La réunion

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La réunion débute à onze heures quinze.

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Nous entendons les représentants de la Conférence des présidents d'université (CPU) en la personne de M. Guillaume Gellé, vice-président, et de Mme Emmanuelle Garnier, présidente de la commission des relations internationales et européennes qui sont accompagnés par MM. Guillaume Bordry, délégué général, et Kévin Neuville qui ne prendront pas la parole.

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Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation, à un moment où l'activité des responsables universitaires est particulièrement intense.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Guillaume Gellé et Mme Emmanuelle Garnier prêtent serment.)

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Guillaume Gellé, vice-président de la CPU

C'est un honneur de nous exprimer devant cette commission d'enquête. Je tiens à remercier le président Sébastien Nadot pour son invitation à intervenir au nom de plus de 120 présidents et directeurs d'établissements publics d'enseignement supérieur et de recherche que la CPU représente. Je vous présente les excuses de notre président, Manuel Tunon de Lara, malheureusement retenu par d'autres engagements.

Vous avez souhaité nous auditionner sur la question des migrations au sein de l'écosystème de la recherche et de l'enseignement supérieur. Mon propos s'articulera autour de trois points : le constat sur l'enseignement supérieur, la question du plan « Bienvenue en France » et, enfin, un retour sur quelques sujets spécifiques.

Comme vous le savez, de plus en plus d'étudiants s'inscrivent à l'université. Entre 2007 et 2018 nos effectifs sont passés de 1,3 à 1,7 million d'étudiants. L'augmentation se poursuit à un rythme dynamique depuis plusieurs années, avec 30 000 étudiants supplémentaires chaque année en moyenne. Ce sont 180 000 étudiants supplémentaires par rapport à 2017 qui sont attendus d'ici à 2027. Pour illustrer simplement l'ampleur de ce phénomène, nous pourrions dire que pour accueillir ces nouveaux étudiants il faudrait chaque année ouvrir une université supplémentaire de la taille de celle de Nantes.

Bien entendu, nous nous réjouissons de cet engouement pour les universités. Il est le signe que la démocratisation de l'accès à l'enseignement supérieur se confirme ; il est aussi la preuve que l'offre de formation universitaire séduit les jeunes et leurs familles. L'université n'est pas un choix par défaut. L'accueil des étudiants est donc évidemment l'une de nos missions prioritaires, et l'accueil des étudiants internationaux en fait partie.

Le système d'enseignement supérieur dans le monde a profondément évolué ces vingt dernières années. La mobilité internationale des étudiants a fortement progressé et un véritable marché international de la formation s'est mis en place. Sur les 225 millions d'étudiants dans le monde, un peu plus de 5,5 millions étaient en mobilité diplômante en 2018, ce qui représente une hausse de 31 % au cours des cinq dernières années. La population des étudiants en mobilité pourrait ainsi atteindre 9 millions en 2025.

Cette mobilité est un véritable outil de rayonnement et de promotion de la langue et de la culture françaises. Elle contribue à l'influence des États, mais aussi bien entendu au dynamisme des établissements et des territoires, tout en consolidant les liens économiques et diplomatiques.

Dans le contexte des prochaines élections, la CPU ne peut pas faire siens les discours de rejet et de peur à l'encontre de ces jeunes gens venus d'ailleurs. Ils ont beaucoup à nous apporter tant par leur culture et leur soif d'apprendre et de partager ce qu'ils savent, que parce qu'ils nous incitent à élargir notre regard. La connaissance n'a pas de frontières et nous sommes attachés à notre tradition d'accueil.

La France occupe en effet une place importante en matière de mobilité internationale des étudiants. Tout d'abord, elle se situe au sixième rang mondial pour la mobilité sortante, avec plus de 90 500 étudiants se rendant à l'étranger, soit une augmentation de 70 % entre 2006 et 2016. La France est très proche de la moyenne mondiale, qui est de 75 %.

Mais notre position s'affaiblit. Un décrochage progressif s'opère. Nous étions encore à la troisième place pour la mobilité entrante en 2014, hors doctorat. Par ailleurs, la France était en 2016 le quatrième pays d'accueil, derrière les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie, et le premier pour l'accueil des étudiants non anglophones. Nous sommes désormais à la sixième place mondiale pour la mobilité diplômante, derrière l'Allemagne et la Russie.

