La réunion débute à dix-sept heures et trente minutes.
Nous entendons maintenant Médecins du monde et la Croix-Rouge française. Vous êtes acteurs de terrain. Nous sommes impatients de pouvoir confronter votre retour d'expérience avec les propos recueillis au cours des auditions précédentes.
Je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
Mme Carine Rolland et MM. Christian Reboul et Thierry Couvert-Leroy prêtent serment.
Je suis médecin généraliste à Nantes et tout nouvellement élue présidente de Médecins du monde depuis notre assemblée générale du mois de juin.
Médecins du monde est une organisation non gouvernementale (ONG) humanitaire en santé présente dans plus de quinze villes en France. Nous avons des centres d'accueil, de soins et d'orientation (CASO) et menons des actions d'aller vers. Nous sommes présents dans les territoires ultramarins ainsi qu'à l'international le long des routes migratoires. Médecins du monde est présent dans une trentaine de pays environ, et dans plus de soixante-dix pays avec notre réseau.
Médecins du monde c'est soigner, témoigner, plaidoyer. Or partout dans le monde, nous tirons les mêmes constats : les politiques anti-migratoires, le non-respect des droits humains fondamentaux et des conventions internationales dégradent la santé des personnes. L'Europe forteresse et la France ne font pas exception.
Médecins du monde reçoit les personnes les plus exclues, des personnes le plus souvent épuisées par leur parcours traumatique en Lybie ou en Méditerranée, des personnes amaigries, vivant le plus souvent à la rue ou en squat, se trouvant en grand besoin de soins, en stress ou en état de stress post-traumatique. À mon cabinet médical, je vois notamment des personnes venant d'Afrique de l'ouest (Tchad, Soudan, Érythrée) et d'Arménie et d'Azerbaïdjan. Je constate un état de santé particulièrement dégradé des demandeurs d'asile non hébergés, des demandeurs d'asile sous procédure Dublin et des personnes déboutées du droit d'asile.
Beaucoup d'éléments interviennent dans la santé : accéder à un logement ou à un titre de séjour, pouvoir suivre des cours de français ou une formation, consulter un médecin, garder l'espoir d'une vie meilleure sont autant de déterminants d'un état de santé positif. A contrario, vivre à la rue, dans l'extrême précarité, subir des violences de toutes sortes et perdre tout espoir d'accéder un jour à un statut administratif stable dégradent fortement l'état de santé des personnes.
Toutes les instances de santé s'accordent sur le fait qu'un bilan de santé initial est nécessaire pour les primo-arrivants. Celui doit comprendre une prise de sang, une radio pulmonaire, un rattrapage vaccinal et une évaluation des besoins en santé mentale. Il est nécessaire de prendre en charge ces personnes en besoin de soins très tôt et sans rupture de soins. Il s'agit d'une logique de santé publique : pour que nous soyons tous en bonne santé sur un territoire, il faut que tout le monde puisse accéder aux soins. Mais il y a aussi un enjeu de finances publiques : prendre en charge une pathologie quand elle devient urgente n'a aucun sens et est très coûteux. Un diabète dépisté tôt, par exemple, est très bien soigné et à moindres frais. Pouvoir dépister et prendre en charge de façon précoce est donc important pour la santé publique, mais aussi dans une logique économique.
Médecins du monde tient ce discours depuis environ trente ans et nous disons toujours la même chose. Et tout à coup, le Covid est arrivé. Il nous a démontré à quel point les enjeux de santé étaient centraux. La maladie a mis un coup de projecteur sur les dysfonctionnements qui existaient déjà : la saturation de l'hôpital public, la psychiatrie exsangue, les entraves pour l'accès aux soins des migrants, exilés, à la rue, sans accès à l'eau ni aux masques, sans possibilité de s'isoler quand ils sont malades.
La prévalence du Covid est plus forte chez les précaires que dans la population générale, et chez les migrants en particulier. Pour que le Covid régresse sur notre territoire, il faudrait que tout le monde puisse être vacciné. Et pour pouvoir vacciner les migrants, il faudrait peut-être arrêter de sans cesse les déloger. Les expulsions se répètent tous les jours. L'on ne se débarrassera pas du Covid sans la vaccination de l'ensemble de la population mondiale – ce qui est vrai dans le monde est vrai sur le territoire français.
