La réunion débute à dix-sept heures vingt cinq.
En préambule, je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(Mme Frédérique Martz, M. Pierre Foldes et Mme Claudie Lesselier prêtent serment.)
Nous sommes heureux de pouvoir parler ici de la migration, et plus particulièrement des femmes migrantes victimes de violence. Selon notre expérience, les femmes migrantes demandeuses d'assistance se trouvent dans une situation particulière, liée à la superposition du déracinement, de la perte des repères et des violences qu'elles ont subies. Les femmes migrantes sont plus sujettes à la violence que la moyenne des femmes, sachant qu'en moyenne, 3,8 femmes sur 10 sont confrontées à une situation de violence dans leur vie, quels que soient le pays et la condition sociale. Les femmes migrantes sont confrontées à plusieurs formes de violence, tant par leur nature – sociale, ethnique, intrafamiliale – que dans leur temporalité. Elles peuvent en effet avoir subi des violences dans leur pays d'origine, au cours du processus migratoire et dans le pays d'accueil. Certaines violences sont parfois difficiles à détecter pour les professionnels en France. Des violences sont liées au sol, ce sont les violences dites « importées » qu'on connaît mal. Nous sommes confrontés à des historiques complexes, où il manque souvent des antécédents majeurs permettant une prise en charge d'emblée adaptée. La connaissance du contexte ethnique et de l'histoire familiale peut être insuffisante.
Au-delà de leur situation personnelle, les femmes doivent porter assistance aux enfants. Depuis plus de quatre ans maintenant, l'institut étend ses missions aux enfants. Il prend en charge toute forme de violence, sachant que les femmes en subissent souvent des formes multiples. L'offre pluridisciplinaire et globale de l'institut est particulièrement adaptée à des personnes déracinées, privées de tout lien social, de leurs repères ethniques habituels et sans recours immédiat. L'institut propose une offre de prise en charge des enfants, conjointement ou séparément, par des équipes spécialisées. Il détient une compétence particulière et spécifique dans le domaine des violences sexuelles, criminelles et des mutilations sexuelles féminines. Le point fort du dispositif est son adaptabilité à toute forme de situation. Il peut notamment proposer plusieurs consultations dans une même journée et dans des domaines variés comme la médecine, le droit et la santé mentale. L'action de l'institut repose sur un réseau de partenaires expérimentés dans la prise en charge des migrants. Elle repose également sur la capacité de traitement de groupes, ainsi que sur la création et la mise en relation de collectifs communautaires.
Des difficultés sont survenues en raison de la modification de la législation en matière d'asile, qui a induit un surcroît de complexité dans plusieurs domaines. Nous observons en outre une multiplicité d'acteurs ayant des niveaux d'engagement et d'information différents. Les problèmes proviennent également de l'absence d'une véritable carte sanitaire permettant de mettre en évidence les pathologies parasitaires, transmissibles, voire les maladies chroniques. Le carnet de santé devrait être obligatoire, mais il n'est pas international.
Il est par ailleurs difficile d'obtenir un accompagnement par un professionnel habilité à parler au nom des personnes en leur présence. Une autre difficulté notoire est l'invisibilité des enfants accompagnants, qui ont cependant de nombreux problèmes.
Enfin, il est indispensable de prendre en charge les violences subies dans le pays d'origine. Les femmes migrantes représentent 3 % de la population totale accueillie par an. Elles sont polytraumatisées, d'où la nécessité d'une prise en charge longue et pluridisciplinaire. Aujourd'hui, le contexte social et sanitaire français nous oblige à réduire le temps de prise en charge à deux mois maximum.
Vous nous avez interrogés sur la préconisation par la commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) de créer en France un véritable mécanisme national pour la détection, l'identification, l'orientation et l'accompagnement des victimes de traite présumées ou avérées. Nous saluons les initiatives actuelles de mise en commun des informations et la perspective d'une meilleure coordination comme allant dans le bon sens et elles emportent notre complète adhésion. Nous devons pouvoir continuer à travailler en commun. Enfin, nous sommes favorables à ce que le genre soit plus spécifiquement pris en charge lors de l'examen de la demande de régularisation d'asile de la personne migrante. Les femmes migrantes, en raison de leur grande vulnérabilité et de leur lien essentiel avec l'enfant, requièrent plus que toute autre catégorie déplacée une assistance spécifique. Le genre doit bien évidemment être pris en compte. Le mécanisme de référence doit prendre en charge l'approche globale de la façon la plus simple pour ces femmes et pour les enfants.
