Il faut être extrêmement vigilant sur les sujets de l'enfance et des politiques migratoires. À mon sens, le ministère de l'intérieur a la légitimité pour agir en la matière. Il a raison d'être vigilant quant à l'appel d'air que crée notre dispositif de protection de l'enfance, sous un double rapport : la logique de flux et, surtout, le parcours migratoire des mineurs. Les enfants sont envoyés vers l'Europe, car on sait qu'elle les protège. Il faut prendre conscience des souffrances qu'ils endurent avant d'arriver sur notre territoire. Il serait irresponsable de ne pas veiller à l'équilibre entre les flux et la protection que l'on doit aux enfants lorsqu'ils foulent le sol de notre pays. Lorsqu'ils se trouvent sur notre territoire, on ne doit pas avoir le moindre état d'âme : ces mineurs – pour autant qu'ils le soient réellement – doivent être protégés, accompagnés, formés, scolarisés et vraisemblablement – car ils restent souvent longtemps en France – définitivement intégrés.
Cela étant, il faut veiller à ce que des majeurs ne bénéficient pas de cette protection. Il faut être vigilant quant à l'appel d'air, à l'origine de flux extrêmement problématiques. Des mineurs arrivent chez nous fracassés. Quels que soient les motifs d'émigration, qui varient selon les pays et que nous connaissons, ces jeunes sont déracinés. Les parcours, les filières sont très dangereux pour ces enfants qui connaissent des situations personnelles extrêmement complexes. Il ne faut pas non plus minimiser le fait que ce sont des proies pour les réseaux se livrant à la traite des êtres humains. Les enfants sont victimes de violences, contraints aux travaux forcés durant leur parcours migratoire. Des études ont révélé des faits choquants, concernant par exemple les mineurs venant du golfe de Guinée, qui doivent franchir trois ou quatre étapes avant d'arriver chez nous. Lorsqu'ils entrent en France, ils peuvent être la proie de réseaux extrêmement agressifs, qui exploitent leur minorité pour se livrer à des trafics divers. On ne peut pas dissocier la question de la migration de celle de la protection de l'enfance. Cela étant, je comprends les associations, qui sont dans leur rôle.
Certains actes, commis par exemple à la frontière franco-italienne, ont pu choquer les associations, à l'instar de positions politiques exprimées au sujet de bateaux se trouvant dans les eaux italiennes. Il appartient aux États européens de respecter leurs engagements. En principe, les mesures administratives et protectrices sont prises dans le pays d'entrée. C'est plus facile à dire lorsqu'on est en France – ou à plus forte raison en Suède – qu'en Italie ou en Espagne, mais c'est une réalité. Le travail effectué par la police aux frontières aux postes frontaliers avec l'Italie et l'Espagne n'est pas illégitime ; il s'inscrit dans le cadre des rapports bienveillants que nous entretenons avec nos voisins. Nous veillons à ce que les mineurs ne soient pas refoulés mais souhaitons en même temps éviter le nomadisme de la part de personnes déjà entrées dans le dispositif italien ou espagnol, qui doivent y rester. Nous veillons également à ce que le ministère de l'intérieur respecte les engagements forts qui ont été pris en matière de protection de l'enfance. Il est de notre responsabilité de faire en sorte que l'Italie, l'Espagne et l'ensemble des États membres se conforment aux engagements européens en matière de gestion des flux et de protection de l'enfance.
La minorité, rappelons-le, est un état provisoire qui ne peut être établi scientifiquement, définitivement, à moins de disposer – pour les pays qui en délivrent – de documents d'état civil. Cette difficulté est insurmontable et se trouve au cœur de nos problématiques. La décision d'un juge reconnaissant la minorité est temporaire : elle peut être contestée dès le lendemain. Elle peut donner lieu à des conflits entre juges : un juge des enfants peut reconnaître la minorité, et un tribunal correctionnel se prononcer en sens inverse ; des juges des enfants peuvent aussi avoir des appréciations divergentes. Nous n'avons pas de calculatrice pour définir la minorité.
