Intervention de Paul Dourgnon

Réunion du mercredi 7 juillet 2021 à 16h00
Commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la france

Paul Dourgnon, économiste, directeur de recherche à l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES) :

Dans le cadre de l'enquête, nous avons collecté les motifs de migration chez les femmes. Les violences dans le couple, et souvent les mutilations sexuelles, reviennent assez fréquemment dans les réponses à cette question. 15 % des personnes nous disent ainsi avoir migré, parmi d'autres raisons, pour des motifs touchant à la sécurité personnelle. Parmi ces motifs revient très régulièrement le cas des mutilations sexuelles, pour soi ou, plus souvent, pour les enfants.

Nous avons commencé à travailler sur le syndrome de stress post-traumatique. Nous avons beaucoup plus fréquemment trouvé des syndromes chez les femmes que chez les hommes, alors que les taux de prévalence entre hommes et femmes sont assez proches.

S'agissant du rôle des services de soin dans l'accès à l'AME, nous observons dans notre enquête que les personnes bénéficiaires de l'AME n'ont pas systématiquement recours aux soins, de même que les personnes non bénéficiaires de l'AME ne sont pas dans une situation de non-recours total aux soins. Les gens qui n'ont pas accès à l'AME ont, pour 90 % d'entre eux, recours aux soins – ils y ont simplement moins recours, ou y ont recours de façon moins structurée, à travers les urgences ou les organisations non gouvernementales (ONG). Ces gens ont donc été mis en contact avec des médecins, des associations ou des PASS au cours des douze derniers mois et n'ont pas accès à l'AME. Ce résultat nous a vraiment questionnés, car nous nous attendions à observer des trajectoires d'accès à l'AME à travers un recours médical. Cela n'est pas systématique. L'information sur les droits doit donc être partagée au sein des populations migrantes, mais aussi auprès des professionnels de soin.

Je suggère deux éléments pour les professionnels de soins. Tout d'abord, promouvoir une meilleure circulation de l'information. Il faut les former, car ils sont moins au courant des dispositifs existants que ce que l'on pourrait penser. Ensuite, garantir la transparence du statut de l'AME. À mon sens, il ne faudrait pas que la carte d'AME soit fondamentalement différente d'une carte de CMU pour le personnel. Ces deux cartes donnent quasiment accès aux mêmes droits ; il n'y a pas de raison de laisser cours à de potentielles différences de traitement en fonction de la carte que l'on présente. La simplification administrative pourrait donc aller dans ce sens.

Je répondrai à la question sur les soins inclusifs et les comparaisons internationales. L'étude internationale « Migrant integration policy index » (MIPEX) vise à comparer les politiques migratoires dans leurs nombreuses dimensions selon un « migrant-friendliness index », c'est-à-dire un index de bienveillance à l'égard des immigrants. Cette étude montre que la France se situe dans le peloton de tête pour ce qui relève des droits théoriques. En termes de droits effectifs, nous ne sommes pas très bons. Nous sommes vraiment en queue de classement en matière d'inclusivité (il s'agit de l'interprétariat, l'aller vers, la médiation) par rapport aux pays anglo-saxons et du nord de l'Europe. Nous sommes également très en retard s'agissant de la connaissance et de la recherche. Nous connaissons mal ces enjeux, mais je dirais même que nous nous interdisons de mieux les connaître. Nous disposons de données (celles de l'AME, celles de l'assurance maladie par exemple) ; nous pourrions les exploiter.

Je conduis actuellement un travail sur l'effet des politiques migratoires sur les états de santé et l'accès aux services de santé des immigrants en Europe (des immigrants légaux, pour la plupart). Nous mesurons la bienveillance de ces politiques selon les indices de MIPEX. Nous observons sans surprise que les pays aux politiques de santé plus ouvertes produisent des immigrants en meilleur état de santé ; mais que les autres politiques publiques (en matière de logement, d'accès à la citoyenneté, de discriminations, par exemple) ont aussi un effet sur la santé des immigrants. L'étude met en avant les déterminants sociaux de la santé : la santé prend ses racines dans les soins certes, mais également dans d'autres aspects comme les conditions de logement, les conditions de travail, les revenus. Ces résultats reposent donc la question de la prise en charge globale, dans une optique de simplification mais aussi d'effets des politiques. Les politiques migratoires qui ne relèvent pas strictement de la santé ont aussi un effet sur l'accès aux soins et sur l'état de santé des immigrants.

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