La réunion débute à quatorze heures trente.
Nous nous retrouvons aujourd'hui après une semaine d'interruption des auditions durant laquelle nous nous sommes rendus à Briançon dans les Hautes-Alpes, où la situation à la frontière est compliquée et conflictuelle, ainsi qu'en Irak et en Égypte, deux pays de transit très importants où la rapporteure et moi avons rencontré de très nombreux responsables politiques et humanitaires. Nos deux derniers déplacements auront lieu la semaine prochaine, mercredi matin au musée de l'Immigration, et jeudi à Bruxelles.
Cet après-midi, nous abordons le thème de l'accès des migrants au logement avec l'audition d'associations et d'organismes HLM : Emmaüs Solidarité, Évaluation logement initiative altérité (élia), et Coallia. Ce thème sera complété demain par l'audition du Délégué interministériel à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL). Nous entendrons également Mme Bérangère Taxil, professeure de droit public, qui nous éclairera sur la comptabilité de nos politiques avec nos engagements internationaux, en particulier sur la question des visas et des frontières.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Bruno Morel, M. Fabrice Brizet et M. Emmanuel Brasseur prêtent serment).
Emmaüs Solidarité intervient en Île-de-France pour prendre en charge des publics à la rue au titre d'une centaine de dispositifs. L'association s'est beaucoup mobilisée en 2015 dans ce que l'on a appelé la crise des migrants, et qui était plutôt la crise ou la difficulté du non-accueil. C'est Emmaüs Solidarité qui avait ouvert la Bulle de la Chapelle, où 25 000 personnes ont été mises à l'abri en 17 mois. À Paris, c'est la seule époque à Paris où des situations de rue et de campement ont été évitées aux personnes exilées qui ont pu être traitées avec dignité. La Bulle ayant fermé le 31 mars 2018, un nouveau système a été mis en place et de nouveaux campements se sont reformés.
Nous restons très mobilisés sur ce sujet. Nous avons créé un accueil de jour rue d'Aboukir afin de prendre en charge les familles primo-arrivantes. Nous gérons également depuis 2017 un dispositif atypique à Ivry pour le premier accueil des familles migrantes arrivant sur le territoire parisien. Ce dispositif a accueilli 5 000 personnes depuis 2017 en suivant une démarche globale : nous avons ainsi expérimenté une école intégrée pour des enfants migrants qui n'ont pas été scolarisés pendant leur parcours migratoire. Nous gérons aussi six hébergements d'urgence pour demandeurs d'asile (HUDA) qui représentent une capacité de 540 places en Île-de-France. Enfin, le 26 août 2021, en raison des événements survenus à Kaboul, nous avons ouvert un hôtel à la demande de la Délégation interministérielle à l'accueil et à l'intégration des réfugiés (DIAIR). Il accueille 127 personnes en famille, dont 55 enfants, le temps de leur réorientation, soit un mois.
Concernant les grands principes juridiques auxquels nous nous référons, le mouvement Emmaüs prône la non-opposition des précarités : toute personne a droit à un toit tant qu'elle est sur le territoire. Par conséquent, nous nous inquiétons du possible renvoi de la prise en charge de ces personnes déboutées du droit d'asile et non reconduites à la frontière du budget du ministère de l'intérieur vers le budget du ministère du logement.
Nous avons en France une difficulté avec l'organisation du premier accueil. La Bulle avait fait ses preuves et nous avions plaidé pour la mise en place de dispositifs dédiés au premier accueil sur la route migratoire interne en France. Ce choix a été écarté, mais il vaudrait la peine de l'étudier, particulièrement sous l'angle de la solidarité nationale. En Allemagne, par exemple, des quotas de prise en charge sont prévus par région.
Le sujet de la commission concerne aujourd'hui l'hébergement et le logement qui en est la phase ultime. A propos de l'exemple de l'hébergement citoyen, comme le permet la plateforme Comme à la maison (CALM) de Singa, je voudrais dire que ce dispositif mérite d'être valorisé, mais à condition qu'il y ait aussi les moyens nécessaires à un accompagnement social.
À travers la question de l'accès au droit au logement, nous en venons à interroger le paradigme de l'intégration et la manière dont la France s'en saisit, en termes de sens, de mode opératoire et d'évaluation des différents dispositifs. Le sujet des migrations est fortement instrumentalisé et doit être rationalisé : au-delà de toute idéologie politique, les migrations ont toujours constitué un fait social et historique. Aujourd'hui, il est nécessaire de se doter d'une politique d'intégration à la hauteur des enjeux que les migrations soulèvent.
