Intervention de Véronique Devise

Réunion du mercredi 23 juin 2021 à 18h00
Commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la france

Véronique Devise, présidente du Secours catholique :

Mon élection à la tête du Secours catholique est toute récente, puisqu'elle date de la semaine dernière. Cependant, mon mandat de présidente de la délégation du Pas-de-Calais, entre 2010 et 2016, m'a permis de saisir de nombreux enjeux de la question migratoire.

Le Secours catholique regroupe 65 000 bénévoles désireux de développer toute forme d'aide, d'entraide fraternelle ou d'accompagnement des personnes précaires, quelles que soient les raisons des difficultés qu'elles rencontrent, dans l'accès au droit. Près de 1,5 million de personnes sont accueillies et rencontrées chaque année dans les soixante-douze délégations implantées sur l'ensemble du territoire métropolitain et chacun des départements d'outre-mer. Près d'une personne secourue sur deux est une personne étrangère dans une situation d'« infradroit », dépourvue de droit au travail ou au séjour, ou bénéficiant d'une autorisation très provisoire ne lui donnant accès qu'à des droits très précaires.

Au vu de la situation actuelle, le Secours catholique ne semble pas avoir été entendu, malgré un engagement très important depuis de nombreuses années. Nous avons le sentiment de nous trouver face à un mur : c'est la raison pour laquelle nous avons proposé la création de cette commission d'enquête parlementaire sur la question des droits fondamentaux des personnes exilées. Nous nous réjouissons que notre demande ait été entendue et remercions vivement les députés ayant poussé à la création de cette instance, particulièrement M. le président Sébastien Nadot et Mme la rapporteure Sonia Krimi, qui en conduisent les travaux.

Je voudrais évoquer les quatre grandes préoccupations du Secours catholique s'agissant de la question des migrations. Sur chacun de ces quatre grands chapitres, nous attendons et espérons des évolutions.

Nous souhaitons tout d'abord décrisper les débats sur l'immigration. Nous voulons de la nuance et de l'écoute. Vous le savez, l'immigration est un sujet des plus sensibles depuis plusieurs années : une partie de la population exprime des peurs, des refus d'accueil voire des réactions d'hostilité parfois vives. Le Secours catholique a entrepris, avec plusieurs partenaires, un travail d'écoute et d'analyse pour mieux comprendre les raisons de ces crispations. Notre objectif est de trouver les mots et les formes d'action qui favorisent la rencontre et un vivre-ensemble fraternel et solidaire. Nos constats sont moins pessimistes que d'autres : nous avons découvert que la grande majorité des Français ne sont pas fondamentalement hostiles à l'accueil des migrants, mais qu'ils éprouvent plutôt des sentiments ambivalents, partagés entre les craintes et les aspirations à l'entraide. La construction d'une société diverse et fraternelle est possible, nous en sommes convaincus. Les phénomènes migratoires suscitent des peurs souvent fomentées et exploitées à des fins politiques : une mentalité xénophobe, de fermeture et de repli sur soi se diffuse alors. Votre commission d'enquête peut œuvrer pour empêcher cela.

Notre deuxième grande préoccupation est la défense des droits fondamentaux et de la dignité de toute personne. À l'instar des mouvements migratoires qui concernent notre pays, la politique d'immigration de la France manifeste une grande constance depuis quelques dizaines d'années. Nous ressentons cependant un réel durcissement dans la mise en œuvre de cette politique, et surtout une indifférence de plus en plus diffuse à l'égard des drames vécus par de nombreuses personnes migrantes. Les manquements au respect de la dignité, de l'intégrité et des droits fondamentaux des personnes appellent des réactions concrètes. La situation aux frontières extérieures de l'Union européenne, marquée par le développement des camps et les hésitations de la France et de l'Europe à accueillir les bateaux de sauvetage des boat people de la Méditerranée, nous préoccupe particulièrement. Nous nous inquiétons tout autant du sort réservé aux personnes exilées présentes à nos frontières intérieures – je pense à la frontière franco-italienne, à Menton ou à Briançon, ainsi qu'au littoral franco-britannique –, vivant dans des campements et bidonvilles, abandonnées des services publics ou délogées sans ménagement par la police à intervalles réguliers. Nous déplorons également l'insuffisance des dispositifs de protection des jeunes mineurs non accompagnés, que l'État considère davantage comme des étrangers que comme des enfants ou des personnes vulnérables à protéger.