Je souhaiterais insister sur la notion de carte sanitaire. Notre plus grande difficulté est d'identifier chez les migrantes les pathologies qui n'ont pas été déclarées. L'état de santé d'une femme arrivant sur le territoire français n'est établi que de façon déclarative. Or, ces femmes sont souvent en mauvaise santé. Des examens complémentaires permettraient de préciser leur situation. À cela s'ajoute la violence institutionnelle liée à des hébergements précaires, dans lesquels les femmes accueillies demeurent souvent trop longtemps. S'agissant des enfants, leur intégration trop lente sur le territoire français, notamment en contexte scolaire, les rend vulnérables. Laisser trop longtemps des adolescents dans un espace où ils ne se sentent pas intégrés socialement ou institutionnellement peut les conduire à l'inactivité intellectuelle ou même à la délinquance. Par exemple, une femme venue avec deux enfants adolescents a vu leur situation se dégrader faute d'insertion.
De nombreuses femmes sont passées par l'Italie durant leur parcours migratoire. En ce cas, il est difficile de les intégrer sur le territoire français, car elles ont déjà une carte d'un pays européen. Une première étape éventuellement effectuée dans un autre pays européen représente une complexité supplémentaire que nous devons traiter. Il est important de signaler ce problème dans le cadre de la coopération bilatérale avec les autres pays.
Je vous remercie de votre invitation et je crois que le travail de cette commission pourrait être très utile.
Comme d'autres intervenants, j'ai reçu des observations très critiques concernant le traitement social et administratif réservé aux personnes étrangères en France. De manière générale, nous pouvons noter un écart important entre les principes de respect des droits humains fondamentaux affirmés dans les lois et les pratiques réelles. Par exemple, s'agissant du traitement des demandes de séjour des femmes victimes de violence, l'écart est énorme entre ce qui est inscrit dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers (CESEDA) et la réalité. Il en va de même de la reconnaissance des persécutions liées au genre dans le cadre du droit d'asile. D'un point de vue pratique, nous sommes confrontés en tant qu'association à des situations kafkaïennes au quotidien. Les interactions avec les administrations, notamment préfectorales, en matière de droit au séjour sont très difficiles. D'une préfecture à l'autre, on observe des incohérences, des erreurs, des délais extrêmement longs et des modifications de procédure en cours de route. Par exemple, le ministère de l'Intérieur avait mis en place un dispositif facilitant l'accès à la naturalisation des personnes d'origine étrangère qui avaient travaillé en première ligne face à la pandémie de COVID. Ce dispositif devait demeurer en vigueur jusqu'au 15 septembre 2021. Or, le 13 juillet, il était annoncé sur le site internet du ministère qu'il serait clos au 15 juillet, c'est-à-dire deux mois plus tôt, et sans que personne n'en fût averti. Cette modification a bien entendu bloqué un certain nombre de personnes qui préparaient leur dossier de naturalisation et comptaient bénéficier du dispositif.
Nous observons par ailleurs de nombreuses pratiques qui s'avèrent dissuasives et transforment les démarches, notamment les demandes de séjour, en parcours d'obstacles. Par exemple, il est pratiquement impossible de prendre rendez-vous dans les préfectures suite à la dématérialisation du processus.
Un autre problème est le sous-dimensionnement des dispositifs d'accueil. S'agissant des demandeurs d'asile, pour qui l'hébergement est de droit, cette situation est inacceptable : ils se retrouvent à la rue ou dans des hôtels précaires. Ces dysfonctionnements et dénis de droits entraînent de graves conséquences pour les femmes concernées. Elles deviennent plus vulnérables à des violences sexistes et sexuelles.