L'association Elia existe depuis 2004. À la demande de l'État, nous avons progressivement centré notre action d'accueil et de l'intégration des personnes migrantes sur les réfugiés politiques. Notre champ de compétence et d'expertise concerne donc avant tout cette population spécifique même si nos constats peuvent s'appliquer à toutes les populations en précarité.
Notre structure est fondée sur l'idée que tout être humain a besoin d'un logement pérenne pour trouver une place stable dans une société et pour bénéficier de la disponibilité intérieure et intellectuelle nécessaire à son processus d'intégration. Quand une personne occupe un logement temporaire, elle sait qu'elle devra le quitter sous peu et ne dépose jamais ses valises, ni symboliquement ni matériellement. Elle a par conséquent de grandes difficultés à apprendre la langue ou chercher un emploi, et à s'inscrire dans un processus d'intégration.
Nous travaillons donc à l'accès des personnes réfugiées au logement et à leur maintien dans le logement sans assistance sur le long terme. À ce titre, notre association pratique le bail glissant de manière intégrale. Nous ne proposons pas de logement temporaire. Nous captons des logements allant du T1 au T6 dans les parcs privés et publics. Nous nous assurons de la dignité de ces logements, en les rafraîchissant si nécessaire. Nous les attribuons enfin aux personnes réfugiées selon un processus de co-construction, lequel nous permet d'obtenir un taux de refus inférieur à 2 %.
En une quinzaine d'années, nous avons permis à 700 ménages de devenir locataires, soit environ 1 700 personnes. Notre accompagnement social global intensif permet l'accession au statut de locataire en une durée moyenne de neuf mois. Nous accompagnons 200 à 300 personnes chaque année.
Nous nous appuyons pour cela sur trois dispositifs : premièrement, l'intermédiation locative (IML) qui dépend de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) assure 150 places. Deuxièmement, nous gérons des centres provisoires d'hébergement (CPH), principal vecteur d'intégration officiel pour les réfugiés, créés par l'État et financés par la direction générale des réfugiés en France (DGEF). Troisièmement, nous accueillons des réfugiés réinstallés dans le cadre de programmes internationaux avec le fonds d'asile migration intégration (FAMI) européen, codirigé par la DGEF. Il s'agit de personnes réfugiées en attente dans des camps en Jordanie, en Turquie, ou au Liban par exemple, qui arrivent sur le territoire français par voie aérienne, et sont placées immédiatement dans un logement autonome avec un accompagnement intensif. Après un an, ces personnes deviennent locataires de leur logement, et sont ainsi épargnées des ruptures de parcours ou des déménagements successifs. Le taux d'encadrement des besoins de ces personnes réfugiées est très élevé, nécessitant une ligne d'astreinte jour et nuit. Cet accompagnement intensif est nécessaire aux personnes qui arrivent dans un nouveau pays, et il renforce aussi la sécurisation des bailleurs qui nous proposent des logements.
Depuis la signature d'une convention avec le groupe HLM Habitat en région (HER) il y a presque un an, nous disposons de 70 nouveaux logements pérennes chaque année. Étant donné que les personnes deviennent locataires, notre parc n'est pas statique et nous devons trouver de nouveaux logements chaque année. Nous avons donc besoin de partenariats conséquents.
Le droit au logement est devenu en 2007 un droit fondamental. Il est accessible à toute personne en résidence stable et régulière en France. Nos dispositifs sont organisés selon deux grands principes.
Les premiers sont les dispositifs d'urgence et d'accueil. Il s'agit de logements temporaires permettant d'accueillir des demandeurs d'asile pendant l'instruction de leur demande : des hébergements d'urgence des demandeurs d'asile (HUDA), des centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA) ou des hôtels. Il s'agit de logements en diffus, collectifs, requérant ou non une participation financière.