En 2019-2020, 370 000 étudiants internationaux étaient inscrits dans un établissement d'enseignement supérieur français, dont un peu moins de 250 000 dans nos universités. Le Maroc, la Chine et l'Algérie sont les trois principaux pays d'origine de ces étudiants. La France se situe également au troisième rang mondial pour l'accueil des doctorants internationaux, qui représentent à peu près 41 % des effectifs des étudiants inscrits en thèse mais leur nombre a également diminué de 10 % entre 2014 et 2019.

Avec une forte croissance du nombre d'étudiants inscrits en 2019-2020, la France se situe en fait en dessous de la moyenne de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), et loin derrière le Royaume-Uni – qui est à 4 % – et l'Australie – avec 17 %. Notre rang est disputé par nos voisins, notamment l'Allemagne et la Russie, mais aussi par d'autres pôles d'attractivité puissants, comme la Chine ou le Canada, et par de nouveaux acteurs, l'Arabie saoudite, la Turquie ou encore les Pays-Bas. Ces pays ont développé des stratégies offensives pour attirer davantage d'étudiants, en particulier ceux venant d'Asie et de plus en plus ceux venant du continent africain.

La mondialisation de l'enseignement supérieur et de la recherche est une réalité qui invite nos établissements à améliorer sans relâche leur attractivité et à faire valoir leurs atouts à l'international. Nous devons nous doter d'une véritable stratégie nationale pour l'enseignement supérieur, la recherche et l'innovation. Je dis « nous » à dessein, parce que cette stratégie se bâtit aussi avec vous, mesdames et messieurs les députés.

Malheureusement, de nombreux freins perdurent : la complexité des procédures administratives pour obtenir une inscription dans nos établissements et la politique des visas ; le coût de la vie bien entendu, notamment celui du logement – mais aussi le manque de logements étudiants ; ou encore la question de l'apprentissage de la langue française pour les étudiants non francophones.

Durant la crise sanitaire, la France a pu s'affirmer comme une destination de choix. Les étudiants ont répondu présent, manifestant leur désir d'étudier en France, en particulier ceux en provenance d'Afrique subsaharienne, du Maghreb, du Proche-Orient et aussi d'Europe.

J'en viens maintenant à la stratégie « Bienvenue en France ». C'est à partir d'un constat sur la situation précédente partagé par tous que le Gouvernement avait présenté ce plan en novembre 2018. Il vise à promouvoir l'attractivité des établissements français d'enseignement supérieur et de recherche. La CPU s'est bien entendu réjouie de la mise en place de cette stratégie globale dont nos établissements peuvent s'inspirer, dans un contexte mondial de très forte concurrence en matière de flux internationaux d'étudiants.

Mais la CPU a aussi déploré le manque de concertation avec l'État, notamment s'agissant de l'augmentation des droits d'inscription pour les étudiants provenant de pays non membres de l'Union européenne. Cette mesure constitue un véritable changement de paradigme dans la politique de la France et nous allons seulement maintenant en apprécier les effets.

Alors que nombre d'étudiants sont originaires de pays en butte à des difficultés politiques, économiques ou sociales, il serait vraiment regrettable que les jeunes méritants à fort potentiel de réussite se voient fermer les portes de l'enseignement supérieur et de la recherche français pour des raisons économiques. Il serait également regrettable de donner de la France l'image d'un pays qui se referme sur lui-même. Et il nous paraît particulièrement important de prendre en compte l'espace francophone, en particulier les pays du Sud, notamment sur le continent africain.

Pour la CPU, cette augmentation des droits d'inscription aurait mérité une construction en lien direct avec une politique d'accueil qui demeure attractive, et elle devrait aussi s'accompagner d'une politique sociale profondément repensée.

La récente revalorisation des bourses a été appréciée, mais leur attribution doit associer étroitement les établissements d'enseignement supérieur pour prendre en compte les partenariats scientifiques dans lesquels ils sont engagés. De la même façon, les exonérations des droits relèvent d'une politique autonome des établissements. Mais les textes réglementaires limitent les possibilités d'exonération à 10 % des effectifs étudiants de l'établissement, et celles-ci ne peuvent être consacrées en totalité aux étudiants internationaux.

