affaires sociales, devenu ministère de la santé et des solidarités. Pour obtenir des laissez-passer, les ambassadeurs ont besoin d'avoir pour interlocuteurs des diplomates.

L'action internationale de la France est jugée très favorablement quand nous défendons les Birmans, les Arméniens ou d'autres causes honorables. Nous sommes critiqués sur l'écologie et les migrants, et nous avons besoin d'interdisciplinarité dans ces domaines.

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En tant que membre de la commission des lois, j'ai participé aux débats sur la loi asile et immigration et une évaluation de ce texte vient d'y être décidée.

Je suis particulièrement intéressé par les conditions d'accès à l'asile. Même sans être d'accord avec toutes les dispositions de cette loi, il faut respecter ses objectifs, notamment celui d'accueillir les gens dans la dignité, y compris ceux qui n'ont pas vocation à rester sur notre territoire.

Les éléments que vous venez de rapporter soulèvent des problèmes, car au-delà des explications et des causes de l'immigration et de l'arrivée sur notre territoire de personnes attirées par les droits de l'homme, les conditions d'accueil doivent être exemplaires.

Nous avons auditionné les différentes structures qui ont toutes été touchées par la crise du covid-19. À l'OFPRA et la CNDA, les agents ont travaillé à distance, et bien que nous n'y puissions rien, il faut prendre en compte cet élément. Il faut aussi tirer les leçons pour que les choses changent dans un avenir immédiat. Alors que la pandémie régresse et que la vaccination fait sentir ses effets, il faut nous attendre à une recrudescence des arrivées sur notre territoire, et l'accueil des personnes doit être amélioré.

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Je suis rapporteure spéciale de la commission des finances de la mission Immigration, asile et intégration et je viens de remettre un rapport, avec Jean-Noël Barrot, sur l'accès aux préfectures pour les étrangers qui sollicitent un titre de séjour. Nous avons également relevé les difficultés et le parcours d'obstacles que vous évoquez. Je m'intéresse au sujet depuis quinze ou vingt ans, et je le constate très concrètement.

Vous avez une vision fine de ce qui se passe sur notre territoire, mais aussi une vision plus large, à l'échelle de l'Union européenne et au-delà. Pouvez-vous préconiser des bonnes pratiques et des évolutions à notre commission d'enquête ?

Vous avez évoqué avec précision la situation des mineurs non-accompagnés, et en qualité de rapporteure spéciale de la mission Solidarités, insertion et égalité des chances, je m'investis également sur ce sujet. Je m'interroge à propos des jeunes majeurs, des mineurs évalués majeurs. Quel que soit leur âge précis, ce sont de très jeunes gens. La protection de l'enfance intervient auprès des mineurs, avec les imperfections que vous avez rappelées, mais aussi quelques belles prises en charge. Toutefois, il manque un dispositif adapté pour l'accueil des jeunes majeurs, et il me semble que notre pays aurait tout à gagner à mettre en œuvre des mesures dédiées à ces publics, pour les accueillir dignement, faciliter l'accès à leurs droits, mais aussi prévoir un accompagnement au retour.

J'ai visité de nombreux centres de rétention administrative, y compris pendant la période de confinement, et j'ai constaté la présence d'étrangers dont les perspectives de retour étaient très faibles. Malgré tout, ils étaient placés en rétention et le juge des libertés et de la détention confirmait ces décisions. Quelle analyse faites-vous de ces décisions, qui peuvent étonner mais sont pourtant validées par un juge et sont conformes à la loi ?

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Vous avez évoqué l'automaticité des mesures d'IRTF en accompagnement des décisions d'OQTF. J'ai le sentiment que cette pratique a augmenté au cours des deux dernières années. Avez-vous des données chiffrées pour étayer cette impression ?

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L'accès au droit me semble constituer l'une des grandes faiblesses du dispositif actuel. Les auditions précédentes ont fait apparaître des disparités dans le système, certaines choses fonctionnent bien, mais il existe des lacunes face auxquelles, même en tant que parlementaire, nous sommes très démunis pour permettre l'accès des personnes lésées à leurs droits.

