Intervention de Geneviève Colas

Réunion du mercredi 23 juin 2021 à 15h00
Commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la france

Geneviève Colas, membre de la CNCDH :

Accréditée auprès des Nations Unies, la CNCDH assure le relais de toutes les décisions prises par le Conseil des droits de l'homme des Nations unies et de toutes les observations et recommandations des organes de traités. Pour ce qui nous concerne aujourd'hui, la protection juridique internationale dont bénéficient les migrants est directement liée à leur motif de déplacement.

S'ils fuient leur pays pour échapper à la persécution au sens du A. de l'article 1er de la Convention relative au statut des réfugiés, dite convention de Genève, ce sont des demandeurs d'asile et des réfugiés. Ils peuvent prétendre à la protection spéciale accrue garantie par ce traité international qui a été ratifié par 145 États.

S'ils ont quitté leur pays pour une autre raison, ils sont désignés comme des migrants et jouissent d'une protection non pas spéciale mais seulement générale, en vertu du droit international et des droits de l'homme – qui leur confèrent quand même des droits, il est important de le rappeler.

Les mineurs non accompagnés, il ne faut pas l'oublier, ne sont pas des personnes en situation irrégulière. La France, État partie à la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE), s'est engagée dans son cinquième rapport périodique, soumis au Comité des droits de l'enfant de l'ONU en 2016, à aborder cette question sensible des mineurs non accompagnés avec responsabilité et en gardant à l'esprit que la protection de l'intérêt supérieur de l'enfant doit primer. Or les difficultés sont nombreuses dans la réalité, s'agissant notamment des enfants en rétention, des mineurs non accompagnés et de l'ensemble de ce qui peut se jouer dans le domaine de la protection de l'enfance.

Rappelons que les engagements internationaux pris par la France au niveau mondial ou européen s'appliquent aux personnes étrangères en situation régulière ou irrégulière sur le territoire national. S'agissant des droits fondamentaux applicables aux personnes migrantes en situation irrégulière, il est précisé dans l'article 2 de la Déclaration universelle des droits de l'homme que chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés qu'elle proclame. Ainsi les migrants jouissent-ils, comme toutes les autres personnes, des droits garantis par exemple par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, par la Convention internationale des droits de l'enfant ou par la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Pour ce qui est des enfants, le Comité des droits de l'enfant a confirmé que l'enseignement s'étendait à toutes les personnes d'âge scolaire résidant sur le territoire des États parties. Plus spécifiquement, la CIDE, qui dispose d'un champ d'application étendu, stipule à son article 2 que ses dispositions s'appliquent à tous les enfants relevant de la juridiction des États signataires, sans distinction aucune.

Je voudrais maintenant insister sur quelques-uns des manquements de la France à ses obligations internationales et sur ses condamnations quant au traitement des personnes migrantes.

En 2016, le Comité des droits de l'enfant de l'ONU recommandait à la France d'allouer suffisamment de moyens sur l'ensemble de son territoire, outremer compris, à l'appui spécialisé aux enfants – protection, représentation juridique, assistance sociale… – et d'adopter les mesures juridiques nécessaires pour éviter leur placement. Nous avons analysé ses recommandations, et vous en retrouverez un certain nombre dans nos avis. Je rappelle que le Comité évalue régulièrement la France et que cette année, ce dispositif d'évaluation se remet en route.

Concernant plus particulièrement les mineurs non accompagnés, l'État français, en ratifiant la Convention internationale des droits de l'enfant, en a approuvé les principes et a l'obligation légale de l'appliquer. Il doit donc garantir à tout enfant l'ensemble des droits énoncés par le texte, et les actions et l'inaction de ses organes exécutif, législatif et judiciaire engagent sa responsabilité. Mais les violations des droits des enfants migrants non accompagnés sur notre territoire perdurent. Elles continuent d'être dénoncées et l'État français continue d'ignorer les signalements réguliers et les recommandations du Comité des droits de l'enfant.