Les ressources nouvelles que pourraient représenter ces droits d'inscription différenciés doivent d'abord et avant tout permettre d'améliorer le service rendu aux étudiants. Elles ne sauraient constituer un prétexte pour réduire les dotations versées aux établissements, au motif qu'ils bénéficieraient de nouvelles ressources.

Accueillir 160 000 étudiants étrangers supplémentaires d'ici à sept ans constitue un formidable défi, que les universités sont prêtes à relever. Mais nous ne pourrons pas y parvenir sans un investissement massif de la part de l'État. C'est l'attractivité de nos universités qui est en jeu et donc la place de notre recherche et de nos formations au niveau international, mais aussi l'attractivité de notre pays.

Si le volet portant sur les droits d'inscription du plan « Bienvenue en France » a été désapprouvé par la communauté universitaire, force est de constater que son impact a quand même été limité. La mise en place des frais de scolarité différenciés à la rentrée 2019 a provoqué une réduction du nombre de candidatures sans pour autant provoquer une baisse du nombre d'inscrits dans les établissements. À la rentrée suivante, le nombre de candidatures est reparti à la hausse.

La crise de la covid a aussi provoqué une baisse dans les acceptations d'inscriptions par les établissements, qui se répercute sur le nombre de visas d'études accordés, en diminution d'environ 25 %. La France a accueilli 370 052 étudiants étrangers en 2019-2020, soit une hausse de 3,4 % par rapport à l'année précédente. Mais cette hausse est très en deçà des attentes pour atteindre les 500 000 étudiants internationaux en 2027.

L'un des piliers principaux du plan « Bienvenue en France » est la mise en place d'une véritable politique d'accueil des étudiants étrangers. Si des moyens y ont été consacrés, l'État n'a pas abordé frontalement le problème du sous-financement de l'enseignement supérieur. En termes de part de PIB, les dépenses publiques consacrées à l'enseignement supérieur en France sont légèrement au-dessus de la moyenne de l'OCDE, mais notre pays ne se situe qu'en onzième position. Nous avons donc une marge confortable de progression. Je ne peux qu'encourager les décideurs à investir dans l'enseignement supérieur et la recherche universitaire et à faire le pari du temps long nécessaire à la transformation de nos établissements.

Je tiens à réaffirmer devant vous que nous partageons l'ambition du Gouvernement d'accueillir 500 000 étudiants internationaux d'ici à six ans si la situation sanitaire le permet.

Enfin, je voudrais aborder quelques points spécifiques, en commençant par la question de la santé des étudiants internationaux. C'est un sujet qui nous préoccupe. La loi du 7 mars 2016 relative aux droits des étrangers en France a en effet supprimé la visite médicale obligatoire pour les étudiants internationaux primo-arrivants, qui était effectuée par les médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII). Elle permettait notamment de détecter et de traiter un certain nombre de maladies infectieuses, parfois mortelles. En contrepartie, cette loi a transféré aux établissements d'enseignement supérieur la responsabilité du suivi sanitaire des étudiants internationaux, plus précisément à leur service de médecine préventive, sans pour autant transférer les moyens correspondants que l'OFII y consacrait.

Par conséquent, les étudiants internationaux ne bénéficient plus systématiquement d'une visite médicale, à l'exception de cette année en raison de la crise sanitaire liée à la covid. Selon nous, les risques sont accrus, tout particulièrement dans les salles de cours ou les amphithéâtres où de nombreux étudiants se côtoient. Il pourrait en résulter un grave problème de santé publique et nous tenons à réaffirmer devant vous que nos services de médecine préventive ne sont pas en mesure d'assurer cette nouvelle mission. Quand ils essaient de le faire, cette visite médicale est beaucoup moins complète que celle qui était organisée par l'OFII, notamment en ce qui concerne la détection de la tuberculose.

S'agissant de l'accueil des chercheurs en exil, l'actualité en Afghanistan nous oblige. La question des chercheurs et étudiants en exil est pour nous primordiale. Les universités françaises, fidèles à leur tradition, sont prêtes à accueillir dans l'urgence toutes celles et tous ceux qui souhaiteront poursuivre leurs études ou leurs recherches aussi longtemps que leurs libertés ne seront pas assurées. Ainsi, la CPU s'est engagée à demander solennellement de pouvoir accueillir toutes celles et tous ceux qui souhaitent quitter leur pays.