Les primo-arrivants sont souvent hors des dispositifs. Quels sont leurs recours lorsqu'ils ne peuvent accéder à leurs droits ?

En période de pandémie, les guichets étaient fermés, c'était ainsi le cas dans la préfecture de la Drôme, et on m'a fait état de demandes de sommes d'argent importantes, sous forme d'amende. C'est inacceptable, mais auprès de qui faire recours ? Comment défendre ces personnes dont le réflexe est souvent de payer d'abord, parce qu'elles ont peur, et qui ne récupèrent jamais les sommes ?

Les déboutés du droit d'asile installés qui ont eu des enfants sont éligibles à la circulaire Valls, mais leur situation est totalement soumise à l'arbitraire du préfet. Parfois, on ne comprend pas pourquoi ce statut leur est refusé. Que préconisez-vous pour réduire la subjectivité dans l'application de cette circulaire ?

Je voudrais vous faire part d'une expérience traumatisante : une personne qui instrumentalisait les familles de réfugiés a fait intrusion dans ma permanence au mois de février avec une famille composée d'un couple, dont la femme était enceinte, et d'enfants mineurs. Je n'ai pas eu d'autre solution que de faire appel à la force publique, ce qui reste pour moi un traumatisme. La femme enceinte a été mise à l'abri, mais le reste de la famille a été laissé sur le trottoir. La préfecture, à qui j'ai exposé qu'il n'était pas possible, alors qu'il fait 9 degrés dehors, de laisser des enfants sur le trottoir, m'a répondu qu'elle ne voulait rien savoir. Ces personnes étant dublinées et rejetées de partout, soit elles restaient dans ma permanence, soit je devais les faire expulser. Il s'agit d'un traitement inhumain, la préfecture devrait mettre les enfants à l'abri. Quels recours existent ?

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La CNCDH a-t-elle les moyens d'intenter des recours au sujet de tous ces manquements de la France aux obligations internationales ? Les différentes associations membres de votre commission travaillent-elles de concert pour simplifier et organiser ces recours ?

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Jean-Marie Burguburu, président de la CNCDH

Malgré les lois votées par le Parlement, qui expriment la volonté générale et visent à changer les choses de manière positive, malgré les textes réglementaires d'application, malgré les instructions données, le système ne fonctionne pas en France actuellement. C'est en partie l'effet du système absurde de la procédure de Dublin, pétrie de bonnes intentions, mais qui ne fonctionne pas.

Il y a une mesure simple : actuellement, la situation des personnes en état de migration, qu'il s'agisse des demandeurs d'asile, des réfugiés, des migrants ou des apatrides, relève du ministère de l'intérieur. C'est la traduction de l'amalgame scandaleux entre immigrant et délinquant. Il y a des délinquants parmi les immigrants, mais tous les délinquants ne sont pas immigrants. Il faudrait faire en sorte que la tutelle administrative réelle sur ces personnes ne relève plus du ministère de l'intérieur, à qui nous demandons déjà de faire bien d'autres choses, mais du ministère des affaires sociales, qui intervient actuellement en deuxième rang.

C'est une mesure apparemment simple, mais difficile à appliquer dans la France que nous connaissons. Faire passer la tutelle de ce grave souci d'un ministère à l'autre permettrait de changer les choses et faciliterait une certaine décentralisation. Le ministère des affaires sociales a d'ailleurs récemment connu des problèmes à cet égard. Nous aimerions toutefois vous souffler cette idée, avec tout le respect que nous devons à la représentation nationale : ne chargeons plus le ministère de l'intérieur en première ligne de cette question. Le respect des frontières relève de sa responsabilité, mais une fois les migrants sur notre sol, c'est une question de statut en France et de respect des droits de l'homme. Je vous remercie de ne pas l'oublier.