À titre personnel, je suis totalement opposée à la judiciarisation de l'évaluation de la minorité. Il faudrait d'abord déterminer qui est compétent. Aujourd'hui, le département ou le juge des enfants évalue la minorité pour déterminer s'il est compétent, non pour délivrer un titre d'identité à un mineur. En attribuant une compétence exclusive au juge, on conférerait une valeur juridique à sa décision. Il n'est pas certain que tout le monde s'accorde sur ce point. Au surplus, cette valeur juridique serait fondée sur un état provisoire, non démontré scientifiquement. Par ailleurs, une telle évolution aurait des incidences juridiques : elle conduirait, par exemple, à l'établissement d'une reconnaissance de nationalité ou à d'autres dispositifs liés à l'identité, complexes à gérer.
Surtout, il faut s'attendre à ce que les décisions prises en la matière soient contestées. Elles ne seront donc pas prises plus rapidement qu'elles ne le sont actuellement par les départements. N'imaginons pas que la judiciarisation permettra une mise à l'abri plus rapide des personnes se prétendant mineurs non accompagnés. La justice est rarement plus rapide que l'administration. Elle a ses propres recours et connaît des conflits de compétences. Il n'est pas démontré que la judiciarisation améliorerait le dispositif. J'ai la conviction qu'elle compliquerait les choses. À titre d'exemple, nous avons évalué une circulaire que nous avons prise conjointement avec la direction des affaires criminelles et qui prévoit la saisine du juge des enfants aux fins d'assistance éducative lorsque le mineur non accompagné est impliqué au pénal. Ce texte n'est pas appliqué de manière homogène sur le territoire : chacun fait comme il l'entend, en fonction des flux.
Je suis d'autant plus opposée à la judiciarisation que le processus d'évaluation de la minorité doit être pluridisciplinaire et le plus complet possible. Notre mission est de faire en sorte que les associations soient encadrées et accomplissent le travail le plus approfondi possible. Elles ont un rôle très utile, car elles accompagnent le mineur dans son parcours migratoire.
La présomption de minorité est couramment appliquée dans le cadre de la procédure pénale. Nous nous heurtons en la matière à une difficulté. Les juges des enfants, saisis d'un certain nombre de dossiers par le parquet, ont parfois la conviction qu'ils ont en face d'eux un majeur, qui a pu être considéré, pour telle ou telle raison, mineur par la police ou à la suite de la déclaration de l'avocat. Au bénéfice du doute, on va lui accorder la minorité, notamment pour qu'il se voie appliquer les règles de droit pénal les plus douces. Toutefois, on ne le fait pas bénéficier des dispositifs éducatifs et de protection de l'enfance, car on considère qu'il est bientôt majeur, voire déjà majeur. Quoique isolés, ces jeunes ne sont donc pris en charge ni par la protection de l'enfance, ni par la PJJ au pénal – car le juge ne nous confie pas une mesure éducative –, ni par la justice, ni par les dispositifs administratifs concernant les majeurs. Les personnes qui se prétendent réfugiées se voient accorder un document et bénéficient d'un accompagnement peut-être plus protecteur que celui apporté aux jeunes se disant mineurs non accompagnés. Dans cette approche systématique, la protection de l'enfance a ses limites : les personnes qui n'en bénéficient pas se trouvent en dehors de tous les dispositifs et n'ont aucune trace des démarches qu'ils ont engagées, car on ne leur donne pas la copie du fichier AEM. Ils errent dans les dispositifs, jusqu'à ce qu'on leur applique les règles propres aux majeurs.
Je le répète, je n'ai aucun état d'âme si un mineur est pris en charge au titre de la protection de l'enfance et bénéficie de tous les droits y afférents. Quant à ceux qui sont bientôt majeurs ou qui sont en fait de tout jeunes majeurs, ils sont moins protégés que dans le cadre des filières réservées aux majeurs.
L'une des grandes difficultés auxquelles est confronté le ministère de la justice est le caractère inexploitable de ses statistiques, qu'elles soient civiles ou pénales : pour des raisons historiques, et en dépit des efforts considérables consentis ces dernières années, ses outils informatiques et statistiques ne sont guère performants – ils le sont moins, en tout cas, que ceux du ministère de l'intérieur. Ainsi, parce que nous avons toujours été très vigilants quant à la protection des données, le nouvel applicatif de la PJJ ne comprenait pas, jusqu'à récemment, de case « MNA » – celle-ci a été ajoutée cette année, sous le contrôle de la Commission nationale de l'informatique et des libertés –, de sorte qu'il nous était impossible de calculer le nombre des personnes intégrées dans les dispositifs qui relevaient de cette catégorie.
