C'est un honneur de nous exprimer devant cette commission d'enquête. Je tiens à remercier le président Sébastien Nadot pour son invitation à intervenir au nom de plus de 120 présidents et directeurs d'établissements publics d'enseignement supérieur et de recherche que la CPU représente. Je vous présente les excuses de notre président, Manuel Tunon de Lara, malheureusement retenu par d'autres engagements.
Vous avez souhaité nous auditionner sur la question des migrations au sein de l'écosystème de la recherche et de l'enseignement supérieur. Mon propos s'articulera autour de trois points : le constat sur l'enseignement supérieur, la question du plan « Bienvenue en France » et, enfin, un retour sur quelques sujets spécifiques.
Comme vous le savez, de plus en plus d'étudiants s'inscrivent à l'université. Entre 2007 et 2018 nos effectifs sont passés de 1,3 à 1,7 million d'étudiants. L'augmentation se poursuit à un rythme dynamique depuis plusieurs années, avec 30 000 étudiants supplémentaires chaque année en moyenne. Ce sont 180 000 étudiants supplémentaires par rapport à 2017 qui sont attendus d'ici à 2027. Pour illustrer simplement l'ampleur de ce phénomène, nous pourrions dire que pour accueillir ces nouveaux étudiants il faudrait chaque année ouvrir une université supplémentaire de la taille de celle de Nantes.
Bien entendu, nous nous réjouissons de cet engouement pour les universités. Il est le signe que la démocratisation de l'accès à l'enseignement supérieur se confirme ; il est aussi la preuve que l'offre de formation universitaire séduit les jeunes et leurs familles. L'université n'est pas un choix par défaut. L'accueil des étudiants est donc évidemment l'une de nos missions prioritaires, et l'accueil des étudiants internationaux en fait partie.
Le système d'enseignement supérieur dans le monde a profondément évolué ces vingt dernières années. La mobilité internationale des étudiants a fortement progressé et un véritable marché international de la formation s'est mis en place. Sur les 225 millions d'étudiants dans le monde, un peu plus de 5,5 millions étaient en mobilité diplômante en 2018, ce qui représente une hausse de 31 % au cours des cinq dernières années. La population des étudiants en mobilité pourrait ainsi atteindre 9 millions en 2025.
Cette mobilité est un véritable outil de rayonnement et de promotion de la langue et de la culture françaises. Elle contribue à l'influence des États, mais aussi bien entendu au dynamisme des établissements et des territoires, tout en consolidant les liens économiques et diplomatiques.
Dans le contexte des prochaines élections, la CPU ne peut pas faire siens les discours de rejet et de peur à l'encontre de ces jeunes gens venus d'ailleurs. Ils ont beaucoup à nous apporter tant par leur culture et leur soif d'apprendre et de partager ce qu'ils savent, que parce qu'ils nous incitent à élargir notre regard. La connaissance n'a pas de frontières et nous sommes attachés à notre tradition d'accueil.
La France occupe en effet une place importante en matière de mobilité internationale des étudiants. Tout d'abord, elle se situe au sixième rang mondial pour la mobilité sortante, avec plus de 90 500 étudiants se rendant à l'étranger, soit une augmentation de 70 % entre 2006 et 2016. La France est très proche de la moyenne mondiale, qui est de 75 %.
Mais notre position s'affaiblit. Un décrochage progressif s'opère. Nous étions encore à la troisième place pour la mobilité entrante en 2014, hors doctorat. Par ailleurs, la France était en 2016 le quatrième pays d'accueil, derrière les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie, et le premier pour l'accueil des étudiants non anglophones. Nous sommes désormais à la sixième place mondiale pour la mobilité diplômante, derrière l'Allemagne et la Russie.
En 2019-2020, 370 000 étudiants internationaux étaient inscrits dans un établissement d'enseignement supérieur français, dont un peu moins de 250 000 dans nos universités. Le Maroc, la Chine et l'Algérie sont les trois principaux pays d'origine de ces étudiants. La France se situe également au troisième rang mondial pour l'accueil des doctorants internationaux, qui représentent à peu près 41 % des effectifs des étudiants inscrits en thèse mais leur nombre a également diminué de 10 % entre 2014 et 2019.
