Intervention de Laurence Kotobi

Réunion du mercredi 7 juillet 2021 à 16h00
Commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la france

Laurence Kotobi, anthropologue à l'université de Bordeaux :

Je rejoins tout à fait les propos de Barbara et de Paul. En complément, il ne faut pas oublier les leviers, c'est-à-dire tout ce qui marche et qui fonctionne. La prise en soins de personnes vulnérables et précaires permet de poser question aux citoyens français. La société civile s'engage à ce sujet. Des professionnels de santé, du social et de l'accompagnement ont des engagements humanitaires, souvent en dehors de leurs casquettes professionnelles. Dans le cadre de la pandémie, nous avons relevé plusieurs élans de solidarité spontanés pour ne pas laisser de côté des personnes dans une situation d'urgence matérielle, sociale ou d'isolement en santé mentale. Ces actions collectives de proximité font partie des leviers.

Nous n'avons pas parlé des étudiants étrangers dans les universités françaises. Ceux-ci connaissent parfois des situations très difficiles, du fait de l'augmentation des frais d'inscription et des conditions de logement et de travail. Ils basculent parfois rapidement dans des situations auxquelles ils ne s'attendaient pas du tout. La solidarité s'organise également dans ces cas à travers des réseaux de sociabilité importants.

Dans le cadre de l'enquête, nous avons vu comment des personnes ont pu accompagner une personne précaire dont ils avaient eu la charge à un moment donné ou avec laquelle ils étaient entrés en contact, pour l'aider à obtenir des médicaments ou l'orienter vers un PASS ou un pharmacien.

Il existe donc des droits, des possibilités, des freins ; en même temps, il y a beaucoup d'incompréhension et de méconnaissance. Les formations constituent donc un levier important. Il faudrait organiser des sensibilisations au sens du soin, de l'accueil, du partage des ressources qui sont limitées. Quels sont les biens communs ? Le système de sécurité sociale est un bien commun. Il n'est peut-être pas perçu comme tel par les Français. Il me semble que la spécificité française est indéniable en la matière en raison de l'accès très particulier et très ouvert au système de sécurité sociale. Il est important de conserver ce levier exceptionnel. Il ne faut pas complètement transformer ce système unique qui renvoie à des valeurs républicaines et qui est le fruit de luttes anciennes.

Nous nous interrogeons actuellement sur l'AME comme outil de médiation. Le dispositif cible une discrimination positive des étrangers en situation irrégulière pour leur fournir un accès au droit dans certaines conditions, et leur permettre d'accéder au droit commun. Ces dispositifs sont malheureusement très nombreux et ne sont pas pensés globalement, il faudrait à mon sens les simplifier ; mais ils recouvrent la notion de médiation et de lien.

Le changement est nécessaire pour trouver des solutions locales, régionales ou territoriales. Des réseaux existent à ces différentes échelles, y compris dans des territoires qualifiés de déserts médicaux. Les dynamiques en place ne relèvent pas forcément de la médecine ou de l'éducation conventionnelles. Elles créent des systèmes de soutien et d'entraide qu'il faudrait valoriser, ne serait-ce par exemple qu'en partageant la parole ou la décision : la démocratie locale sert à cela.

Je conclurai par la barrière de la langue. Nous sommes de plus en plus nombreux en anthropologie à montrer l'intérêt de comprendre et de se faire comprendre. Cela passe par le langage et la symbolique du langage. L'effectivité de ce droit est encore balbutiante en France par rapport à d'autres pays comme le Canada et la Belgique. Les dispositifs sont très hésitants en France et sont souvent réduits à la question du coût de l'interprétariat. Dans le cas d'une enquête sur l'annonce de maladies graves à des populations non francophones, les prestations d'interprétariat n'étaient pas connues des équipes médicales. Pourtant, les interprètes professionnels en santé peuvent intervenir, par exemple grâce à ISM Interprétariat, par téléphone, en présentiel et en visioconférence. Ce service existe depuis cinquante ans. Ces modalités ne sont pas toujours connues et sont mises en concurrence avec les prestations de nouvelles startups qui ne sont pas du tout formées à ces métiers. C'est un point de vigilance important. La discussion économique n'est pas une vraie discussion ; la recherche devrait montrer comment l'interprétariat permet, dès le départ, d'éviter des complications ou des erreurs de diagnostic et de créer du lien.

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