La dématérialisation fait partie des grands projets de l'État numérique. Elle concerne en particulier le parcours des étrangers en France, du dépôt de la demande de visa jusqu'à la délivrance de la vignette finale. Ce projet est en construction depuis un certain temps. La dématérialisation rassemble plusieurs enjeux, notamment la fracture numérique et l'accès de nos concitoyens aux démarches dématérialisées – qu'il s'agisse des séjours en France ou du renouvellement des titres d'identité. La dématérialisation concerne l'ensemble des usagers et pas seulement les étrangers. Elle constitue un facteur de progrès et d'avancée, mais il faut pouvoir permettre aux usagers d'accéder aux outils dématérialisés pour effectuer leurs démarches dans les meilleures conditions.
S'agissant de la politique des visas, je préciserai tout d'abord le périmètre d'action de la direction des Français à l'étranger (DFAE) au sein du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Les migrations sont une question transversale qui dépend de plusieurs services et départements. Dans le champ politique, nous disposons d'un ambassadeur chargé des migrations, d'une ambassadrice pour les droits de l'homme, de directions géographiques, de la sous-direction des droits de l'homme et des affaires humanitaires, de la direction des Nations unies et des organisations internationales et de la direction de l'Union européenne – s'agissant du politique, les migrations couvrent donc un champ très large au sein du ministère de l'Europe et des affaires étrangères.
Mon domaine d'action est pratique et opérationnel. Il s'agit de la déclinaison de choix politiques, en particulier dans le domaine des visas. Nous avons la chance de nous appuyer sur près de 850 agents présents à l'étranger dans les services des visas. Les compétences en matière de visas sont partagées par deux ministères : le ministère de l'Europe et des affaires étrangères et le ministère de l'intérieur. Ce copilotage peut, de l'extérieur, parfois donner une impression schizophrénique. Nous ne partageons pas toujours les mêmes visions et les mêmes philosophies. Dans les faits, cela donne lieu à un travail en bonne intelligence et parfaitement coopératif. Il y a un lien intrinsèque entre le visa et le séjour : nos actions s'inscrivent donc dans une continuité.
Ce copilotage s'articule autour de trois piliers : la préservation de la sécurité et de l'ordre public, la lutte contre les migrations irrégulières et l'attractivité. La politique d'attractivité anime la politique des visas du ministère de l'Europe et des affaires étrangères au quotidien.
Ce copilotage se traduit par deux rendez-vous annuels : la commission stratégique des visas se réunit deux fois par an sous la direction des directeurs de cabinets des deux ministères.
Ce copilotage se fonde sur plusieurs textes réglementaires : un décret de 2007 relatif aux attributions du ministre de l'immigration, de l'intégration et de l'identité nationale à l'époque, un décret de 2008 qui distingue les instructions générales des instructions particulières relatives aux demandes individuelles de visas, et le décret du 13 novembre 2008 relatif aux attributions des chefs de missions diplomatiques et consulaires.
Les compétences des visas relèvent pour l'essentiel du ministère de l'intérieur, à l'exception de trois catégories que nous traitons au ministère : les visas sollicités pas les détenteurs d'un passeport diplomatique, les visas relatifs aux procédures d'adoption internationale et les visas relatifs à des cas individuels de politique étrangère de la France après consultation du ministère de l'intérieur. Cette dernière catégorie peut par exemple concerner des dissidents, pour lesquels le cabinet estime dans des cas très ponctuels qu'ils doivent être mis en sécurité.
Notre champ d'action s'étend donc aux migrations légales. Nous distinguons les visas de court séjour (ou visas Schengen) encadrés par le code communautaire des visas (CCV) de 2009, remis à jour en 2019. Ils concernent plus de 90 % des délivrances de visas. Les visas de long séjour sont régis pour l'essentiel par le code d'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile. Ces visas de long séjour permettent l'établissement en France pour des durées plus ou moins longues.
Avec quels moyens exerçons-nous ces compétences ? Nous disposons de deux sous-directions en administration centrale : la sous-direction de la politique des visas au ministère de l'Europe et des affaires étrangères et la sous-direction des visas (SDV) au ministère de l'intérieur à Nantes. Notre sous-direction se compose de 14 agents, alors que la SDV compte 110 agents. Cela s'explique car elle traite en priorité des visas sur passeports ordinaires, qui représentent 98 % des visas délivrés. Pour notre part, nous nous appuyons également sur le réseau consulaire et les services des visas à l'étranger, qui se composent d'environ 850 agents. Parmi eux, nous employons 248 agents de catégorie C, 524 agents de recrutement local, 28 agents de catégorie B et 7 volontaires internationaux (VI) travaillant sur l'asile. À cela s'ajoutent des mois de vacation. En 2019, nous avons totalisé 600 mois de vacations calculés sur la base des recettes de visas de l'année N-1.
