Intervention de Claudie Lesselier

Réunion du mercredi 1er septembre 2021 à 17h25
Commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la france

Claudie Lesselier, réseau pour l'autonomie des femmes immigrées et réfugiées :

Je vous remercie de votre invitation et je crois que le travail de cette commission pourrait être très utile.

Comme d'autres intervenants, j'ai reçu des observations très critiques concernant le traitement social et administratif réservé aux personnes étrangères en France. De manière générale, nous pouvons noter un écart important entre les principes de respect des droits humains fondamentaux affirmés dans les lois et les pratiques réelles. Par exemple, s'agissant du traitement des demandes de séjour des femmes victimes de violence, l'écart est énorme entre ce qui est inscrit dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers (CESEDA) et la réalité. Il en va de même de la reconnaissance des persécutions liées au genre dans le cadre du droit d'asile. D'un point de vue pratique, nous sommes confrontés en tant qu'association à des situations kafkaïennes au quotidien. Les interactions avec les administrations, notamment préfectorales, en matière de droit au séjour sont très difficiles. D'une préfecture à l'autre, on observe des incohérences, des erreurs, des délais extrêmement longs et des modifications de procédure en cours de route. Par exemple, le ministère de l'Intérieur avait mis en place un dispositif facilitant l'accès à la naturalisation des personnes d'origine étrangère qui avaient travaillé en première ligne face à la pandémie de COVID. Ce dispositif devait demeurer en vigueur jusqu'au 15 septembre 2021. Or, le 13 juillet, il était annoncé sur le site internet du ministère qu'il serait clos au 15 juillet, c'est-à-dire deux mois plus tôt, et sans que personne n'en fût averti. Cette modification a bien entendu bloqué un certain nombre de personnes qui préparaient leur dossier de naturalisation et comptaient bénéficier du dispositif.

Nous observons par ailleurs de nombreuses pratiques qui s'avèrent dissuasives et transforment les démarches, notamment les demandes de séjour, en parcours d'obstacles. Par exemple, il est pratiquement impossible de prendre rendez-vous dans les préfectures suite à la dématérialisation du processus.

Un autre problème est le sous-dimensionnement des dispositifs d'accueil. S'agissant des demandeurs d'asile, pour qui l'hébergement est de droit, cette situation est inacceptable : ils se retrouvent à la rue ou dans des hôtels précaires. Ces dysfonctionnements et dénis de droits entraînent de graves conséquences pour les femmes concernées. Elles deviennent plus vulnérables à des violences sexistes et sexuelles.

Il serait très difficile de tracer un panorama complet des femmes migrantes, car l'immigration prend les formes les plus diverses. Elle s'étend des étudiants et scientifiques à l'immigration familiale, particulièrement importante chez les femmes, puis à l'asile. Les catégories statistiques sont discutables d'un point de vue à la fois scientifique et politique, mais elles permettent de préciser la situation. Les statistiques du ministère de l'Intérieur se fondent sur l'application de gestion des titres de séjour. Elles indiquent que 260 000 premiers titres de séjour ont été délivrés en 2018, dont 49 % à des femmes, mais celles-ci représentent 60 % des personnes recevant un premier titre de séjour pour raison familiale. Les femmes représentent 51 % des premiers titres de séjour des étudiants. La proportion de demandeurs d'asile femmes est de 34 à 35 % selon les années. Enfin, les femmes reconnues réfugiées ou protégées subsidiaires représentent 40 % de la population ayant reçu une protection internationale. Nous avons surtout évoqué jusqu'à présent les migrations dites « irrégulières », et de fait, nous en rencontrons beaucoup, mais une bonne partie des personnes immigrent en France par des voies régulières. Cela ne veut pas dire que les femmes ne subissent pas de situation problématique, notamment dans le cadre de l'immigration familiale. Il s'agit d'une situation de dépendance, le titre séjour ne se prolongeant que si la vie commune du couple perdure.

