La réunion

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La table ronde débute à dix-huit heures cinq.

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Mes chers collègues, nous terminons cet après-midi d'auditions par une table ronde réunissant Mme Véronique Devise, présidente du Secours catholique, M. Laurent Giovannoni, responsable du département « Accueil et droits des étrangers » de cette association, Mme Marie-Christine Vergiat, vice-présidente de la Ligue des droits de l'homme et référente pour le groupe de travail « Étrangers et immigrés », ainsi que Mme Claudia Charles, chargée d'études pour le Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI).

La question de l'accès au droit des migrants est au cœur du travail de notre commission d'enquête. Au-delà du constat, sur lequel vous aurez certainement beaucoup de choses à nous dire, nous nous interrogeons sur la manière d'améliorer une situation aujourd'hui indigne à bien des endroits.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

(Mme Véronique Devise, M. Laurent Giovannoni, Mme Marie-Christine Vergiat et Mme Claudia Charles prêtent serment.)

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Véronique Devise, présidente du Secours catholique

Mon élection à la tête du Secours catholique est toute récente, puisqu'elle date de la semaine dernière. Cependant, mon mandat de présidente de la délégation du Pas-de-Calais, entre 2010 et 2016, m'a permis de saisir de nombreux enjeux de la question migratoire.

Le Secours catholique regroupe 65 000 bénévoles désireux de développer toute forme d'aide, d'entraide fraternelle ou d'accompagnement des personnes précaires, quelles que soient les raisons des difficultés qu'elles rencontrent, dans l'accès au droit. Près de 1,5 million de personnes sont accueillies et rencontrées chaque année dans les soixante-douze délégations implantées sur l'ensemble du territoire métropolitain et chacun des départements d'outre-mer. Près d'une personne secourue sur deux est une personne étrangère dans une situation d'« infradroit », dépourvue de droit au travail ou au séjour, ou bénéficiant d'une autorisation très provisoire ne lui donnant accès qu'à des droits très précaires.

Au vu de la situation actuelle, le Secours catholique ne semble pas avoir été entendu, malgré un engagement très important depuis de nombreuses années. Nous avons le sentiment de nous trouver face à un mur : c'est la raison pour laquelle nous avons proposé la création de cette commission d'enquête parlementaire sur la question des droits fondamentaux des personnes exilées. Nous nous réjouissons que notre demande ait été entendue et remercions vivement les députés ayant poussé à la création de cette instance, particulièrement M. le président Sébastien Nadot et Mme la rapporteure Sonia Krimi, qui en conduisent les travaux.

Je voudrais évoquer les quatre grandes préoccupations du Secours catholique s'agissant de la question des migrations. Sur chacun de ces quatre grands chapitres, nous attendons et espérons des évolutions.

Nous souhaitons tout d'abord décrisper les débats sur l'immigration. Nous voulons de la nuance et de l'écoute. Vous le savez, l'immigration est un sujet des plus sensibles depuis plusieurs années : une partie de la population exprime des peurs, des refus d'accueil voire des réactions d'hostilité parfois vives. Le Secours catholique a entrepris, avec plusieurs partenaires, un travail d'écoute et d'analyse pour mieux comprendre les raisons de ces crispations. Notre objectif est de trouver les mots et les formes d'action qui favorisent la rencontre et un vivre-ensemble fraternel et solidaire. Nos constats sont moins pessimistes que d'autres : nous avons découvert que la grande majorité des Français ne sont pas fondamentalement hostiles à l'accueil des migrants, mais qu'ils éprouvent plutôt des sentiments ambivalents, partagés entre les craintes et les aspirations à l'entraide. La construction d'une société diverse et fraternelle est possible, nous en sommes convaincus. Les phénomènes migratoires suscitent des peurs souvent fomentées et exploitées à des fins politiques : une mentalité xénophobe, de fermeture et de repli sur soi se diffuse alors. Votre commission d'enquête peut œuvrer pour empêcher cela.

Notre deuxième grande préoccupation est la défense des droits fondamentaux et de la dignité de toute personne. À l'instar des mouvements migratoires qui concernent notre pays, la politique d'immigration de la France manifeste une grande constance depuis quelques dizaines d'années. Nous ressentons cependant un réel durcissement dans la mise en œuvre de cette politique, et surtout une indifférence de plus en plus diffuse à l'égard des drames vécus par de nombreuses personnes migrantes. Les manquements au respect de la dignité, de l'intégrité et des droits fondamentaux des personnes appellent des réactions concrètes. La situation aux frontières extérieures de l'Union européenne, marquée par le développement des camps et les hésitations de la France et de l'Europe à accueillir les bateaux de sauvetage des boat people de la Méditerranée, nous préoccupe particulièrement. Nous nous inquiétons tout autant du sort réservé aux personnes exilées présentes à nos frontières intérieures – je pense à la frontière franco-italienne, à Menton ou à Briançon, ainsi qu'au littoral franco-britannique –, vivant dans des campements et bidonvilles, abandonnées des services publics ou délogées sans ménagement par la police à intervalles réguliers. Nous déplorons également l'insuffisance des dispositifs de protection des jeunes mineurs non accompagnés, que l'État considère davantage comme des étrangers que comme des enfants ou des personnes vulnérables à protéger.

Pour de nombreuses personnes migrantes, le droit à l'accès à l'eau, à l'hygiène, aux soins, à l'hébergement ou à l'alimentation est un droit virtuel, fictif. Lors de sa visite à Calais, en mars dernier, avec ma prédécesseure Véronique Fayet, Mgr Olivier Leborgne, évêque d'Arras et vice-président de la Conférence des évêques de France, s'indignait : « En France, le droit des animaux de compagnie est mieux respecté que le droit des migrants. » À Calais, dix arrêtés préfectoraux successifs ont interdit à nos associations d'organiser des distributions alimentaires depuis septembre dernier. Qu'en est-il du principe de fraternité ? Quelles que soient les raisons de la présence de ces personnes migrantes, nous affirmons l'exigence morale de répondre à leurs droits fondamentaux, à leur intégrité et à leur dignité de façon inconditionnelle.

Notre troisième préoccupation est de mieux accueillir, de favoriser l'intégration et de promouvoir une société sachant rendre chacun citoyen. Le durcissement des politiques migratoires a également pour effet de freiner et de fragiliser l'accès des personnes migrantes à l'autonomie et à une vie normale. Dans nos lieux d'accueil, à travers tout le territoire, nos équipes reçoivent chaque année des dizaines de milliers de personnes et de familles qui n'attendent qu'une chose : travailler, participer comme tout un chacun à la vie de la cité, ne plus dépendre des aides et de l'assistance humanitaire. Mais elles ne le peuvent pas car elles se heurtent aux blocages et aux refus de l'administration. Nous appelons à des mesures concrètes pour répondre à ce gâchis humain et social.

Nous souhaitons que trois questions fassent particulièrement l'objet de propositions. Je pense d'abord à la régularisation des nombreuses personnes étrangères qui ont entamé leur vie en France ; le pragmatisme et l'intérêt général commanderaient que soient ouvertes beaucoup plus largement les possibilités de régularisation, notamment des personnes qui travaillent, des familles et des jeunes. Nous proposons également que soit instauré un droit au travail immédiat, sans délai et sans condition, pour toute personne demandant l'asile. Il convient enfin d'encourager l'apprentissage du français, dans le cadre de dispositifs spécifiques destinés à des publics très ciblés qui ne rentrent plus dans le champ des actions de proximité menées par les associations locales d'éducation populaire, créatrices de lien social.

Notre dernière grande préoccupation concerne la politique européenne. L'absurde règlement Dublin est la cause de désordres et de souffrances inutiles. Sans aller jusqu'à le remettre en cause, la France et ses voisins les plus proches pourraient tout à fait s'entendre sur une application moins rigide de ce règlement.