Cette architecture a été très ébranlée depuis un an en raison de l'effondrement des demandes de visa, et donc des délivrances et des recettes. Cela nous invite à repenser cette architecture de nos services et de la délivrance des visas, et à essayer d'élaborer des scénarios sur l'organisation de nos postes en sortie de crise. Cela constitue pour nous une véritable difficulté.
À cette organisation des visas s'ajoutent des prestations de services extérieurs. Depuis une quinzaine d'années, nous avons confié la collecte des demandes de visas à trois prestataires exclusifs choisis au terme de procédures d'appels d'offres. Ils couvrent environ 93 % des demandes de visas. Pourquoi recourir à des prestataires extérieurs ? Nous avons fait face, entre 2000 et 2019, à un doublement de la demande de visas à l'étranger alors que nous travaillions à effectifs constants. Certains demandeurs se trouvaient dans des villes où nous n'avions plus de postes consulaires et où nous étions dans l'impossibilité d'accueillir dans de bonnes conditions les usagers. L'explosion de la demande rendait impossible l'instruction des dossiers par nos agents. Nous avons donc décidé de faire appel à ces prestataires de services extérieurs il y a une quinzaine d'années. Cette initiative a été saluée par la Cour des comptes. Nos prestataires collectent les demandes de visas dans des centres dans 62 pays puis les transmettent sous forme dématérialisée aux postes consulaires. Le poste consulaire conserve la prérogative sur le choix de délivrer ou non le visa, ainsi que les compétences de contrôle sécuritaire et de lutte contre la fraude. Nous laissons donc la partie administrative aux prestataires et les services de l'État conservent la partie régalienne.
Cela a permis d'ouvrir des centres dans de très nombreux endroits et de faciliter les conditions d'accueil des usagers. Les prestataires proposent différents services annexes payants : il s'agit aussi bien de services premiums comme la biométrie à domicile ou l'envoi des passeports sous pli sécurisé, que de services de photocopies et de photos d'identité. Ces prestataires ne sont pas payés par l'État, ils se rémunèrent donc sur les frais de services. Ces frais de service sont plafonnés à 50 % du prix du visa, soit 40 euros dans le cas d'un visa Schengen classique dont le prix est de 80 euros. Ces prestataires de service extérieurs emploient environ 2 000 agents. Ils sont au nombre de trois : VFS, TLS et Capago. Ils couvrent de très grands pays : la Russie, la Chine, le Maghreb, le Canada, les États-Unis, le Royaume-Uni et un certain nombre de pays d'Afrique sub-saharienne.
En 2019, nous avons enregistré plus de 4 300 000 demandes de visas ; nous en avons délivré environ 3 500 000. Les recettes se sont élevées à 219 millions d'euros. En 2020, notre activité a connu une chute brutale d'environ 80 % : nous avons reçu seulement 874 000 demandes pour environ 715 000 délivrances de visas. Les recettes ont atteint seulement 50 millions d'euros. Cela induit un coût énorme en matière de vacation pour la reprise. Les principaux pays demandeurs sont le Maroc, l'Algérie, la Russie, la Tunisie et la Chine ; ils concentrent 50 % de l'activité en 2020.
L'effondrement de la demande ne concerne pas tous les pays ni tous les types de demandeurs. Par exemple, les étudiants s'en sortent bien. La chute est très brutale en revanche sur les visas touristiques de court séjour. La chute est moins brutale en Afrique sub-saharienne et au Maghreb que dans les autres régions du monde (Chine et États-Unis notamment).
Où va-t-on maintenant ? Comment la reprise va-t-elle se faire ? Elle se fera de manière très différenciée d'un pays à l'autre. Elle sera beaucoup plus longue en Asie : il faudra attendre des mois voire des années avant de voir des groupes de touristes chinois revenir en France. Elle se fera sans doute plus rapidement pour les pays du Maghreb pour certains types de visa. Cela dépend des questions de vaccinations Nous avons peu de visibilité à ce sujet. Pour l'instant, la campagne étudiante reprend bien : nous avons bon espoir de pouvoir au moins sauver ces visas liés à l'attractivité. Notre activité est très liée aux conditions sanitaires d'entrée sur le territoire. Nous disposons donc pour l'instant d'une faible visibilité mais nous constatons que la reprise sera très différenciée selon les régions du monde.