Le taux de femmes migrantes s'établit à 51 % et ne cesse d'augmenter en raison de mécanismes "genrés" d'auto-invisibilisation des femmes. Cela signifie qu'elles peuvent avoir tendance à s'isoler.
La préconisation de la CNCDH nous semble judicieuse. L'articulation entre l'identification préalable et l'identification formelle est très importante. De nombreuses personnes échappent sur le terrain à l'identification formelle, parce qu'elles ne souhaitent pas prendre le risque de coopérer. Nous sommes également confrontés au manque de moyens. Il y a quelques années, en Italie, la prévention de la traite se limitait à un numéro vert donné aux femmes sur un papier. Bien souvent, personne ne répondait au téléphone faute d'effectifs suffisants. L'identification des victimes de traite est très complexe. Bien souvent, il n'y a pas de traducteur ni de locaux dédiés aux femmes. Il faudrait pouvoir les observer sur la durée et les interroger. J'ai pu observer au cours de mes enquêtes que la peur de voir ces femmes retomber entre les mains des trafiquants conduit à les isoler encore davantage. Faute de moyens suffisants pour lutter contre la traite, on peut en venir à prendre des décisions réduisant l'autonomie des femmes. Dans certains cas, on leur refusait l'accès à internet, car elles pouvaient y rencontrer des trafiquants. Dans d'autres cas, et pour la même raison, on leur refusait de sortir le soir. Nous défendons également l'application absolue du principe de non-sanction. De nombreuses femmes venant en commissariat dénoncer ce dont elles ont été victimes se retrouvaient expulsées. Les recommandations de la CNCDH pourraient faire évoluer la situation sur ce point.
Certaines femmes sont victimes de traite dès le départ, notamment les Nigérianes, dont la situation est maintenant bien connue. Certaines tombent dans des réseaux de traite en route, notamment pour financer leur voyage. Se pose également la question de la prostitution, distincte de celle de la traite. Elle peut parfois apparaître comme l'unique moyen de subsistance pour certaines femmes. Enfin, il faut tenir compte des « zones grises ». Certaines situations, quoique problématiques, ne peuvent être nécessairement assimilées à de la prostitution.
S'agissant des femmes qui arrivent enceintes aux frontières de l'Europe, le principal problème est qu'aucune prise en charge n'est assurée. Elles n'ont accès ni à l'IVG ni aux soins de santé sexuelle et reproductive liés à la grossesse. Rien n'est prévu, que ce soit sur le plan de la santé ou de l'accompagnement. Les associations doivent négocier au cas par cas pour obtenir l'accès à un médecin ou à un hôpital. Les obstacles peuvent être également liés aux politiques locales. En Italie, par exemple, l'accès à l'IVG n'est pas simple.
Les questions concernant les bénéfices de la prise en charge de la santé d'une part, et la voie économique légale d'autre part, sont fondamentales. Je sais qu'il est tabou de parler de migration économique légale, que cela va à l'encontre de la façon dont on pense les choses, mais j'invite à lire sur ce point les économistes et les démographes. L'impact économique de la migration est globalement positif pour les sociétés d'accueil. L'enjeu de la santé est collectif : plus une personne se porte mal, plus les personnes qui l'entourent risquent de mal se porter.
Les femmes arrivent avec leurs compétences. Je raconte dans mon livre l'histoire d'une migrante camerounaise pour qui l'aide d'une bénévole de la CIMADE fut déterminante. Elle lui a permis d'accéder à des papiers, alors qu'en dépit d'une situation particulièrement grave, elle ne pouvait les obtenir. Cela lui a permis de travailler. Elle exerce dans une maison de retraite et fournit de l'aide à domicile pour les personnes âgées. Dans un certain nombre de secteurs, le besoin en main-d'œuvre immigrée est énorme. Nous mesurons encore mal, dans nos économies de services, l'importance des femmes dans l'aide aux personnes et les soins aux individus plus âgés. Il convient d'étudier ces aspects afin de bien appréhender la dimension économique de la migration. Enfin, l'intégration linguistique est un enjeu très important. L'incapacité de s'exprimer dans la langue du pays d'accueil est la principale raison pour laquelle de nombreuses femmes quittent l'Europe du Sud.