Face à la complexité des sujets évoqués, nous sommes fermement convaincus que c'est par le dialogue avec tous les acteurs de la société qu'il sera possible de faire émerger des réponses concrètes, humaines et responsables. Pourquoi ne pas proposer des conventions citoyennes sur des questions qui semblent insolubles, comme celle des conditions de vie des exilés présents sur le littoral franco-britannique ? Il faut associer les citoyens, les élus locaux, les acteurs économiques, le tissu associatif, culturel et social, ainsi que les personnes exilées elles-mêmes, sans lesquelles nous ne pourrons rien construire de solide. Nous devons entendre ce qu'elles ont à dire, prendre en compte leurs attentes, leurs projets, leurs contributions et leurs idées. En 2016, alors que les exilés de la jungle de Calais survivaient dans un contexte tendu, l'équipe du Secours catholique de Calais, qui se démenait nuit et jour pour améliorer les conditions de vie ou de survie de ces personnes, avait suscité la création d'un conseil des exilés à qui elle avait demandé comment le Secours catholique pouvait leur venir en aide. La réponse avait ébloui tout le monde par sa simplicité : « Aidez-nous à rencontrer et à parler avec des Français. »

En 2014 et 2015, nous avons recueilli la parole d'une cinquantaine d'exilés que nous avions rencontrés individuellement. Nous en avons élaboré une brochure, que nous remettons à votre commission d'enquête.

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Je vous félicite, madame Devise, pour votre récente élection à la présidence du Secours catholique.

Sonia Krimi et moi-même avons choisi de commencer les travaux de notre commission d'enquête en auditionnant des migrants aux parcours très variés. Certains ont obtenu la nationalité française par naturalisation et ont trouvé du travail, d'autres vivent encore des situations très difficiles. Dans certaines administrations, dès lors que l'usager est un étranger, on a l'impression que le service public ne vaut plus : nous devons remédier à cette situation. Quant au manque de dialogue entre les différents acteurs concernés par la question des migrations, il pose effectivement un problème manifeste. Ce sujet revient sans cesse sur la table ; reste à savoir dans quel cadre et sous quelle forme instaurer un tel dialogue.

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Marie-Christine Vergiat, vice-présidente de la Ligue des droits de l'homme, référente pour le groupe de travail « Étrangers et immigrés »

Je m'associe aux demandes que vient d'exprimer la présidente du Secours catholique, que nous partageons.

La Ligue des droits de l'homme est une association généraliste, qui défend une conception indivisible et universelle des droits de l'homme. En d'autres termes, nous n'établissons pas de hiérarchie entre les droits, notamment entre les droits civils et politiques et les droits économiques et sociaux ; par ailleurs, nous n'entendons pas imposer un modèle aux pays étrangers mais réclamons l'égalité des droits pour tous, partout à travers le monde. Pour revenir au sujet qui nous occupe cet après-midi, nous demandons l'égalité de tous, que ce soit en matière de droits fondamentaux ou pour d'autres droits et libertés tels que le droit à la mobilité ou la liberté de circulation. Ce n'est rien de plus que la mise en œuvre des articles 1er et 13 de la Déclaration universelle des droits de l'homme – nous rappelons en permanence ces textes que la France a signés mais qu'elle oublie de plus en plus. Au-delà de notre travail de plaidoyer, nous avons de nombreux militants sur le terrain : répartis en 320 sections, plus de la moitié d'entre eux travaillent sur la question de l'accès des étrangers à leurs droits les plus fondamentaux.

Votre commission d'enquête se penche sur « les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants ». Cet intitulé très large ne peut que nous interpeller. Qu'est-ce, au juste, qu'un migrant ? L'ONU distingue les migrants internes et les migrants internationaux. Dans l'Union européenne vivent 27,5 millions de personnes nées dans un pays tiers, auxquelles s'ajoutent 15 millions d'Européens nés dans un autre État de l'Union que celui dans lequel ils résident. On compte quelque 2,5 millions de Français vivant hors du territoire national : ils ne sont pas des expatriés mais des migrants, au sens de l'Organisation internationale des migrations et de l'ONU. Ces migrants, dont la majorité sont des femmes, sont de plus en plus diplômés – ils le sont souvent plus que les autochtones. Chaque année, 3 millions de nouveaux titres de séjour sont délivrés au sein de l'Union européenne, dont 1,2 million lié à l'emploi. Les migrants économiques sont donc les bienvenus dans l'Union européenne. Pourtant, on nous dit souvent que les migrants économiques ne sont pas les bienvenus – il faudrait savoir ! Ce qu'on ne dit jamais, c'est que 750 000 de ces titres de séjour liés à l'emploi sont accordés à des Ukrainiens, et qu'ils sont essentiellement délivrés par la Pologne, un pays qui se dit ouvertement hostile aux migrants et aux demandeurs d'asile. J'ai voulu citer ces chiffres pour resituer le problème dans son contexte et lutter contre la diffusion de données fantaisistes et les manipulations.

Je sais bien que votre commission d'enquête n'a pas vocation à s'intéresser à tous les migrants, mais uniquement à ceux auxquels les pays européens n'ont pas donné la chance d'arriver dans des conditions régulières. Ils ont affronté des ambassades qui leur ont opposé des refus : des entreprises privées, auxquelles nos ambassades délèguent désormais la délivrance des visas, ont réclamé le paiement de tarifs exorbitants pour, finalement, dans la plupart des cas, ne pas accorder les visas tant attendus. Dès lors, comment s'étonner que ces populations prennent les voies les plus dangereuses et risquent leur vie en Méditerranée pour atteindre le continent européen ?

Quand on regarde les chiffres de près, on s'aperçoit que nous sommes assez loin de l'invasion dénoncée par certains. Lors de la crise de 2015-2016, on a entendu dire qu'un million de personnes allaient soudainement envahir l'Union européenne. On oublie que, parmi ce million de migrants, 850 000 arrivaient en Grèce via la Turquie, que les deux tiers étaient des Syriens et que l'Allemagne a accordé l'asile à 60 % de ces personnes. Nous devons rappeler ces chiffres en permanence pour dépasser le débat assez frustrant que nous avons en France, où l'on oppose souvent les mauvais migrants économiques aux bons réfugiés. Les faits montrent que ce sont plutôt les réfugiés, les demandeurs d'asile, les exilés, qui se trouvent privés d'accès au droit.

Au nom de la Ligue des droits de l'homme, je souhaite appeler votre attention sur trois sujets : les droits de l'enfant, le droit d'asile et le droit au séjour.

La France est tenue de respecter la convention internationale des droits de l'enfant, qui consacre notamment le droit de vivre en famille. À ce sujet, je veux évoquer quatre questions.

Premièrement, les mères d'enfants français sont inexpulsables. Pourtant, elles galèrent pour obtenir un titre de séjour et sont obligées de vivre dans l'illégalité. Parce qu'elles ne peuvent pas travailler légalement, elles se retrouvent dans des situations indignes qui en font des victimes potentielles de trafiquants. Nous pourrions, assez facilement et systématiquement, accorder des titres de séjour à ces mères d'enfants français.

Deuxièmement, le principe de non-séparation des parents et des enfants et l'intérêt supérieur de l'enfant ne sont pas respectés en matière d'assignation à résidence et d'enfermement. Il y a quelques années, un président de la République s'était engagé à mettre fin au placement des enfants en centre de rétention. Il n'a pas tenu sa parole, et la situation n'a fait qu'empirer. Or l'UNICEF ne cesse de répéter que l'intérêt d'un enfant n'est jamais d'être enfermé. L'assignation à résidence, avec des contraintes telles que les parents sont empêchés de travailler et ne peuvent donc pas s'occuper de leurs enfants dans de bonnes conditions, n'est pas non plus une solution. D'autres possibilités doivent être mises en œuvre afin d'éviter que parents et enfants soient enfermés dans ces centres de rétention.

