Je commencerai par les propositions que nous portons sur le règlement de Dublin. Nous appelons à un changement de paradigme important. Nous estimons qu'il faudrait sortir par le haut du règlement de Dublin, c'est-à-dire élaborer un système d'asile uniforme. Cela passe par des conditions matérielles d'accueil dignes et similaires dans l'ensemble des États membres de l'Union européenne, mais surtout par un mécanisme qui garantisse aux demandeurs et aux demandeuses les mêmes chances d'obtenir une protection. Aujourd'hui, les disparités de décision sont flagrantes selon le pays qui instruit la demande. Pour réduire ces écarts, il faudrait réfléchir à une réelle harmonisation et une unification des doctrines. Nous réaffirmons donc la nécessité d'harmoniser par le haut les procédures et les conditions d'accueil.
Cela va de pair avec la garantie de l'accès au territoire européen pour les personnes en quête de protection et le refus des politiques de tri ayant cours notamment aux frontières extérieures de l'Union européenne. Nous sommes opposés aux notions de pays d'origine ou de pays tiers dits « sûrs », aux procédures accélérées et à la généralisation de la restriction et de la privation de libertés.
Dès lors, le mécanisme actuel de Dublin pourrait être remplacé par un système qui tiendrait compte dès le départ des choix de la personne en fonction de ses attaches familiales, de ses compétences linguistiques et de son projet personnel, pour éviter de multiplier les situations d'errance que l'on constate aujourd'hui. Une condition indispensable de ce nouveau système serait d'accorder une véritable liberté d'installation pour les personnes bénéficiaires de la protection internationale au sein de l'Union européenne.
Le champ d'intervention de Frontex est extrêmement vaste, mais j'aborderai son action en Méditerranée dans le cadre de la lutte contre les migrations irrégulières. Frontex intervient aujourd'hui en Méditerranée centrale à travers l'opération Themis lancée en février 2018 à la suite de l'opération Triton. Même si l'Union européenne prétend que les activités de recherche et de sauvetage restent un élément essentiel de l'opération, l'objectif est avant tout de nature sécuritaire. Il s'agit de lutter contre la migration irrégulière, le terrorisme et la criminalité transfrontalière. Théoriquement, Themis n'opère pas directement dans les eaux tunisiennes, mais sa zone d'opération vise les mouvements venus de ces côtes. Cette opération manque de transparence : elle n'a fait l'objet d'aucune communication pour définir précisément sa zone d'intervention et les moyens matériels à sa disposition.
Cette opération prend la suite de la précédente opération militaire EUNAVFOR MED lancée en 2015 avec l'objectif de lutter contre les trafics de personnes migrantes en Méditerranée, notamment en neutralisant les embarcations. À partir de 2019, cette opération intégrait également la formation des garde-côtes libyens. En mars 2019, faute d'accord du gouvernement italien pour prendre en charge le débarquement des personnes secourues dans le cadre de cette mission, les opérations maritimes ont été suspendues. Cette mission s'est terminée en mars 2020 et a été remplacée par la mission IRINI, qui se consacre davantage au contrôle de l'embargo sur les armes contre la Libye.
Les États et l'Union européenne ont progressivement développé des stratégies pour contourner le droit international et européen. L'on peut citer les stratégies de criminalisation des opérations de secours et de sauvetage des ONG intervenant dans cette zone maritime, mais aussi la tentative des États européens de procéder à des refoulements par procuration. Les États signalent aux garde-côtes libyens la présence de bateaux dans la zone grâce à leur système de surveillance aérienne, afin que les garde-côtes libyens interceptent et refoulent eux-mêmes ces personnes vers les côtes libyennes.