Il serait très difficile de tracer un panorama complet des femmes migrantes, car l'immigration prend les formes les plus diverses. Elle s'étend des étudiants et scientifiques à l'immigration familiale, particulièrement importante chez les femmes, puis à l'asile. Les catégories statistiques sont discutables d'un point de vue à la fois scientifique et politique, mais elles permettent de préciser la situation. Les statistiques du ministère de l'Intérieur se fondent sur l'application de gestion des titres de séjour. Elles indiquent que 260 000 premiers titres de séjour ont été délivrés en 2018, dont 49 % à des femmes, mais celles-ci représentent 60 % des personnes recevant un premier titre de séjour pour raison familiale. Les femmes représentent 51 % des premiers titres de séjour des étudiants. La proportion de demandeurs d'asile femmes est de 34 à 35 % selon les années. Enfin, les femmes reconnues réfugiées ou protégées subsidiaires représentent 40 % de la population ayant reçu une protection internationale. Nous avons surtout évoqué jusqu'à présent les migrations dites « irrégulières », et de fait, nous en rencontrons beaucoup, mais une bonne partie des personnes immigrent en France par des voies régulières. Cela ne veut pas dire que les femmes ne subissent pas de situation problématique, notamment dans le cadre de l'immigration familiale. Il s'agit d'une situation de dépendance, le titre séjour ne se prolongeant que si la vie commune du couple perdure.
Je ne reviens pas sur les motifs de fuite des femmes sans papiers, largement évoqués lors de la précédente table ronde. Il s'agit de situations terribles sur les plans économique, politique et familial. En France, les sans-papiers se trouvent souvent en situation d'extrême précarité et courent des risques importants de violence, que ce soit dans le couple, dans la rue, dans les squats ou dans le cadre de la prostitution. Le code de l'entrée et du séjour des étrangers comporte des dispositions sur le droit des femmes victimes de violence. Elles concernent les femmes conjointes de français ou venues par le regroupement familial, qui ont droit à des titres de séjour. Elles concernent également les victimes de traite qui déposent plainte et les bénéficiaires d'une ordonnance de protection dont la situation de danger grave et imminent a été reconnue. D'après la loi, ces femmes doivent se voir délivrer ou renouveler leur titre de séjour. En réalité, leurs demandes font l'objet d'une suspicion de fraude généralisée et d'un déni de la réalité des violences qu'elles déclarent, en particulier les violences d'ordre psychologique ou le chantage aux papiers. De fait, le titre de séjour n'est renouvelé que si la plainte portée par la victime est corroborée par des documents médicaux indéniables ou une condamnation du conjoint. Une plainte classée sans suite, comme le sont de très nombreuses plaintes pour violence conjugale, est considérée par les préfectures comme insuffisante pour établir les violences.
Les décisions d'accorder une ordonnance de protection sont peu nombreuses par rapport aux demandes et les femmes victimes ne sont pas durablement protégées. Le titre de séjour n'est délivré que pendant la durée de l'ordonnance ou de la procédure pénale. La personne n'obtient un titre de séjour durable que si l'auteur des violences est condamné. Il en va de même des victimes de traite et de proxénétisme qui portent plainte. Le nombre de titres de séjours délivrés sur la base de ces dispositifs est extrêmement réduit. Ces limitations posent le problème du traitement pénal des violences contre les femmes. Très peu de conjoints agresseurs et de proxénètes sont condamnés au quotidien. En somme, ces dispositifs, obtenus par la mobilisation des associations il y a plus de quinze ans, connaissent d'importants problèmes de fonctionnement aujourd'hui.
Par ailleurs, toutes les victimes de violences ne sont pas éligibles à une ordonnance de protection. Toutes les femmes ne sont pas des conjointes de Français ou des conjointes entrées sur le territoire par le regroupement familial. Dans ces cas, aucune disposition n'existe dans le CESEDA et le dépôt d'une plainte ne permet pas de régulariser la situation. À notre connaissance, les dispositions sur l'admission exceptionnelle au séjour ne prennent que très rarement en compte les situations de violence. En général, l'admission exceptionnelle au séjour est déterminée par les liens personnels et familiaux d'une part, et par le travail d'autre part. La lutte de ces femmes contre les violences est encore compliquée par la difficulté de porter plainte. Certes, elles en ont le droit, mais elles risquent d'être interpellées si elles se trouvent en situation irrégulière et elles n'ont pas accès à l'aide juridictionnelle pour un certain nombre de démarches nécessitant l'assistance d'un avocat. Si dans le cas d'une demande de divorce, l'aide juridictionnelle est de droit pour les personnes sans titre de séjour, elle ne l'est pas pour d'autres démarches.