Avec une forte croissance du nombre d'étudiants inscrits en 2019-2020, la France se situe en fait en dessous de la moyenne de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), et loin derrière le Royaume-Uni – qui est à 4 % – et l'Australie – avec 17 %. Notre rang est disputé par nos voisins, notamment l'Allemagne et la Russie, mais aussi par d'autres pôles d'attractivité puissants, comme la Chine ou le Canada, et par de nouveaux acteurs, l'Arabie saoudite, la Turquie ou encore les Pays-Bas. Ces pays ont développé des stratégies offensives pour attirer davantage d'étudiants, en particulier ceux venant d'Asie et de plus en plus ceux venant du continent africain.
La mondialisation de l'enseignement supérieur et de la recherche est une réalité qui invite nos établissements à améliorer sans relâche leur attractivité et à faire valoir leurs atouts à l'international. Nous devons nous doter d'une véritable stratégie nationale pour l'enseignement supérieur, la recherche et l'innovation. Je dis « nous » à dessein, parce que cette stratégie se bâtit aussi avec vous, mesdames et messieurs les députés.
Malheureusement, de nombreux freins perdurent : la complexité des procédures administratives pour obtenir une inscription dans nos établissements et la politique des visas ; le coût de la vie bien entendu, notamment celui du logement – mais aussi le manque de logements étudiants ; ou encore la question de l'apprentissage de la langue française pour les étudiants non francophones.
Durant la crise sanitaire, la France a pu s'affirmer comme une destination de choix. Les étudiants ont répondu présent, manifestant leur désir d'étudier en France, en particulier ceux en provenance d'Afrique subsaharienne, du Maghreb, du Proche-Orient et aussi d'Europe.
J'en viens maintenant à la stratégie « Bienvenue en France ». C'est à partir d'un constat sur la situation précédente partagé par tous que le Gouvernement avait présenté ce plan en novembre 2018. Il vise à promouvoir l'attractivité des établissements français d'enseignement supérieur et de recherche. La CPU s'est bien entendu réjouie de la mise en place de cette stratégie globale dont nos établissements peuvent s'inspirer, dans un contexte mondial de très forte concurrence en matière de flux internationaux d'étudiants.
Mais la CPU a aussi déploré le manque de concertation avec l'État, notamment s'agissant de l'augmentation des droits d'inscription pour les étudiants provenant de pays non membres de l'Union européenne. Cette mesure constitue un véritable changement de paradigme dans la politique de la France et nous allons seulement maintenant en apprécier les effets.
Alors que nombre d'étudiants sont originaires de pays en butte à des difficultés politiques, économiques ou sociales, il serait vraiment regrettable que les jeunes méritants à fort potentiel de réussite se voient fermer les portes de l'enseignement supérieur et de la recherche français pour des raisons économiques. Il serait également regrettable de donner de la France l'image d'un pays qui se referme sur lui-même. Et il nous paraît particulièrement important de prendre en compte l'espace francophone, en particulier les pays du Sud, notamment sur le continent africain.
Pour la CPU, cette augmentation des droits d'inscription aurait mérité une construction en lien direct avec une politique d'accueil qui demeure attractive, et elle devrait aussi s'accompagner d'une politique sociale profondément repensée.
La récente revalorisation des bourses a été appréciée, mais leur attribution doit associer étroitement les établissements d'enseignement supérieur pour prendre en compte les partenariats scientifiques dans lesquels ils sont engagés. De la même façon, les exonérations des droits relèvent d'une politique autonome des établissements. Mais les textes réglementaires limitent les possibilités d'exonération à 10 % des effectifs étudiants de l'établissement, et celles-ci ne peuvent être consacrées en totalité aux étudiants internationaux.
Les ressources nouvelles que pourraient représenter ces droits d'inscription différenciés doivent d'abord et avant tout permettre d'améliorer le service rendu aux étudiants. Elles ne sauraient constituer un prétexte pour réduire les dotations versées aux établissements, au motif qu'ils bénéficieraient de nouvelles ressources.
Accueillir 160 000 étudiants étrangers supplémentaires d'ici à sept ans constitue un formidable défi, que les universités sont prêtes à relever. Mais nous ne pourrons pas y parvenir sans un investissement massif de la part de l'État. C'est l'attractivité de nos universités qui est en jeu et donc la place de notre recherche et de nos formations au niveau international, mais aussi l'attractivité de notre pays.