Il en va de même en matière de justice civile. Nous ne disposons donc de statistiques ni sur l'origine de la saisine du juge des enfants – est-elle consécutive à un recours contre la décision de refus d'un département ou est-elle directe, ce qui est encore très fréquent ? –, ni sur les recours formés devant la cour d'appel contre les décisions des juges des enfants accordant ou refusant la minorité. Ainsi, les chiffres qui sont avancés concernant notamment les délais et les recours sont établis au doigt mouillé par la mission mineurs non accompagnés (MMNA) dans le cadre de ses relations quotidiennes avec les juridictions ou de manière artisanale par celles de ces juridictions qui traitent des masses importantes de dossiers, notamment au pénal. Les départements, en tant qu'ils financent une partie de la mise à l'abri, disposent de statistiques fiables, mais tel n'est pas le cas de la justice. Nous ne pouvons donc pas répondre à votre question.
En ce qui concerne l'appui à l'évaluation de la minorité (AEM), il ne fait pas de doute qu'il a pour vocation la protection de l'enfance. Néanmoins, il existe entre la protection de l'enfance et l'administratif une césure telle – je l'ai expliqué – que les personnes se déclarant mineurs non accompagnés n'existent pas tant qu'elles ne sont pas dans les dispositifs et ont tout de même du mal à exister tant qu'on ne leur donne pas des papiers. Le problème est le même au pénal, où les mineurs donnent des alias et sont assez volatils, allant d'une structure à l'autre. Certes, il est difficilement envisageable sur un plan philosophique que l'AEM serve au pénal, mais je ne suis pas certaine que cette extension ne bénéficierait pas aux mineurs qui nous sont confiés car, « inexistants », ces jeunes gens – j'emploie cette expression car ils ne sont pas nécessairement mineurs – ne peuvent pas entrer dans les processus d'intégration de droit commun. Les éducateurs de la PJJ auxquels on confie une mission auprès d'un mineur faisant l'objet d'une procédure pénale finissent par passer plus de temps à la préfecture qu'auprès du mineur, pour préparer la sortie du dispositif.
Par ailleurs, dans le processus pénal, la minorité est établie sur procès-verbal par les policiers, sur le fondement d'éléments d'investigation qui n'ont rien à voir avec l'évaluation de la minorité telle qu'elle est effectuée dans le domaine de la protection de l'enfance. On n'assure donc pas le même accompagnement qu'au civil. Le ministre m'ayant demandé de lui proposer un plan global concernant les mineurs non accompagnés, je vais demander à mes équipes de se pencher sur ce circuit afin que l'évaluation de la minorité soit complète. C'est plus simple à dire qu'à faire, car on fait évidemment moins dans le cadre d'une garde à vue que dans celui de la mise à l'abri par les départements. Toujours est-il que, lorsqu'un mineur entre par le dispositif pénal, rien ne s'enclenche correctement, depuis l'évaluation de la minorité jusqu'à l'insertion – car nous avons tout de même de très beaux succès en la matière.
S'agissant du code de la justice pénale des mineurs, le CJPM, il importe que la réforme, qui tend à améliorer la réactivité des procédures tout en assurant une efficacité éducative, ne se limite pas, en ce qui concerne les MNA, au premier objectif. Le fait de ne pas se soumettre à l'identification est un des critères de déferrement et de saisine de l'audience unique. Il va donc falloir qu'avocats, acteurs de la PJJ et magistrats jouent leur rôle de garant de la protection des droits des enfants pour que la réponse judiciaire soit effectivement complétée par des dispositifs éducatifs. Actuellement, et nous le déplorons fortement, 20 % des mineurs détenus sont qualifiés de mineurs non accompagnés – et ils rencontrent de véritables difficultés en détention. Ce taux inacceptable s'explique par le fait que l'incarcération est prononcée en cas de défaut de garanties de représentation et d'identité – on rejoint ici la question de l'AEM –, mais l'on peut comprendre que, l'ordre public étant fortement troublé par certains actes commis par des mineurs isolés, des parquets et des magistrats optent pour cette politique.