D'autre part, un certain nombre de dispositifs d'intégration existent pour les réfugiés. La plateforme de la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement des personnes sans-abri ou mal-logées (DIHAL) propose des logements aux bénéficiaires du statut déjà logés dans le parc du Dispositif National d'Accueil (DNA). Cependant, le DNA n'accueille environ que 50 % de l'ensemble des demandeurs d'asile. Les chiffres d'avant la crise du covid qui sont plus fiables montrent que 150 000 personnes environ demandent l'asile chaque année et que 40 000 personnes l'obtiennent. La plateforme DIHAL ne propose des logements qu'aux personnes déjà hébergées dans le DNA ; la moitié des personnes hébergées se retrouve donc à la rue. Les demandes de HLM et le recours DALO peuvent permettre l'accès au logement. Nous mettons pour notre part en œuvre l'intermédiation locative et l'accueil dans les centres provisoires d'hébergement (CPH). Enfin, Action Logement permet l'accès au logement privé, et nous avons évoqué la possibilité d'hébergement citoyen.
L'association Coallia fêtera ses 60 ans l'an prochain. Notre association, laïque et apolitique, s'appuie sur les valeurs de l'humanisme, de la solidarité, et de la non-discrimination. Nous œuvrons dans le secteur des activités sociales et médico-sociales. Nous avons commencé, à notre création par la formation et le logement des travailleurs migrants. Dans les années 1970, le secteur s'est ouvert à la demande d'asile et à l'intégration des réfugiés, puis s'est généralisé sur les thèmes de l'hébergement et du logement. Nous opérons aujourd'hui de la rue jusqu'au logement de populations fragilisées et migrantes, tout en garantissant un accompagnement social pour les mener à l'autonomie et leur permettre de devenir des locataires de droit commun. Nous intervenons dans la politique du logement d'abord au travers de l'IML et dans la nouvelle politique du logement, parfois en parallèle des dispositifs d'hébergement.
L'association compte environ 4 000 salariés et 800 établissements et services sociaux sur toute la France. Nous gérons environ 18 000 logements en France au sein de résidences sociales, de foyers de travailleurs migrants (FTM), de foyers de jeunes travailleurs (FJT), qui constituent des logements à vocation très sociale. Nous accueillons également des migrants au sein de dispositifs d'hébergement sociaux généralistes, via le 115, ou des demandeurs d'asile dans les structures spécifiques de premier accueil du DNA, dans des CADA, HUDA, ou centres d'accueil et d'examen des situations (CAES).
Le droit au logement est consacré dans le droit international. L'article 21 de la convention de Genève stipule que « en ce qui concerne le logement, les États contractants accorderont aux réfugiés résidant régulièrement sur leur territoire un traitement aussi favorable que possible ». Ce droit au logement s'inscrit pour les réfugiés dans le droit commun : tout résident en France y a accès.
La population migrante que nous accompagnons se divise en deux catégories. La première comprend les personnes qui n'ont pas droit au séjour. Il s'agit de déboutés du droit d'asile qui peuvent continuer à se retrouver sur le territoire national. A la question de l'hébergement s'ajoute donc pour eux celle de l'accès au logement et de la régularisation. Parmi ceux qui ont un droit au séjour, on distingue les demandeurs d'asile en cours de procédure et les réfugiés auxquels la France a accordé sa protection, qui bénéficient chacun de droits spécifiques.
Nous sommes conscients de la volonté de la politique publique d'améliorer l'accès au logement des migrants. Le droit au logement opposable est inscrit dans le droit français, et une série de lois renforce les dispositifs d'accès au logement pour les migrants. Dans le cadre de la politique du logement d'abord, les programmes de réinstallation identifient des familles vulnérables dans des camps de réfugiés aux abords de la Syrie, ou en Afrique subsaharienne. Ils leur évitent des parcours d'exil dangereux et complexes. En France, des associations prennent en charge leur accompagnement social, leur accès à un logement pérenne et les aident à trouver une autonomie financière et dans l'habitat. Nous travaillons en détail ces projets d'intégration dans des territoires, que le gouvernement cherche à situer davantage en région qu'en Île-de-France que dans les grandes métropoles du fait de la tension sur le logement.
Cependant, malgré ces lois, règlements, programmes, et politiques publiques d'augmentation de la production de logements, des difficultés persistent. En premier lieu, la moitié seulement des 100 000 demandeurs d'asile environ qui arrivent en France chaque année se voit offrir une possibilité d'hébergement. L'autre moitié continue d'être domiciliée dans les services de premier accueil, ce qui pose la question de l'équité du traitement des demandeurs d'asile envers l'ensemble desquels la France a pourtant un devoir de protection et d'hébergement.