Troisièmement, la récente campagne électorale a été l'occasion d'opérations de désinformation au sujet des mineurs non accompagnés (MNA). On a cité des chiffres fantaisistes s'agissant de la charge financière qu'ils représenteraient pour l'aide sociale à l'enfance, et on a évoqué le fantasme de leur dangerosité systématique. La Ligue des droits de l'homme souhaite, quant à elle, rappeler la nécessité d'appliquer systématiquement la présomption de minorité pendant toutes les procédures applicables aux mineurs. Dans le cas contraire, ces migrants sont pris en tenaille : alors que l'aide sociale à l'enfance ne les reconnaît pas comme des mineurs, ils sont considérés comme tels lorsqu'ils téléphonent au 115 pour obtenir une protection. Livrés à eux-mêmes, ils sont alors vulnérables et peuvent être la proie de trafiquants de toutes sortes. Nous demandons également la non remise en cause de la minorité en cas de transfert dans un autre département, la prise en charge automatique des jeunes durant toutes les procédures de contestation, ainsi que l'amélioration des conditions d'évaluation de la minorité. Sur ce dernier point, les taux de reconnaissance varient, selon les départements, entre 20 et 80 % : il y a donc quelque chose qui ne va pas. Nous préconisons que cette évaluation soit confiée à des structures indépendantes des conseils départementaux et, bien évidemment, de l'État.

Quatrièmement, de nombreux jeunes qui demandent un titre de séjour à leur majorité se voient délivrer, en guise de cadeau d'anniversaire, une obligation de quitter le territoire français (OQTF), du fait de la contestation de leur identité par les services de la préfecture. Nombre de ces situations ont été largement médiatisées ; elles mobilisent l'opinion lorsque ces jeunes, étudiants, apprentis ou salariés, ont amplement démontré leur intégration. Nous considérons, pour notre part, que le juge des enfants a déjà statué sur l'identité de ces jeunes, qui ne saurait donc être remise en cause par les préfectures, d'autant que ces dernières contestent uniquement des documents fournis par les pays d'origine. Plus aucun jeune muni d'un passeport ou d'une carte consulaire ne doit pouvoir faire l'objet d'une OQTF au motif que son acte de naissance prêterait à discussion. Il faut sortir d'un système qui considère des jeunes formés, intégrés, comme des clandestins et qui les expulse en brisant leur vie.

J'en viens au droit d'asile. Nous partageons en tout point l'avis de Mme Devise s'agissant du règlement Dublin. Nous contestons également la notion de pays sûr. Pouvons-nous qualifier ainsi le Sénégal, où l'homosexualité est criminalisée, l'Albanie, dont nous connaissons les pratiques en matière de droits des femmes, ou encore l'Inde, où les minorités subissent tant de violences ?

Je terminerai en évoquant le droit au séjour. De nombreuses associations ont contesté, en 2012, la circulaire de Manuel Valls en ce qu'elle prévoyait des conditions excessives pour la régularisation des familles avec enfants. Nous considérions que les durées minimales prévues – cinq ans de présence en France, trois ans de scolarisation des enfants – étaient trop importantes ; or, aujourd'hui, nous réclamons à tout le moins l'application de cette circulaire, que la plupart des préfectures ne respectent même plus. Nous constatons également qu'il est de plus en plus difficile de faire valoir des situations de grande souffrance, par exemple en cas de maladie grave de l'étranger ou de son enfant. Là aussi, la législation s'est durcie et nous faisons face à des situations insupportables, notamment depuis que l'avis médical n'est plus rendu par les agences régionales de santé (ARS) mais par l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII).

La plus grande dégradation constatée est liée à la dématérialisation, qui empêche la plupart des étrangers demandant un titre de séjour ou son renouvellement d'accéder aux préfectures. Je prendrai l'exemple d'un Ivoirien en situation régulière, qui doit faire renouveler son titre de séjour avant la fin du mois de juin et dont le CDD expire, lui aussi, fin juin. Depuis trois mois, il tente d'obtenir un rendez-vous : pour ce faire, il est obligé de passer par une procédure en ligne, et le premier créneau qui lui est proposé est à la fin du mois d'août. Neuf fois sur dix, l'application de prise de rendez-vous affiche un message que tous les étrangers connaissent par cœur : « Il n'existe plus de plage horaire libre pour votre demande de rendez-vous. Veuillez recommencer ultérieurement. » Cela devient insupportable ! Avec de nombreuses autres associations, nous avons engagé des procédures contentieuses à ce sujet. Le Conseil d'État a rendu une décision mi-figue, mi-raisin, affirmant que les procédures dématérialisées ne pouvaient être les seules proposées aux usagers, sans toutefois annuler les textes que nous contestions. Nous sommes donc obligés de mener des combats préfecture par préfecture – nous en avons déjà une dizaine en ligne de mire – et de prouver, photos à l'appui, que l'étranger n'a pas pu obtenir de rendez-vous. Nous continuerons à engager de tels recours, aussi longtemps qu'il sera nécessaire, pour permettre aux étrangers, quels qu'ils soient, d'obtenir ces rendez-vous.

Je pourrais multiplier à l'infini les exemples montrant que la France est devenue, pour de nombreux étrangers, un pays de non-droit. Ces discriminations sont notamment liées au pays d'origine, et même à la couleur de la peau.

Pour vous aider à réfléchir, je vous remettrai un petit ouvrage intitulé En finir avec les idées fausses sur les migrations, publié en mars 2021 par les États généraux des migrations. Il apportera des réponses à certaines questions posées devant votre commission.

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Claudia Charles, chargée d'études pour le Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI)

Moins connu que le Secours catholique et la Ligue des droits de l'homme, le GISTI a pour objet « de réunir toutes les informations sur la situation juridique, économique et sociale des travailleurs immigrés et de leurs familles ; d'informer les étrangers des conditions de l'exercice et de la protection de leurs droits ; de soutenir leur action en vue de la reconnaissance de leurs droits fondamentaux et d'en obtenir le respect ; de combattre toutes les formes de racisme et de discrimination, directe ou indirecte, et assister celles et ceux qui en sont victimes ; de promouvoir la liberté de circulation » – ce qui inclut évidemment la liberté d'installation. Le GISTI est l'un des membres fondateurs du réseau euro-africain Migreurop, qui analyse et décrypte la politique européenne d'immigration et d'asile, notamment dans sa dimension extérieure.

Le Secours catholique, la Ligue des droits de l'homme et d'autres associations vous ont expliqué que la politique française devenait de plus en plus répressive et restrictive vis-à-vis des personnes migrantes. Ce volet national ne doit pas être détaché du volet européen ; c'est pourquoi il nous semble intéressant d'aborder, dans le cadre de cette table ronde, le rôle de la France dans la construction et l'externalisation de la politique européenne d'immigration et d'asile.

Vous avez auditionné la semaine dernière M. le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), qui a fait état devant vous des missions « hors les murs » de l'Office : il évoquait ainsi la réalisation de soixante-quinze missions, dont quarante en outre-mer et d'autres à l'étranger, pour certaines dans le cadre de l'Union européenne. Ces missions visent, selon les termes mêmes du directeur général de l'OFPRA, à « concrétiser les engagements pris par la France ». Elles sont de deux types : on distingue en effet les missions de relocalisation depuis la Grèce et les missions de réinstallation dans les pays de premier accueil de personnes placées sous la protection du Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR). M. le directeur général de l'OFPRA a ainsi évoqué des missions dans des pays d'Afrique, mentionnant notamment des personnes exfiltrées de Libye et une mission au Rwanda. Ces missions de relocalisation ou de réinstallation illustrent bien le rôle de la France dans l'externalisation de la politique européenne d'immigration et d'asile, ainsi que les problèmes posés par ce procédé.

Les missions de relocalisation depuis la Grèce, au nom de la solidarité européenne, comportent une contrepartie : la création de hotspots, qui sont des lieux de tri, implantés en Grèce ou en Italie, où est opérée la sélection du petit nombre de migrants éligibles au droit d'asile. Il ne me semble pas nécessaire de revenir ici sur la situation des personnes qui se trouvent, encore aujourd'hui, dans les hotspots grecs – de nombreux rapports ont été publiés sur cette question depuis 2016, et Médecins sans frontières dénonce encore ce mois-ci l'ampleur des souffrances infligées aux personnes exilées prises dans l'étau des hotspots. De nombreuses recherches montrent ainsi que les hotspots ont davantage servi la logique de confinement et de renvoi des exilés que la promotion d'un accueil plus solidaire des réfugiés en Europe. Ces missions de relocalisation se sont donc accompagnées par la création, aux portes de l'Europe, d'une sorte de premier guichet de l'asile, dans le cadre d'un système d'asile à plusieurs vitesses.