À la fin de l'année 2019, il a été touché à la couverture santé solidaire (CSS), qui était auparavant la couverture maladie universelle (CMU) des demandeurs d'asile, avec la mise en place d'un délai de carence aligné sur celui de l'aide médicale d'État (AME), résultant en une complexification et des entraves encore et toujours plus fortes dans l'accès à une couverture maladie des étrangers précaires. La première demande requiert un dépôt physique, alors que la dématérialisation est de mise partout. Les droits peuvent être supprimés à n'importe quel moment en cas d'obligation de quitter le territoire français (OQTF). En tant que généraliste, je vois des personnes migrantes tous les jours. Plus personne n'y comprend rien – ni les soignants, ni les assistantes sociales, ni les opérateurs de l'État. Nous ne savons plus quand les droits sont ouverts ou ne le sont pas. Tout cela est de plus en plus complexe. Je constate une entrave administrative forte résultant en 80 % de non recours aux droits parmi les personnes éligibles.
Je constate surtout qu'il n'existe pas vraiment de logique de santé publique ni de logique financière. Est en revanche à l'œuvre une logique politique qui instrumentalise inlassablement la figure de l'exilé qui serait responsable de tous nos maux. Ces personnes n'ont rien demandé. Ce sont des survivants, épuisés, en grand besoin de soins ; ce sont des hommes, des femmes, des enfants, des personnes particulièrement courageuses, résilientes. Le droit à la santé est un droit fondamental. Cette instrumentalisation permanente doit cesser.
Quand le ministère de l'intérieur se mêle de santé, cela est dangereux pour les exilés et pour nous tous. Les enjeux autour de la santé des migrants relèvent des agences régionales de santé (ARS) et non des préfectures. Ces enjeux sont tout sauf anecdotiques – ce sont des questions sérieuses qui impactent la santé de tous ceux partageant un même territoire. Le Covid est là et pour un moment ; d'autres vagues viendront. Personne ne peut raisonnablement croire que l'on en viendra à bout sans prendre soin de toutes et tous.
Il faudrait enfin que l'on essaye d'offrir un accueil digne et l'hébergement de tous ; que l'on réfléchisse à la régularisation de personnes qui sont présentes en France depuis longtemps. Nous avons tenté les politiques répressives et sécuritaires depuis trente ans – cela nous coûte cher et n'a aucun sens en matière de santé. Tentons autre chose. Tentons enfin d'envisager de faire bien.
Je vais présenter différentes recommandations qui permettraient, selon nous, de changer la donne et d'améliorer l'accès aux soins des personnes exilées précaires. Ces propositions ne sont pas uniquement celles de Médecins du monde. Elles sont promues par des institutions, des autorités administratives indépendantes, des praticiens du médicosocial, la fédération des mutuelles de France, mais aussi par des parlementaires qui sont parfois aussi des médecins.
Les délais de carence de l'AME s'allongent et ne font que retarder les soins. Ces délais, avec le palliatif de l'existence des soins urgents et vitaux pendant l'intervalle, font converger les personnes vers l'hôpital. Cela a pour conséquence d'exclure la médecine de ville de ses missions essentielles de prévention et d'orientation.
Le système spécifique de l'AME est essentiel, mais très complexe et lourd administrativement. Le taux de non-recours à l'AME est de 50 %. Nous publions chaque année un rapport de données basé sur l'activité de nos quinze CASO. 82 % des personnes éligibles à l'AME n'ont aucune couverture maladie. Nous constatons donc la méconnaissance de ces droits et la complexité du système.
Les délais de carence et les retards de soin soulèvent des questions fondamentales : quel est le sens d'une politique publique de santé laissant sciemment la santé des personnes, fussent-elles étrangères, se dégrader, avant de les prendre en charge à des stades aggravés, le plus souvent à l'hôpital ?
Nous devrions retrouver un système réellement universel. Les entorses à ce principe ont aujourd'hui trop de conséquences. Ainsi, nous préconisons l'intégration de l'ensemble des bénéficiaires de l'AME au régime général de la sécurité sociale. L'AME n'a pas toujours existé. Les lois Pasqua ont conditionné l'ouverture des droits à la protection sociale à la régularité du séjour. Cette réforme visant à la fusion des dispositifs favoriserait l'accès à la médecine de ville et réaliserait un choc de simplification administrative. Pour l'instant, l'AME est un système spécifique, lourd et compliqué.
L'académie nationale de médecine, dans son rapport « Précarité, pauvreté et santé » de juin 2017, constatait cette médecine à deux vitesses existant du fait du système spécifique de l'AME et promouvait la fusion des dispositifs. Le ministre de la santé, le docteur Olivier Véran, nous avait assurés de son soutien à cette réforme lorsqu'il était conseiller santé d'Emmanuel Macron pendant la campagne électorale. Au début du quinquennat, dans le cadre de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, la commission des affaires sociales avait voté à l'unanimité – grâce à l'avis favorable de son rapporteur général, Olivier Véran – un amendement demandant un rapport au gouvernement sur la mise en œuvre de l'intégration de l'AME dans l'Assurance maladie. La ministre de la santé de l'époque avait fait en sorte que l'initiative ne prospère pas. Un autre parlementaire, le docteur Thomas Mesnier, proposait d'étendre la CMU aux étrangers sans papiers dans un article des Échos de 2017. Ces soutiens sont importants. Votre commission d'enquête parlementaire pourrait contribuer à lever les entraves à la couverture maladie des personnes précaires étrangères, et donc peut-être promouvoir cette réforme de fusion des dispositifs dans un régime général réellement universel.
