Intervention de Marie-Christine Vergiat

Réunion du mercredi 23 juin 2021 à 18h00
Commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la france

Marie-Christine Vergiat, vice-présidente de la Ligue des droits de l'homme, référente pour le groupe de travail « Étrangers et immigrés » :

Je m'associe aux demandes que vient d'exprimer la présidente du Secours catholique, que nous partageons.

La Ligue des droits de l'homme est une association généraliste, qui défend une conception indivisible et universelle des droits de l'homme. En d'autres termes, nous n'établissons pas de hiérarchie entre les droits, notamment entre les droits civils et politiques et les droits économiques et sociaux ; par ailleurs, nous n'entendons pas imposer un modèle aux pays étrangers mais réclamons l'égalité des droits pour tous, partout à travers le monde. Pour revenir au sujet qui nous occupe cet après-midi, nous demandons l'égalité de tous, que ce soit en matière de droits fondamentaux ou pour d'autres droits et libertés tels que le droit à la mobilité ou la liberté de circulation. Ce n'est rien de plus que la mise en œuvre des articles 1er et 13 de la Déclaration universelle des droits de l'homme – nous rappelons en permanence ces textes que la France a signés mais qu'elle oublie de plus en plus. Au-delà de notre travail de plaidoyer, nous avons de nombreux militants sur le terrain : répartis en 320 sections, plus de la moitié d'entre eux travaillent sur la question de l'accès des étrangers à leurs droits les plus fondamentaux.

Votre commission d'enquête se penche sur « les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants ». Cet intitulé très large ne peut que nous interpeller. Qu'est-ce, au juste, qu'un migrant ? L'ONU distingue les migrants internes et les migrants internationaux. Dans l'Union européenne vivent 27,5 millions de personnes nées dans un pays tiers, auxquelles s'ajoutent 15 millions d'Européens nés dans un autre État de l'Union que celui dans lequel ils résident. On compte quelque 2,5 millions de Français vivant hors du territoire national : ils ne sont pas des expatriés mais des migrants, au sens de l'Organisation internationale des migrations et de l'ONU. Ces migrants, dont la majorité sont des femmes, sont de plus en plus diplômés – ils le sont souvent plus que les autochtones. Chaque année, 3 millions de nouveaux titres de séjour sont délivrés au sein de l'Union européenne, dont 1,2 million lié à l'emploi. Les migrants économiques sont donc les bienvenus dans l'Union européenne. Pourtant, on nous dit souvent que les migrants économiques ne sont pas les bienvenus – il faudrait savoir ! Ce qu'on ne dit jamais, c'est que 750 000 de ces titres de séjour liés à l'emploi sont accordés à des Ukrainiens, et qu'ils sont essentiellement délivrés par la Pologne, un pays qui se dit ouvertement hostile aux migrants et aux demandeurs d'asile. J'ai voulu citer ces chiffres pour resituer le problème dans son contexte et lutter contre la diffusion de données fantaisistes et les manipulations.

Je sais bien que votre commission d'enquête n'a pas vocation à s'intéresser à tous les migrants, mais uniquement à ceux auxquels les pays européens n'ont pas donné la chance d'arriver dans des conditions régulières. Ils ont affronté des ambassades qui leur ont opposé des refus : des entreprises privées, auxquelles nos ambassades délèguent désormais la délivrance des visas, ont réclamé le paiement de tarifs exorbitants pour, finalement, dans la plupart des cas, ne pas accorder les visas tant attendus. Dès lors, comment s'étonner que ces populations prennent les voies les plus dangereuses et risquent leur vie en Méditerranée pour atteindre le continent européen ?

Quand on regarde les chiffres de près, on s'aperçoit que nous sommes assez loin de l'invasion dénoncée par certains. Lors de la crise de 2015-2016, on a entendu dire qu'un million de personnes allaient soudainement envahir l'Union européenne. On oublie que, parmi ce million de migrants, 850 000 arrivaient en Grèce via la Turquie, que les deux tiers étaient des Syriens et que l'Allemagne a accordé l'asile à 60 % de ces personnes. Nous devons rappeler ces chiffres en permanence pour dépasser le débat assez frustrant que nous avons en France, où l'on oppose souvent les mauvais migrants économiques aux bons réfugiés. Les faits montrent que ce sont plutôt les réfugiés, les demandeurs d'asile, les exilés, qui se trouvent privés d'accès au droit.

Au nom de la Ligue des droits de l'homme, je souhaite appeler votre attention sur trois sujets : les droits de l'enfant, le droit d'asile et le droit au séjour.

La France est tenue de respecter la convention internationale des droits de l'enfant, qui consacre notamment le droit de vivre en famille. À ce sujet, je veux évoquer quatre questions.

Premièrement, les mères d'enfants français sont inexpulsables. Pourtant, elles galèrent pour obtenir un titre de séjour et sont obligées de vivre dans l'illégalité. Parce qu'elles ne peuvent pas travailler légalement, elles se retrouvent dans des situations indignes qui en font des victimes potentielles de trafiquants. Nous pourrions, assez facilement et systématiquement, accorder des titres de séjour à ces mères d'enfants français.

Deuxièmement, le principe de non-séparation des parents et des enfants et l'intérêt supérieur de l'enfant ne sont pas respectés en matière d'assignation à résidence et d'enfermement. Il y a quelques années, un président de la République s'était engagé à mettre fin au placement des enfants en centre de rétention. Il n'a pas tenu sa parole, et la situation n'a fait qu'empirer. Or l'UNICEF ne cesse de répéter que l'intérêt d'un enfant n'est jamais d'être enfermé. L'assignation à résidence, avec des contraintes telles que les parents sont empêchés de travailler et ne peuvent donc pas s'occuper de leurs enfants dans de bonnes conditions, n'est pas non plus une solution. D'autres possibilités doivent être mises en œuvre afin d'éviter que parents et enfants soient enfermés dans ces centres de rétention.