Les missions foraines de l'OFPRA en Afrique, notamment au Niger, relèvent de la politique de réinstallation. Or ces missions ne sont pas dépourvues d'objectifs de politique migratoire, à l'échelle nationale comme à l'échelle européenne. La ligne directrice a été définie par le Président de la République lors d'un sommet euro-africain à l'été 2017 : « endiguer les flux d'immigration irrégulière bien avant qu'ils n'atteignent les côtes méditerranéennes ». Les dirigeants européens et africains ont souligné « la nécessité, une fois la migration irrégulière organisée par les passeurs réduite, d'organiser la réinstallation des personnes ayant besoin d'une protection internationale, qui sont particulièrement vulnérables », précisant que « la lutte contre les trafics d'êtres humains et le renforcement des possibilités de réinstallation devraient aller de pair ». Si ces missions foraines servent à mettre l'accent sur le rôle de protection de la France et à donner de notre pays une image de terre d'asile, leur objectif est en réalité tout autre, puisqu'elles visent aussi à fermer certaines routes migratoires.

La coopération entre la France et le Maroc constitue un deuxième exemple du rôle de la France dans la construction de cette politique d'externalisation. Une « déclaration d'entente sur la protection des mineurs » a été signée le 7 décembre 2020 par la France et le Maroc ; cet accord permet le renvoi au Maroc des mineurs isolés marocains qui se trouvent sur notre territoire, au détriment de leurs droits fondamentaux pourtant protégés tant par la convention internationale des droits de l'enfant que par le droit français. Après les événements de Ceuta, le 18 mai dernier, et l'arrivée de 10 000 personnes marocaines dans cette enclave espagnole, le roi du Maroc a annoncé le 1er juin que son pays respecterait les engagements qu'il avait pris auprès de ses partenaires européens et procéderait à la récupération de ses mineurs. La France s'est dépêchée de se féliciter d'une telle déclaration, mais personne n'est dupe : chacun sait que cette politique de rapatriement ou d'expulsion des mineurs fait partie intégrante de la coopération entre l'Union européenne et le Maroc, dans laquelle la France joue l'un des rôles principaux, tandis que le Maroc est considéré comme l'un des gendarmes de l'Europe à sa frontière sud.

Troisième exemple du rôle de la France dans l'externalisation de la politique européenne d'immigration et d'asile : en février 2019, Mme Florence Parly, ministre des armées, annonçait la livraison de six bateaux aux garde-côtes libyens afin d'aider les autorités de ce pays à contrôler l'immigration dite clandestine – le gouvernement français y a finalement renoncé, grâce à un recours introduit par plusieurs associations devant le tribunal administratif de Paris puis devant la cour administrative d'appel de Paris. Or de nombreux rapports, articles de presse et témoignages nous alertent sur la situation des personnes exilées en Libye et les risques qu'elles encourent si elles sont interceptées par les garde-côtes libyens pour être renvoyées dans les geôles où elles se trouvaient auparavant – le Président de la République lui-même avait parlé, à l'époque, de « crimes contre l'humanité ».

Lors de son audition par votre commission d'enquête le 27 mai, M. François Héran affirmait qu'il y avait une politique d'accueil en France ; il citait notamment les dispositifs d'accueil des étudiants internationaux et des personnes ayant des attaches familiales dans notre pays. En dénonçant le rôle de la France dans la construction de la politique européenne d'externalisation, nous voulons aussi mettre en lumière la volonté délibérée de la France et de l'Union européenne de ne pas accueillir les personnes exilées, en particulier celles que l'on considère comme indésirables depuis fort longtemps.

L'Assemblée nationale examinera prochainement un projet de loi relatif à la protection des enfants. Je vous propose de déposer un amendement visant à interdire le placement en rétention des mineurs isolés et des familles comprenant un ou plusieurs enfants mineurs. Mardi dernier, des associations ont publié un communiqué de presse appelant l'attention des parlementaires sur plusieurs dispositions de ce projet de loi – je pense à la généralisation du recours au fichier d'appui à l'évaluation de la minorité (AEM) et à l'obligation qui sera faite aux mineurs isolés de passer par la préfecture, afin que cette dernière statue sur leur minorité, avant de saisir d'autres autorités administratives.

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Madame Devise, je vous félicite pour votre élection à la présidence du Secours catholique.

Madame Vergiat, vous avez été députée européenne pendant dix ans, ce qui n'est pas rien. Vous connaissez parfaitement les difficultés de la politique européenne et les façons de les surmonter : votre expérience nous intéresse donc particulièrement, et nous aimerions que vous nous exposiez les solutions que vous préconisez.

Madame Charles, j'apprécie votre modestie mais toutes les personnes qui travaillent sur ce sujet connaissent parfaitement le GISTI et la qualité de son travail.

Les députés ont jusqu'à samedi pour déposer des amendements au projet de loi relatif à la protection des enfants en vue de son examen par la commission des affaires sociales ; Sébastien Nadot a déjà rédigé un amendement visant à interdire la rétention des mineurs. Dans le cadre d'une mission parlementaire, je me suis rendue à Mayotte, qui est malheureusement sans doute le département français le plus concerné par cette question. J'y ai vu beaucoup de souffrance, y compris chez les policiers, qui ne sont pas des machines. Cela rejoint l'état d'esprit des députés membres de notre commission d'enquête, qui veulent plus d'humanité.

Comment jugiez-vous la politique d'immigration de la France avant 2007, c'est-à-dire avant qu'elle ne relève de la compétence exclusive du ministère de l'intérieur ? Comment les choses se passaient-elles lorsque la conduite de cette politique était partagée avec le ministère des affaires étrangères, qui délivrait les laissez-passer ? Les diplomates français accomplissent un excellent travail dans plusieurs parties du monde : grâce à eux, la France porte une voix différente de celle des autres grandes puissances. Ce matin, la commission des affaires étrangères a reçu des ministres birmans, et nous avons pu nous rendre compte que la France diffusait un vrai message en Birmanie – comme en Arménie, d'ailleurs. Du fait de l'enfermement de la politique d'immigration au ministère de l'intérieur, avez-vous des difficultés à vous adresser aux bons interlocuteurs ? Les migrants ne sont pas confrontés qu'à des problèmes de papiers ; ils ont aussi des préoccupations d'ordre sanitaire et économique, et il faut pouvoir parler le même langage que les services de l'État. Je considère, pour ma part, que les questions relatives à l'immigration doivent être abordées à plusieurs niveaux, et non uniquement au ministère de l'intérieur.

Ma deuxième question porte sur les disparités entre départements, que vous avez évoquées succinctement, madame Devise. Je ne vous demanderai pas de distribuer des bons ou des mauvais points, mais considérez-vous que la couleur politique des élus change quelque chose dans la manière dont les gens sont traités sur le terrain ? Pouvez-vous nous donner des exemples de départements où cela se passe bien ? Quels sont les départements les plus enclins à travailler en coordination non seulement avec la préfecture, mais aussi avec les associations comme le Secours catholique ou le Secours populaire, par exemple ?

Enfin, madame Vergiat, madame Charles, avez-vous vu des bonnes pratiques ailleurs en Europe ? Devrions-nous nous inspirer de ce que font nos voisins allemands ? Je ne parle évidemment pas de nos voisins hongrois ! Certains pays parviennent à statuer rapidement sur les demandes d'asile, bien que rapidité ne rime pas toujours avec qualité. La Suisse n'est peut-être pas le meilleur exemple en matière d'immigration et d'asile, mais elle se caractérise par une certaine fluidité administrative, avec des points d'accueil accessibles. Vous avez d'ailleurs évoqué, madame Vergiat, les travers de la dématérialisation et la difficulté qu'éprouvent les usagers à trouver un accueil physique en préfecture. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce premier accueil des migrants et sur leur accès au droit dans une perspective européenne ?