Il serait possible de mettre en place des mesures intermédiaires à court terme, comme l'octroi d'une carte vitale aux bénéficiaires de l'AME. Cela simplifierait grandement l'administration, la vie des personnes, et contribuerait à soulager les finances publiques.
Nous proposons également de mettre fin au délai de carence de trois mois qui a été imposé à la fin de l'année 2019 aux demandeurs d'asile pour accéder à la sécurité sociale. J'accole cette recommandation à la première concernant les personnes sans papiers. Cela un retarde l'accès aux soins retardé des demandeurs d'asile, comme des personnes sans papiers, mais il existe tout de même une spécificité : cette mesure nie les situations traumatisantes qu'ont vécues les demandeuses et demandeurs d'asile dans leur pays d'origine ou lors de leur parcours migratoire, ainsi que la nécessité d'une prise en charge immédiate, y compris pour soigner les souffrances psychiques. Cette mesure a plongé les personnes dans des situations kafkaïennes d'accès aux soins, a fortiori en temps de Covid, car elle n'a pas été abrogée pendant la crise sanitaire. Permettez-moi une parole un peu politique. Jamais aucun gouvernement ni aucun parti n'avaient jusque-là proposé une mesure remettant en cause l'accès aux soins immédiat des demandeurs d'asile. Il existait une forme de consensus républicain sur cette question, au regard des personnes concernées et de leurs parcours. Nous nous grandirions si notre pays revenait sur cette mesure. Votre commission d'enquête parlementaire pourrait jouer un rôle en ce sens, y compris peut-être par des propositions législatives de court terme.
En tant que délégué national, j'interviens à la fois sur le volet enfants et familles et sur la lutte contre les exclusions, par des dispositifs et grâce aux établissements mis en place pour ces publics en particulier. Nous sommes gestionnaires de dispositifs dédiés aux demandeurs d'asile, qu'il s'agisse de dispositifs de premier accueil comme des centres d'hébergement pour demandeurs d'asile (CADA) ou de plateformes d'accompagnement. Nous sommes aussi l'un des acteurs des maraudes et des Samu sociaux. Nous sommes également gestionnaires de dispositifs pour mineurs non accompagnés. Le réseau de la Croix-Rouge comprend aussi des accueils santé sociale à travers des unités locales qui maillent tout le territoire, y compris dans les outre-mer.
Je souhaite rappeler que l'organisation mondiale de la santé (OMS) définit la santé comme un état complet physique, mental et social. S'agissant de la santé des migrants, l'enjeu est bien de pouvoir aborder l'ensemble de ces trois champs. La diversité des troubles est souvent le reflet des parcours migratoires.
S'agissant de la santé des primo-arrivants, nous remarquons les effets délétères de se retrouver sans domicile fixe pour les migrants. Ils développent alors, de manière assez classique, les maladies de la grande précarité : la gale, les dermatoses, les viroses et d'autres maladies. Des cas de varicelle avaient été observés à Calais du temps où l'on pouvait observer plus sereinement la situation des exilés.
Pour aborder la santé des migrants, il faut savoir ce qu'ils ont vécu avant de partir, par exemple les violences physiques ou psychiques qu'ils ont fuies. Se pose donc aujourd'hui une problématique spécifique : quelle réponse apportons-nous à la prise en charge des migrants en matière de santé mentale ? L'on retrouve chez eux une prévalence élevée de phénomènes qui relèvent du stress post-traumatique et de la dépression, qui sont parfois liés à des problèmes d'isolement social ou de perte d'identité. La prise en charge du psychotrauma de l'exil nous paraît toujours insuffisante. Nous avons mis en place des dispositifs sur fonds propres pour pouvoir répondre à ces problématiques dans nos dispositifs financés dans le cadre de politiques publiques. À titre personnel, j'ai été surpris du peu d'argent qu'il fallait pour permettre une première prise en charge. Nous avons ainsi mobilisé 300 euros par personne pour commencer la prise en charge de la santé psychologique. Cela ne m'apparaît pas être un surcoût pour notre nation.