Concernant les réfugiés, les difficultés ont une dimension territoriale : prenons l'exemple des délais d'accès au logement social, dans lequel les personnes migrantes, en raison de leur situation financière notamment, sont davantage locataires que les Français. Ces délais peuvent aller d'un à dix entre une région sous-tension et une région hors tension : dans une région en sous-tension, il faut trois mois pour accéder à un logement social, contre plus de trois ans pour des régions en surtension. La tension du marché du logement constitue une question fondamentale pour la capacité à proposer un logement stable à ces personnes.
Nous ne pouvons nier les améliorations des politiques publiques, et constatons la volonté de la ministre du logement d'augmenter la production de logements, et celle du ministère de l'intérieur d'augmenter les dispositifs d'intégration des réfugiés. Mais des difficultés demeurent. La première concerne la production de logements. Nos publics vont majoritairement vers le logement dit social ou à vocation sociale. Or l'offre de logement social reste très souvent limitée à des typologies dites familiales, T3 et T4. De plus en plus de réfugiés sont des personnes isolées, souvent jeunes, en grande précarité économique. L'offre de logement doit être en adéquation avec leurs moyens et leur capacité à habiter dans le logement. Les résidences sociales ont notamment fait leurs preuves sur ce point.
De plus, les lois et les règlements ne sont pas toujours appliqués de la même façon sur l'ensemble du territoire, ce qui s'explique notamment par un déficit d'information des différentes administrations. Un des enjeux de la politique de l'hébergement et du logement est de réduire les délais afin de garantir une intégration correcte des réfugiés mais aussi de réaliser des économies sur la politique publique.
Enfin, la politique du logement ne peut se concevoir qu'en parallèle de la politique d'intégration. L'accès au logement est conditionné par une autonomie de vie, qui passe par des ressources, et donc par l'insertion professionnelle et l'accès aux droits ainsi que de questions de santé physique et mentale. Une prise en charge globale de ces questions d'intégration est nécessaire pour dépasser les freins à l'accès au logement de ces populations.
J'entends que vous faites tous trois le constat que le droit au logement tel qu'il est inscrit dans le droit international n'est pas respecté en France pour les migrants.
Nous tenons à vous témoigner notre reconnaissance pour votre action sur le terrain avec vos équipes. Les députés présents et moi-même connaissons la difficulté de votre travail.
Que faut-il faire en ce qui concerne la réforme de l'hébergement d'urgence ? Quel est votre avis sur l'hébergement citoyen, qui avait suscité beaucoup de réactions lorsqu'il avait été proposé par M. Aurélien Taché par amendement, et qui me paraît une bonne chose ? Que pensez-vous de la politique dite « zéro point de fixation », que je trouve personnellement inefficace, qui est très présente dans les discours de l'administration centrale et du ministère de l'intérieur ? Quelles sont les quelques recommandations que vous souhaitez absolument porter auprès du gouvernement, voire des futurs candidats à la présidence française ?
Je termine sur une dernière remarque. Vous êtes présents aujourd'hui parce que l'on considère que le ministère du logement doit intervenir dans la gestion de l'immigration. Je pense que l'immigration est aussi l'affaire des ministères des affaires étrangères, du travail et de la santé.
Nous nous posons depuis au moins 2014 la question de l'interministérialité. Nous travaillons encore beaucoup trop en silo sur ces sujets. La crise sanitaire a favorisé le rapprochement du social et de la santé sur ces questions. 90 % des femmes qui fréquentent le pôle santé dédié que nous avons ouvert dans notre centre d'Ivry déclarent avoir subi une agression sexuelle, pendant leur parcours migratoire ou dans les situations de rue. Elles souffrent de grands traumatismes. Nous plaidons fortement pour une approche interministérielle.
Vous avez évoqué la réforme de l'hébergement d'urgence, que la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) avait appelée de ses vœux l'année dernière lors de la Semaine de la rue au logement. Nous nous réjouissons que Mme Emmanuelle Wargon souhaite travailler avec nous sur une contractualisation pluriannuelle, à la fois locale, en fonction des besoins par territoire, qualitative, et quantitative. Nous ne savons pas encore quand sera proposée cette loi de programmation, mais des groupes de travail seront prochainement lancés et j'espère y retrouver l'État dans toutes ses composantes.