Troisièmement, la récente campagne électorale a été l'occasion d'opérations de désinformation au sujet des mineurs non accompagnés (MNA). On a cité des chiffres fantaisistes s'agissant de la charge financière qu'ils représenteraient pour l'aide sociale à l'enfance, et on a évoqué le fantasme de leur dangerosité systématique. La Ligue des droits de l'homme souhaite, quant à elle, rappeler la nécessité d'appliquer systématiquement la présomption de minorité pendant toutes les procédures applicables aux mineurs. Dans le cas contraire, ces migrants sont pris en tenaille : alors que l'aide sociale à l'enfance ne les reconnaît pas comme des mineurs, ils sont considérés comme tels lorsqu'ils téléphonent au 115 pour obtenir une protection. Livrés à eux-mêmes, ils sont alors vulnérables et peuvent être la proie de trafiquants de toutes sortes. Nous demandons également la non remise en cause de la minorité en cas de transfert dans un autre département, la prise en charge automatique des jeunes durant toutes les procédures de contestation, ainsi que l'amélioration des conditions d'évaluation de la minorité. Sur ce dernier point, les taux de reconnaissance varient, selon les départements, entre 20 et 80 % : il y a donc quelque chose qui ne va pas. Nous préconisons que cette évaluation soit confiée à des structures indépendantes des conseils départementaux et, bien évidemment, de l'État.

Quatrièmement, de nombreux jeunes qui demandent un titre de séjour à leur majorité se voient délivrer, en guise de cadeau d'anniversaire, une obligation de quitter le territoire français (OQTF), du fait de la contestation de leur identité par les services de la préfecture. Nombre de ces situations ont été largement médiatisées ; elles mobilisent l'opinion lorsque ces jeunes, étudiants, apprentis ou salariés, ont amplement démontré leur intégration. Nous considérons, pour notre part, que le juge des enfants a déjà statué sur l'identité de ces jeunes, qui ne saurait donc être remise en cause par les préfectures, d'autant que ces dernières contestent uniquement des documents fournis par les pays d'origine. Plus aucun jeune muni d'un passeport ou d'une carte consulaire ne doit pouvoir faire l'objet d'une OQTF au motif que son acte de naissance prêterait à discussion. Il faut sortir d'un système qui considère des jeunes formés, intégrés, comme des clandestins et qui les expulse en brisant leur vie.

J'en viens au droit d'asile. Nous partageons en tout point l'avis de Mme Devise s'agissant du règlement Dublin. Nous contestons également la notion de pays sûr. Pouvons-nous qualifier ainsi le Sénégal, où l'homosexualité est criminalisée, l'Albanie, dont nous connaissons les pratiques en matière de droits des femmes, ou encore l'Inde, où les minorités subissent tant de violences ?

Je terminerai en évoquant le droit au séjour. De nombreuses associations ont contesté, en 2012, la circulaire de Manuel Valls en ce qu'elle prévoyait des conditions excessives pour la régularisation des familles avec enfants. Nous considérions que les durées minimales prévues – cinq ans de présence en France, trois ans de scolarisation des enfants – étaient trop importantes ; or, aujourd'hui, nous réclamons à tout le moins l'application de cette circulaire, que la plupart des préfectures ne respectent même plus. Nous constatons également qu'il est de plus en plus difficile de faire valoir des situations de grande souffrance, par exemple en cas de maladie grave de l'étranger ou de son enfant. Là aussi, la législation s'est durcie et nous faisons face à des situations insupportables, notamment depuis que l'avis médical n'est plus rendu par les agences régionales de santé (ARS) mais par l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII).

La plus grande dégradation constatée est liée à la dématérialisation, qui empêche la plupart des étrangers demandant un titre de séjour ou son renouvellement d'accéder aux préfectures. Je prendrai l'exemple d'un Ivoirien en situation régulière, qui doit faire renouveler son titre de séjour avant la fin du mois de juin et dont le CDD expire, lui aussi, fin juin. Depuis trois mois, il tente d'obtenir un rendez-vous : pour ce faire, il est obligé de passer par une procédure en ligne, et le premier créneau qui lui est proposé est à la fin du mois d'août. Neuf fois sur dix, l'application de prise de rendez-vous affiche un message que tous les étrangers connaissent par cœur : « Il n'existe plus de plage horaire libre pour votre demande de rendez-vous. Veuillez recommencer ultérieurement. » Cela devient insupportable ! Avec de nombreuses autres associations, nous avons engagé des procédures contentieuses à ce sujet. Le Conseil d'État a rendu une décision mi-figue, mi-raisin, affirmant que les procédures dématérialisées ne pouvaient être les seules proposées aux usagers, sans toutefois annuler les textes que nous contestions. Nous sommes donc obligés de mener des combats préfecture par préfecture – nous en avons déjà une dizaine en ligne de mire – et de prouver, photos à l'appui, que l'étranger n'a pas pu obtenir de rendez-vous. Nous continuerons à engager de tels recours, aussi longtemps qu'il sera nécessaire, pour permettre aux étrangers, quels qu'ils soient, d'obtenir ces rendez-vous.

Je pourrais multiplier à l'infini les exemples montrant que la France est devenue, pour de nombreux étrangers, un pays de non-droit. Ces discriminations sont notamment liées au pays d'origine, et même à la couleur de la peau.

Pour vous aider à réfléchir, je vous remettrai un petit ouvrage intitulé En finir avec les idées fausses sur les migrations, publié en mars 2021 par les États généraux des migrations. Il apportera des réponses à certaines questions posées devant votre commission.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.