Certains points reviennent sans cesse de la part de mes collègues: l'impact des représentations des migrants, la barrière de la langue et la difficulté d'avoir accès à des interprétariats. Les associations interviennent très souvent pour assurer la médiation en santé. Il convient de s'interroger sur comment la généraliser. Mes collègues relèvent également une extrême dégradation de l'accès au droit commun. Cela doit nous inquiéter. Je ne reviens pas sur la question du renoncement aux soins – il est particulièrement élevé et questionne aussi bien la santé individuelle que la santé publique. Mon équipe me remonte également l'instruction du ministre de la santé du 8 juin 2018 qui prévoit la mise en place d'un parcours de santé pour les primo-arrivants. Cette instruction de 2018 est reprise pour 2021-2023 – je vous laisse apprécier le temps de mise en application de cette expérimentation prévue dans trois territoires. Nous voulons bien sûr saluer cette initiative, mais vous reconnaîtrez qu'il est difficile de construire cette politique d'accès aux soins.
Je reviendrai brièvement sur les délais de carence. Lorsque l'on ne permet pas l'accès aux soins, l'on invite à renoncer aux soins. Nous nous rendons donc la situation plus difficile quand il s'agit de retravailler le lien de confiance et de ramener les personnes vers le soin.
Je reprendrais l'une des questions que vous m'avez adressées : « Quelle est votre analyse des différents dispositifs, aides et prestations mis en place (AME, Puma, CSS, PASS, EMPP, DSUV, etc.) ? » En lisant cette question, je souhaite montrer que la situation n'est pas évidente pour les professionnels. Nous avons besoin d'être accompagnés dans la compréhension des différents dispositifs de soin. N'importe quelle personne dans la rue, migrante ou non migrante, ne comprendrait rien à ces acronymes. L'ensemble des dispositifs rend le système illisible pour les personnes arrivant sur notre territoire et explique également certainement en partie le renoncement aux soins.
Pour conclure, nous devons nous interroger sur les raisons pour lesquelles nous n'arrivons que si peu à nous mobiliser en prévention. Il faut vraiment collectivement que nous arrivions à lutter contre ce découragement et ce renoncement. Je dresserai un parallèle avec la question de la vaccination contre la Covid-19. La question de l'accès à la vaccination gratuite a été réglée rapidement par le gouvernement ; mais nous nous retrouvons quand même face à des limites et des problèmes, et nous devons travailler pour permettre aux personnes d'y accéder.
Je suis ravie de vous accueillir. De nombreuses personnes travaillent avec vous pour que tout se passe bien. Je leur adresse tout mon soutien. J'étais vendredi dernier avec vos collègues. J'ai traversé la frontière franco-italienne et j'ai constaté de mes propres yeux que des mineurs non accompagnés sont refoulés de l'autre côté de la frontière. L'immigration devient un problème quand on ne la gère pas et qu'on ne l'envisage que par le prisme sécuritaire.
Nous avons identifié dès le départ la rupture intervenue en 2007 : avant 2007, l'immigration était une compétence partagée entre plusieurs ministères. Ce sujet appelle à échanger avec des médecins, des diplomates, avec le ministère du travail, avec le ministère du logement. La France a les moyens de mettre de l'interministériel dans un sujet aussi important que celui-ci. En tant que rapporteur, je défends l'inscription de l'immigration dans une logique interdisciplinaire. L'emprise du ministère de l'intérieur sur l'immigration est l'une des causes à la racine de la situation actuelle. Il me semble important de vous dire à quel point je suis alignée avec votre vision des choses. L'immigration devient un problème seulement à partir du moment où elle n'est pas gérée.
J'aimerais aborder avec vous le sujet des campements. La circulaire du 25 janvier 2018 visant à donner une nouvelle impulsion à la résorption des campements illicites et des bidonvilles indique que l'intervention de l'État dans un bidonville doit être accompagnée par les ARS. Dans quelle mesure le concours des ARS mentionné dans les circulaires s'organise-t-il effectivement sur le terrain ? L'État est-il accompagné par des professionnels de santé lorsqu'il évacue un camp ?
Vous avez rapidement mentionné le cas de Mayotte et des mineurs non accompagnés. Beaucoup de députés de cette commission d'enquête se sont rendus à Mayotte. Nous ne pouvons plus accepter que des enfants soient retenus et enfermés.
Je souhaite revenir sur l'interprétariat qui est une difficulté importante. Je regrette que nous n'arrivions pas à mettre en place des documents standards entre les différentes administrations. Il semblerait que les passeurs y arrivent mieux que nous. Cela m'interpelle quant à notre capacité à pouvoir avoir une force de frappe politique. Un travail important est nécessaire à ce sujet.
Pour finir, je rejoins vos remarques sur la complexité des différents dispositifs, AME, Puma, CSS, etc. Je comprends qu'en interne, les acteurs travaillent entre eux, toutefois les utilisateurs ont besoin de guichets uniques.