J'ai évoqué précédemment l'opposition des précarités. Les 43 000 places d'hébergement d'urgence créées avec la crise sanitaire ont été pérennisées jusqu'au 31 mars. Malgré ces efforts, les précarités s'opposent à trois niveaux : aux oppositions classiques entre sans-abris et migrants, puis entre personnes isolées et familles, succède une nouvelle opposition entre migrants nouvellement arrivés et migrants enkystés dans les campements ou les centres d'hébergement.
Il faut cesser de croire que les migrants viennent en France dans une démarche consumériste. Il a beaucoup été dit à la Chapelle que les migrants affluaient parce que nous avions créé la Bulle. Il n'est pas raisonnable de penser que l'on puisse fuir Kaboul parce que l'on sait que la Bulle existe à Paris. Il faut combattre l'idée d'un effet filière, et travailler avant tout sur l'intégration. Ne poser la question de l'intégration qu'une fois que la personne a obtenu le statut me paraît une hérésie. Dans nos associations, des bénévoles viennent donner des cours de français. Mais il faudrait, dans le cadre d'un contrat d'arrivée, entamer les cours de français dès le premier jour pour faciliter l'intégration. De plus, les migrants qui arrivent d'Afghanistan ou de la corne de l'Afrique ont eu un parcours professionnel : opérons un rapprochement entre leur savoir-faire et nos besoins, à la manière de ce qui a été fait sur le programme Emploi Logement par l'État.
Enfin, la politique « zéro point de fixation » nous ramène à l'effet filière. Cette politique ne fait que reléguer les migrants plus loin. Nous avons vu ces migrants porte de la Chapelle, puis porte de Saint-Denis, et encore plus loin, mais ils sont toujours présents. Je plaide pour de vrais dispositifs de premier accueil, disséminés partout sur le territoire français. À la Chapelle, la Bulle avait permis de régler la question des campements. Entre fin 2014 et l'ouverture de la Bulle en janvier 2016, trente opérations d'évacuation ont eu lieu. Pendant dix-sept mois d'existence de la Bulle, il y en a eu trois, car elle n'offrait que 400 places, ce qui ne suffisait pas pour accueillir tout le monde. Maintenant, tout a recommencé. Les dernières évacuations cet été, place des Vosges par exemple, renforcent cette idée de concurrence entre les publics avec une priorité des précarités qui en chasse une autre.
Ne rentrons pas dans une logique binaire sur le respect ou non de la France en matière du droit au logement. Disons que malgré des efforts, y compris ceux faits par les bailleurs, la France ne respecte pas suffisamment ce droit et demandons-nous plutôt quelles améliorations apporter. Chaque année, les rapports de la fondation Abbé Pierre expliquent bien le déficit structurel en logements, qui complique les choses à plusieurs niveaux.
L'hébergement citoyen n'entre pas dans mon champ de compétence, mais nous en recueillons quelques échos. Son intérêt principal réside dans le symbole très fort que représente pour les réfugiés le fait d'être accueilli dans un foyer français, et non plus dans des dispositifs. Et, pour rebondir sur les propos de M. Morel, l'hébergement citoyen offre de grands avantages sur le plan linguistique mais aussi pour l'apprentissage des codes sociaux. Enfin, pour les moins de 25 ans et les personnes isolées, c'est une solution pour combler les vides posés par le déficit de logements.
Concernant la politique du « zéro point de fixation », je ne dispose pas d'étude précise mais il apparaît cependant clairement que ces démantèlements cachent une tentative d'invisibilisation, qui n'est à la hauteur ni des enjeux posés par la question du logement et de l'hébergement ni de notre République.
Je rejoins M. Morel sur la question de l'interministérialité. Comme vous le soulignez, le sujet est tellement large qu'on ne peut travailler de manière cloisonnée. M. Brasseur rappelait que l'accès au logement est étroitement lié à la politique du logement en France, et aux types de logements créés. Trop peu de logements HLM qui sont créés sont des logements très sociaux. Ils ne permettent qu'une mobilité, en réalité restreinte, de personnes quittant les logements sociaux les plus précaires. Lors de notre dernier comité de pilotage avec le groupe HER, nous avons noté un taux de rotation inférieur à 5 %, voire 2 %. Par conséquent, il faut créer beaucoup de logements très sociaux, en réfléchissant à leur typologie.
