Je rappelle que je suis ici en tant que vice-présidente de la Ligue des droits de l'homme et, même si j'ai du mal à m'extraire de mes dix années au Parlement européen, ce n'est pas à ce titre-là que je suis devant vous. Je veux bien répondre à deux ou trois questions, mais comme certains militants doivent être en train de me regarder, si je me trompe de casquette, je vais avoir des comptes à rendre, et je n'y tiens pas.
Je rejoins tout à fait ce qui a été dit par les représentants du Secours catholique. La tendance du ministère de l'intérieur à assumer des compétences relevant du ministère des affaires étrangères se vérifie au niveau européen. Ce n'est pas le ministre des affaires étrangères mais le ministre de l'intérieur qui se rend à l'étranger pour négocier avec ses homologues les politiques d'externalisation des frontières. Quand je me suis rendu compte de cela, j'en suis restée pantoise, parce que la négociation en dehors de l'Union européenne est théoriquement du ressort du seul ministère des affaires étrangères.
Il est vrai que la préfecture est responsable de l'ensemble des administrations présentes sur le territoire départemental, mais elle l'est surtout de celles du ministère de l'intérieur. Alors, quand j'apprends que les titres de travail vont désormais être délivrés par les préfectures, mes cheveux se dressent sur ma tête, parce que cela signifie que c'est le ministère de l'intérieur qui examinera les choses en premier. Or les militants qui sont sur le terrain savent qu'il est bien plus facile de discuter de ces questions avec les représentants du ministère de l'emploi sur le territoire du ministère, via ce que l'on appelait, il y a peu encore, les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) qu'avec les préfectures. Les chefs d'entreprise avaient l'habitude de dialoguer avec elles, ce qui permettait d'avancer.
Madame Clapot, je me sens directement interpellée par votre question relative aux droits et aux devoirs, puisque c'est l'un de nos grands combats. Mais je voudrais savoir de quels droits et de quels devoirs on parle. Je suis militante des droits de l'homme. Les droits de l'homme, c'est ce qui est inhérent à la personne humaine, à l'être humain. Ce sont des droits qui sont octroyés à un individu à sa naissance et qu'on ne peut pas lui enlever, quelles que soient les circonstances. Prenons l'exemple du droit à la vie. Je suis abolitionniste et j'espère que tout le monde, autour de cette table, l'est également, car nous vivons dans un pays abolitionniste. Le droit à la vie, cela veut dire que l'on ne peut pas s'en prendre à la vie de quelqu'un, fût-il le pire des assassins. Quand on parle de droits fondamentaux, je ne vois pas quels devoirs on pourrait vouloir mettre en regard.
Du reste, je préfère parler d'obligations que de devoirs, car le terme « devoir » a une connotation philosophique que n'a pas le mot « obligation » – puisque vous parliez de philosophie. Les citoyens ont des obligations ; dimanche dernier, par exemple, ils n'ont pas bien rempli leur obligation en matière de vote. Mais je note que c'est surtout à propos des étrangers, notamment des étrangers dits « en situation irrégulière », que l'on pose cette question des droits et des devoirs ; nous sommes d'ailleurs nombreux à préférer le vocable d' « exilé », qui est moins connoté.
Vous avez évoqué l'Albanie. Sauf erreur de ma part, c'est un pays pour lequel l'Union européenne a désormais levé les visas de court séjour – c'est pourquoi un Albanais qui a été repoussé revient assez facilement sur le territoire de l'Union européenne. Le problème, c'est que certaines politiques ne sont pas fondées sur les réalités. C'est comme quand on expulsait massivement les Roms vers la Roumanie et la Bulgarie – ce que l'on continue d'ailleurs à faire – tout en sachant qu'ils reviendraient facilement. Le ministère de l'intérieur les comptabilisait d'ailleurs parfois trois ou quatre fois par an, ce qui faisait monter les statistiques. La Ligue des droits de l'homme se bat pour la levée des visas de court séjour, parce qu'elle favorise la mobilité. Quand on n'a pas besoin de visa de court séjour, on peut aller et venir librement et on n'a pas la tentation de rester, par peur de ne pouvoir revenir. Quand on a levé les visas vers les anciens pays de l'Europe de l'Est, on a vu un peu de mouvement, mais pas le mouvement massif que certains annonçaient. On a levé les visas de court séjour de tous les pays des Balkans il y a deux ou trois ans – cela s'est fait au niveau de l'Union européenne et on n'en a quasiment pas parlé. On n'a pas vu, depuis, de mouvements de population massifs depuis les pays des Balkans vers l'Union européenne. Il faut toujours replacer les choses dans un contexte plus large.
Je ne désignerai pas les pays qui ont des bonnes et des mauvaises pratiques. J'ai souligné le rôle de l'Allemagne, ce qui est une façon de répondre à votre question sur l'influence de la couleur politique. Pour ma part, j'ai admiré Mme Angela Merkel et la façon dont elle a su ouvrir ses portes, et j'ai regretté qu'un ministre de l'intérieur français aille à Munich expliquer qu'elle avait tort de le faire. D'abord, les ministres de la République française n'ont pas, en principe, à aller dans un autre pays pour critiquer le gouvernement en place. Et puis, heureusement que l'Allemagne a été là ! Il est très intéressant d'examiner la manière dont les choses se sont passées en Allemagne en 2015 et 2016, notamment la manière dont l'État fédéral a agi avec les Länder, qui sont beaucoup plus indépendants que nos départements, et avec les communes allemandes. Je me souviens d'avoir assisté à un débat à Strasbourg entre les représentants de cette ville et ceux de la ville allemande qui se trouve de l'autre côté de la frontière : les moyens que consacraient les deux communes à la politique d'intégration étaient si différents que nos élus strasbourgeois avaient du mal à s'en remettre. Mais c'est la seule manière de lutter contre les phobies et les préjugés.
La Ligue des droits de l'homme est persuadée qu'il y a des idées fausses et des préjugés dans tous les milieux et qu'on a toujours des choses à apprendre. Le dernier rapport annuel de la commission nationale des droits de l'homme montre que les Français, loin d'être de plus en plus racistes, le sont de moins en moins : c'est une donnée importante, s'agissant de l'état de l'opinion publique.