Le programme national d'accueil en urgence des scientifiques en exil (PAUSE), piloté par le Collège de France, fournit aux établissements une partie des moyens nécessaires pour accueillir ces chercheurs. Une autre partie est prise en charge sur leur dotation propre. Il s'agit pour nous d'un devoir éthique de sauver des vies, mais aussi d'un devoir intellectuel de protéger le patrimoine culturel et scientifique mondial.

Nous pensons que ce programme mériterait d'être développé à l'échelle de notre pays, mais surtout à l'échelle européenne.

De nombreuses actions en faveur des migrants ont été engagées par les établissements universitaires ; nous pourrons les détailler en réponse à vos questions, si vous le souhaitez. Nos universités sont pleinement engagées en la matière.

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Nous avons écouté vos propos avec beaucoup d'intérêt. Je retiens pour ma part la question de l'apprentissage du français, ainsi que celle de la complexité administrative.

Nous tenons à saluer le travail de vos équipes pour permettre aux étudiants étrangers, malgré les difficultés, de s'installer convenablement, d'avoir accès aux services et à leurs droits. Vous êtes parfois leur premier contact avec la France, et je sais combien ce premier accueil peut être important pour la continuité de leur parcours scolaire et professionnel.

Je partage totalement vos propos sur les droits d'inscription. Si beaucoup de dispositions du plan « Bienvenue en France » sont intéressantes, on peut regretter que n'ait pas été ouvert une sorte de couloir en faveur tant des étudiants francophones que des étudiants européens. Des ressources importantes sont en effet affectées au financement de la francophonie, et l'on connaît tous les bénéfices qu'elle peut nous apporter sur les plans culturel et économique. Cela devrait être l'une des recommandations de notre rapport, tant pour offrir une respiration à ces étudiants étrangers que dans la perspective d'un enrichissement mutuel.

Je salue votre pari du temps long ; au fond, c'est ce que nous avons tous appris à l'université. Je relève aussi vos observations en ce qui concerne la visite médicale précédemment assurée par l'OFII.

Je suis aussi curieuse de connaître les exemples plus précis de projets développés au profit des étudiants étrangers. Je sais qu'en la matière rien ne se fait sans l'implication d'un président ou d'une présidente d'université.

Pourriez-vous, plus généralement, nous indiquer vos recommandations pour améliorer l'accueil des étudiants étrangers ?

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Je vous remercie de nous avoir fourni des données chiffrées. Lors de son audition, François Héran, professeur au Collège de France, nous avait indiqué que les études étaient le premier motif de migration vers la France, et ce sans même prendre en compte les chercheurs.

Lorsque l'on discute de la question migratoire en France, il faut avoir à l'esprit que la question des étudiants est tout à fait essentielle. Et donc aussi celle des moyens qui sont adossés aux objectifs assignés aux universités. Nous avons entendu vos propos sur le sous-financement des établissements universitaires et de recherche. Toute la bonne volonté des universités ne pourra pas pallier ce problème et il faudra donc sérieusement mettre en adéquation les objectifs et les moyens. Nous devrons aussi aborder le pari sur le temps long, que vous avez mis en avant.

Je souhaiterais que vous présentiez plus en détail le programme PAUSE. Il est tout à fait d'actualité et a été redynamisé pendant l'été pour faire face à la situation des chercheurs afghans. Ce programme avait été lancé par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères en 2017, mais on ne le connaît pas suffisamment. Il mobilise environ 90 établissements d'enseignement et de recherche. Le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE), l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (INRIA), le Centre national des œuvres universitaires et scolaires (CNOUS) et l'Agence universitaire de la francophonie (AUF) en sont parties prenantes. La CPU contribue à sa mise en œuvre depuis le début. Quel est votre regard sur ce programme et sur ses manques ?

Quelles sont vos attentes vis-à-vis du Parlement et des services de l'État ?

Disposez-vous de données sur le nombre d'installations dans la vie professionnelle des étudiants étrangers en France à la suite des études qu'ils y ont suivies ? J'ignore si ces statistiques existent, mais c'est un sujet vraiment intéressant dans le cadre des travaux de cette commission d'enquête.

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Avant de devenir députée, j'enseignais dans une unité pédagogique pour élèves allophones arrivants (UPE2A). Par ailleurs, mon mari et moi-même sommes famille d'accueil pour des demandeurs d'asile et des réfugiés. À travers vous, je tiens à adresser un immense merci aux universitaires, car tous les étudiants que j'ai accueillis ont souligné l'investissement et l'engagement des enseignants des universités en leur faveur.