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J'aimerais poser une question délicate, à contre-courant de toutes mes prises de position habituelles. Chacun ici pourra confirmer que je suis une militante des droits humains. J'estime avoir des convictions humanistes. Cependant, quand on parle de droits, ne devrait-on pas parler aussi de devoirs ? Si je pose cette question, c'est d'abord pour tenir compte de l'opinion publique, qui est aujourd'hui divisée. Elle ne soutient pas toujours les actions que nous menons en faveur de l'intégration des réfugiés, dans le respect de nos engagements internationaux, et nous renvoie souvent la question des devoirs. J'entends cette réaction, que nous devons prendre en compte. Il s'agit également d'une question philosophique, car le contrat social qui nous permet de vivre ensemble est fondé sur un ensemble de droits et de devoirs.

Prenons des cas très concrets. Après avoir épuisé toutes les voies de recours, une personne peut faire l'objet d'une OQTF et être reconduite à la frontière. Je me souviens d'images épouvantables : alors que je me rendais au Mali, un réfugié présent au fond de l'avion ne voulait pas se laisser faire et hurlait pendant tout le vol. La situation était pénible pour les passagers, pour lui-même et pour les agents de la force publique qui l'accompagnaient. Je ne sais pas ce qu'il est advenu de ce jeune homme qui avait épuisé toutes les procédures. De même, je connais bien l'Albanie, un pays candidat à l'adhésion à l'Union européenne – je suis d'ailleurs présidente du groupe d'amitié France-Albanie. Les Albanais faisant l'objet d'une OQTF ont le devoir de s'y soumettre.

J'aimerais donc vous entendre sur cette question, même si je me doute un peu de la réponse que vous m'apporterez. D'un point de vue tant philosophique que pratique, comment faire en sorte que les personnes migrantes voient leurs droits respectés, mais qu'elles respectent également leurs devoirs ?

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Les réponses politiques suivent souvent le baromètre de la société et on a noté, ces derniers temps, une tendance au durcissement politique face aux migrations, perçues comme une menace.

Vous nous avez pourtant indiqué, madame Devise, que les personnes exilées sont en réalité mieux perçues par la population qu'on ne pourrait le penser, d'après les enquêtes que vous avez réalisées. Que retirez-vous de positif de cela ? Et, surtout, sur quoi pourrait-on selon vous s'appuyer pour changer ces préjugés et modifier notre politique migratoire ?

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Madame Devise, je suis très sensible au travail que vous faites pour « décrisper » les débats, comprendre les facteurs qui expliquent le rejet de l'immigration et trouver les mots et les actions susceptibles de favoriser le vivre ensemble. Avez-vous un avis sur la communication institutionnelle qui est menée en France sur ce sujet ? Si vous deviez imaginer une telle communication, qu'est-ce que vous jugeriez pertinent de faire pour favoriser le vivre ensemble, ainsi qu'une meilleure compréhension et une meilleure acceptation de l'immigration ?

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Madame Vergiat, la Ligue des droits de l'homme est évidemment présente à Mayotte, et pour cause : il y a de quoi faire ! Sur le site internet de votre association, il est indiqué qu'en 2006, il y a eu environ 16 000 reconduites à la frontière au départ de Mayotte : c'est une moyenne annuelle, mineurs compris. Je suppose que si vous comptez les sorties, vous comptez également les entrées, mineurs compris. Pourriez-vous communiquer à notre commission d'enquête toutes les données chiffrées que vous détenez, afin de mesurer l'importance des entrées sur notre territoire entre 2007 et 2021 ?

Madame Charles, comme la rapporteure l'a dit, nous connaissons tous l'action du GISTI en faveur de l'aide aux étrangers présents sur le territoire français, particulièrement en matière juridique et administrative. Vous promouvez également la liberté de circulation des migrants sur le territoire. Je souhaiterais connaître les implications de cette promotion de la liberté de circulation et les dispositifs d'accompagnement qui sont mis en place pour éviter l'oisiveté, notamment des mineurs. Développez-vous des partenariats pour apporter une base éducative à ces mineurs ? Comprenez que la liberté de circulation d'enfants mineurs, ou même d'adultes oisifs, a son revers. À Mayotte, nous le constatons au quotidien, la corrélation ayant été établie entre violence et immigration – et ce n'est pas moi qui le dis. Comment donc contribuez-vous à cet équilibre ?

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Laurent Giovannoni, responsable du département « Accueil et droits des étrangers » du Secours catholique

Madame la rapporteure, nous avons effectivement connu une période où les questions d'immigration et d'asile étaient pilotées en interministériel. Le ministère des affaires sociales jouait un rôle important – notamment, en son sein, la Direction de la population et des migrations (DPM) – mais c'était aussi le cas des ministères du logement, de la santé, des affaires étrangères – évidemment –, ainsi que de la justice. Il pouvait en résulter un peu de confusion, mais cela assurait aussi une vraie complémentarité entre les missions des différents ministères et une forme d'équilibre entre ce qui relève du contrôle et de la maîtrise des migrations, d'une part, et ce qui concerne l'humanitaire et l'intégration, d'autre part.

Cet équilibre a été rompu au moment de la création du ministère de l'immigration, en 2008, qui a constitué une phase de transition avant le transfert de l'ensemble des directions chargées des questions d'immigration et d'asile au ministère de l'intérieur. On a beaucoup perdu à ce moment-là, tout simplement parce que certaines missions ne relèvent pas du ministère de l'intérieur : ce n'est pas son métier, par exemple, de gérer un dispositif d'hébergement, d'accueil et d'intégration. Il pourrait être intéressant pour vous d'auditionner les deux anciens directeurs de la DPM, M. Jean Gaeremynck et M. Gérard Moreau.

Vous nous demandiez aussi, madame la rapporteure, si les choses se passent différemment d'un département à l'autre, en fonction de la couleur politique des élus. Très sincèrement, j'ai plutôt envie de dire non ; un peu oui, mais surtout non. La couleur politique n'a pas une incidence majeure, d'abord parce que les conseils départementaux n'ont pas un rôle majeur en matière d'immigration ; c'est surtout le préfet. En fonction des préfectures, des personnes et des situations locales, on peut effectivement noter des pratiques assez différentes, mais elles ne sont pas vraiment liées à la couleur politique.

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Pouvez-vous nous donner des exemples de ces disparités ? Nous avons visité Calais et Grande-Synthe : ce sont deux départements et deux manières de gérer les choses totalement différentes.

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Laurent Giovannoni, responsable du département « Accueil et droits des étrangers » du Secours catholique

Il faut savoir que ce qui se passe sur le littoral dépend très directement du ministère de l'intérieur. À chaque fois que nous avons parlé avec le ministre de l'intérieur de la situation à Calais ou à Grande-Synthe, il nous a dit que, sur la question des campements, trois sujets étaient directement traités place Beauvau. Pour moi, ce qui est crucial, c'est la capacité des administrations à ouvrir un espace de concertation avec l'ensemble des acteurs locaux. Là où un espace de dialogue et de concertation se crée avec les associations, les opérateurs, les travailleurs sociaux et les élus, on trouve des solutions pratiques et pragmatiques et des réponses concrètes. Véronique Devise, en tant qu'ancienne présidente de la délégation du Pas-de-Calais, pourra vous en dire beaucoup à ce sujet.

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Véronique Devise, présidente du Secours catholique

Pour illustrer la manière dont nous essayons de décrisper le débat, je rapporterai une expérience que j'ai vécue lorsque j'étais présidente à Calais. Nous avions acheté un bien immobilier pour y faire de l'accueil de jour. Au départ, les habitants du quartier ont eu peur et refusé qu'on s'y installe. Nous avons alors décidé, avec la mairie, d'aller à la rencontre des Calaisiens. Notre premier échange a été assez virulent mais nous les avons accompagnés, le projet a été réalisé et désormais, ce lieu d'accueil est très bien accepté. C'est la rencontre qui a permis d'en arriver là. Les personnes que nous accueillons sont des hommes, des femmes et des enfants, comme vous et moi. L'étranger fait peur quand on ne le connaît pas mais quand on le rencontre, ça change la vie et le regard.