Les traitements inhumains et dégradants liés au genre et à l'orientation sexuelle sont désormais explicitement reconnus pour l'obtention du droit d'asile, mais leur gravité est très souvent sous-estimée dans l'examen des dossiers. Au sein du RAJFIRE, nous réunissons les réponses aux demandes d'asile que nous aidons à présenter. Les motifs de refus sont le plus souvent rédigés de façon stéréotypée. Nous avons l'impression que ces demandes ne sont pas examinées de façon pertinente, alors même que l'office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) déclare que les officiers de protection sont bien formés et qu'il existe des référents en matière de violences infligées aux femmes. Nous observons une fois encore un écart très net entre les ambitions et principes affichés et la réalité.
Enfin, les dispositifs d'hébergement pour les demandeurs d'asile sont tout à fait insuffisants en Ile-de-France. De manière générale, nous jugeons inacceptable que des personnes qui demandent l'asile aient dû risquer leur vie dans des voyages extrêmement dangereux. Il convient de réfléchir à des possibilités de voies d'accès légales et sûres au territoire français pour les personnes persécutées et menacées, et pas seulement en raison de guerres ou de crises particulièrement graves.
L'institut Women Safe & Children est un centre pluridisciplinaire. En tant que tel, il est une référence et un exemple d'encadrement à porter. Pourriez-vous nous décrire le parcours d'une femme qui arrive chez vous ? Si vous deviez formuler une seule recommandation face aux persécutions liées au genre, quelle serait-elle ?
Merci pour l'action importante que vous menez chez Women Safe & Children vis-à-vis des personnes très vulnérables. Les femmes qui viennent chez vous bénéficient-elles d'un parcours de soins gynécologiques ? Ont-elles accès à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) lorsqu'elles ont été abusées ? Il est fréquent que des femmes émigrent d'Afrique subsaharienne pour protéger leur fille de l'excision. Alors qu'elles ont laissé des enfants au pays, elles ont aussi des enfants quand elles arrivent. Un certain nombre de femmes en situation précaire ont des enfants en bas âge. Reçoivent-elles selon vous une information suffisante en termes de contraception et de protection ?
Proposez-vous un accueil différencié entre les enfants, les adolescents et les jeunes adultes ? L'accueil diffère-t-il également en fonction des zones géographiques de provenance ?
La direction de l'institut a souhaité mettre la santé au centre d'une organisation pluridisciplinaire pour une raison simple : une femme en mauvaise santé ne sera pas à même de suivre les conseils et préconisations que nous pourrons émettre. Nombre de femmes sont enceintes quand elles arrivent, car elles ont besoin d'un ancrage social et elles estiment que l'enfant le leur permet. C'est pourquoi même si l'enfant est issu d'un viol, elles ne demandent pas d'IVG, bien que nous disposions d'un centre à proximité. Par ailleurs, de nombreuses femmes ne viennent pas avec leurs enfants et nous devons alors nous occuper du rapatriement des enfants. Nous sommes fréquemment confrontés à de jeunes majeurs isolés, qui peuvent poser des problèmes dans leurs foyers. Les travailleurs sociaux identifient chez eux un mal-être difficile à qualifier, qui peut être issu d'un psycho-traumatisme lié aux violences subies dans leur pays d'origine ou même sur le territoire français à leur arrivée. Nous accueillons ces enfants lorsqu'ils sont entrés dans le processus administratif de l'aide sociale à l'enfance (ASE). Les travailleurs sociaux ne sont pas toujours formés à identifier les différents types de maltraitance exercés dans le pays d'origine, notamment l'excision. Par exemple, nous avons souvent accueilli des jeunes filles qui ne savaient pas qu'elles étaient excisées et souffraient d'énurésie.
