En ce qui concerne l'hébergement et les points de fixation, évacuer les personnes toutes les quarante-huit heures comme je l'ai vu faire à Calais, leur rendre la vie encore plus difficile, ce n'est pas possible, ce n'est pas décent. Il s'agit d'atteintes colossales à la dignité de personnes qui, malgré des conditions d'hébergement indignes, font preuve d'un courage admirable pour essayer d'améliorer le lieu où elles vivent. Un exemple : dans le camp de La Courneuve, il s'est mis à pleuvoir des trombes au moment où nous étions présents ; on a trouvé le moyen de nous mettre à l'abri sous des toiles, dans un petit salon improvisé. Eh bien, cet endroit a été détruit.
L'enjeu est évidemment la création de places d'hébergement, mais la situation du logement est également très tendue en France, au détriment des exilés comme de Français qui attendent un logement social : nous manquons de logements sociaux et très sociaux. Il est donc urgent de construire massivement des logements pour éviter l'engorgement dans les zones d'hébergement, où certaines personnes demeurent plusieurs années, dont certaines en famille, avec des enfants. Dans mes fonctions précédentes, j'ai rencontré des mères d'enfants de quatre ou cinq ans qui, arrivant dans un vrai logement, disaient que c'était la première fois qu'elles pouvaient cuisiner pour leurs enfants : vous rendez-vous compte de ce que cela veut dire ?
En ce qui concerne les femmes migrantes, j'en ai rencontré plusieurs dans le squat de Saint-Denis, où se trouvaient 300 à 400 personnes, majoritairement venues d'Afrique. J'ai en tête une jeune femme de 26 ans, originaire d'Éthiopie, qui a obtenu le statut de réfugiée, qui est donc en situation légale et qui ne savait pas qu'elle avait droit au RSA, alors que c'est ce qui lui permettrait de chercher du travail – une tâche impossible quand on est occupé à survivre au quotidien. Je pense aussi à une jeune maman d'Érythrée, avec une enfant de quatre ans, qui vient de demander l'asile et à une famille du Tchad, dont une jeune fille de 16 ans qui n'a qu'une envie : apprendre, faire des études, devenir médecin.
Jean-François Delfraissy l'a dit : un bon nombre des personnes que nous avons rencontrées travaillent ou veulent travailler. La question du droit au travail pour tous est légitime, car le travail est un moyen d'avoir des revenus suffisants et de s'insérer socialement.
Pour en revenir à l'hébergement, il est indispensable de diagnostiquer et de chiffrer les faits : l'invisibilisation n'est pas sans raison. Vous l'avez dit, et je le confirme, il est profondément perturbant d'être témoin de telles situations si près de chez nous, dans un pays aussi riche que le nôtre. Oui, il faut dire ce qui se passe, et nous ne cessons de parler d'accès au droit, en particulier pour ceux qui en sont le plus éloignés.
S'agissant des droits de l'homme, la défense des droits n'est ni de droite ni de gauche ; elle fait partie de notre Constitution, de notre État de droit, de notre démocratie, de ce qu'est la France. Il est essentiel de le rappeler.
À propos des MNA, j'en ai rencontré la semaine dernière plusieurs dont s'occupe la Croix-Rouge. Deux sont en formation en alternance, donc en voie d'insertion, mais ils n'arrivent pas à ouvrir de compte bancaire. L'un d'eux, en apprentissage depuis onze mois, accumule ainsi des chèques mensuels de 400 euros qu'il ne peut pas toucher ; il est paniqué de voir approcher la date à laquelle le premier de ces chèques ne sera plus valable et son employeur le presse de les encaisser pour des raisons comptables. Il s'agit là de droits de base, qui ne sont tout de même pas si compliqués à respecter ! Pour eux, 400 euros, ce n'est pas rien, et celui dont je parle en est à 4 400 !
En ce qui concerne l'accès aux soins, je vous renvoie à notre rapport de 2019.
Quant aux disparités de prise en charge, elles existent. Je n'aurais pas cité le département qui a été mentionné, puisque nous anonymisons nos décisions. Mais je peux vous communiquer notre récente décision sur l'accueil des MNA que j'ai évoquée dans mon propos introductif. Il est indispensable d'améliorer la coordination et l'accueil, car les jeunes sont victimes d'une perte de chance et de temps alors que tous veulent être formés, travailler et ne surtout pas rester désœuvrés après ce qu'ils ont vécu.
Il a été question des bonnes pratiques et de l'efficacité des lois votées. Mon sentiment est qu'une grande partie de ces lois n'est pas appliquée. L'enjeu est donc leur mise en œuvre sur le terrain plutôt que l'adoption de nouveaux textes qui ne changeront pas la situation s'ils ne sont pas davantage appliqués.
On a parlé à propos des MNA de nomadisme des mineurs, mais qui est capable de citer un chiffre à ce sujet ? Est-ce un fantasme ? Comment peut-on évoquer ce phénomène sans le quantifier ?
Quant au projet de loi sur la protection de l'enfance, nous allons rendre un avis d'ici à demain. Pour nous, il importe de rappeler que la régulation des flux migratoires n'a rien à voir avec la protection de l'enfance.
La question des MNA marocains est très difficile. Je rappellerai trois éléments qu'il faut avoir en tête quand on se demande ce qu'il faut faire : d'abord, ce sont des enfants ; ensuite, ce sont des malades, en situation de poly-addiction ; enfin, ce sont des victimes de traite. Je pourrai vous transmettre quelques-uns de nos avis.
En ce qui concerne la sexualité, j'ai été tentée d'interroger les femmes que nous avons rencontrées dans le squat sur leur parcours migratoire avant d'arriver en France. Il peut durer neuf mois, un an, deux ans, et le nombre de victimes de viols pendant cette période est considérable, femmes et hommes confondus. En outre, pour les femmes victimes de violences, il est très difficile de porter plainte, car elles sont en situation illégale ou délicate et dépendent d'autres personnes.