Je suis sorti totalement bouleversé, en tant que citoyen – privilégié, il faut le reconnaître –, de notre maraude en Seine-Saint-Denis. Des gens vivent à côté de nous dans des conditions qui ne sont pas dignes d'un très grand pays tel que la France, qui a toutes les capacités nécessaires pour apporter des réponses au problème, compte tenu du nombre – estimé – des hommes et des femmes qui sont concernés, les conditions de vie de ces dernières étant particulièrement difficiles. À peu près 20 % de ceux qui étaient présents dans le camp que nous avons visité – des personnes plutôt venues d'Afrique de l'Ouest ou de l'Est – avaient un travail. Ils avaient donc réussi à s'intégrer dans une certaine mesure, même s'il s'agit évidemment de travail provisoire.
Comme l'a souligné Claire Hédon, le fait de rendre invisibles et de tenir à distance ces personnes les éloigne beaucoup de l'aide, notamment alimentaire et administrative. Elles doivent parcourir des distances très grandes et sont loin des transports en commun. Beaucoup de choses se faisant désormais sur internet, des questions aussi basiques que celle de savoir où on recharge son téléphone quand il n'y a pas d'électricité se posent également.
J'ai écouté ce que disaient vos précédents interlocuteurs. Les données et même la réflexion viennent essentiellement du ministère de l'intérieur. Il est normal qu'il s'occupe de ce type de questions, mais doit-il être le seul à le faire ? Le ministère des solidarités et de la santé devrait également être un interlocuteur très important, et même dominant, dans ce domaine. Par ailleurs, il y a généralement des pouvoirs et des contre-pouvoirs. L'un des contre-pouvoirs possibles, si je puis dire, consiste à avoir une autre vision, plus universitaire, indépendante, de ce qui se passe réellement, des chiffres et des conditions dans lesquelles on se trouve. La France s'est dotée, après beaucoup de discussions, d'un outil de recherche, l'Institut convergences migrations, qui est dirigé par François Héran, professeur au Collège de France, et par Annabel Desgrées du Loû, membre du CCNE, pour les questions de santé. Une vision universitaire, indépendante au bon sens du terme, doit être prise en compte s'agissant des aspects quantitatifs et qualitatifs.
La situation reste extrêmement complexe en région parisienne, où les personnes se trouvent de plus en plus loin du centre, et elle est également très difficile ailleurs, par exemple à Briançon. Cela doit interpeller chacun d'entre nous. Il serait ridicule de dire que l'administration ne fait pas son job : elle le fait, dans des conditions difficiles, et il faut l'en remercier, mais les migrants sont très éloignés d'elle. Nous devons nous demander s'il est possible de continuer à avoir dans notre pays, en 2021, des situations aussi complexes.
La crise sanitaire a-t-elle aggravé la situation pour les migrants ? Oui et non. C'est une population qui a été très touchée par le covid mais qui, étant jeune, l'a relativement bien toléré. De premières études de séroprévalence montrent que 30 ou 35 % de ces personnes auraient été atteintes. Cette population n'a pas souffert du covid en soi, mais de ses conséquences. L'ensemble du système de soins s'est progressivement sinon arrêté, du moins ralenti, de même que l'accès à d'autres services, notamment administratifs, ce qui a fini de complexifier la situation, en particulier sur le plan sanitaire. Les dernières données montrent que cette population, après un retard initial, est en train d'être vaccinée, notamment grâce à l'action extraordinaire de certains milieux associatifs, qu'il faut encourager sur ce plan.