Intervention de Bruno Morel

Réunion du mercredi 22 septembre 2021 à 14h30
Commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la france

Bruno Morel, directeur d'Emmaüs Solidarité :

Nous nous posons depuis au moins 2014 la question de l'interministérialité. Nous travaillons encore beaucoup trop en silo sur ces sujets. La crise sanitaire a favorisé le rapprochement du social et de la santé sur ces questions. 90 % des femmes qui fréquentent le pôle santé dédié que nous avons ouvert dans notre centre d'Ivry déclarent avoir subi une agression sexuelle, pendant leur parcours migratoire ou dans les situations de rue. Elles souffrent de grands traumatismes. Nous plaidons fortement pour une approche interministérielle.

Vous avez évoqué la réforme de l'hébergement d'urgence, que la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) avait appelée de ses vœux l'année dernière lors de la Semaine de la rue au logement. Nous nous réjouissons que Mme Emmanuelle Wargon souhaite travailler avec nous sur une contractualisation pluriannuelle, à la fois locale, en fonction des besoins par territoire, qualitative, et quantitative. Nous ne savons pas encore quand sera proposée cette loi de programmation, mais des groupes de travail seront prochainement lancés et j'espère y retrouver l'État dans toutes ses composantes.

J'ai évoqué précédemment l'opposition des précarités. Les 43 000 places d'hébergement d'urgence créées avec la crise sanitaire ont été pérennisées jusqu'au 31 mars. Malgré ces efforts, les précarités s'opposent à trois niveaux : aux oppositions classiques entre sans-abris et migrants, puis entre personnes isolées et familles, succède une nouvelle opposition entre migrants nouvellement arrivés et migrants enkystés dans les campements ou les centres d'hébergement.

Il faut cesser de croire que les migrants viennent en France dans une démarche consumériste. Il a beaucoup été dit à la Chapelle que les migrants affluaient parce que nous avions créé la Bulle. Il n'est pas raisonnable de penser que l'on puisse fuir Kaboul parce que l'on sait que la Bulle existe à Paris. Il faut combattre l'idée d'un effet filière, et travailler avant tout sur l'intégration. Ne poser la question de l'intégration qu'une fois que la personne a obtenu le statut me paraît une hérésie. Dans nos associations, des bénévoles viennent donner des cours de français. Mais il faudrait, dans le cadre d'un contrat d'arrivée, entamer les cours de français dès le premier jour pour faciliter l'intégration. De plus, les migrants qui arrivent d'Afghanistan ou de la corne de l'Afrique ont eu un parcours professionnel : opérons un rapprochement entre leur savoir-faire et nos besoins, à la manière de ce qui a été fait sur le programme Emploi Logement par l'État.

Enfin, la politique « zéro point de fixation » nous ramène à l'effet filière. Cette politique ne fait que reléguer les migrants plus loin. Nous avons vu ces migrants porte de la Chapelle, puis porte de Saint-Denis, et encore plus loin, mais ils sont toujours présents. Je plaide pour de vrais dispositifs de premier accueil, disséminés partout sur le territoire français. À la Chapelle, la Bulle avait permis de régler la question des campements. Entre fin 2014 et l'ouverture de la Bulle en janvier 2016, trente opérations d'évacuation ont eu lieu. Pendant dix-sept mois d'existence de la Bulle, il y en a eu trois, car elle n'offrait que 400 places, ce qui ne suffisait pas pour accueillir tout le monde. Maintenant, tout a recommencé. Les dernières évacuations cet été, place des Vosges par exemple, renforcent cette idée de concurrence entre les publics avec une priorité des précarités qui en chasse une autre.

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