Migreurop est un réseau rassemblant une cinquantaine de membres associatifs et 52 membres individuels, pour la plupart chercheurs, basés dans 17 pays d'Afrique, du Moyen-Orient et d'Europe. Leur objectif est de documenter et de décrypter les politiques migratoires de l'Union européenne et leurs conséquences du point de vue des droits fondamentaux des personnes. Je travaille pour ma part à la Cimade, qui appartient aux membres associatifs français du réseau.
En amont des frontières extérieures de l'Union européenne, les personnes rencontrent déjà un certain nombre d'obstacles à l'exercice de leurs droits fondamentaux. La politique des visas Schengen constitue l'un des premiers obstacles. Le nouveau code des visas Schengen, entré en vigueur au début de l'année 2020, prévoit que la Commission européenne procède à une évaluation annuelle du degré de coopération des États extérieurs à l'Union européenne pour pouvoir prendre en conséquence des mesures de facilitation de visas pour les pays très coopératifs, ou des mesures de restriction de visas pour les pays moins coopérants. En février 2021, la Commission a donc présenté son premier rapport d'évaluation détaillant les performances des pays considérés comme stratégiques par l'Union européenne en matière de réadmissions et d'expulsions. Cette logique est loin d'être nouvelle : déjà en 2002, le Conseil européen de Séville préconisait que dans tout accord conclu par l'Union européenne soit systématiquement incluse une clause relative à la gestion des flux migratoires. Cette stratégie est largement partagée par la France. Cette réforme renforce les inégalités de circulations en créant un visa à plusieurs vitesses, directement corrélé au degré de coopération au processus de réadmission.
Au-delà de la politique des visas, l'on observe la multiplication de cadres de coopération. Certains sont formels, tels que les accords de réadmission bilatéraux ou multilatéraux. Mais des cadres de coopération informels se développent de plus en plus : à travers ceux-ci, l'Union européenne et les États membres sous-traitent la gestion des migrations à des États extérieurs à l'Union européenne. La plupart de ces cadres de coopération informels échappent totalement au contrôle des parlements nationaux ou régionaux. L'accès assez restreint à l'information et l'absence de contrôle démocratique qui les caractérisent soulèvent la question importante des responsabilités en cas de violations des droits perpétrées en dehors des frontières de l'Union européenne. Parmi les nombreux cadres de coopération développés ces dernières années, l'on peut citer la Libye, la Turquie ou encore l'Afghanistan. L'on pense également à tous les instruments informels de coopération utilisés par les États membres dans leurs coopérations bilatérales, tels que les protocoles d'entente en matière de flux migratoires ou les accords de travail conclus directement par l'agence Frontex avec les autorités des pays coopérants. À travers ces différents cadres de coopération, l'Union européenne et ses États membres proposent à leurs partenaires des contreparties conditionnées à leur collaboration. Cette conditionnalité s'est progressivement étendue à tous les domaines de coopération, y compris l'aide publique au développement.
Aux frontières extérieures de l'Union européenne, les murs se multiplient. L'agence Frontex, dont les prérogatives et les pouvoirs n'ont cessé d'être renforcés au gré des refontes de son mandat, déploie des outils sophistiqués de surveillance et des technologies de contrôle toujours plus intrusives tout au long des routes, afin de stopper les migrants en amont de la frontière extérieure de l'Union européenne et d'accélérer les expulsions. À l'instar des hot spots développés sur les îles grecques et en Italie depuis 2015, les centres d'enfermement, de tri et d'expulsion se multiplient aux frontières de l'Union européenne. Le gouvernement français soutient cette stratégie et promeut actuellement le nouveau règlement proposé par la Commission relative à une nouvelle procédure de filtrage des ressortissants des pays tiers arrivés à la frontière extérieure de l'Union européenne. Sur les routes, les personnes sont donc susceptibles d'être interceptées puis refoulées par les agents de l'Union européenne ou des États membres. Cela est le cas aussi bien aux frontières terrestres que maritimes de l'Union européenne.