Pour de nombreuses personnes migrantes, le droit à l'accès à l'eau, à l'hygiène, aux soins, à l'hébergement ou à l'alimentation est un droit virtuel, fictif. Lors de sa visite à Calais, en mars dernier, avec ma prédécesseure Véronique Fayet, Mgr Olivier Leborgne, évêque d'Arras et vice-président de la Conférence des évêques de France, s'indignait : « En France, le droit des animaux de compagnie est mieux respecté que le droit des migrants. » À Calais, dix arrêtés préfectoraux successifs ont interdit à nos associations d'organiser des distributions alimentaires depuis septembre dernier. Qu'en est-il du principe de fraternité ? Quelles que soient les raisons de la présence de ces personnes migrantes, nous affirmons l'exigence morale de répondre à leurs droits fondamentaux, à leur intégrité et à leur dignité de façon inconditionnelle.

Notre troisième préoccupation est de mieux accueillir, de favoriser l'intégration et de promouvoir une société sachant rendre chacun citoyen. Le durcissement des politiques migratoires a également pour effet de freiner et de fragiliser l'accès des personnes migrantes à l'autonomie et à une vie normale. Dans nos lieux d'accueil, à travers tout le territoire, nos équipes reçoivent chaque année des dizaines de milliers de personnes et de familles qui n'attendent qu'une chose : travailler, participer comme tout un chacun à la vie de la cité, ne plus dépendre des aides et de l'assistance humanitaire. Mais elles ne le peuvent pas car elles se heurtent aux blocages et aux refus de l'administration. Nous appelons à des mesures concrètes pour répondre à ce gâchis humain et social.

Nous souhaitons que trois questions fassent particulièrement l'objet de propositions. Je pense d'abord à la régularisation des nombreuses personnes étrangères qui ont entamé leur vie en France ; le pragmatisme et l'intérêt général commanderaient que soient ouvertes beaucoup plus largement les possibilités de régularisation, notamment des personnes qui travaillent, des familles et des jeunes. Nous proposons également que soit instauré un droit au travail immédiat, sans délai et sans condition, pour toute personne demandant l'asile. Il convient enfin d'encourager l'apprentissage du français, dans le cadre de dispositifs spécifiques destinés à des publics très ciblés qui ne rentrent plus dans le champ des actions de proximité menées par les associations locales d'éducation populaire, créatrices de lien social.

Notre dernière grande préoccupation concerne la politique européenne. L'absurde règlement Dublin est la cause de désordres et de souffrances inutiles. Sans aller jusqu'à le remettre en cause, la France et ses voisins les plus proches pourraient tout à fait s'entendre sur une application moins rigide de ce règlement.

Face à la complexité des sujets évoqués, nous sommes fermement convaincus que c'est par le dialogue avec tous les acteurs de la société qu'il sera possible de faire émerger des réponses concrètes, humaines et responsables. Pourquoi ne pas proposer des conventions citoyennes sur des questions qui semblent insolubles, comme celle des conditions de vie des exilés présents sur le littoral franco-britannique ? Il faut associer les citoyens, les élus locaux, les acteurs économiques, le tissu associatif, culturel et social, ainsi que les personnes exilées elles-mêmes, sans lesquelles nous ne pourrons rien construire de solide. Nous devons entendre ce qu'elles ont à dire, prendre en compte leurs attentes, leurs projets, leurs contributions et leurs idées. En 2016, alors que les exilés de la jungle de Calais survivaient dans un contexte tendu, l'équipe du Secours catholique de Calais, qui se démenait nuit et jour pour améliorer les conditions de vie ou de survie de ces personnes, avait suscité la création d'un conseil des exilés à qui elle avait demandé comment le Secours catholique pouvait leur venir en aide. La réponse avait ébloui tout le monde par sa simplicité : « Aidez-nous à rencontrer et à parler avec des Français. »

En 2014 et 2015, nous avons recueilli la parole d'une cinquantaine d'exilés que nous avions rencontrés individuellement. Nous en avons élaboré une brochure, que nous remettons à votre commission d'enquête.

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