L'augmentation des bourses – récente il est vrai – a-t-elle modifié la provenance des étudiants étrangers ?

Ayant moi-même fait des études à l'étranger, dans le cadre du programme Erasmus, grâce à un partenariat entre l'université de Nanterre et celle de Murcie, j'aurais voulu en savoir un peu plus sur les partenariats que vous nouez.

Enfin, vous avez évoqué les actions menées par les universités en faveur des migrants : pouvez-vous nous en dire davantage ?

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Je vous remercie à mon tour en particulier pour l'engagement public que la CPU a pris à la suite de l'arrivée au pouvoir des talibans en Afghanistan : vous apportez un soutien direct à des femmes et à des hommes vivant une tragédie profonde.

Je voudrais vous interroger sur les écoles supérieures d'art territoriales, qui sont des acteurs de l'enseignement supérieur et de la recherche. Lorsque les élèves boursiers de ces écoles font une mobilité à l'étranger, leur bourse est généralement suspendue. Un certain nombre de ces écoles ont le statut d'établissement public de coopération culturelle (EPCC), ce qui limite leur autonomie. Il n'en demeure pas moins que ces dispositions me surprennent. Il convient, plus généralement, de retravailler la question des bourses, de manière à ce que l'enjeu de la mobilité, qui est très important, soit pris en compte dans sa globalité. Il importe d'éviter les ruptures dans le parcours des étudiants boursiers, dont la situation est encore plus complexe que celle des autres étudiants.

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Emmanuelle Garnier, présidente de la commission des relations internationales et européennes

Les universités ne disposent pas d'une méthode leur permettant d'assurer le suivi des étudiants étrangers après leurs études et d'avoir connaissance de leur insertion professionnelle ; elles n'ont qu'une vision partielle de leur trajectoire, fondée sur les déclarations de certains. Sous cette réserve, l'intention des étudiants étrangers de s'insérer professionnellement semble avérée, de même que leur désir d'un retour dans leur pays pour faire bénéficier celui-ci des compétences qu'ils ont acquises durant leurs études. C'est ce que déclarent très souvent les étudiants, notamment les doctorants, qui ont à cet égard des projets solides. Néanmoins, un grand nombre d'entre eux est pour nous dans un angle mort, et l'on peut imaginer qu'ils forment des projets d'insertion en France, à plus ou moins long terme, après la fin de leurs études.

Il existe plusieurs types de mobilité – c'est d'ailleurs un sujet que nous devrions étudier davantage. Il y a certes une mobilité encadrée par des accords de partenariats entre établissements et institutions, mais un nombre considérable d'étudiants, pour ne pas dire la quasi-totalité, échappe à ces accords. À cet égard, le programme « Bienvenue en France » est intéressant, car il nous incite à aller plus loin dans la formalisation de partenariats institutionnels. Du reste, celle-ci existe déjà, même si les personnes en mobilité n'y ont pas recours : nous nouons de nombreux partenariats avec des universités à l'étranger, mais, en l'absence de demandes, ils ne sont pas toujours activés, alors même que l'on observe des flux d'étudiants en provenance de ces établissements. Nous devons nous doter de leviers permettant de faire évoluer la situation. C'est un enjeu majeur.

De nombreuses universités ont lancé des initiatives remarquables et originales en faveur des migrants. L'université fédérale Toulouse Midi-Pyrénées, qui regroupe plusieurs établissements, propose ainsi un diplôme d'université en français langue étrangère, de manière à amener chaque année des étudiants en situation de très grande fragilité à un niveau de maîtrise de la langue et d'acculturation leur permettant ensuite de suivre une formation au sein de l'université comme des étudiants « ordinaires », c'est-à-dire avec des chances de réussir.

Pour prendre un exemple dans le domaine de la recherche – activité pour laquelle la présence d'étudiants et de chercheurs internationaux est particulièrement importante –, l'université Toulouse-Jean Jaurès participe quant à elle au programme européen Transforming Migration by Arts (TRANSMIGRARTS). Comme son nom l'indique, ce programme se propose de construire différents ateliers de création artistique, dans le but de favoriser l'insertion sociale des personnes migrantes. Nous travaillons en étroite collaboration avec la Colombie, en particulier.