Si le volet portant sur les droits d'inscription du plan « Bienvenue en France » a été désapprouvé par la communauté universitaire, force est de constater que son impact a quand même été limité. La mise en place des frais de scolarité différenciés à la rentrée 2019 a provoqué une réduction du nombre de candidatures sans pour autant provoquer une baisse du nombre d'inscrits dans les établissements. À la rentrée suivante, le nombre de candidatures est reparti à la hausse.
La crise de la covid a aussi provoqué une baisse dans les acceptations d'inscriptions par les établissements, qui se répercute sur le nombre de visas d'études accordés, en diminution d'environ 25 %. La France a accueilli 370 052 étudiants étrangers en 2019-2020, soit une hausse de 3,4 % par rapport à l'année précédente. Mais cette hausse est très en deçà des attentes pour atteindre les 500 000 étudiants internationaux en 2027.
L'un des piliers principaux du plan « Bienvenue en France » est la mise en place d'une véritable politique d'accueil des étudiants étrangers. Si des moyens y ont été consacrés, l'État n'a pas abordé frontalement le problème du sous-financement de l'enseignement supérieur. En termes de part de PIB, les dépenses publiques consacrées à l'enseignement supérieur en France sont légèrement au-dessus de la moyenne de l'OCDE, mais notre pays ne se situe qu'en onzième position. Nous avons donc une marge confortable de progression. Je ne peux qu'encourager les décideurs à investir dans l'enseignement supérieur et la recherche universitaire et à faire le pari du temps long nécessaire à la transformation de nos établissements.
Je tiens à réaffirmer devant vous que nous partageons l'ambition du Gouvernement d'accueillir 500 000 étudiants internationaux d'ici à six ans si la situation sanitaire le permet.
Enfin, je voudrais aborder quelques points spécifiques, en commençant par la question de la santé des étudiants internationaux. C'est un sujet qui nous préoccupe. La loi du 7 mars 2016 relative aux droits des étrangers en France a en effet supprimé la visite médicale obligatoire pour les étudiants internationaux primo-arrivants, qui était effectuée par les médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII). Elle permettait notamment de détecter et de traiter un certain nombre de maladies infectieuses, parfois mortelles. En contrepartie, cette loi a transféré aux établissements d'enseignement supérieur la responsabilité du suivi sanitaire des étudiants internationaux, plus précisément à leur service de médecine préventive, sans pour autant transférer les moyens correspondants que l'OFII y consacrait.
Par conséquent, les étudiants internationaux ne bénéficient plus systématiquement d'une visite médicale, à l'exception de cette année en raison de la crise sanitaire liée à la covid. Selon nous, les risques sont accrus, tout particulièrement dans les salles de cours ou les amphithéâtres où de nombreux étudiants se côtoient. Il pourrait en résulter un grave problème de santé publique et nous tenons à réaffirmer devant vous que nos services de médecine préventive ne sont pas en mesure d'assurer cette nouvelle mission. Quand ils essaient de le faire, cette visite médicale est beaucoup moins complète que celle qui était organisée par l'OFII, notamment en ce qui concerne la détection de la tuberculose.
S'agissant de l'accueil des chercheurs en exil, l'actualité en Afghanistan nous oblige. La question des chercheurs et étudiants en exil est pour nous primordiale. Les universités françaises, fidèles à leur tradition, sont prêtes à accueillir dans l'urgence toutes celles et tous ceux qui souhaiteront poursuivre leurs études ou leurs recherches aussi longtemps que leurs libertés ne seront pas assurées. Ainsi, la CPU s'est engagée à demander solennellement de pouvoir accueillir toutes celles et tous ceux qui souhaitent quitter leur pays.
Le programme national d'accueil en urgence des scientifiques en exil (PAUSE), piloté par le Collège de France, fournit aux établissements une partie des moyens nécessaires pour accueillir ces chercheurs. Une autre partie est prise en charge sur leur dotation propre. Il s'agit pour nous d'un devoir éthique de sauver des vies, mais aussi d'un devoir intellectuel de protéger le patrimoine culturel et scientifique mondial.
Nous pensons que ce programme mériterait d'être développé à l'échelle de notre pays, mais surtout à l'échelle européenne.
De nombreuses actions en faveur des migrants ont été engagées par les établissements universitaires ; nous pourrons les détailler en réponse à vos questions, si vous le souhaitez. Nos universités sont pleinement engagées en la matière.