Je vais présenter différentes recommandations qui permettraient, selon nous, de changer la donne et d'améliorer l'accès aux soins des personnes exilées précaires. Ces propositions ne sont pas uniquement celles de Médecins du monde. Elles sont promues par des institutions, des autorités administratives indépendantes, des praticiens du médicosocial, la fédération des mutuelles de France, mais aussi par des parlementaires qui sont parfois aussi des médecins.
Les délais de carence de l'AME s'allongent et ne font que retarder les soins. Ces délais, avec le palliatif de l'existence des soins urgents et vitaux pendant l'intervalle, font converger les personnes vers l'hôpital. Cela a pour conséquence d'exclure la médecine de ville de ses missions essentielles de prévention et d'orientation.
Le système spécifique de l'AME est essentiel, mais très complexe et lourd administrativement. Le taux de non-recours à l'AME est de 50 %. Nous publions chaque année un rapport de données basé sur l'activité de nos quinze CASO. 82 % des personnes éligibles à l'AME n'ont aucune couverture maladie. Nous constatons donc la méconnaissance de ces droits et la complexité du système.
Les délais de carence et les retards de soin soulèvent des questions fondamentales : quel est le sens d'une politique publique de santé laissant sciemment la santé des personnes, fussent-elles étrangères, se dégrader, avant de les prendre en charge à des stades aggravés, le plus souvent à l'hôpital ?
Nous devrions retrouver un système réellement universel. Les entorses à ce principe ont aujourd'hui trop de conséquences. Ainsi, nous préconisons l'intégration de l'ensemble des bénéficiaires de l'AME au régime général de la sécurité sociale. L'AME n'a pas toujours existé. Les lois Pasqua ont conditionné l'ouverture des droits à la protection sociale à la régularité du séjour. Cette réforme visant à la fusion des dispositifs favoriserait l'accès à la médecine de ville et réaliserait un choc de simplification administrative. Pour l'instant, l'AME est un système spécifique, lourd et compliqué.
L'académie nationale de médecine, dans son rapport « Précarité, pauvreté et santé » de juin 2017, constatait cette médecine à deux vitesses existant du fait du système spécifique de l'AME et promouvait la fusion des dispositifs. Le ministre de la santé, le docteur Olivier Véran, nous avait assurés de son soutien à cette réforme lorsqu'il était conseiller santé d'Emmanuel Macron pendant la campagne électorale. Au début du quinquennat, dans le cadre de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, la commission des affaires sociales avait voté à l'unanimité – grâce à l'avis favorable de son rapporteur général, Olivier Véran – un amendement demandant un rapport au gouvernement sur la mise en œuvre de l'intégration de l'AME dans l'Assurance maladie. La ministre de la santé de l'époque avait fait en sorte que l'initiative ne prospère pas. Un autre parlementaire, le docteur Thomas Mesnier, proposait d'étendre la CMU aux étrangers sans papiers dans un article des Échos de 2017. Ces soutiens sont importants. Votre commission d'enquête parlementaire pourrait contribuer à lever les entraves à la couverture maladie des personnes précaires étrangères, et donc peut-être promouvoir cette réforme de fusion des dispositifs dans un régime général réellement universel.
Il serait possible de mettre en place des mesures intermédiaires à court terme, comme l'octroi d'une carte vitale aux bénéficiaires de l'AME. Cela simplifierait grandement l'administration, la vie des personnes, et contribuerait à soulager les finances publiques.
Nous proposons également de mettre fin au délai de carence de trois mois qui a été imposé à la fin de l'année 2019 aux demandeurs d'asile pour accéder à la sécurité sociale. J'accole cette recommandation à la première concernant les personnes sans papiers. Cela un retarde l'accès aux soins retardé des demandeurs d'asile, comme des personnes sans papiers, mais il existe tout de même une spécificité : cette mesure nie les situations traumatisantes qu'ont vécues les demandeuses et demandeurs d'asile dans leur pays d'origine ou lors de leur parcours migratoire, ainsi que la nécessité d'une prise en charge immédiate, y compris pour soigner les souffrances psychiques. Cette mesure a plongé les personnes dans des situations kafkaïennes d'accès aux soins, a fortiori en temps de Covid, car elle n'a pas été abrogée pendant la crise sanitaire. Permettez-moi une parole un peu politique. Jamais aucun gouvernement ni aucun parti n'avaient jusque-là proposé une mesure remettant en cause l'accès aux soins immédiat des demandeurs d'asile. Il existait une forme de consensus républicain sur cette question, au regard des personnes concernées et de leurs parcours. Nous nous grandirions si notre pays revenait sur cette mesure. Votre commission d'enquête parlementaire pourrait jouer un rôle en ce sens, y compris peut-être par des propositions législatives de court terme.