La question des bourses est tout à fait capitale. Sur ce point, comme sur le programme PAUSE – les deux se rejoignant en partie –, je laisse à Guillaume Gellé le soin de vous répondre.

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Guillaume Gellé, vice-président de la CPU

Effectivement, certains étudiants viennent se former chez nous et repartent dans leur pays avec les compétences qu'ils ont acquises ; d'autres font le choix de rester.

La France développe aussi des programmes pour attirer les meilleurs scientifiques. Je pense notamment à l'initiative Make Our Planet Great Again (MOPGA). Au total, 17 % des maîtres de conférences recrutés par nos universités sont étrangers ; ils viennent enrichir nos équipes pédagogiques et de recherche.

Le programme PAUSE participe de cette politique d'attractivité. Il a permis d'accueillir, depuis 2017, 253 scientifiques issus de 27 pays, dont 60 % exercent dans le champ des sciences humaines et sociales, 25 % dans celui des sciences et technologies et 15 % dans celui des sciences du vivant et de l'environnement. Parmi les bénéficiaires, on compte 45 % de femmes, 35 % de doctorants, 35 % de post-doctorants et 30 % de chercheurs confirmés. Il est vrai que l'on peut s'interroger quant au fait que les sciences et technologies et les sciences du vivant représentent une part moins importante que les sciences humaines et sociales ; il faut travailler à renforcer ces domaines.

Le programme suppose, par ailleurs, un fort investissement des établissements : ces derniers prennent en charge 40 % du coût de l'accueil des scientifiques en exil. Je tiens donc à saluer les établissements ayant fait l'effort de recevoir les 253 scientifiques en question. Par ailleurs, les universités sont pleinement mobilisées pour soutenir les scientifiques afghans : un certain nombre de candidatures sont à l'étude.

La question du rôle de l'Europe se pose. En effet, une politique volontariste menée par un seul des vingt-sept pays est-elle suffisante ? Sûrement non. Doit-il y avoir une coordination des membres de l'Union européenne sur le sujet ? Sûrement oui. La présidence française de l'Union européenne peut être un moment de réflexion privilégié pour engager des initiatives fortes en faveur de la construction de programmes européens.

Concernant les bourses, il est difficile de répondre précisément à vos questions, mais, en tout état de cause, la CPU souhaite que les établissements d'enseignement supérieur, quels que soient leur nature et le ministère auquel ils sont rattachés, soient partie prenante de la construction de la politique en la matière. Ils doivent pouvoir intervenir dans l'attribution des bourses en fonction de leurs orientations scientifiques et pédagogiques et des projets qu'ils entendent construire avec tel ou tel pays et telle ou telle université. Plusieurs opérateurs sont partie prenante dans la politique d'attribution des bourses, notamment les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (CROUS). Des initiatives ont également été lancées par certaines collectivités territoriales. Quoi qu'il en soit, il est important que l'établissement d'inscription soit au cœur des préoccupations. Une réflexion globale doit être menée sur la manière dont nous pourrions mieux accueillir les étudiants et sur les leviers à utiliser pour assurer leur accompagnement social. La crise sanitaire a montré que l'ensemble des acteurs susceptibles de se mobiliser étaient prêts à le faire. Il convient de mieux coordonner ces initiatives, et la CPU considère que les établissements doivent être au cœur de ce processus.

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Emmanuelle Garnier, présidente de la commission des relations internationales et européennes

Nous préconisons d'intégrer dans la discussion le réseau consulaire, qui assure un maillage dans le monde entier. Il est notre partenaire naturel pour un certain nombre de questions, notamment l'articulation des procédures visant à faire en sorte que l'entrée des étudiants étrangers dans l'enseignement supérieur français ait lieu dans de bonnes conditions, ce qui est le gage de la réussite de leur parcours. Le réseau consulaire français est un outil de coopération culturelle et universitaire efficace, comme il en existe peu dans le monde. Il en va de même du maillage des espaces Campus France, ou encore des établissements de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger. Nous disposons donc d'une structure particulièrement performante. Les universités sont ouvertes à un dialogue plus étroit, y compris sur le plan technique, avec le réseau consulaire. Nous en avons discuté avec le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, qui considère lui aussi que l'on pourrait optimiser un certain nombre de procédures.