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Laurent Giovannoni, responsable du département « Accueil et droits des étrangers » du Secours catholique

Vous nous avez demandé, madame Jourdan, ce que nous comptons faire pour modifier les regards et les représentations. C'est un travail de longue haleine, que nous avons entamé en 2016 en collaboration avec l'association More in common, dont la branche française s'appelle Destin commun. Elle est spécialisée dans l'analyse des phénomènes sociétaux et travaille en lien avec l'Institut français d'opinion publique (IFOP). Nous lui avons commandé une première étude sur les facteurs qui peuvent provoquer, au sein de la population catholique, des réactions de peur ou de rejet face aux étrangers. Leur méthode nouvelle et passionnante nous a permis de découvrir que deux petites parties de cette population ont des positions très arrêtées mais que la majorité des gens a finalement une position assez ambivalente : ils sont à la fois fidèles à des valeurs et à une envie d'entraide mais en même temps inquiets, pour des raisons qui peuvent être économiques ou liées à l'identité religieuse.

Nous menons actuellement une autre enquête au long cours, en partenariat avec le groupe SOS, Amnesty International et More in common, sur ce que l'on appelle les tensions ou les concurrences entre publics : nous analysons la manière dont des personnes en situation de précarité acceptent ou non ce vivre ensemble harmonieux. Et, là-dessus aussi, nous sommes en train d'apprendre énormément de choses. L'idée est de trouver, au-delà de la parole, des modes d'action qui permettent la rencontre et l'écoute réciproque. Nous n'avons pas de recette toute faite, surtout pas, mais nous nous sommes lancés dans un travail au long cours.

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Marie-Christine Vergiat, vice-présidente de la Ligue des droits de l'homme, référente pour le groupe de travail « Étrangers et immigrés »

Je rappelle que je suis ici en tant que vice-présidente de la Ligue des droits de l'homme et, même si j'ai du mal à m'extraire de mes dix années au Parlement européen, ce n'est pas à ce titre-là que je suis devant vous. Je veux bien répondre à deux ou trois questions, mais comme certains militants doivent être en train de me regarder, si je me trompe de casquette, je vais avoir des comptes à rendre, et je n'y tiens pas.

Je rejoins tout à fait ce qui a été dit par les représentants du Secours catholique. La tendance du ministère de l'intérieur à assumer des compétences relevant du ministère des affaires étrangères se vérifie au niveau européen. Ce n'est pas le ministre des affaires étrangères mais le ministre de l'intérieur qui se rend à l'étranger pour négocier avec ses homologues les politiques d'externalisation des frontières. Quand je me suis rendu compte de cela, j'en suis restée pantoise, parce que la négociation en dehors de l'Union européenne est théoriquement du ressort du seul ministère des affaires étrangères.

Il est vrai que la préfecture est responsable de l'ensemble des administrations présentes sur le territoire départemental, mais elle l'est surtout de celles du ministère de l'intérieur. Alors, quand j'apprends que les titres de travail vont désormais être délivrés par les préfectures, mes cheveux se dressent sur ma tête, parce que cela signifie que c'est le ministère de l'intérieur qui examinera les choses en premier. Or les militants qui sont sur le terrain savent qu'il est bien plus facile de discuter de ces questions avec les représentants du ministère de l'emploi sur le territoire du ministère, via ce que l'on appelait, il y a peu encore, les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) qu'avec les préfectures. Les chefs d'entreprise avaient l'habitude de dialoguer avec elles, ce qui permettait d'avancer.

Madame Clapot, je me sens directement interpellée par votre question relative aux droits et aux devoirs, puisque c'est l'un de nos grands combats. Mais je voudrais savoir de quels droits et de quels devoirs on parle. Je suis militante des droits de l'homme. Les droits de l'homme, c'est ce qui est inhérent à la personne humaine, à l'être humain. Ce sont des droits qui sont octroyés à un individu à sa naissance et qu'on ne peut pas lui enlever, quelles que soient les circonstances. Prenons l'exemple du droit à la vie. Je suis abolitionniste et j'espère que tout le monde, autour de cette table, l'est également, car nous vivons dans un pays abolitionniste. Le droit à la vie, cela veut dire que l'on ne peut pas s'en prendre à la vie de quelqu'un, fût-il le pire des assassins. Quand on parle de droits fondamentaux, je ne vois pas quels devoirs on pourrait vouloir mettre en regard.

Du reste, je préfère parler d'obligations que de devoirs, car le terme « devoir » a une connotation philosophique que n'a pas le mot « obligation » – puisque vous parliez de philosophie. Les citoyens ont des obligations ; dimanche dernier, par exemple, ils n'ont pas bien rempli leur obligation en matière de vote. Mais je note que c'est surtout à propos des étrangers, notamment des étrangers dits « en situation irrégulière », que l'on pose cette question des droits et des devoirs ; nous sommes d'ailleurs nombreux à préférer le vocable d' « exilé », qui est moins connoté.

Vous avez évoqué l'Albanie. Sauf erreur de ma part, c'est un pays pour lequel l'Union européenne a désormais levé les visas de court séjour – c'est pourquoi un Albanais qui a été repoussé revient assez facilement sur le territoire de l'Union européenne. Le problème, c'est que certaines politiques ne sont pas fondées sur les réalités. C'est comme quand on expulsait massivement les Roms vers la Roumanie et la Bulgarie – ce que l'on continue d'ailleurs à faire – tout en sachant qu'ils reviendraient facilement. Le ministère de l'intérieur les comptabilisait d'ailleurs parfois trois ou quatre fois par an, ce qui faisait monter les statistiques. La Ligue des droits de l'homme se bat pour la levée des visas de court séjour, parce qu'elle favorise la mobilité. Quand on n'a pas besoin de visa de court séjour, on peut aller et venir librement et on n'a pas la tentation de rester, par peur de ne pouvoir revenir. Quand on a levé les visas vers les anciens pays de l'Europe de l'Est, on a vu un peu de mouvement, mais pas le mouvement massif que certains annonçaient. On a levé les visas de court séjour de tous les pays des Balkans il y a deux ou trois ans – cela s'est fait au niveau de l'Union européenne et on n'en a quasiment pas parlé. On n'a pas vu, depuis, de mouvements de population massifs depuis les pays des Balkans vers l'Union européenne. Il faut toujours replacer les choses dans un contexte plus large.

Je ne désignerai pas les pays qui ont des bonnes et des mauvaises pratiques. J'ai souligné le rôle de l'Allemagne, ce qui est une façon de répondre à votre question sur l'influence de la couleur politique. Pour ma part, j'ai admiré Mme Angela Merkel et la façon dont elle a su ouvrir ses portes, et j'ai regretté qu'un ministre de l'intérieur français aille à Munich expliquer qu'elle avait tort de le faire. D'abord, les ministres de la République française n'ont pas, en principe, à aller dans un autre pays pour critiquer le gouvernement en place. Et puis, heureusement que l'Allemagne a été là ! Il est très intéressant d'examiner la manière dont les choses se sont passées en Allemagne en 2015 et 2016, notamment la manière dont l'État fédéral a agi avec les Länder, qui sont beaucoup plus indépendants que nos départements, et avec les communes allemandes. Je me souviens d'avoir assisté à un débat à Strasbourg entre les représentants de cette ville et ceux de la ville allemande qui se trouve de l'autre côté de la frontière : les moyens que consacraient les deux communes à la politique d'intégration étaient si différents que nos élus strasbourgeois avaient du mal à s'en remettre. Mais c'est la seule manière de lutter contre les phobies et les préjugés.

La Ligue des droits de l'homme est persuadée qu'il y a des idées fausses et des préjugés dans tous les milieux et qu'on a toujours des choses à apprendre. Le dernier rapport annuel de la commission nationale des droits de l'homme montre que les Français, loin d'être de plus en plus racistes, le sont de moins en moins : c'est une donnée importante, s'agissant de l'état de l'opinion publique.

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Vous dites préférer le terme « obligation » au mot « devoir » mais vous n'avez pas répondu à Mme Mireille Clapot, qui vous a posé une question relativement simple au sujet des OQTF. Selon vous, que faut-il faire quand on a épuisé le droit ? On comprend bien que, de votre point de vue, toutes les responsabilités, toutes les fautes, incombent aux services de l'État et au ministère de l'intérieur. Mais nous, nous cherchons la manière d'améliorer les choses. Il y a le droit, et il y a sa mise en pratique, qui n'est pas toujours satisfaisante. Vous, vous contestez le droit lui-même, mais que proposez-vous de mettre à la place ? Quand on vous pose cette question, qui est pourtant simple, vous nous dites qu'il faut parler d'obligations, et non de devoirs.