Je connais parfaitement la question des mineurs non accompagnés. J'ai créé à Nantes un programme d'accompagnement aux soins des mineurs non accompagnés. Cette question est extrêmement compliquée. C'est un enjeu fort pour tous les mineurs non reconnus mineurs sur des critères subjectifs et aléatoires. Ils se retrouvent à la rue et ne rentrent dans aucune case. Ils ne sont ni mineurs ni majeurs. Tout repose donc pour eux sur la solidarité.
Vous avez relié la question des mineurs à la question des outre-mer. De nombreux régimes dérogatoires existent et nous constatons un manque de places d'hébergement. Même pour le dispositif national d'accueil (DNA) ou pour l'allocation pour demandeur d'asile (ADA), la question des outre-mer est constamment traitée à part. Tout y est dérogatoire. Ici, l'on ne respecte pas le droit des personnes – en tout cas, pas de toutes. Certaines personnes sont hébergées, certaines personnes sont accompagnées vers le soin, certains dispositifs fonctionnent ; mais cela est loin d'être le cas pour tout le monde. 50 % des demandeurs d'asile sont à la rue. Ce chiffre est pour moi totalement inadmissible. Les campements proviennent également tout simplement du non hébergement des demandeurs d'asile.
Nous avons l'habitude de dire à Médecins du monde qu'il n'y a pas de crise migratoire mais qu'il y a une crise de l'accueil et de la solidarité. Il y a eu effectivement un pic d'arrivée migratoire en 2015 et 2016, mais à cette époque il s'est particulièrement dirigé vers l'Allemagne. Entre 2015 et 2016, les Allemands ont accordé le statut de réfugié à 600 000 personnes, alors que nous l'avons accordé à 60 000 personnes. Les Allemands font dix fois mieux que nous.
Je répondrai à votre question sur la résorption des campements. Les ARS peuvent parfois être présentes. Mais est-ce les ARS ou les préfectures qui sont en première ligne ? Quand on démantèle un campement, on ne fait qu'expulser des gens du dehors – c'est un concept assez incroyable. Parfois, ils sont logés ou relogés, mais cela est souvent pour une durée de trois jours, après lesquels ils se retrouvent à nouveau à la rue. Il existe un décalage entre les textes et les faits. Nous sommes soi-disant en France le pays des droits de l'homme et nous avons soi-disant le meilleur système de santé au monde. Dans les faits, les conditions de vie des personnes sont vraiment différentes.
Les campements rassemblent des demandeurs d'asile, des personnes qui doivent rentrer bientôt dans la procédure d'asile et des réfugiés statutaires. À Paris, selon les chiffres de la préfecture, environ 15 % des personnes présentes dans les campements avaient le statut de réfugié et étaient également à la rue. Cela nous amène aux déterminants de santé : l'hébergement est fondamental parmi les déterminants de santé.
Je balayerai un rapide historique des campements en Île-de-France. L'on a laissé se développer des grands campements à Paris d'abord, puis progressivement en périphérie de Paris. Le dernier était situé à Saint-Denis près du stade de France et rassemblait plus de 2 300 personnes. Une mise à l'abri intervient et laisse sur le carreau 600 personnes. Certains en viennent à errer sans pouvoir s'établir et subissent une pression policière. Cela a donné lieu à une mobilisation place de la République pour les rendre visibles. Il était fondamental de le faire. Cela a permis de débloquer la situation et de trouver des places d'hébergement assez rapidement et a conduit la préfecture et le ministère de l'intérieur à changer de doctrine sur les mises à l'abri ; la doctrine est maintenant plus réactive.
Moins de campements se développent désormais, mais il y aura toujours des micro-campements, des tentes ici ou là. Ces personnes, en Île-de-France, vivent désormais beaucoup en squats – c'est toujours le cas de 600 à 800 personnes. Elles ne sont plus dans l'espace public, mais elles sont toujours là et les problèmes ne sont pas réglés. Il faut aller voir à Saint-Denis comment se font les choses.
Vous avez rappelé des éléments essentiels sur l'accès à l'interprétariat et la médiation sanitaire. Je suis médecin généraliste à Nantes et je reçois chaque jour des personnes arabophones qui peuvent vivre à la rue. Un système a été mis en place pour rendre l'interprétariat téléphonique accessible aux médecins généralistes. Il est essentiel que des budgets soient alloués à l'interprétation et à la médiation sanitaire. C'est aussi ce qui permet de désengorger les hôpitaux.
Les permanences d'accès aux soins de santé (PASS) sont des unités intra hospitalières dédiées aux personnes précaires en France. En pratique, les ultra précaires en France sont des étrangers migrants, soit déboutés soit demandeurs d'asile. Il ne peut pas y avoir un système public de santé pour les Français et un système de santé pour les étrangers qui n'ont pas les moyens, qui serait constitué par les PASS ou par les associations qui deviendraient les soignants des migrants. Cela n'a pas de sens. On n'aura jamais les épaules pour cela. Il faut que tout le monde puisse accéder aux soins. Je remarque chaque jour à mon cabinet que plus l'on accompagne les personnes vers le droit commun, plus elles s'emparent du français, de nos codes et plus vite elles deviennent autonomes.