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Guillaume Gellé, vice-président de la CPU

La crise sanitaire a montré qu'il était possible d'assurer une coordination beaucoup plus efficace. C'est d'ailleurs ce qui a permis à la France de continuer à accueillir les nombreux étudiants qui avaient demandé à venir sur son territoire. Nous devons donc apprendre de la crise.

Comme l'a souligné Emmanuelle Garnier, les politiques d'établissement doivent être prises en compte dans l'attribution des visas. Il faut également veiller à ce que les étudiants inscrits arrivent en début d'année universitaire : bien souvent, nous constatons des arrivées très tardives, ce qui met les étudiants concernés en difficulté.

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Pour ma part, je retiens la question des budgets et celle du transfert budgétaire – d'un côté les frais d'inscription augmentent, ce qui vous assure des fonds propres, mais de l'autre les dotations risquent de diminuer. Les choses ne doivent pas se passer ainsi. Vous avez tout notre soutien, et ce d'autant plus qu'un grand nombre d'entre nous sont d'anciens enseignants. Moi-même, j'ai enseigné à l'université de Toulon puis à Assas pendant six ans ; même si c'est peu, cela m'a permis de découvrir l'institution de l'intérieur.

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À travers vous, j'adresse mes remerciements aux présidents d'université et à l'ensemble des personnels de vos établissements. La crise sanitaire a montré que l'université avait des ressources extraordinaires, qu'elle était capable de faire preuve d'agilité et d'affronter seule des situations difficiles.

Quand on parle de politique migratoire en France, la première chose qu'il faut avoir à l'esprit est que la plus grande partie des gens qui viennent dans notre pays le font pour les études et la recherche. Cela fait donc des universités françaises des lieux essentiels pour mieux aborder la question migratoire et définir des politiques publiques aussi satisfaisantes que possible.

Dans vos propos, je relève la volonté de préserver le dynamisme. Parmi vos suggestions figure la coordination à l'échelle européenne du programme PAUSE. Il faudra effectivement approfondir la question, notamment dans la perspective de la future présidence française de l'Union européenne. Vous proposez également d'utiliser au mieux le maillage international dont dispose la France. À cet égard, outre le réseau consulaire, il convient de mentionner nos centres de recherche à l'étranger, notamment les instituts Pasteur. Nous avons des atouts extrêmement forts à faire valoir, mais cela suppose d'y consacrer des budgets suffisants. J'appelle donc mes collègues à ne pas oublier, lors du rendez-vous annuel du projet de loi de finances, les propos qui ont été tenus aujourd'hui.

La loi de programmation de la recherche a semé le trouble à l'université du fait du manque de visibilité d'un certain nombre de financements. Les contrats de plan État-région doivent eux aussi être pris en compte. Bref, il faut être vigilant sur les aspects budgétaires. L'université française est un outil extraordinaire, mais on a souvent tendance à l'oublier dans les politiques publiques. La question migratoire nous montre qu'il faut absolument s'en préoccuper. Certes, l'université est confrontée à bien d'autres enjeux, mais celui-là me paraît essentiel.

Dans le temps contraint dont nous disposions, vous n'avez pas pu restituer l'ensemble des questions qui se posent. Nous sommes donc preneurs de nouveaux échanges, y compris s'agissant de dispositifs qu'il conviendrait d'aménager, que ce soit localement ou à travers la CPU.

Merci, enfin, d'avoir montré que le plan « Bienvenue en France » ne repose pas sur de vains mots : on peut s'appuyer sur l'existant pour le mener à bien. Encore faut-il, pour ce faire, que les moyens soient à la hauteur des objectifs.

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Je profite de l'occasion pour saluer le travail de Fabrice Le Vigoureux, rapporteur spécial du budget pour l'enseignement universitaire et la vie étudiante, lui aussi universitaire. Des efforts ont été faits en faveur de l'université depuis le début du quinquennat, mais ils ne sont toujours pas suffisants : nous devrions aller encore plus loin, cela ne se fera pas sans votre collaboration.

Chers collègues, nous nous rendrons dimanche à Bagdad. C'est la raison pour laquelle il n'y aura pas d'auditions la semaine prochaine. Mais nous nous retrouverons la semaine suivante pour la suite de nos travaux.

La réunion s'achève à douze heures.