Nous recevons des femmes d'Afrique subsaharienne et de nombreuses femmes d'Afrique du Nord. Elles souvent mal intégrées, voire pas identifiées sur le territoire français. Elles n'ont pas côtoyé les services sociaux et souvent ne parlent pas français. Nous sommes confrontés à un problème d'accréditation des traducteurs car, bien souvent, les personnes qui se disent habilitées à accompagner les femmes ne parlent la langue et la traduction ne convient pas. Bien souvent, des femmes présentes sur le territoire depuis deux à trois ans ne parlent pas du tout français. Une priorité en matière d'insertion serait de placer ces femmes dans une filière où elles puissent acquérir de l'autonomie par l'échange et par la langue.
Je souhaite enfin tempérer le regard critique souvent porté sur l'OFPRA. Nous avons eu la chance d'être conviés par l'OFPRA, qui souhaite vivement de l'aide pour l'accompagnement des femmes. Les entretiens auxquels nous avons assisté étaient de très haut niveau. Les personnes de l'OFPRA savent mener des entretiens très méticuleux afin d'examiner la véracité des propos tenus. Elles savent également explorer le parcours des migrantes de façon très détaillée afin de bien comprendre les motifs de leur présence sur le territoire français.
De manière générale, nous sommes tous au pied de la montagne et les moyens manquent toujours face aux violences subies par les migrantes. Face à cette situation, la France possède des qualités et des défauts. Sa grande qualité est sa vocation à incarner les droits de l'homme et à prendre des initiatives spécifiques. Son gros défaut est qu'elle est très compartimentée et qu'elle fonctionne en silos. Or, une femme migrante victime de violence n'a pas un problème, mais dix ou vingt. Nous avons mesuré il y a quinze ans la grande complexité de l'enjeu. Nous observions que si de nombreux centres comptaient des journalistes, des avocats et des travailleurs sociaux, la santé était en revanche très peu présente. Afin de résoudre leurs problèmes, les migrantes doivent suivre des circuits très complexes qui s'apparentent souvent à de mauvais traitements, alors que des investissements considérables ont été consentis pour mettre en place les dispositifs. Nous avons donc tenté d'apporter une réponse différente en placer la santé au centre du dispositif et en accueillant toutes les formes de violence. Cette approche nous a permis de gagner beaucoup de temps et de réaliser des économies importantes. Par exemple, nous avons intégré l'orthogénie dans notre circuit. L'enjeu n'est pas de proposer des interruptions de grossesse, mais le fait de disposer de la ressource immédiatement est un atout considérable. De même, la possibilité d'obtenir trois consultations différentes dans la même journée permet de faire évoluer la situation. Les avocats bénévoles se sont aperçus du temps précieux qu'ils pouvaient gagner dans les procédures grâce à cette organisation.
Nous souhaitions partager cette expérience avec vous afin qu'elle puisse être dupliquée. Si nous avions une préconisation à émettre, ce serait de multiplier les échanges informels avec vous. En tant que personnes de terrain, nous pouvons vous proposer des solutions et nous proposons de les expérimenter conjointement. Ma préconisation serait de mettre en place un mode de travail en commun plus simple et plus direct. Lorsque j'avais travaillé sur le projet de loi relatif au certificat de virginité, j'avais observé un écart considérable entre ce que prévoyait le législateur et la réalité. En l'occurrence, l'interdiction du certificat de virginité était précisément conçue et réfléchie depuis des années. Si l'on arrêtait de réinventer les mêmes problèmes, on gagnerait un temps considérable. L'évolution de la loi repose sur des concepts pratiques dont nous avons l'expérience. Nous souhaitons avant tout la partager afin de faire évoluer la situation rapidement.
Mme Claudie Lesselier, auriez-vous une recommandation à formuler à notre attention ? La CNCDH incite à créer un mécanisme national de référence pour la détection, l'identification, l'orientation et l'accompagnement des victimes de traites présumées ou avérées. Qu'en pensez-vous ?