C'est là que se joue la notion d'accompagnement. Quand l'on accompagne les personnes, l'on fait gagner du temps à tout le monde. Cela permet aux médecins de dégager du temps pour soigner et aux personnes de progresser et de s'autonomiser.
S'agissant des documents, Santé Publique France propose un certain nombre de documents dans de nombreuses langues. Il s'agit de documents homogènes avec des contenus que nous pouvons utiliser.
Mes équipes m'ont signalé que l'une des difficultés de l'entretien en guichet unique de demande d'asile (GUDA) est la charge d'information. L'on « balance » aux personnes beaucoup d'informations. Il faut tout d'abord que ces informations soient disponibles dans leurs langues ; puis il faut que les personnes puissent mobiliser leur attention, alors que ce n'est pas forcément le moment où elles sont le plus disponibles. Ainsi, nous réfléchissons à l'utilisation de supports facilitants, comme des vidéos de prévention en motion design. Il serait aussi nécessaire de se donner un peu de temps pour que les personnes puissent ingérer l'information ; mais le processus de demande d'asile est par définition très rythmé.
Vous avez relevé la question de Mayotte. L'on pourrait également souligner celle de la Guyane. Quelques tensions existent également dans les Antilles. Vous savez sûrement que l'on a peu accès à des informations sur ces réalités si l'on n'est pas présent dans les territoires. La mise en place de ce régime dérogatoire – qui veut qu'être exilé en outre-mer n'ouvre pas les mêmes droits qu'en métropole – reste un sujet. Je ne rentre pas dans les détails de la situation à Mayotte car cela serait très long. La situation sur l'île reste toujours et perpétuellement très tendue. Les communautés sur l'île gèrent la situation comme elles le peuvent, ce qui ne donne pas toujours lieu aux meilleures décisions d'un point de vue humain. Il y aurait un intérêt à pouvoir apporter collectivement des réponses à ces enjeux.
S'agissant des mineurs non accompagnés, il y aurait là aussi beaucoup à dire sur l'ensemble du parcours d'accompagnement public, de l'évaluation à la prise en charge par l'aide sociale à l'enfance. Mes collègues me remontaient de très graves difficultés pour accéder à la complémentaire santé, qui doit normalement être systématisée. Et ces situations concernent pourtant des enfants reconnus mineurs et protégés. Un groupe de travail a été mis en place au niveau de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) pour travailler sur un référentiel à ce sujet.
Médecins du monde a bien posé la question des mineurs qui ne sont pas reconnus comme mineurs par l'aide sociale à l'enfance et qui forment un recours devant le juge des enfants. Nous sommes face à une zone de non prise en charge des droits.
De notre expérience, se pose également la question de la sortie de l'évaluation pour les personnes reconnues majeures qui ne contestent pas cette évaluation. Cette sortie ne s'articule pas avec une prise en charge par le dispositif national d'accueil. En particulier, il n'y a pas de prise en compte du travail fait dans le cadre de l'évaluation sur la reconnaissance des vulnérabilités. Les personnes sont alors amenées à trouver des réponses dans le réseau associatif. Il y aurait des éléments de cohérence à trouver à ce sujet.
Je reviendrai enfin sur le cas des personnes qui ont vécu des situations de violence dans leur parcours d'exil. Il peut s'agir de personnes ayant été victimes de traite des êtres humains ou de personnes LGBT ayant subi des violences. Des éléments présents dans le plan vulnérabilités de la direction générale des étrangers en France (DGEF) permettront de mieux prendre en compte ces dimensions, mais nous en sommes vraiment aux prémices. Il faut se demander comment articuler tous ces éléments pour que l'ensemble des repérages effectués permette d'accéder aux soins et aux dispositifs le plus rapidement possible.
L'on évoque très régulièrement Mayotte en indiquant que la situation y est déplorable. Je crois tout de même que cela mérite que l'on s'y arrête. Sur de nombreux sujets, le pire du pire se trouve souvent à Mayotte. Est-ce également le cas pour les questions de santé ? Cette situation est tout à fait inacceptable sachant que Mayotte est un territoire de la République.
J'aimerais également recueillir des éléments de votre part sur l'application de la circulaire de janvier 2018 sur la résorption des campements illicites et des bidonvilles. Quelles sont les remontées de terrain dont vous disposez à ce sujet ? Le fonctionnement est-il partout identique ou la situation est-elle meilleure à certains endroits ?