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Marie-Christine Vergiat, vice-présidente de la Ligue des droits de l'homme, référente pour le groupe de travail « Étrangers et immigrés »

Vous n'avez pas dû écouter la première partie de ma réponse, monsieur le président.

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La question qui vous a été posée est très simple. Quand le droit a été épuisé, ne faut-il pas procéder à l'OQTF ? Pensez-vous qu'il ne faut jamais expulser qui que ce soit, quelles que soient les circonstances ? Quel est votre raisonnement ?

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Marie-Christine Vergiat, vice-présidente de la Ligue des droits de l'homme, référente pour le groupe de travail « Étrangers et immigrés »

Je ne vois pas le rapport entre l'OQTF et les notions de droits et de devoirs. Je vous ai dit, monsieur le président, qu'à la Ligue des droits de l'homme, nous parlons d'accès au droit, notamment d'accès aux droits fondamentaux, et que ces droits fondamentaux ne sont pas conditionnés à quoi que ce soit.

Une législation, ça se change, et nous nous battons pour que la loi change, notamment en matière de droit d'asile. Les OQTF concernent notamment les déboutés du droit d'asile. Or, vu la manière dont on applique le droit d'asile en France, nous sommes du côté des déboutés du droit d'asile et nous nous battons contre les expulsions, parce que la plupart d'entre elles ne sont pas fondées juridiquement. Cela n'a rien à voir avec une question de droits et de devoirs.

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Quand une expulsion est fondée en droit, que doit-on faire ?

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Marie-Christine Vergiat, vice-présidente de la Ligue des droits de l'homme, référente pour le groupe de travail « Étrangers et immigrés »

Une expulsion n'est pas une obligation. C'est la conséquence d'une loi. Il faut faire attention au sens des mots.

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Si l'on considère que la loi n'est pas le droit, on peut effectivement partir dans des digressions…

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Marie-Christine Vergiat, vice-présidente de la Ligue des droits de l'homme, référente pour le groupe de travail « Étrangers et immigrés »

Monsieur le président, vous confondez le droit et les droits fondamentaux : ce n'est pas la même chose ! Le droit, c'est la manière dont on met en œuvre les droits fondamentaux. Les droits et les devoirs, ce n'est pas le droit et les devoirs.

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Vous n'apportez pas le début d'une réponse et d'une solution à la question qui vous a été posée : c'est un constat. Si votre position consiste à dire qu'il ne faut jamais expulser, je peux l'entendre.

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Marie-Christine Vergiat, vice-présidente de la Ligue des droits de l'homme, référente pour le groupe de travail « Étrangers et immigrés »

Je n'ai pas dit cela…

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Ce que nous vous demandons, c'est comment, en tant que responsables, nous pouvons mieux organiser les choses. Or vous nous répondez seulement que l'État ne fait pas ce qu'il faut. Nous voudrions savoir si vous avez des propositions à faire : c'est aussi simple que cela.

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Marie-Christine Vergiat, vice-présidente de la Ligue des droits de l'homme, référente pour le groupe de travail « Étrangers et immigrés »

Je crois qu'il y a un vrai malentendu, parce que vous me faites dire ce que je n'ai pas dit. Pour moi, c'est un dialogue de sourds.

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J'ai déjà eu ce genre de dialogue avec des personnes qui sont très axées sur les droits et je ne suis donc pas étonnée que nous ne comprenions pas. J'en prends acte et je vais reformuler ma question. Certains migrants, ou exilés, ne sont pas fondés, en droit, à rester sur le territoire français. Il peut y avoir un tas de raisons à cela, mais je pense par exemple aux personnes qui, au Rwanda, étaient plutôt du côté des génocidaires. Lorsqu'au terme d'une procédure qui s'est déroulée dans le respect du droit on arrive à la conclusion qu'une personne n'est pas fondée à rester sur le territoire français, que faut-il faire ? Peut-être ce genre d'interrogation n'entre-t-elle pas dans votre champ de réflexion, ce que je peux respecter. Mais nous, en tant que législateurs, nous devons nous poser la question de ce qui est légal et légitime. C'est pourquoi j'étais curieuse de connaître votre position.

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Marie-Christine Vergiat, vice-présidente de la Ligue des droits de l'homme, référente pour le groupe de travail « Étrangers et immigrés »

Je vais essayer de répondre autrement. Nous ne sommes pas des ennemis du droit : nous sommes d'ailleurs majoritairement des juristes. Mais nous nous battons pour modifier des lois quand nous considérons qu'elles sont injustes. Cela ne veut pas dire que nous sommes contre toute décision d'expulsion : dans le cas du responsable rwandais que vous avez évoqué, nous ne nous opposerions pas à une expulsion.

La première chose que nous souhaitons, c'est que tout se fasse sous le contrôle d'un juge. Or, dans le système actuel, on passe de plus en plus du judiciaire à l'administratif. Et quand on voit le pouvoir de l'administration se renforcer, on est un peu inquiet. Nous estimons que c'est le juge qui devrait statuer, et qu'il devrait pouvoir le faire dans de bonnes conditions. De nombreuses décisions sont prises en visioconférence : ce n'est pas forcément la meilleure façon de faire respecter les lois. Les avocats, qui sont souvent désignés d'office, ont par ailleurs du mal à s'entretenir avec leur client. Nous ne sommes pas contre le droit mais je répète que le droit et les droits, ce n'est pas la même chose. Nous sommes pour le respect du droit, à condition qu'il soit conforme aux conventions internationales – pour reprendre l'intitulé de votre commission d'enquête. Or ce que l'on constate, notamment en matière d'expulsion, c'est que le droit international est de moins en moins respecté. Quand on instaure la notion de « pays sûr » et que l'on va jusqu'à renvoyer des Afghans vers l'Afghanistan, au motif qu'il existe des zones sûres dans ce pays, il y a de quoi s'inquiéter.

En réalité, je ne comprends pas vraiment comment vous essayez d'articuler la question du respect des droits, notamment des droits fondamentaux, à celle de l'expulsion. Si j'ai du mal à vous répondre, c'est aussi parce que, pour moi, ce sont des choses différentes.

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Les constats que vous faites, nous les avons entendus à maintes reprises et nous sommes parfaitement conscients de la situation. Mais nous, nous cherchons des solutions. Concrètement, nous constatons que certaines pratiques ne fonctionnent pas bien sur le terrain, si nous les évaluons à l'aune de la dignité humaine. Partant de là, ce qui nous préoccupe, c'est de trouver une alternative à ce système défaillant. Si nous vous poussons un peu dans vos cordes, c'est parce que nous espérons que vous allez nous faire une proposition dont nous pourrons nous saisir.

Nous sommes partis du constat que les droits fondamentaux des étrangers ne sont pas respectés – et nous ne parlons évidemment pas de ceux qui arrivent en France sur des yachts. Ce que nous essayons de faire, dans cette commission d'enquête, c'est de recueillir des propositions auprès des personnes qui sont confrontées à ces questions sur le terrain. Or, quand nous vous demandons ce qu'il faut faire lorsque le droit a été épuisé, vous nous répondez que le droit n'est pas bon. Toutes nos lois passent devant le Conseil d'État, et le Conseil constitutionnel veille à ce qu'elles soient conformes à nos engagements internationaux. Nous sommes sur un chemin de crête et nous avons besoin de savoir si votre expertise, votre expérience du terrain, vous font entrevoir des solutions. Mais si vous n'en avez pas, vous n'en avez pas…

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Marie-Christine Vergiat, vice-présidente de la Ligue des droits de l'homme, référente pour le groupe de travail « Étrangers et immigrés »

Je crois avoir dit d'emblée que la solution, pour nous, passe notamment par la régularisation.

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Claudia Charles, chargée d'études pour le Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI)

Je souscris totalement aux propos de Marie-Christine Vergiat. Nous n'avons pas de solutions législatives à vous proposer : nous ne sommes pas des législateurs. Nous contestons effectivement la loi, telle qu'elle est aujourd'hui, et telle qu'elle était hier, parce que nous pensons qu'elle est contraire à certains engagements internationaux de la France. Les lois qui sont votées et la manière dont elles sont mises en pratique éloignent d'ailleurs toujours davantage la France de ses engagements internationaux.