Nous offrons dans notre association un accueil ouvert et inconditionnel et nous avons pu voir évoluer la situation des femmes qui s'adressent à nous. Elles souhaitent généralement une écoute, des informations juridiques et administratives et un accompagnement dans des démarches de demande d'asile, de régularisation des titres de séjour ou face à des violences. Par définition, une association comme la nôtre rencontre des femmes en situation particulièrement difficile, mais elles sont cependant assez autonomes pour solliciter nos services. La majorité des femmes que nous accueillons viennent d'Afrique du Nord ou d'Afrique subsaharienne. Quelques-unes viennent d'Amérique du Sud ou d'Europe de l'Est. Nous ne pouvons pas toujours recevoir dans de bonnes conditions toutes les femmes qui viennent pour des raisons de langue. Nous faisons appel le cas échéant à d'autres femmes pour l'interprétariat, mais ce ne sont pas des professionnelles et cela pose problème.
Les différents types de situation que nous observons ne sont pas liés à la nationalité d'origine. Depuis deux ans, le principal problème administratif que nous rencontrons est la quasi-impossibilité d'obtenir des rendez-vous pour traiter les demandes de titre de séjour. La demande doit être déposée en ligne, mais il est rarissime qu'une place soit disponible. Une action est donc menée actuellement en référé auprès des tribunaux administratifs. Les juges condamnent souvent les préfectures pour non-accès des usagers à leurs droits.
Les personnes reconnues réfugiées protégées ont des droits importants, mais il leur est très difficile d'obtenir la réunification familiale. De nombreuses demandes sont rejetées par les ambassades de France, au motif du caractère inauthentique des documents. Si une mère réfugiée souhaite que ses enfants la rejoignent, elle doit dans certains cas recevoir l'autorisation du père. Or, elle peut avoir fui parce qu'elle était victime d'un mariage forcé ou de violences conjugales. En ce cas, elle n'obtiendra pas du père l'autorisation souhaitée. Elle devra alors suivre, si elle en a les moyens, une procédure alternative très coûteuse et complexe. Les visas et les billets d'avion ne sont pas pris en charge. En général, les réfugiées de Côte-d'Ivoire et d'Afrique subsaharienne demeurent longtemps dans une grande précarité. Elles attendent souvent des années avant de trouver un travail et un logement. Même pour les personnes ayant le statut de réfugié, la situation est très difficile.
S'agissant du droit au séjour, la rédaction des articles du CESEDA relatifs aux droits des femmes victimes de violence pose problème. La nécessité que l'auteur de violence soit condamné pour obtenir un titre de séjour durable est tout à fait surréaliste compte tenu du nombre de plaintes classées sans suite. Si je devais formuler une recommandation, ce serait la modification d'un certain nombre d'articles du CESEDA. En concertation avec plusieurs autres associations, nous menons depuis des années une action de plaidoyer pour une reconnaissance légale du droit au séjour des femmes étrangères victimes de violences sur le territoire français. Si certaines avancées ont été obtenues, nous observons désormais un recul dans la pratique avec un nombre de refus beaucoup plus important qu'il y a quelques années.
Enfin, nous sommes favorables à la recommandation de la CNCDH et à toute perspective de coordination en vue d'identifier et d'accompagner les victimes de traite. Néanmoins, un tel accompagnement suppose des budgets suffisants, des hébergements sécurisés et l'assurance donnée à ces femmes qu'elles-mêmes et leurs familles ne subiront pas de représailles. La traite représente un danger grave pour les femmes et pour leurs familles. Un accompagnement efficace reposera donc sur l'action d'un ensemble de structures efficaces et compétentes, notamment l'office de répression contre la traite et l'OFPRA. L'augmentation des moyens linguistiques est également indispensable.
Je vous remercie vivement pour vos récits poignants et précis. Nous retiendrons en particulier que 51 % des personnes qui migrent sont des femmes, et qu'elles sont les premières victimes des guerres et des dictatures. Nous pouvons espérer que les médias mettront en valeur et en lumière le parcours de ces femmes. Ce serait faire aux honneurs aux associations qui défendent leurs droits et tentent de les faire connaître. Les recommandations que vous avez formulées sont bien entendues et elles seront intégrées à notre rapport.
Je vous donne rendez-vous la semaine prochaine pour aborder la problématique des mineurs non-accompagnés.
La réunion s'achève à dix-huit heures trente-cinq.