J'ai suivi l'expulsion d'un squat à Blagnac, à côté de Toulouse, il y a quelques semaines. La circulaire n'y a pas été respectée à la lettre. La circulaire prévoit de conduire un diagnostic : essayer d'évaluer les situations, avec toutes les difficultés que cela pose, et procéder à un bilan social et de santé des gens présents dans le squat lors de l'évacuation. La Croix-Rouge a été mobilisée après l'évacuation, mais elle fournissait une assistance de base (café et nourriture). Constatez-vous une application stricto sensu de cette circulaire à certains endroits, qui serait permise par un vrai travail des services de l'État, de l'ARS et des associations ?
Cette question est très importante. Si l'on évacue les squats sans accompagnement et sans diagnostic, on déplace dans le temps et dans l'espace un problème sans le résoudre. Mon impression est que les acteurs se demandent à qui faire confiance. La délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal) est censée procéder à un premier recueil d'information. Mais les associations disent qu'elles n'ont pas confiance dans les services de l'État et donc ne lui communiquent pas les informations, et en retour l'État se plaint que les associations ne jouent pas le jeu. Nous sommes face à un vrai sujet, qui n'est pas un sujet financier : les acteurs sur le terrain arrivent-ils chacun à produire le meilleur d'eux-mêmes pour arriver à une situation décente pour les personnes ? Avez-vous connaissance d'endroits où cela se passerait bien ? Si vous ne disposez pas de ces éléments à ce jour, vous pourrez nous transmettre une réponse écrite a posteriori.
Je peux prendre l'exemple de Nantes. Il y a deux ans, un campement de 700 personnes était installé en plein centre-ville de Nantes. La majorité des personnes y vivant était demandeurs d'asile non hébergés ; environ 20 % étaient réfugiés et certains étaient déboutés. Il existe certains territoires en France où les associations et collectifs se mobilisent et cela crée ce que nous appelons des coalitions de cause commune. Ce campement en plein centre-ville était tellement visible qu'il a été évacué. La mairie s'est occupée de mettre à l'abri dans des gymnases les 700 personnes qui y vivaient. Puisqu'elles étaient quasiment toutes demandeuses d'asile, la mairie estimait que leur mise à l'abri et relogement relevait des compétences de l'État et a tenté à plusieurs reprises de « présenter la facture » à l'État du système d'hébergement mis en place. À Nantes, la mobilisation a été telle que le 1 % logement a été voté à l'échelle de la communauté de communes : cela signifie qu'1 % du budget de la métropole sera dédié à l'hébergement des personnes dans une logique d'inconditionnalité. Ce qui est très complexe à comprendre, c'est que l'inconditionnalité n'est plus respectée du tout. L'État demande actuellement à ses opérateurs de lister les statuts des personnes ; les opérateurs sont vent debout contre cette demande.
Il y a aussi certains endroits où la situation est absolument terrible. Je ne vous raconterai pas Calais, où les gens sont expulsés tous les deux jours et les tentes sont détruites. Cela est absolument indigne d'une démocratie comme la nôtre. Je partage absolument votre avis sur Mayotte. Comment cela est-il encore aussi possible à Calais et à la frontière italienne ? Cela est inouï.
S'agissant de Mayotte, la situation y est très grave. Il y a beaucoup d'habitats informels à Mayotte. La volonté actuelle du préfet est de détruire au maximum l'habitat précaire sans proposer de solution de relogement. Il s'agit d'un cas de non respect des conventions internationales. La France est signataire de la convention de Genève sur les droits des demandeurs d'asile ainsi que de la convention internationale des droits de l'enfant. La France est régulièrement condamnée car des enfants se retrouvent enfermés – nous totalisons à ce jour huit condamnations. L'on ne peut même pas décrire ce qui se passe pour l'enfance à Mayotte. Nous sommes en totale contradiction avec la convention internationale des droits de l'enfant que nous nous sommes engagés à respecter. Tout cela va de pair avec l'accès à la santé. L'offre de soins à Mayotte et en Guyane est de toute façon bien moindre qu'en métropole. Il existe un vrai sujet autour de la logique de territoire d'exception à Mayotte et en Guyane. L'outre-mer, c'est la France et les mêmes droits devraient s'y appliquer. Il faudrait que l'on respecte réellement les droits humains fondamentaux partout sur notre territoire et toutes les conventions internationales dont nous sommes signataires. Nous en sommes loin.
Je ne dispose que d'exemples très épars sur les campements. Vous l'avez dit, les modalités d'intervention peuvent différer selon les territoires. En Île-de-France, l'intervention des équipes mobiles permet de procéder à des bilans de santé avant les évacuations. Nous n'intervenons pas au moment de l'évacuation mais nous pouvons intervenir après l'évacuation en tant qu'opérateur.