Je rejoins mes collègues sur les efforts de politique publique accomplis ces dernières années. Depuis 2016-2017, des groupes de travail réguliers ont été organisés avec la DGEF dans une démarche de co-construction avec les acteurs territoriaux et nationaux de l'accueil et de l'intégration. Des places supplémentaires à l'intégration ont été créées. Ici, je souhaite différencier le paradigme de l'accueil et de l'urgence, de celui de l'intégration. Depuis des décennies, la France a une véritable difficulté à assumer une politique d'intégration. A ce titre, la nomination de M. Alain Régnier sur les questions d'accueil et d'intégration en 2018 est symbolique. Cela n'apparaît pas seulement sur le plan sémantique, mais aussi sur le plan quantitatif. Le DNA, dispositif national d'accueil, autrefois appelé dispositif national d'asile, n'inclut pas le terme d'intégration. En 2019, 92 % des places du DNA sont réservées à l'urgence et à l'accueil, et seulement 8 % à l'intégration. Ce dispositif conçu en entonnoir entraîne un embouteillage à l'intégration. Faute de places suffisantes, les personnes ne peuvent en sortir et restent dans les dispositifs d'urgence sans accéder à un logement pérenne. L'entrée pour les nouveaux arrivants est bouchée. Pour environ 150 000 demandes d'asile par an, on disposait en 2019 de 108 000 places à l'hébergement d'urgence et l'accueil : 42 000 places manquent. Seule la moitié des demandeurs d'asile pourront effectivement postuler à ces 108 000 places, comme l'a évoqué le dernier plaidoyer de la FAS, le reste n'y accèdera pas. Environ 40 000 des 150 000 demandes d'asile sont acceptées. Les réfugiés et les bénéficiaires de la protection subsidiaire ne disposent que de 8 710 places en CPH soit un manque de 30 000 places. Et ces 8 710 places officielles ne sont disponibles que si le taux de rotation de chacun de ces dispositifs le permet. Or, en moyenne, comme l'a rappelé Didier Leschi en 2020, le taux de rotation d'un CPH est de quinze mois. Ces 8 000 places ne sont donc pas disponibles en réalité, et le système est encore plus bouché.
Il faut donc créer davantage de places à la sortie et aussi dans la logique du logement d'abord, pour éviter que le parc ne reste statique, et que les personnes qui en sortent n'émargent sur des dispositifs de droit commun, comme le DALO, créant de nouveaux problèmes de fluidification. Il faut dépasser la logique de l'urgence et envisager une forme de plan d'apurement, dans une approche interministérielle, afin de créer les bonnes places et les logements adéquats pour les 40 000 nouvelles personnes réfugiées chaque année.
Monsieur le Président, j'apporterai deux exemples pour répondre à votre première question. Tous les demandeurs d'asile de France ne sont pas hébergés alors que certains le souhaitent et beaucoup de réfugiés sont sans abri. Des personnes à qui la France a accordé sa protection ne disposent pas d'une situation stable d'habitat. Ce ne sont pas des exclus : ils le deviennent par leur situation de mal-logement. Ce sont les conséquences du déficit d'une offre adaptée.
Concernant la réforme de l'hébergement d'urgence, nous voyons aussi d'un œil très positif la proposition de la ministre du logement d'offrir de la visibilité de manière pluriannuelle sur ces dispositifs et d'établir une loi de programmation. Cette visibilité nous est essentielle pour notre travail.
Il ne me paraît pas possible de remplacer totalement les dispositifs d'hébergement d'urgence, d'hébergement et de réinsertion, par une politique du logement d'abord qui se voudrait un accès à tous au statut de locataire et à un accompagnement adapté. Une part de nos publics n'est pas en situation d'accéder à un logement en pleine autonomie. Les moins de 25 ans isolés sont confrontés à des difficultés d'accès aux ressources trop importantes. D'autre part, les déboutés du droit d'asile, les « ni-ni », ni régularisables ni expulsables, que l'on retrouve dans l'hébergement d'urgence en France, posent la question très pragmatique de leur régularisation. Ils nous interrogent aussi sur l'avenir que nous pouvons leur proposer, ainsi qu'à leurs enfants. Ainsi, une politique qui cherche à donner plus de stabilité aux personnes dans le logement me paraît une bonne chose, mais ne pourra remplacer entièrement les dispositifs d'hébergement, qu'ils relèvent du DNA ou du système généraliste. Il faut trouver une complémentarité, adaptable selon les territoires et la tension sur le logement.