En tant que citoyenne, membre du GISTI et militante des droits fondamentaux et des personnes étrangères, il m'est souvent arrivé que l'on me pose cette question des droits et des devoirs. Quand on nous dit que les étrangers ont des droits qui impliquent des devoirs, de quels droits parle-t-on ? N'oublions pas les difficultés qu'ont ces personnes à faire valoir leurs droits. Je suis d'accord avec Marie-Christine Vergiat, quand elle dit qu'il n'y a pas de lien entre cette question et celle de l'OQTF. L'homme qui se trouvait dans votre avion avait une histoire, une situation personnelle qui faisaient qu'il vivait en France, et pas au Mali. Il y avait des raisons pour qu'il vive cet éloignement comme une catastrophe. Nous parlons de personnes qui ont toute une histoire en France et qui, parce qu'ils n'ont pas pu faire valoir leurs droits, se voient finalement contraints de quitter le territoire. Ils ont suivi une procédure qui respectait la loi, sans doute, mais cette loi est devenue si restrictive et répressive que les gens ne peuvent plus faire valoir leurs droits.

Finalement, l'OQTF n'est que l'un des nombreux devoirs auxquels les étrangers en France sont assujettis : contrôles, procédures, délais, documents. Ils sont assujettis à des procédures auxquelles nous ne sommes pas soumis : ils accomplissent donc bien leurs devoirs. Il faut envisager la question des droits et des devoirs de la façon la plus large, et non au prisme de la seule OQTF. Savoir si une personne qui fait l'objet d'une OQTF doit ou non être expulsée n'est pas le problème, car l'OQTF n'est qu'un tout petit aspect de la politique d'immigration. Je vous invite à envisager la question de l'éloignement dans sa globalité, car l'éloignement ne se limite pas à la mesure d'éloignement stricto sensu. Il y a toute une histoire en amont, et il y aura certainement une histoire en aval, dont il faut tenir compte. Tant qu'on continuera d'extraire la politique de l'éloignement de la politique globale dans laquelle elle s'inscrit, on ne trouvera pas de solution. Ce qui fait défaut, c'est cette approche globale.

Je n'ai pas une connaissance assez fine des politiques menées par les différents États européens pour désigner ceux qui ont de bonnes pratiques. Mais, dans la mesure où la politique européenne se fait à partir des différentes politiques nationales, j'aurais tendance à dire qu'aucun pays européen n'est à prendre en exemple. Nombre d'entre eux soutiennent, comme la France, la politique européenne actuelle, dont on connaît les conséquences pour les personnes migrantes. Je pense notamment à l'externalisation des frontières, qui cause de plus en plus de morts et de plus en plus de tragédies aux frontières de l'Union européenne, dans l'indifférence la plus absolue.

Madame Ali, je suis désolée mais je n'ai pas très bien compris votre question. Le GISTI promeut effectivement la liberté de circulation mais notre petite association n'a pas les moyens de la rendre effective, pas plus à Mayotte qu'ailleurs. Nous ne faisons que militer pour le droit des personnes, notamment étrangères, et l'égalité des droits. Nous militons pour la liberté de circulation, parce que nous voyons les conséquences catastrophiques de la politique restrictive menée depuis plus de cinquante ans, qui a pour seule ligne directrice de contrôler les flux migratoires et de ne voir les migrations que d'un point de vue utilitariste. Nous pensons qu'une autre politique pourrait au moins être débattue.

Vous avez dit qu'à Mayotte la violence est liée à l'immigration. Nos missions et le travail mené par nos différents partenaires associatifs nous ont montré que rapprocher violence et immigration est une confusion regrettable – pour ne pas dire plus. L'opinion publique se nourrit de ce genre de discours. Quand on dit que l'immigration signifie violence, délinquance et terrorisme, on favorise la construction d'une xénophobie et d'un racisme qui sont très présents dans la France d'aujourd'hui.

Je le regrette, mais nous n'avons aucun moyen de rendre effective la liberté de circulation. Nous plaidons pour, nous militons pour, et nous continuerons de le faire, tant que le GISTI sera debout.

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Je vous remercie du fond du cœur d'exister. Vous jouez votre rôle et nous jouons le nôtre ; chacun se bat pour ses idées à sa manière. Le directeur général des étrangers en France, lorsque nous l'avons auditionné, nous a dit qu'il ne comprenait pas pourquoi les associations attaquaient l'État, ce qui nous a beaucoup surpris. Plusieurs d'entre nous sont intervenus pour lui expliquer qu'elles jouent tout simplement leur rôle. Heureusement qu'elles sont là ! Dans un pays démocratique, il y a des pouvoirs et des contre-pouvoirs ; chacun a sa place et son rôle à jouer.

Notre position n'est pas simple : nous vivons dans nos circonscriptions des situations face auxquelles nous nous sentons démunis, puis nous nous retrouvons ici pour voter la loi. Quand j'entends des collègues appeler à respecter les droits de l'homme alors qu'ils sont élus depuis quinze ans, je leur demande pourquoi ils n'ont rien fait avant. Pourquoi n'ont-ils pas interdit plus tôt la présence des enfants dans les centres de rétention ?

Il n'est pas facile de savoir quoi faire face à des situations aussi complexes. C'est pourquoi nous essayons de remonter à la racine du problème, d'identifier les causes profondes. Vous avez identifié l'une d'elles au début de cette audition : c'est le manque de pluridisciplinarité dans le traitement de l'immigration en France. En tant qu'étrangère, j'ai vu le système de l'intérieur. J'ai eu la chance d'étudier, de faire mon doctorat, d'enseigner à l'université, mais je sais ce que c'est que de faire la queue. Comme je parle couramment le français, je n'ai pas eu besoin d'être accompagnée par une association. Je suggère souvent à mes collègues de la commission des affaires étrangères d'aller passer vingt-quatre heures en Chine, sans papier, sans abri, sans nourriture, sans comprendre comment prendre le bus et de voir ce qu'il en est de leur degré de tolérance et de violence.

En tant que législateur, nous devons intégrer tout cela. Chez nos policiers, il y a de l'humanité, dans nos services, il y a de l'humanité : il y a de l'humanité partout et c'est à nous de tenir compte de chacun. C'est à nous de prendre ce « schmilblick » à bras-le-corps en mettant tout le monde autour de la table. Vous l'avez très bien dit, monsieur Giovannoni : c'est en mettant tout le monde autour de la table que nous pourrons mettre fin à cette politique répressive, qui ne profite qu'aux extrêmes et au marché – puisque l'immigration est devenue un marché. Je vous remercie à nouveau et vous invite à nous faire parvenir tous les documents qui vous paraîtraient utiles.

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Cette table ronde, qui a été très riche, a notamment mis en lumière les frottements pratiques autour du droit existant. J'ai bien compris que deux positions coexistent : celle, extrêmement intéressante, qui appelle à remettre en cause le droit, et celle qui vise davantage à modifier l'application du droit. Avant vous, d'autres intervenants nous ont dit qu'ils ne savent pas de quoi on parle lorsqu'on évoque un droit d'asile « effectif ».

L'un d'entre vous remarquait que l'intitulé de notre commission d'enquête était très large. C'est une façon de rappeler qu'une personne privée de ses droits fondamentaux est prise à la fois dans sa propre histoire, son propre parcours, mais aussi dans un contexte plus large, fait d'un certain rapport au monde et à des États qui n'hésitent pas à pratiquer le chantage aux migrants en matière diplomatique. Nous cherchons à faire émerger des solutions qui rendent acceptable la situation des étrangers qui se trouvent sur le sol français, à un moment ou à un autre, pour y passer ou y rester. La question des représentations, qui a été soulevée par plusieurs d'entre vous, est évidemment essentielle et nous y travaillerons. C'est par le dialogue que nous pourrons avancer : il faut être capable d'entendre des positions différentes des siennes pour trouver un chemin ensemble.

La réunion se termine à dix-neuf heures cinquante-cinq.