Les opérations menées en mer par Frontex ou les opérations européennes telles qu'EUNAVFOR MED IRINI ont pour mandat principal la lutte contre les migrations irrégulières. Le sauvetage n'intervient qu'au second plan et il a été considérablement réduit depuis 2017. Les États membres ont ainsi peu à peu transféré, avec l'aide de l'Union européenne, la responsabilité des secours à la Libye. En parallèle, des poursuites judiciaires et des entraves administratives contre les actions portées par les organisations non gouvernementales (ONG) de secours et de sauvetage se développent à ces mêmes frontières maritimes.
Au-delà des frontières extérieures de l'Union européenne, nous observons et documentons des violations graves des droits fondamentaux aux frontières internes de l'espace Schengen. Des personnes sont par exemple interceptées et refoulées aux frontières françaises avec l'Espagne et l'Italie en dehors des procédures en vigueur et sans pouvoir accéder à la demande d'asile. À la frontière britannique, les personnes souhaitant rejoindre le Royaume-Uni sont bloquées et vivent dans des campements indignes tout le long du littoral nord. Elles sont la cible d'expulsions quasi quotidiennes de leur lieu de vie, qui s'accompagnent parfois de la confiscation de leurs effets personnels et de violences.
Nous constatons que le durcissement de la réglementation, la multiplication des contrôles aux frontières, la sophistication des cadres de coopération en matière de migration n'empêchent pas les personnes qui le souhaitent de franchir les frontières. Ils sont à l'origine du développement d'un business de la migration et contraignent les personnes à emprunter des routes toujours plus longues, plus risquées, plus coûteuses. Cette approche sécuritaire accroît donc les risques pour les personnes sans empêcher les mobilités et sans garantir la protection de leurs droits. Alors que les contrôles se multiplient, le nombre de personnes disparues et décédées ne cesse d'augmenter. Plus de 20 000 cas de personnes décédées en Méditerranée ont été recensés entre 2014 et aujourd'hui par l'organisation internationale des migrations.
Une grande partie des personnes parvenues à atteindre le territoire européen, et notamment celles souhaitant demander l'asile, seront placées en procédure Dublin. Depuis son entrée en vigueur, ce règlement s'est avéré injuste et contreproductif pour plusieurs raisons. Il interdit aux demandeurs d'asile le choix de leur pays de destination, niant l'importance de facteurs comme les liens familiaux et amicaux et la compétence linguistique. Il complique les trajectoires des personnes migrantes et les précarise davantage. En France, en 2020, près de 25 000 personnes, soit un tiers des demandes d'asile enregistrées la même année, ont été placées en procédure Dublin. Une partie des personnes qui seront transférées reviendront assez rapidement sur le territoire français.
Au-delà des conséquences de ce règlement pour les personnes en demande d'asile, c'est souvent une détention généralisée et multiforme qui attend les personnes exilées à leur arrivée sur le territoire européen. Celle-ci advient dans des centres fermés sur le territoire ou dans les zones frontalières, dans les centres de tri insulaires ou enclavés, mais également dans de nouveaux lieux comme les bateaux maintenus à quai ou en pleine mer comme en Italie en 2020.
Les vols d'expulsions européens font également partie de l'arsenal développé au service de la politique d'expulsion de l'Union européenne. Les programmes d'aide au retour volontaire n'ont cessé de se développer ces vingt dernières années, depuis le territoire de l'Union européenne ou des pays de transit extérieurs à l'Union européenne avec l'aide de financements européens (Maroc, Libye, Niger). Du point de vue des autorités, cette nouvelle forme de retour présente l'immense avantage d'être un dispositif d'assistance ne faisant l'objet que de très peu d'encadrement juridique. Ce retour est souvent perçu par les personnes qui le demandent comme un moindre mal par rapport à une expulsion forcée inévitable.
Des moyens très importants sont donc consacrés à l'érection de barrières physiques, juridiques et technologiques et la création de camps. Ces moyens pourraient être utilement redéployés pour accueillir dignement et permettre un accès au territoire aux personnes bloquées aux frontières extérieures de l'Union européenne, afin d'examiner leurs situations individuelles et d'assurer le respect effectif de leurs droits en respect des conventions européennes et internationales.