Intervention de Lydie Arbogast

Réunion du jeudi 1er juillet 2021 à 11h10
Commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la france

Lydie Arbogast, responsable des questions européennes à La Cimade, membre de Migreurop :

J'aimerais lier votre question sur l'articulation des niveaux locaux, nationaux et supranationaux au marchandage dont font l'objet les personnes migrantes dans le dialogue entre les États européens et non européens.

Les migrations sont consubstantielles à l'histoire de nos sociétés. Les personnes migrantes ne choisissent pas leur pays d'arrivée en fonction des libertés ou des droits qui leur seront accordés dans le pays d'accueil. L'écrasante majorité de la population mondiale est sédentaire : seuls 3,4 % de la population mondiale vit dans un autre pays que son pays d'origine. Tout en étant mondialisé, le phénomène de la migration est fortement régionalisé : le plus souvent, les personnes s'installent dans un pays très proche de leur pays d'origine. Il est important de rappeler ces éléments car je constate l'instrumentalisation des migrations et la récurrence du thème de la peur de l'invasion. Les gestions des migrations se retrouvent ainsi au cœur de marchandages entre États.

Il est important aujourd'hui de revenir à un dialogue équilibré entre l'Union européenne et les États extérieurs à l'Union européenne, qui ne soit pas uniquement guidé par les objectifs de l'Union européenne en matière de gestion des migrations.

En 2019, la Cimade, en lien avec plusieurs partenaires au Mali, au Niger et au Sénégal, a publié une note d'analyse sur la mise en œuvre du fonds fiduciaire d'urgence de l'Union européenne pour l'Afrique dans ces trois pays. Certains programmes de ce fonds ont été déconnectés des besoins locaux. Ce fonds fiduciaire d'urgence a été principalement mis en œuvre à des fins de gestion des contrôles migratoires, et n'a pas contribué à la protection des personnes dans ces pays et tout au long des parcours migratoires.

Pour rappel, ce fonds permettait d'orienter des fonds européens existants vers des projets répondant aux objectifs des États membres. La création d'emploi dans les pays bénéficiaires, afin de diminuer les départs vers l'Europe, était l'un des objectifs affichés de ce fonds. Bien qu'il ait été démontré que les progrès réalisés en matière de développement ne freinent pas les migrations, mais au contraire les favorisent dans un premier temps, ce fonds fiduciaire utilisait la lutte contre les inégalités et la pauvreté pour réduire les départs. Cela a conduit à s'éloigner des besoins réels des pays qui en bénéficiaient. Ainsi, un des projets financés au Sénégal intitulé « Développer l'emploi au Sénégal » a ciblé en priorité les zones de départ, et non les zones à fort taux de chômage du pays.

L'un des résultats de ce fonds fiduciaire au Sahel est d'avoir augmenté les retours volontaires mis en place depuis les pays africains. Ce fonds fiduciaire ne soutenait aucun projet de protection juridique ou d'asile dans les trois pays analysés. Le mot « protection » tel qu'il est utilisé par l'organisation internationale des migrations désigne alors essentiellement la couverture des besoins primaires des personnes sur les routes et dans les centres et leur retour volontaire dans leur pays d'origine. Très peu de moyens ont été mis en œuvre dans le cadre de ce fonds pour l'identification des personnes éligibles à une protection internationale ou vulnérable et victimes de violations des droits humains dans les centres. Il n'y a pas de projet soutenant directement les droits des personnes migrantes dans la région du Sahel.

Par ailleurs, l'aide à la mobilité légale est quasiment inexistante dans ces programmes. Au Niger, la lutte contre les migrations irrégulières a un impact sur la mobilité au niveau régional en raison du protocole de libre circulation des personnes. Les ressortissants de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'ouest (CEDEAO), de fait en situation régulière dans cet espace, sont considérés comme des candidats potentiels à l'immigration irrégulière. L'on constate à nouveau la déconnexion entre les réalités locales et les objectifs de l'Union européenne ou bien des États coopérants dans une logique de conditionnalité et de marchandage.

Nous regrettons le manque de prise en compte des besoins des collectivités territoriales dans les projets existants financés par la coopération des États membres de l'Union européenne. Comme l'indique le bilan des migrations du gouvernement du Niger pour 2018 et 2019, « certains projets du Fonds fiduciaire d'urgence de l'Union européenne pour l'Afrique (FFU) exécutés au compte du Niger ne prennent pas en compte les plans de développement communaux et régionaux. Cela fait courir à certains projets le risque d'un déphasage par rapport aux besoins réels des populations ».

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