Je suis très heureux de voir autant de citoyens français marquer leur solidarité et s'impliquer dans la politique d'intégration des réfugiés au travers de l'hébergement citoyen. J'émettrai quelques réserves cependant : l'hébergement citoyen ne permet pas une totale équité de traitement entre les réfugiés. Il existe des disparités territoriales, mais aussi différentes capacités à prendre en charge ces personnes. L'hébergement citoyen n'est, par exemple, pas adapté aux personnes souffrant de graves traumatismes. La création de liens sociaux entre les populations issues de l'émigration et les populations françaises peut passer par d'autres systèmes de parrainage que l'hébergement citoyen.
La dernière évacuation devant la préfecture d'Île-de-France est révélatrice des effets de la politique « zéro point de fixation ». On trouvait dans ce campement tous types de publics, déboutés du droit d'asile, primo-demandeurs d'asile, demandeurs d'asile de longue date non hébergés, réfugiés, ou personnes de nationalité française. Le 115 se trouve après la crise sanitaire face à de nouvelles difficultés pour offrir des solutions. L'évacuation est menée par le ministère de l'intérieur, et les personnes sont envoyées dans des CAES dans toute la France. Ceux qui ne sont pas demandeurs d'asile sont renvoyés à la rue. Nous avons donc vu des réfugiés remis à la rue par manque de solutions d'hébergement. Cette évacuation nous renvoie à la question d'une coordination interministérielle, car ces réfugiés reviennent en Île-de-France, où ils disposent potentiellement d'un emploi ou d'une formation, de liens sociaux, et où ils imaginent construire leur projet de vie.
Concernant les améliorations, il faut diversifier la production de logements très sociaux pour garantir l'accès et le maintien des publics isolés dans le logement. Les moins de 25 ans, en particulier, sont plus susceptibles de connaître des ruptures dans leur parcours salarié et de ressources, et il faut à tout prix éviter les retours à zéro qui font perdre du temps alors qu'il s'agit de politiques publiques coûteuses.
La coordination interministérielle est un sujet d'actualité, alors que le ministère de l'intérieur tente d'avancer avec le programme accompagnement global et individuel du réfugié (AGIR) qui devrait être lancé en 2022. En permettant à chaque réfugié de bénéficier d'un accompagnement global incluant le logement, la mobilité, la famille, la scolarité, la santé, ce programme pourrait contribuer à lever des freins importants à l'accès au logement. Il manque peut-être d'une coordination appuyée des services de l'État et des associations. La politique menée par les CAES, quant à elle, est menée en silo complet par rapport aux autres politiques d'hébergement et il est anormal que les réfugiés mis à l'abri par la France ne puissent bénéficier d'une solution digne d'hébergement.
Enfin, je pense qu'il est essentiel de gagner du temps sur toutes ces procédures, en travaillant à l'intégration dès la demande d'asile, notamment par l'apprentissage du français.
Je souhaite revenir sur la proposition d'un accueil sur tous les territoires. Députée d'une circonscription rurale, j'entends l'intérêt de l'accueil dans ces territoires, à condition qu'il s'agisse bien d'une fonction d'accueil et que les choses soient bien préparées en amont. Vous suggériez aussi une analyse au sein de ces territoires des possibilités d'emploi. La difficulté à aller vers les territoires ruraux est liée au manque d'infrastructures globales sur ces territoires : le manque d'accès aux services administratifs et aux services de soin sont des freins à l'intégration.
Quels sont les éléments fondamentaux pour un accueil dans les territoires ruraux ? Que faudrait-il mettre en place pour cet accompagnement ?
Merci pour votre connaissance fine et solide des problématiques et pour votre vision claire des améliorations à apporter. Malheureusement, la question du logement donne l'impression d'un chantier tellement colossal qu'on ne sait par quel bout le prendre. Votre capacité à vous accrocher à l'immensité de ce chantier est d'autant plus remarquable.
Comment sortir de l'opposition des précarités mentionnée par M. Morel ? De mémoire, la loi asile évoquait un système de cotation permettant de prioriser les logements. Ce système fonctionne-t-il ? Comment, dans l'état actuel de l'offre d'hébergement et de logement, éviter que les choix qui sont faits n'apparaissent inéquitables et ne laissent personne à l'écart ?