Pour donner quelques exemples, il peut s'agir de la violation du droit à l'identité de l'enfant, qui prive l'enfant de la protection de l'État et de l'accès aux droits qui sont reconnus par la Convention, de la violation du principe de protection inconditionnelle de l'enfance, de la violation du principe de primauté de l'intérêt supérieur de l'enfant ou du principe de non-discrimination, lorsque son traitement est différencié par rapport aux mineurs nationaux, de la violation du droit à la vie privée ou du droit du mineur d'exprimer librement son opinion, ou encore de la violation de son droit aux soins et à l'éducation ou de sa liberté de circulation.

Je rappelle que les mineurs non accompagnés sont particulièrement vulnérables face à certaines formes d'exploitation et de traite. La CNCDH formule des recommandations à ce sujet dans ses avis, en insistant en particulier sur la nécessité de leur donner un représentant légal dès leur arrivée en France, un hébergement digne et un accompagnement adapté.

J'insiste sur la première de ces préconisations, qui soulève la question des administrateurs ad hoc et tuteurs. Ne pas trouver d'administrateur ad hoc, dont l'intervention est nécessaire, est parfois ce qui empêche un mineur de demander l'asile à la frontière. Surtout, le tuteur ou l'administrateur ad hoc est indispensable car c'est lui qui aidera le jeune à faire valoir ses droits.

L'ONU n'est pas seule à dénoncer ces violations, comme en attestent deux arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme. L'arrêt Khan contre France du 28 février 2019 a condamné la France pour défaut de prise en charge d'un mineur non accompagné après le démantèlement d'un camp de fortune établi à Calais et la démolition de sa cabane. L'arrêt Moustahi contre France du 25 juin 2020 concernait l'expulsion de mineurs non accompagnés à Mayotte, sur le fondement du rattachement fictif du mineur à des adultes qui ne sont pas ses parents, alors que le père était présent sur le terrain. La CNCDH transmet régulièrement des informations aux services de la Cour européenne des droits de l'homme chargés du suivi de l'exécution de ses arrêts.

Concernant le socle humanitaire, la rapporteure spéciale des Nations unies sur le logement convenable en tant qu'élément du droit à un niveau de vie suffisant ainsi que sur le droit à la non-discrimination à cet égard a déclaré, suite à une visite à Calais, que les pratiques signalées par les habitants de campements constituent une violation flagrante du droit à un logement convenable, à l'eau, à l'assainissement et à la santé.

S'agissant des violences policières à l'égard des personnes migrantes, les observations finales du Comité contre la torture des Nations unies sur le septième rapport périodique de la France, en 2016, faisaient état de sa préoccupation à l'égard des allégations de violences contre les demandeurs d'asile et les migrants, ainsi que par leur situation à Calais et dans la région.

Dans ses observations finales en 2016, le Comité des droits de l'homme des Nations unies s'inquiétait des allégations de mauvais traitements, d'usage excessif de la force et d'utilisation disproportionnée des armes et demandait à la France de prendre des mesures correctives efficaces.

Les traitements dégradants à l'égard des demandeurs d'asile font aussi l'objet d'un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 2 juillet 2020, N.H. contre France. La Cour estime que les autorités françaises « doivent être tenues pour responsables des conditions dans lesquelles ils se sont trouvés pendant des mois, vivant dans la rue, sans ressources, sans accès à des sanitaires, ne disposant d'aucun moyen de subvenir à leurs besoins essentiels ».

Concernant les personnes migrantes victimes d'exploitation et de traite, le durcissement continu des politiques d'immigration a eu pour effet de renchérir les voies de migration. La difficulté de recourir à la migration légale a pour conséquence le développement de la traite des êtres humains sous toutes ces formes. La CNCDH est rapporteur national indépendant auprès des institutions européennes sur le thème de la traite des êtres humains. Nous avons publié différents avis à ce sujet dont vous pourrez prendre connaissance.

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