Intervention de Claudia Charles

Réunion du mercredi 23 juin 2021 à 18h00
Commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la france

Claudia Charles, chargée d'études pour le Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI) :

Moins connu que le Secours catholique et la Ligue des droits de l'homme, le GISTI a pour objet « de réunir toutes les informations sur la situation juridique, économique et sociale des travailleurs immigrés et de leurs familles ; d'informer les étrangers des conditions de l'exercice et de la protection de leurs droits ; de soutenir leur action en vue de la reconnaissance de leurs droits fondamentaux et d'en obtenir le respect ; de combattre toutes les formes de racisme et de discrimination, directe ou indirecte, et assister celles et ceux qui en sont victimes ; de promouvoir la liberté de circulation » – ce qui inclut évidemment la liberté d'installation. Le GISTI est l'un des membres fondateurs du réseau euro-africain Migreurop, qui analyse et décrypte la politique européenne d'immigration et d'asile, notamment dans sa dimension extérieure.

Le Secours catholique, la Ligue des droits de l'homme et d'autres associations vous ont expliqué que la politique française devenait de plus en plus répressive et restrictive vis-à-vis des personnes migrantes. Ce volet national ne doit pas être détaché du volet européen ; c'est pourquoi il nous semble intéressant d'aborder, dans le cadre de cette table ronde, le rôle de la France dans la construction et l'externalisation de la politique européenne d'immigration et d'asile.

Vous avez auditionné la semaine dernière M. le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), qui a fait état devant vous des missions « hors les murs » de l'Office : il évoquait ainsi la réalisation de soixante-quinze missions, dont quarante en outre-mer et d'autres à l'étranger, pour certaines dans le cadre de l'Union européenne. Ces missions visent, selon les termes mêmes du directeur général de l'OFPRA, à « concrétiser les engagements pris par la France ». Elles sont de deux types : on distingue en effet les missions de relocalisation depuis la Grèce et les missions de réinstallation dans les pays de premier accueil de personnes placées sous la protection du Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR). M. le directeur général de l'OFPRA a ainsi évoqué des missions dans des pays d'Afrique, mentionnant notamment des personnes exfiltrées de Libye et une mission au Rwanda. Ces missions de relocalisation ou de réinstallation illustrent bien le rôle de la France dans l'externalisation de la politique européenne d'immigration et d'asile, ainsi que les problèmes posés par ce procédé.

Les missions de relocalisation depuis la Grèce, au nom de la solidarité européenne, comportent une contrepartie : la création de hotspots, qui sont des lieux de tri, implantés en Grèce ou en Italie, où est opérée la sélection du petit nombre de migrants éligibles au droit d'asile. Il ne me semble pas nécessaire de revenir ici sur la situation des personnes qui se trouvent, encore aujourd'hui, dans les hotspots grecs – de nombreux rapports ont été publiés sur cette question depuis 2016, et Médecins sans frontières dénonce encore ce mois-ci l'ampleur des souffrances infligées aux personnes exilées prises dans l'étau des hotspots. De nombreuses recherches montrent ainsi que les hotspots ont davantage servi la logique de confinement et de renvoi des exilés que la promotion d'un accueil plus solidaire des réfugiés en Europe. Ces missions de relocalisation se sont donc accompagnées par la création, aux portes de l'Europe, d'une sorte de premier guichet de l'asile, dans le cadre d'un système d'asile à plusieurs vitesses.

Les missions foraines de l'OFPRA en Afrique, notamment au Niger, relèvent de la politique de réinstallation. Or ces missions ne sont pas dépourvues d'objectifs de politique migratoire, à l'échelle nationale comme à l'échelle européenne. La ligne directrice a été définie par le Président de la République lors d'un sommet euro-africain à l'été 2017 : « endiguer les flux d'immigration irrégulière bien avant qu'ils n'atteignent les côtes méditerranéennes ». Les dirigeants européens et africains ont souligné « la nécessité, une fois la migration irrégulière organisée par les passeurs réduite, d'organiser la réinstallation des personnes ayant besoin d'une protection internationale, qui sont particulièrement vulnérables », précisant que « la lutte contre les trafics d'êtres humains et le renforcement des possibilités de réinstallation devraient aller de pair ». Si ces missions foraines servent à mettre l'accent sur le rôle de protection de la France et à donner de notre pays une image de terre d'asile, leur objectif est en réalité tout autre, puisqu'elles visent aussi à fermer certaines routes migratoires.

La coopération entre la France et le Maroc constitue un deuxième exemple du rôle de la France dans la construction de cette politique d'externalisation. Une « déclaration d'entente sur la protection des mineurs » a été signée le 7 décembre 2020 par la France et le Maroc ; cet accord permet le renvoi au Maroc des mineurs isolés marocains qui se trouvent sur notre territoire, au détriment de leurs droits fondamentaux pourtant protégés tant par la convention internationale des droits de l'enfant que par le droit français. Après les événements de Ceuta, le 18 mai dernier, et l'arrivée de 10 000 personnes marocaines dans cette enclave espagnole, le roi du Maroc a annoncé le 1er juin que son pays respecterait les engagements qu'il avait pris auprès de ses partenaires européens et procéderait à la récupération de ses mineurs. La France s'est dépêchée de se féliciter d'une telle déclaration, mais personne n'est dupe : chacun sait que cette politique de rapatriement ou d'expulsion des mineurs fait partie intégrante de la coopération entre l'Union européenne et le Maroc, dans laquelle la France joue l'un des rôles principaux, tandis que le Maroc est considéré comme l'un des gendarmes de l'Europe à sa frontière sud.

Troisième exemple du rôle de la France dans l'externalisation de la politique européenne d'immigration et d'asile : en février 2019, Mme Florence Parly, ministre des armées, annonçait la livraison de six bateaux aux garde-côtes libyens afin d'aider les autorités de ce pays à contrôler l'immigration dite clandestine – le gouvernement français y a finalement renoncé, grâce à un recours introduit par plusieurs associations devant le tribunal administratif de Paris puis devant la cour administrative d'appel de Paris. Or de nombreux rapports, articles de presse et témoignages nous alertent sur la situation des personnes exilées en Libye et les risques qu'elles encourent si elles sont interceptées par les garde-côtes libyens pour être renvoyées dans les geôles où elles se trouvaient auparavant – le Président de la République lui-même avait parlé, à l'époque, de « crimes contre l'humanité ».

Lors de son audition par votre commission d'enquête le 27 mai, M. François Héran affirmait qu'il y avait une politique d'accueil en France ; il citait notamment les dispositifs d'accueil des étudiants internationaux et des personnes ayant des attaches familiales dans notre pays. En dénonçant le rôle de la France dans la construction de la politique européenne d'externalisation, nous voulons aussi mettre en lumière la volonté délibérée de la France et de l'Union européenne de ne pas accueillir les personnes exilées, en particulier celles que l'on considère comme indésirables depuis fort longtemps.

L'Assemblée nationale examinera prochainement un projet de loi relatif à la protection des enfants. Je vous propose de déposer un amendement visant à interdire le placement en rétention des mineurs isolés et des familles comprenant un ou plusieurs enfants mineurs. Mardi dernier, des associations ont publié un communiqué de presse appelant l'attention des parlementaires sur plusieurs dispositions de ce projet de loi – je pense à la généralisation du recours au fichier d'appui à l'évaluation de la minorité (AEM) et à l'obligation qui sera faite aux mineurs isolés de passer par la préfecture, afin que cette dernière statue sur leur minorité, avant de saisir d'autres autorités administratives.

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