Nous ne disposons que de deux minutes par personne, mais nous défendons sur ces sujets budgétaires des amendements pour des politiques qui se chiffrent à des millions d'euros
Pour l'accueil en milieu rural, je crois beaucoup en un État qui pilote. La gestion de toutes les crises récentes a montré que l'on peut avoir une vraie ambition interministérielle, mais qu'elle n'est pas toujours déclinée au niveau local. Nous y parviendrons davantage avec un traitement du premier accueil des migrants par les services préfectoraux, et une clé de répartition des migrants sur le territoire. Il existe des dizaines d'opérateurs en France qui ont la capacité de faire de l'ingénierie sociale. Vous parlez du bâti : nous pouvons utiliser du patrimoine intercalaire pour transformer très rapidement des locaux en structures dignes d'hébergement.
Nous tournons en rond sur le sujet de l'opposition des précarités. C'est la construction de logements très sociaux qu'il faut mettre en œuvre. Je me permets de vous renvoyer ici aux propositions de la fondation Abbé Pierre, cousins du mouvement Emmaüs, qui explique chaque année les mesures à prendre pour construire plus de logements sociaux, et mettre fin aux expulsions. L'intégration de toute personne à la rue doit devenir une grande cause nationale.
Surtout, appliquons le droit. Quel que soit le public, le droit stipule que toute personne à la rue doit être prise en charge. Je répète que tant qu'une personne n'a pas été reconduite à la frontière, elle a droit à un toit. Pour respecter le droit, l'État doit construire des logements très sociaux et accélérer la politique du logement d'abord. L'intermédiation locative mais aussi les pensions de famille, sont des dispositifs qui fonctionnent très bien. En territoire rural par exemple, ces pensions forment de petites unités de 25 logements.
Nous entendons que le chantier du logement est colossal, mais il faut le prendre en main. Il est porteur sur le plan économique : allons jusqu'à rêver que des réfugiés construisent leur logement. Sinon, nous sommes confrontés à des choix du même ordre que ceux qui ont pu être faits quand les services de réanimation étaient saturés. Il est impossible de construire une société de cette manière.
Pour l'accueil en milieu rural, s'il fallait prioriser certains aspects pour enclencher l'intégration des réfugiés au début de leur parcours, il s'agirait de l'accès à des cours de français et aux services de soins, sans lesquels il est délicat pour ces personnes de se reconstruire intérieurement. L'emploi et la formation viennent généralement dans un second temps.
En zone rurale, des programmes incitatifs peuvent être utiles. Il y a quelques années, un dispositif qui n'existe plus aujourd'hui permettait de financer les communes qui acceptaient de recevoir un public réfugié, notamment pour le programme de réinstallation, à hauteur de mille ou deux mille euros par personne ou par famille. L'accompagnement social est aussi nécessaire. Les mairies sont rassurées par la présence de professionnels qui aident les familles à s'intégrer correctement. Le programme AGIR nous y amènera peut-être, bien que nous craignions une légère insuffisance des crédits pour mener les actions sans rupture dans la durée.
Enfin, la précarité du logement ne concerne pas que les migrants, même si les indicateurs de ces populations sont généralement plus significatifs, par exemple pour les recours DALO. Mais comment créer de l'équité ? La décentralisation de la politique du logement confie au niveau local la production de logements sociaux et leur attribution, et crée naturellement des formes d'iniquité de traitement au niveau national. L'harmonisation et la simplification des procédures d'accès au logement devraient permettre de placer les migrants au même niveau que les Français qui ont un besoin d'accès au logement social.
Merci à tous les trois pour vos éclairages quant à l'accueil et l'intégration des migrants.
Nous voulons formuler des recommandations aussi efficaces qui arrivent à convaincre un maximum d'administrations, notamment quant à la nécessaire interministérialité de cette politique. Nous espérons pousser le Président de la République à travailler sur le sujet de l'asile pour harmoniser vers le haut les procédures européennes. Je vous promets donc un rapport direct, clair et concis qui vous sera adressé bien entendu en avant-première, ne serait-ce que par respect pour le travail que vous avez fourni et le temps que vous nous avez accordé.
La réunion s'achève à quinze heures cinquante.