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Geneviève Jacques, membre de la CNCDH

S'agissant de l'approche pluridisciplinaire évoquée par Mme Krimi, autrefois, les migrations étaient traitées par le ministère des affaires sociales en ce qui concernait l'accueil et l'intégration, le ministère des affaires étrangères avait la tutelle sur l'OFPRA, et le ministère de la santé sur ce qui relevait de ses compétences. La centralisation excessive, au prétexte de faciliter les choses, accroît le biais répressif sur l'immigration, qui produit les effets dont nous avons abondamment parlé. Une remise en cause de la centralisation au seul ministère de l'intérieur doit être envisagée.

Madame Stella Dupont, les raisons pour lesquelles on place des gens en rétention en sachant qu'ils ne pourront être expulsés sont associées au rôle de la police et à sa vision répressive. Mais il est plus troublant de constater que des juges décident de maintenir en rétention des personnes pendant quatre-vingt-dix jours, ce qui est long, dans les centres que vous avez vus. C'est une mesure punitive, à vocation dissuasive, au détriment du respect de la dignité des personnes. Il faut le dénoncer, c'est un dévoiement du rôle des centres de rétention administrative. Il est important de le rappeler, car le Gouvernement prévoit de les multiplier : la vigilance sera encore plus nécessaire.

S'agissant des interdictions de territoire accolées automatiquement aux OQTF, les personnes étrangères arrêtées par hasard dans la rue, dans le métro ou une gare, et dont les papiers ne sont pas en règle, se voient actuellement systématiquement notifiés les deux à la fois, sans droit de recours.

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Geneviève Colas, membre de la CNCDH

En réponse à la question sur les jeunes évalués majeurs – ils sont parfois mineurs –, ils peuvent contester l'évaluation de leur majorité, mais pendant cet appel, ils sont à la rue, parfois pendant plusieurs mois. Nous pourrions améliorer leur prise en charge pendant cette période, et ainsi toucher les 30 à 50 % des mineurs reconnus majeurs qui font appel.

Il faut évidemment prévoir une prise en charge pour ceux qui sont reconnus majeurs. Ce n'est pas parce qu'une personne a passé le cap des 18 ans que tout va bien. Des jeunes que je connais ont été reconnus par un tribunal comme victimes de prostitution. Ils étaient hébergés à l'hôtel, ce qui est le contraire de ce qu'il faudrait pour ces publics, et le lendemain de leurs 18 ans, ils ont été mis à la porte par l'aide sociale à l'enfance. C'est la réalité. Il faut absolument prévoir une prise en charge des jeunes majeurs et ne pas tout arrêter à la majorité.

Je rappelle que ce sont les administrateurs ad hoc ou les tuteurs qui pourront les aider. Quand on ne maîtrise pas la langue et qu'on ne sait pas à qui s'adresser, si personne de bienveillant et indépendant ne peut accompagner la démarche, les choses sont vraiment difficiles.

S'agissant des recours intentés par la CNCDH, nous pourrons compléter nos réponses par écrit. Nous assurons un appui à la Cour européenne des droits de l'homme par des tierces interventions. Nous soumettons des rapports aux différents comités de l'ONU. Les rapporteurs spéciaux de l'ONU sont toujours très intéressés par les éléments que nous pouvons leur apporter, et ils nous aident à interpeller la France sur les engagements pris. Un vrai travail est réalisé par la CNCDH pour pousser le Gouvernement à respecter les droits des personnes.

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Monsieur Burguburu, que pouvez-vous répondre à l'interpellation de Mireille Clapot qui vous a décrit une situation concrète ?

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Jean-Marie Burguburu, président de la CNCDH

La question dépasse le domaine grave qui nous préoccupe. Il existe en France un fossé profond entre la bonne volonté des autorités politiques et du pouvoir législatif et la vie sur le terrain.

Être obligée de faire appel à la force publique pour faire déguerpir – c'est un terme juridique – des personnes d'un local où elles ne devraient pas être, cela signifie trois choses.

