Je vous apporterai quelques éléments de réponse brefs, que je compléterai ensuite par écrit.
Nous constatons une augmentation du nombre de femmes qui arrivent au terme de périples migratoires similaires à ceux des hommes, c'est-à-dire des voyages longs traversant plusieurs pays. Depuis quelques années, la proportion des femmes est stable voire augmente par rapport à celle des hommes. À mon arrivée sur ce poste, la file active des PASS était composée à 70 % d'hommes ; aujourd'hui, les ratios d'hommes et de femmes sont équivalents.
Une femme est exposée à des violences et parfois à des tortures ou à de l'emprisonnement lors de son périple migratoire. Elle se trouve dans une vulnérabilité beaucoup plus importante à son arrivée en France. Le taux de grossesse à risque et le nombre d'enfants prématurés sont étroitement corrélés aux situations de vie (mauvaise alimentation, manque d'hébergement, difficultés spécifiques pendant le voyage et à l'arrivée en France).
Le nombre de mineurs non accompagnés augmente, lui aussi, de manière très importante dans nos consultations en PASS. Il s'agit de mineurs non accompagnés, soit en attente du passage d'évaluation auprès de l'aide sociale à l'enfance (ASE), soit de mineurs à qui l'ASE a certifié une non reconnaissance de minorité ou d'isolement. Ils ne sont donc pas reconnus comme des mineurs isolés par l'ASE et se situent souvent dans un « no man's land » administratif. Dans l'attente du recours auprès du juge pour enfants, la seule possibilité d'accès aux soins pour ces mineurs est souvent de se rendre dans les PASS. La circulaire de juin 2013 spécifie clairement que les PASS sont des dispositifs pour les adultes. Mais depuis 2015, face au nombre de mineurs non accompagnés présents sur le territoire national et en région Île-de-France, les PASS prennent en charge des mineurs non accompagnés, avec les difficultés que vous pouvez imaginer, par exemple d'ordre légal dans le cas de certains soins qui nécessitent l'autorisation d'un adulte. Pour les personnes dont la minorité n'a pas été reconnue par l'ASE, la vaccination contre le Covid nécessite par exemple l'accord d'une autorité légale ou parentale. Nous faisons donc face à des difficultés de prise en charge dues à l'écart existant entre les textes de loi et les situations vécues par les personnes.
S'agissant de la barrière de la langue, l'interprétariat professionnel en santé est essentiel. Dans les CAES ainsi que dans le centre d'hébergement d'urgence pour migrants d'Ivry-sur-Seine, des interprètes professionnels font partie de l'équipe d'accueil. Cela est fondamental. La situation est plus compliquée dans les PASS, qui prévoient des accueils sans rendez-vous. Il est impossible d'avoir un interprète à disposition sans savoir quelles personnes vont se présenter. Dans la plupart des cas, nous avons recours à l'interprétariat téléphonique. Mais cela ne résout pas tout. Certaines personnes préfèrent utiliser une langue tierce, car leur langue d'origine cause une réminiscence néfaste. D'une façon générale, l'accès à l'interprétariat constitue une énorme plus-value pour comprendre et se faire comprendre.
Je rebondis sur l'importance de la médiation en santé. S'agissant de la vaccination contre le Covid, nous avons compris l'importance de l'aller vers et de la sensibilisation via la médiation auprès des publics précaires. L'aide des associations de médiation est fondamentale pour introduire et construire la littératie des personnes au sujet de la vaccination. Nous avons créé nous-mêmes des outils partants des questionnements des personnes. Avant de proposer la vaccination, nous avons par exemple organisé des séances avec les comités de résidents des foyers de travailleurs migrants pour consigner les craintes et les questions.
Les temporalités doivent parfois être adaptées aux situations de vie. La santé ne peut pas être la seule réponse à apporter à des difficultés systémiques et complexes comme des soucis de revenus, de statut administratif, d'hébergement, de précarité alimentaire. La réponse sanitaire doit faire partie d'une approche inclusive qui permettra d'agir structurellement sur l'ensemble des déterminants de santé.