Je ne reviens pas sur les motifs de fuite des femmes sans papiers, largement évoqués lors de la précédente table ronde. Il s'agit de situations terribles sur les plans économique, politique et familial. En France, les sans-papiers se trouvent souvent en situation d'extrême précarité et courent des risques importants de violence, que ce soit dans le couple, dans la rue, dans les squats ou dans le cadre de la prostitution. Le code de l'entrée et du séjour des étrangers comporte des dispositions sur le droit des femmes victimes de violence. Elles concernent les femmes conjointes de français ou venues par le regroupement familial, qui ont droit à des titres de séjour. Elles concernent également les victimes de traite qui déposent plainte et les bénéficiaires d'une ordonnance de protection dont la situation de danger grave et imminent a été reconnue. D'après la loi, ces femmes doivent se voir délivrer ou renouveler leur titre de séjour. En réalité, leurs demandes font l'objet d'une suspicion de fraude généralisée et d'un déni de la réalité des violences qu'elles déclarent, en particulier les violences d'ordre psychologique ou le chantage aux papiers. De fait, le titre de séjour n'est renouvelé que si la plainte portée par la victime est corroborée par des documents médicaux indéniables ou une condamnation du conjoint. Une plainte classée sans suite, comme le sont de très nombreuses plaintes pour violence conjugale, est considérée par les préfectures comme insuffisante pour établir les violences.

Les décisions d'accorder une ordonnance de protection sont peu nombreuses par rapport aux demandes et les femmes victimes ne sont pas durablement protégées. Le titre de séjour n'est délivré que pendant la durée de l'ordonnance ou de la procédure pénale. La personne n'obtient un titre de séjour durable que si l'auteur des violences est condamné. Il en va de même des victimes de traite et de proxénétisme qui portent plainte. Le nombre de titres de séjours délivrés sur la base de ces dispositifs est extrêmement réduit. Ces limitations posent le problème du traitement pénal des violences contre les femmes. Très peu de conjoints agresseurs et de proxénètes sont condamnés au quotidien. En somme, ces dispositifs, obtenus par la mobilisation des associations il y a plus de quinze ans, connaissent d'importants problèmes de fonctionnement aujourd'hui.

Par ailleurs, toutes les victimes de violences ne sont pas éligibles à une ordonnance de protection. Toutes les femmes ne sont pas des conjointes de Français ou des conjointes entrées sur le territoire par le regroupement familial. Dans ces cas, aucune disposition n'existe dans le CESEDA et le dépôt d'une plainte ne permet pas de régulariser la situation. À notre connaissance, les dispositions sur l'admission exceptionnelle au séjour ne prennent que très rarement en compte les situations de violence. En général, l'admission exceptionnelle au séjour est déterminée par les liens personnels et familiaux d'une part, et par le travail d'autre part. La lutte de ces femmes contre les violences est encore compliquée par la difficulté de porter plainte. Certes, elles en ont le droit, mais elles risquent d'être interpellées si elles se trouvent en situation irrégulière et elles n'ont pas accès à l'aide juridictionnelle pour un certain nombre de démarches nécessitant l'assistance d'un avocat. Si dans le cas d'une demande de divorce, l'aide juridictionnelle est de droit pour les personnes sans titre de séjour, elle ne l'est pas pour d'autres démarches.

Les traitements inhumains et dégradants liés au genre et à l'orientation sexuelle sont désormais explicitement reconnus pour l'obtention du droit d'asile, mais leur gravité est très souvent sous-estimée dans l'examen des dossiers. Au sein du RAJFIRE, nous réunissons les réponses aux demandes d'asile que nous aidons à présenter. Les motifs de refus sont le plus souvent rédigés de façon stéréotypée. Nous avons l'impression que ces demandes ne sont pas examinées de façon pertinente, alors même que l'office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) déclare que les officiers de protection sont bien formés et qu'il existe des référents en matière de violences infligées aux femmes. Nous observons une fois encore un écart très net entre les ambitions et principes affichés et la réalité.

Enfin, les dispositifs d'hébergement pour les demandeurs d'asile sont tout à fait insuffisants en Ile-de-France. De manière générale, nous jugeons inacceptable que des personnes qui demandent l'asile aient dû risquer leur vie dans des voyages extrêmement dangereux. Il convient de réfléchir à des possibilités de voies d'accès légales et sûres au territoire français pour les personnes persécutées et menacées, et pas seulement en raison de guerres ou de crises particulièrement graves.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.