Je reviendrai sur le cas de Mayotte. Je suis également délégué national enfants et familles. J'ai assisté, pour la première fois de ma vie, à une distribution alimentaire sur le territoire français car nous avions des enfants malnutris. Nous distribuons des substituts alimentaires sur le territoire français – voilà la réalité à Mayotte. La question de l'accès à l'eau se pose également. Nous mettons en place des bornes monétiques pour que les personnes puissent avoir accès à une fontaine. Je n'ai pas besoin de détailler les impacts que cette situation peut avoir sur la santé et l'hygiène. Nous mettons en place plusieurs actions en matière de santé communautaire. Je pourrai vous envoyer des éléments très complets sur ce qu'observent et mettent en place les équipes à Mayotte en la matière.
Comme il y a besoin de tout à Mayotte, nous sommes pris par l'envie de mettre beaucoup de choses en place et en même temps, nous faisons face à un grand vide car nous ne savons pas comment prioriser. La situation nécessiterait de faire un point sur chacune de ces zones dérogatoires. Nous sommes un opérateur assez important sur ces questions car peu d'autres interviennent. Ce que nous observons est toujours particulièrement préoccupant.
Il existe en effet la France hexagonale et la France de l'outre-mer, et en particulier Mayotte. C'est un territoire d'exception. L'AME ne s'applique pas à Mayotte. Nous vous fournirons une note, réalisée avec nos collègues de la Cimade, sur la situation à Mayotte et en Guyane. Cela se fait dans le cadre de notre coalition avec la Cimade, le Secours catholique – Caritas France, Amnesty International France et Médecins sans frontières.
Merci pour vos retours. Je retiens un point très important : le manque d'harmonisation. Il existe partout : entre les départements, les institutions, les associations, les scientifiques.
Le préfet des Hauts-de-France explique qu'il suit des objectifs de lutte contre le trafic humain, contre la prostitution, contre les passeurs. Ces objectifs sont louables. Pour lui, empêcher l'installation d'un campement revient à empêcher l'installation d'un réseau de passeurs. Ce sont ses arguments mais il y a des arguments en face.
Depuis 2007, l'immigration est devenue un visage du ministère de l'intérieur. Nous en saisissons toutes les conséquences et toutes les défaillances aujourd'hui. Je rejoins vos analyses. À Grande-Synthe par exemple, le maire a essayé d'être à l'écoute, de coordonner, de jouer le rôle d'une cellule d'organisation et d'accompagner au maximum les gens vers les soins, l'éducation, la reconnaissance de leurs droits. Je constate un avant et un après le changement politique. J'en reviens à ce problème d'harmonisation et de travail entre les différentes institutions.
Je me suis rendue à Mayotte et j'ai rencontré le proviseur du collège de Doujani. À Doujani, la soupe populaire offre le petit-déjeuner aux élèves le matin. Cela existe aujourd'hui en France. Des enfants, des mineurs, des jeunes gens se trouvent en classe et n'ont pas de chaussures. Bien évidemment, j'ai visité le centre de rétention, j'ai rencontré toutes les instances étatiques et religieuses. Mayotte, c'est l'enfer sur terre. L'on parle de Mayotte comme l'on parle de Calais, d'ailleurs. Nous sommes là pour trouver des solutions à des sujets qui fâchent. Le Covid a révélé la gravité de la situation qui existait déjà. Les avancées sont insuffisantes pour permettre un accès digne au droit et à la santé, en particulier pour les migrants.
Je prends note des paroles de messieurs Véran et Mesnier ; merci de nous les avoir rappelées. Nous les prendrons en compte. Il est important de rappeler les engagements pris. Je trouve leurs deux propositions très intéressantes et il faut qu'elles puissent voir le jour.
Je remercie toutes les personnes qui travaillent avec vous, et qui vous aident à être devant nous aujourd'hui avec autant d'enthousiasme malgré les difficultés.
Le rapport 2020 des associations sur les centres et locaux de rétention administrative a été publié hier. Il y est justement question de Mayotte ainsi que des mineurs isolés. Le chemin est encore long avant d'arriver à ce que les droits fondamentaux et les engagements internationaux de la France soient respectés. La politique migratoire française n'est pas une politique réellement appréhendée dans toutes ses dimensions. La vie des individus dans une situation difficile relève évidemment de bien plus d'aspects que d'une seule question administrative gérée par le ministère de l'intérieur.
Je vous remercie ainsi que vos équipes. Nous voyons à quel point beaucoup de gens attachent une importance considérable à la dignité humaine des personnes étrangères. Malheureusement, cela n'est pas relayé par les politiques français. Il faut trouver collectivement un chemin vers une politique migratoire effective. Nous comprenons bien que le phénomène est lié à des tenants européens et internationaux qu'il faut également intégrer dans la réflexion.
La réunion se termine à dix-huit heures et cinquante minutes.