S'agissant du millefeuille administratif, je fais la différence entre les situations administratives qui donnent lieu à des couvertures médicales (AME, Puma) et des dispositifs d'accès aux soins pour les personnes en situation de précarité dont font partie les migrants (PASS, équipes mobiles psychiatrie précarité, lits halte soins santé mobiles, appartements de coordination thérapeutiques hors les murs). Il est vrai que beaucoup de dispositifs existent. Dans la pratique, il y a une hybridation et une collaboration très intenses entre tous ces dispositifs. Bien évidemment, les équipes mobiles psychiatrie précarité (EMPP) travaillent avec les PASS, les PASS travaillent avec les associations. Tout cela se passe plutôt bien, voire très bien, sur le terrain.
La situation pose néanmoins un problème de lisibilité de l'ensemble de ces dispositifs pour des acteurs qui ne sont pas spécialistes de la prise en charge des personnes en situation de précarité, comme les assistants sociaux des centres communaux d'action sociale (CCAS) ou les médecins généralistes. Le fait de disposer d'autant de dispositifs constitue un atout, mais ils ne sont pas lisibles. Un choc de simplification serait donc le bienvenu. Évidemment, ce système n'est pas lisible pour les primo-arrivants. Ils ne diront jamais : « je suis suivi à la PASS » ; ils diront plutôt : « je suis suivi dans tel hôpital où l'on ne me demande pas de payer mes soins ».
De plus, depuis 2015, l'on assiste à un afflux de personnes venant de pays nouveaux (Afghanistan, Soudan, Somalie). Pour ces personnes, la représentation du système de santé n'est absolument pas la même que pour les populations venant du Maghreb ou du Mali, qui en plus de parler la langue, bénéficient souvent déjà d'une représentation du système de santé français en raison de la diaspora présente. Pour n'importe lequel d'entre nous, découvrir un nouveau système de santé peut être assez perturbant – a fortiori, cela l'est aussi pour un primo-arrivant qui est allophone et ne connaît pas le système de santé.
Au-delà de l'allophonie, la dématérialisation des démarches peut être un facteur facilitateur pour certains publics, et un obstacle majeur pour d'autres. Nous le voyons dans les démarches d'aller vers pour la vaccination. Certaines personnes nous disent : « Heureusement que des barnums éphémères ont été installés car je n'aurais pas pu ouvrir un compte Doctolib, je n'ai pas de numéro de sécurité sociale ». Or la vaccination est possible même sans compte de sécurité sociale. Des obstacles dans l'accès aux soins existent donc en raison de la fracture numérique voire d'une méconnaissance du fonctionnement du système de santé.
L'accès aux soins dans les CRA est possible pour les personnes retenues du fait de la présence de médecins et de praticiens hospitaliers détachés de l'hôpital. Au niveau national, nous faisons toutefois face à des problèmes importants de remplacement de ressources humaines. Par ailleurs, les personnes détenues et retenues ont fait l'objet d'actions d'aller vers pour la vaccination. Ils sont 21 % à avoir été vaccinés grâce à des actions de promotion de la vaccination au sein des établissements pénitentiaires.
Je reviendrai enfin sur l'état de santé de nos migrants et notamment des mineurs non accompagnés. Ils sont plutôt en meilleure santé que les Français à leur arrivée. La santé se dégrade au fil des années par rapport à l'état initial dans lequel ils sont arrivés. Certains publics sont particulièrement vulnérables en raison d'hépatites, du VIH, de la tuberculose. Le fait de pouvoir promouvoir un dépistage systématique et des soins quand cela est nécessaire est très important.
De notre point de vue en PASS, l'on estime qu'un adulte sur cinq ayant vécu une migration subie présente un état de souffrance psychique. C'est le cas d'un mineur non accompagné sur trois. Mais cela n'est jamais évoqué comme une demande de soins : la souffrance est soit somatisée, soit l'on arrive parfois à comprendre au cours de l'entretien médical que les maux de tête ou de ventre sont dus à une expérience d'emprisonnement ou de violences.
Je n'ai pas compris la question sur les médicaments. La PASS délivre, si nécessaire, des ordonnances. Les ordonnances doivent être présentées à la pharmacie hospitalière. Il peut parfois y avoir des loupés car les consultations sont plus tardives que les horaires d'ouverture de la pharmacie. Bien évidemment, seule la pharmacie de l'hôpital délivre les médicaments ; une ordonnance faite en PASS ne peut pas être traitée par une pharmacie de ville. À ma connaissance, il n'y a pas de refus des médicaments. Globalement, l'accès aux médicaments n'est pas un problème. Les prises en charge d'hospitalisations programmées ou des pathologies très graves ou très lourdes posent plus souvent problème.