Premièrement, il n'y a pas d'autre local pour recevoir ces personnes, et c'est la raison pour laquelle elles sont venues dans la permanence de la députée, croyant qu'elles se rendaient dans un lieu protecteur, celui de la représentation nationale.

Deuxièmement, il n'y a pas de volonté politique pour créer les lieux en question, par crainte, comme on le lit parfois, de créer des appels d'air qui feraient venir encore plus de migrants.

Troisièmement, il n'y a pas de réflexion globale sur le phénomène migratoire au XXIe siècle. Les migrations de ce début de siècle ne sont pas semblables à celles qui se sont produites lors des siècles précédents. Nous trouvions très bien que des Européens émigrent dans ce qui deviendrait les États-Unis, malgré les nombreux problèmes que cela a entraîné. Nous sommes dans une situation très différente avec l'immigration issue du continent africain, ou de continents plus lointains, notamment les ressortissants de pays du Commonwealth qui ne veulent que traverser la France sans s'y installer.

Répondre à cette question, c'est demander du réalisme. Je ne vois pas toujours ce réalisme dans les positions de l'Assemblée nationale, pour laquelle je répète mon plus grand respect. La loi promulguée le 10 septembre 2018, il y a trois mois et trois ans, s'intitule « pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie ». Il eût mieux valu qu'elle s'intitulât : « pour essayer de maîtriser l'immigration, rendre effectif le droit d'asile et réussir l'intégration », plutôt que de supposer que ces objectifs seraient atteints.

Nous votons des lois en prétendant que les choses vont aller toutes seules et s'améliorer. Ce n'est pas vrai, et vous le savez ! Le peuple le sait aussi. Les migrants qui ne connaissent pas nos lois le croient, pourtant. Quel échec !

Il faut prendre à bras-le-corps le phénomène de l'immigration. Cela coûtera à un état d'esprit et une situation tranquille de nos concitoyens. Mais cela rendra la France fière d'elle-même, et fidèle à ses principes.

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Nous vous avons adressé un questionnaire détaillé qui vous permettra d'apporter des réponses précises sur le logement, les mineurs non accompagnés, l'accès aux formations linguistiques et à l'emploi.

Nous souhaitions plus de détails et avoir votre vision de ces questions. J'aimerais savoir combien coûte, aujourd'hui, l'arsenal de répression des migrants rapporté au coût des mesures pour mieux les installer et les former.

Je souhaite également balayer un mensonge, selon lesquels les migrants souhaitent partir. Nous pensons, en France, être victimes du Brexit. Les Italiens ont le même sentiment et se sentent victimes car nous ne laissons pas entrer les mineurs sur notre sol. Nous sommes tous la victime de quelqu'un d'autre ! Avez-vous des chiffres pour documenter cette question ?

Vous dites que les lois ne sont pas toujours respectées, notamment la loi asile et immigration de 2018, pourrez-vous fournir des exemples pratiques, simples et directs, de ce que vous constatez sur le terrain ?

Il me reste à vous remercier de votre venue, vous êtes un acteur incontournable par la force et la sincérité de vos propos et votre connaissance juridique et humaine du problème. Vous avez autour de vous des députés engagés, tous ont travaillé à des rapports, au sein de leurs commissions. Ils connaissent ces sujets au fond et partagent une vision de ce que devrait être l'accueil des migrants dans notre pays.

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Jean-Marie Burguburu, président de la CNCDH

Si vous me le permettez, le temps ne nous permet pas de parler de Mayotte, mais il faudrait que la France ratifie la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, ce qui relève à la fois du Gouvernement et de l'Assemblée. Ce serait une bonne chose, car ces textes nous obligent.

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Les informations que vous nous apportez sont précieuses et votre audition illustre le bon fonctionnement de nos institutions, car la CNCDH a aussi pour rôle de donner des avis au Parlement, et non uniquement au Gouvernement. Vos avis sont précieux, et nous saurons nous en servir.

La réunion se termine à seize heures vingt.